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    European Court of Human Rights


    You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Al- Agha v. Romania - 40933/02 French Text [2010] ECHR 1995 (12 January 2010)
    URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2010/1995.html
    Cite as: [2010] ECHR 1995

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    TROISIÈME SECTION







    AFFAIRE AL-AGHA c. ROUMANIE


    (Requête no 40933/02)










    ARRÊT



    STRASBOURG


    12 janvier 2010


    DÉFINITIF


    12/04/2010


    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

    En l'affaire Al-Agha c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

    Josep Casadevall, président,
    Elisabet Fura,
    Corneliu Bîrsan,
    Boštjan M. Zupančič,
    Alvina Gyulumyan,
    Egbert Myjer,
    Luis López Guerra, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2009,

    Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

  1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 40933/02) dirigée contre la Roumanie par M. Akram Ahmed M. Al-Agha (« le requérant »), ayant le statut de réfugié, a saisi la Cour le 30 octobre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
  2. Le requérant est représenté par Me Nadia Morărescu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
  3. Le requérant allègue en particulier l'illégalité de sa privation de liberté, l'absence d'un recours effectif pour faire établir la légalité de sa privation de liberté et des mauvaises conditions de vie au centre de rétention de l'aéroport d'Otopeni de Bucarest.
  4. Le 2 septembre 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

  6. Le requérant est né en 1945 et réside à Bucarest.
  7. 1.  Le contexte de l'affaire

  8. En 1962, le requérant quitta la bande de Gaza, alors sous administration égyptienne, avec un document de voyage égyptien pour aller étudier à la Faculté de Mathématiques du Caire. En 1966, il s'établit en Libye. Suite à la guerre du Kippour du 1973, son document égyptien de voyage ne fut pas prolongé par les autorités égyptiennes. Toutefois, le requérant obtint un passeport irakien pour réfugiés palestiniens, émis par l'ambassade d'Irak à Tripoli. Après l'éclatement de la guerre du Golfe en 1991, le requérant affirme avoir été obligé de quitter la Libye car celle-ci n'offrait plus de protection aux palestiniens.
  9. En 1993, le requérant arriva en Roumanie avec le passeport irakien précité, muni d'un visa roumain. Il s'installa à Iaşi où il fonda une société commerciale, devint résident en tant qu'homme d'affaires et obtint un certificat attestant de sa qualité d'investisseur.
  10. Comme son passeport arrivait à terme en janvier 1998, entre septembre 1997 et janvier 1998, le requérant forma, sans succès, des demandes visant l'obtention d'un tel document auprès des ambassades de Jordanie, d'Égypte, de Syrie, de Tunisie, du Maroc, du Yémen et de Libye à Bucarest.
  11. Par un ordre no 779 du 31 juillet 1998, se fondant sur les articles 4 d) et 20 de la loi no 25/1969 sur le régime des étrangers dans la République Socialiste de Roumanie (« l'ordre 779 » et « la loi no 25/1969 »), le ministère de l'Intérieur (« le ministère ») leva le droit de séjour du requérant en Roumanie, le déclara « indésirable », interdit son séjour dans le pays pour une période de cinq ans et indiqua que l'Inspection générale de la police prendrait les mesures nécessaires pour assurer son départ du territoire roumain sous quarante-huit heures. Cet ordre ne fut pas notifié au requérant.
  12. Le 3 août 1998, les autorités interpelèrent le requérant et lui demandèrent de quitter le pays. Le procès-verbal dressé à cette occasion ne faisait pas référence à l'ordre no 779 et était libellé dans les termes suivants :
  13. « Compte tenu du fait que pendant votre séjour en Roumanie vous avez enfreint les dispositions de l'article 19 de la loi no 25/1969, au motif que vous n'avez pas quitté le territoire à l'expiration de votre titre de séjour, nous vous informons qu'en vertu des dispositions de l'article 21 de la loi no 25/1969, votre droit de séjour en Roumanie a été levé et vous êtes tenu de quitter le territoire du pays dans un délai de quarante-huit heures.

    Si vous ne quittez pas le territoire du pays dans le délai légal, vous êtes passible d'une peine de prison contraventionnelle ou d'une amende (...). »

  14. Ne possédant pas de passeport, le requérant ne put pas quitter le territoire roumain dans le délai imparti.
  15. 2.  Procédures en vue d'obtenir le statut de réfugié en Roumanie

  16. Le 31 octobre 1998, le requérant forma une première demande visant à ce que l'État roumain lui reconnaisse le statut de réfugié politique. Par un arrêt définitif du 30 novembre 1999, le tribunal départemental de Bucarest rejeta sa demande.
  17. Le 20 décembre 1999, le requérant forma une nouvelle demande en vue d'obtenir le statut de réfugié. Par un arrêt définitif du 19 septembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest reconnut au requérant le statut de réfugié pour des raisons humanitaires. L'arrêt fut rédigé dans les termes suivants :
  18. « (...) Tant la décision de la commission que celle du tribunal de première instance rejettent la demande d'octroi du statut de réfugié au motif que par l'ordre du ministre de l'Intérieur no 779 du 31 juillet 1998 le requérant a été déclaré indésirable.

    Comme le contenu de cet ordre ne ressort pas des dossiers de la commission ni de ceux du tribunal de première instance, le tribunal juge que cet ordre n'existe pas, n'a jamais été émis et qu'il n'existe pas la possibilité pour le requérant de l'attaquer en justice conformément à l'article 21 de la Constitution roumaine (...). »

    3.  Le placement du requérant dans le centre de rétention de l'aéroport de Bucarest Otopeni

  19. Après le rejet de sa première demande visant à obtenir le statut de réfugié (voir paragraphe 12 ci-dessus), le 15 février 2000, le requérant fut interpelé et placé dans le centre de rétention de l'aéroport de Bucarest Otopeni (« le centre de rétention »). Le requérant dit avoir été informé qu'il était privé de liberté au motif qu'il n'avait pas respecté l'ordre no 779, dont il venait d'apprendre l'existence. Ni l'ordre précité ni aucun autre document ne lui furent délivrés. La note dressée lors du placement du requérant dans le centre de rétention mentionnait que cette mesure était justifiée par le fait qu'il avait été déclaré personne "indésirable". Le procès-verbal de placement au centre ne précisait pas les motifs justifiant cette mesure.
  20. Le 27 août 2001, se fondant sur l'article 79 § 2 des normes d'application de la loi no 123/2001 sur le régime des étrangers en Roumanie (« la loi no 123/2001 ») et après avoir rappelé que le requérant avait été placé dans le centre de rétention au motif que sa demande d'asile avait été rejetée et qu'il avait été déclaré « indésirable » par l'ordre no 779, la Direction générale de statistique de la population (Direcţia generală de evidenţă informatizată a persoanei, ci-après « la Direction générale ») prolongea cette mesure, au motif que des procédures judiciaires concernant la situation du requérant étaient pendantes devant les juridictions nationales et qu'un document de voyage n'avait pas été obtenu de l'ambassade de Palestine à Bucarest.
  21. Le 31 janvier 2003, après avoir constaté que, bien que le requérant bénéficiât du statut de réfugié, des raisons de sécurité nationale et d'ordre public imposaient son éloignement du territoire, le parquet près la cour d'appel de Bucarest confia la garde du requérant aux autorités publiques (luarea în custodie publică), en vertu des articles 93 § 4 et 134 de l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie (« l'OUG no 194/2002 »). Le parquet indiqua également que le requérant serait placé dans le centre de rétention.
  22. Pendant son placement au centre de rétention, les autorités ont fait, sans succès, des démarches auprès de l'ambassade de Palestine à Bucarest pour que cette dernière délivre un document de voyage au requérant. En outre, les démarches des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR ») auprès des représentants du Canada et de la Norvège pour accueillir le requérant n'ont pas abouti.
  23. 4.  Procédure en vue d'obtenir la remise en liberté du requérant

  24. Le 20 avril 2001, se fondant sur la loi no 29/1990 sur le contentieux administratif (« la loi no 29/1990 »), le requérant forma une action en justice, en demandant sa libération du centre de rétention, l'annulation de l'ordre no 779 et l'octroi de dommages-intérêts pour détention illégale.
  25. Par un arrêt du 28 juin 2001, prenant en compte l'arrêt du 19 septembre 2000 lui octroyant le statut de réfugié et considérant que l'ordre contesté avait été émis en vertu d'un article de loi déclaré non constitutionnel (paragraphe 40 ci-dessous), la cour d'appel de Bucarest fit droit à son action. Elle nota également que le procès-verbal du 3 août 1998 n'avait informé le requérant que de son obligation de quitter le pays en raison de l'expiration de son titre de séjour et non pas de ce qu'il avait été déclaré personne « indésirable ».
  26. Le ministère forma un recours, en faisant valoir que le requérant ne bénéficiait pas d'un droit de séjour dans le pays, dans la mesure où il avait été déclaré « indésirable » pour des raisons de sécurité nationale. Le défaut de communication de l'ordre en cause au requérant ne revêtait, selon le ministère, aucune importance, dans la mesure où les autorités compétentes avaient décidé que le requérant présentait un danger pour l'ordre public et que les motifs ne devaient pas lui être communiqués.
  27. Par un arrêt définitif du 27 mai 2002, la Cour suprême de justice accueillit le recours du ministère et renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Bucarest. La Cour suprême retint que, bien que le requérant ne puisse pas avoir connaissance des motifs qui fondaient l'ordre no 779, les juridictions pouvaient en être informées. Dès lors, elle renvoya l'affaire devant la cour d'appel pour que le ministère verse au dossier l'ordre et les motifs qui le justifiaient.
  28. Il ressort du contenu des décisions présentées ci-dessous que l'ordre no 779 et le procès-verbal du 3 août 1998 furent versés au dossier.
  29. Par un arrêt du 23 octobre 2002, la cour d'appel rejeta l'action du requérant comme mal fondée. Elle jugea que le requérant était privé de liberté en vertu « d'un autre acte administratif » adopté après le non-respect de l'ordre no 779, acte que le requérant n'avait pas contesté en justice. Elle constata également que le requérant n'avait pas contesté l'ordre litigieux en suivant les dispositions de l'article 5 de la loi no 29/1990.
  30. Le requérant forma un recours, en faisant valoir que l'ordre no 779 ne lui avait jamais été communiqué et que, dès lors, il ne pouvait pas le contester en justice selon la procédure prévue par la loi no 29/1990. Il souligna que son maintien en détention était illégal et que la reconnaissance du statut de réfugié en sa faveur devait avoir comme conséquence l'annulation de l'ordre litigieux.
  31. Par un arrêt définitif du 25 septembre 2003, la Cour suprême de justice rejeta son recours. La Cour suprême retint que, bien que l'ordre en cause n'ait pas été communiqué au requérant en raison de son caractère secret, il avait été informé de ses conséquences par le procès-verbal du 3 août 1998. Elle nota également que le requérant avait été informé de l'existence de cet ordre lors de son placement dans le centre de rétention.
  32. La Cour suprême nota également que la reconnaissance, au bénéfice du requérant, du statut de réfugié n'avait pas d'effets sur l'ordre no 779 qui avait été émis antérieurement au jugement définitif du 19 septembre 2000. Selon la Cour suprême, le respect par l'administration publique des droits conférés au requérant par le statut de réfugié était un aspect qui excédait le cadre de la procédure, n'ayant pas de lien avec l'acte administratif contesté. Elle jugea enfin que la mesure de placement au centre de rétention était expressément prévue par l'article 21 de la loi no 25/1969.
  33. 5. La remise en liberté du requérant

  34. Le 31 juillet 2003, le requérant fut remis en liberté par ordre du ministère, au motif que la période de cinq ans pendant laquelle il avait été déclaré indésirable était arrivée à son terme.
  35. Il ressort d'une lettre adressée au Gouvernement par l'Office roumain de l'immigration qu'en 2000, le requérant s'est vu reconnaître le statut de réfugié pour une période de trois ans, à savoir du 19 septembre 2000 au 18 septembre 2003. Le 13 juin 2002, le requérant s'est vu accorder un titre de séjour temporaire et un passeport. Par une décision du 26 mars 2003, l'office national pour les réfugiés a maintenu le statut de réfugié du requérant sans limite dans le temps. Le 5 août 2005, le titre de séjour du requérant a été prolongé jusqu'au 4 août 2006. Le 19 avril 2006, le requérant a reçu un nouveau document de voyage valable jusqu'au 2 février 2010.
  36. A présent, le requérant se trouve toujours sur le territoire roumain. Il possède une carte de réfugié et réside dans un centre d'accueil géré par l'Office national des réfugiés.
  37. 6.  Conditions de vie dans le centre de rétention

    a)  Les conditions matérielles de vie

  38. Selon le requérant, les conditions de vie au centre de rétention étaient très mauvaises. Il dit avoir partagé avec huit autres personnes une pièce de 12 m2, avoir supporté des conditions précaires d'hygiène (manque d'eau chaude et de douches) et des températures extrêmes en été et en hiver et avoir reçu une mauvaise nourriture (des aliments très durs, sans lait, fruits ni légumes). Selon le Gouvernement, l'eau chaude était fournie une fois toutes les deux semaines, à l'exception d'une période d'un mois quand les travaux d'entretien ne l'ont pas permis. Il ajoute que la nourriture fournie aux personnes placées dans le centre de rétention assurait au moins 3 600 calories par jour.
  39. Le requérant dit avoir manqué également d'activité et d'exercice physique en plein air. Pendant les trois ans et cinq mois de sa détention dans ce centre, il a eu la permission de quitter les locaux seulement pour les rendez-vous officiels et pour les audiences devant les tribunaux internes, ce qui a eu des effets importants sur son état psychique.
  40. Le Gouvernement indique que, bien qu'avant 2002, le centre de rétention n'ait pas bénéficié d'espaces spéciaux pour des activités, les personnes y retenues avaient accès à un téléviseur et pouvaient sortir dans la cour du centre, par groupes de cinq à six personnes. Selon les données fournies par l'Office roumain pour l'immigration du centre d'Otopeni, dans une lettre du 14 novembre 2008, à la suite des travaux effectués en 2002, un espace pour la promenade a été aménagé dans la cour du centre et d'autres améliorations ont été apportées à l'intérieur du centre. Les personnes placées dans le centre de rétention bénéficiaient de promenades journalières, à l'exception des jours où le personnel de surveillance était insuffisant.
  41. b)  L'assistance médicale assurée au requérant

  42. L'assistance médicale était assurée dans le centre de rétention par un médecin et deux infirmiers. Le 15 février 2000, lors de son placement dans le centre de rétention, le requérant a été examiné par un médecin qui l'a déclaré « cliniquement sain ». Il ressort du dossier médical du requérant que l'examen médical suivant a eu lieu le 13 avril 2002.
  43. Afin de protester contre les mauvaises conditions de détention et sa détention au centre de rétention, le requérant entama des grèves de la faim en mai et juin 2002 et le 24 janvier 2003, cette dernière ayant duré trois semaines.
  44. Pendant ces grèves de la faim, le requérant fut examiné à plusieurs reprises par un médecin. Lors de l'examen médical du 7 mai 2002, le médecin constata que le requérant souffrait de varices à la jambe droite. Un traitement consistant en une cure chirurgicale lui fut prescrit lequel ne fut pas réalisé. Le 15 mai 2002, le requérant refusa le traitement offert par un infirmier. La maladie pour laquelle ce traitement lui avait été prescrit ne ressort pas de sa fiche médicale.
  45. Le 24 janvier 2003, le requérant se plaignit de douleurs au niveau des jambes, mais refusa l'assistance de l'infirmier et demanda à être examiné par un médecin spécialiste. Le 25 janvier 2003, il fut amené au service de médecine interne de l'hôpital du ministère de l'Intérieur mais il refusa d'être examiné précisant qu'il commençait une grève de la faim et qu'il acceptait uniquement d'être examiné par un médecin attaché au UNHCR. Pendant la grève de la faim, le requérant fut examiné périodiquement par un infirmier ou un médecin, mais il refusa à plusieurs reprises de se soumettre à des analyses et le 4 février 2003, il refusa le traitement médical et l'hospitalisation.
  46. Du 11 au 14 février 2003, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital D. Gerota où il bénéficia de plusieurs consultations spécialisées et d'analyses généralisées.
  47. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  48. Les dispositions pertinentes de la loi no 25/1969 sur le régime des étrangers dans la République Socialiste de Roumanie en vigueur à l'époque des faits se lisent ainsi :
  49. Article 4

    « Le droit d'entré sur le territoire peut être refus à l'étranger si :

    (...)

    d) son droit de séjour a été levé, il a été expulsé ou il a été déclaré indésirable (...) ; »

    Article 19

    « L'étranger arrivé en Roumanie pour un séjour temporaire est tenu de quitter le pays à l'expiration du délai de séjour.

    Le séjour en Roumanie peut être prolongé par l'organe compétent du ministère de l'Intérieur. La demande de prolongation doit être présentée vingt-quatre heures avant l'expiration de la durée du séjour (...) »

    Article 20

    « Le ministre de l'Intérieur peut lever ou limiter le droit de séjour en Roumanie de l'étranger qui a méconnu la loi roumaine et de celui qui, par son attitude ou comportement a porté préjudice à l'État roumain. »

    Article 21

    « (1) L'étranger se trouvant temporairement en Roumanie, dont le droit de séjour a été levé, est tenu de quitter le pays dans un délai de 48 heures à partir du moment où cette mesure lui a été communiquée (...)

    (3) Si l'étranger méconnaît les dispositions précédentes, il peut être expulsé par un ordre du ministre de l'Intérieur. Si l'étranger n'a pas accès au territoire de l'État où il doit entrer ou qu'il doit traverser, le ministre de l'Intérieur fixe une localité déterminée dans laquelle il devra rester jusqu'au moment où son départ du pays est possible.

    (4) L'étranger auquel l'obligation de séjourner dans une certaine localité a été imposée ne peut se déplacer en dehors de celle-ci qu'avec l'accord des autorités compétentes du ministère de l'Intérieur. »

  50. L'article 19 § 3 de la Constitution en vigueur à l'époque des faits était ainsi libellé :
  51. « Il appartient à la justice de décider de l'expulsion ou de l'extradition. »

  52. Le 16 novembre 2000, par une décision no 225, la Cour Constitutionnelle s'est prononcée sur la compatibilité de l'article 20 de la loi no 25/1969 précitée avec le principe constitutionnel du droit d'accès à un tribunal. La Cour Constitutionnelle a estimé que l'article précité n'était pas conforme à la Constitution, pour les raisons suivantes :
  53. « Même si l'article 20 de la loi no 25/1969 utilise les expressions « lever » ou « limiter » le droit de séjour en Roumanie pour l'étranger qui a méconnu la loi roumaine et de celui qui a porté préjudice à l'État et non celle d' « expulsion », l'article 21 § 3 de cette loi permet toutefois au ministre de l'Intérieur d'ordonner l' « expulsion » de l'étranger quand celui-ci refuse de quitter le pays.

    La Cour constate que les dispositions de l'article 20 de la loi no 25/1969 qui permettent au ministre de l'Intérieur de lever ou de limiter le droit de séjour en Roumanie d'un étranger peuvent avoir comme effet son expulsion, ce qui est contraire à l'article 19 § 3 de la Constitution qui prévoit que l'expulsion est décidée seulement par le juge. »

  54. L'article 21 de la loi no 123 du 2 avril 2001 sur le statut des étrangers en Roumanie, publiée au Journal officiel no 168 du 3 avril 2001 qui abrogea la loi no 25/1969 précitée, était ainsi libellé :
  55. Article 21

    « (1) L'étranger qui ne se conforme pas aux dispositions de l'article 17 [de quitter le territoire roumain au terme de validité de son visa] (...) peut être éloigné du territoire vers son pays d'origine (...)

    (2) La mesure d'éloignement est prise par le ministère de l'Intérieur (...)

    (3) Jusqu'à la mise à exécution de la mesure prévue au deuxième paragraphe, l'étranger qui ne dispose pas d'un document de voyage valable ni de moyens financiers est hébergé dans des centres spécialement aménagés à cette fin par le ministère de l'Intérieur. »

  56. Selon l'article 79 des normes d'application de la loi no 123, la durée de l'hébergement temporaire établie par décision de la Direction générale ne pouvait pas dépasser, en principe (de regulă), trois mois. Selon le deuxième paragraphe de cet article, la prolongation de l'hébergement au-delà de cette période pouvait être décidée par la même direction par un rapport (referat) motivé.
  57. Les articles pertinents de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie (« l'OUG no 194/2002 ») publiée au Journal officiel du 27 décembre 2002 et entrée en vigueur le 26 janvier 2003, qui a abrogé la loi no 123 précitée, dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits, étaient ainsi libellés :
  58. Article 84 § 2

    « 2.  La communication des données et des informations qui ont justifié la déclaration selon laquelle un étranger est indésirable pour des raisons liées à la sécurité nationale n'est autorisée que dans les conditions et aux personnes expressément mentionnées par la législation sur le régime des activités concernant la sécurité nationale et la protection des informations secrètes. Ces informations ne peuvent être communiquées, sous aucune forme, directe ou indirecte, à l'étranger déclaré indésirable. »

    Article 93

    «(1) Le placement dans un centre spécial (luarea in custodie publica) vise à restreindre la liberté de mouvement d'un étranger qui n'a pas été renvoyé dans son pays d'origine dans les délais prévus par la présente ordonnance, ou qui a été déclaré indésirable ou a fait l'objet d'une mesure d'expulsion (...)

    (2) Dans le cas des personnes contre lesquelles la mesure de retour a été prise, le placement dans un centre spécialisé est ordonné par le procureur désigné au parquet près la cour d'appel de Bucarest, pour une période de trente jours (...)

    (4) Le placement des étrangers déclarés indésirables dans un centre spécial est une mesure prise en vertu d'une ordonnance, par le même procureur qui a déclaré indésirable la personne visée, conformément à l'article 83, troisième alinéa (...)

    (7) Les étrangers à l'encontre desquels la mesure de retour a été ordonnée peuvent contester la mesure de placement dans un centre spécial ordonnée par le procureur dans les conditions prévues à l'alinéa 2, devant la cour d'appel de Bucarest (...) »

  59. La loi no 56 du 13 mars 2007 modifiant et complétant l'OUG no 194/2002, publiée au journal officiel no 201 du 26 mars 2007 et entrée en vigueur le 29 mars 2007, prévoit dans son article 83 que la mesure visant à déclarer une personne indésirable est ordonnée par la cour d'appel de Bucarest sur proposition du procureur. Les données et informations qui ont fondée une telle décision pour des raisons de sécurité nationale sont mises à la disposition de la juridiction. La cour d'appel rend sa décision définitive en chambre du conseil. Elle informe l'intéressé des faits reprochés, en respectant les dispositions légales relatives à la sûreté nationale et à la protection des informations classées.
  60. Les dispositions pertinentes de la loi no 29/1990 sur le contentieux administratif dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits se lisent ainsi :
  61. Article 5

    « 1.   Avant de demander à un tribunal l'annulation de l'acte (...), celui qui s'estime lésé peut s'adresser pour la défense de son droit à l'autorité qui a pris l'acte dans un délai de trente jours à partir du moment où l'acte lui a été communiqué (...), celle-ci étant tenue de statuer sur sa plainte dans un délai de 30 jours à partir de sa réception.

    (...)

    5.  Dans tous les cas, le tribunal doit être saisi dans un délai d'un an à partir de la communication de l'acte administratif dont l'annulation est demandée. »

  62. Le Gouvernement a soumis à la Cour un arrêt définitif de la Cour suprême de justice du 30 janvier 2002 et un jugement de la cour d'appel de Bacau du 5 mars 2002, rejetant au fond des actions ayant pour objet des contestation devant les juridictions administratives d'ordres déclarant des étrangers personnes indésirables ; il ressort du contenu de l'arrêt définitif précité que l'ordre déclarant l'intéressé indésirable lui avait été communiqué et du contenu du jugement que l'ordre avait été prononcé en vertu de la loi no 123/2001. Il ressort du contenu de ces décisions que la compétence des juridictions nationales était limitée à vérifier si les normes de procédures avaient été respectées et si l'autorité publique n'avait pas commis une erreur grave dans l'exercice de son droit d'appréciation. De plus, le ministère de l'Intérieur n'était pas tenu de verser au dossier les documents qui justifiaient cette mesure, qui relevaient de la sécurité nationale.
  63. Le Gouvernement a fourni également un jugement de la cour d'appel de Bucarest portant sur la contestation d'une mesure de placement ordonnée par le parquet contre une personne à l'encontre de laquelle le retour a été ordonné en vertu de l'article 93 § 2 de l'OUG no 194/2002.
  64. III.  LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

    48.  Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») a effectué plusieurs visites en Roumanie au centre de rétention de l'aéroport de Bucarest Otopeni.

  65. Le rapport au Gouvernement de la Roumanie relatif à la visite effectuée par le CPT en Roumanie du 24 septembre au 6 octobre 1995 contient les passages pertinents suivants :
  66. « 90. Il y avait pour les hommes et les femmes des sections séparées et toutes deux étaient bien éclairées (y compris un bon accès à la lumière du jour) et aérées.

    La section des hommes consistait en une pièce d'environ 28 m², équipée de 11 lits et de plusieurs tables, et une entrée de 10 m² qui pouvait servir de logement en cas de besoin. Des installations sanitaires (y compris une douche) étaient situées à proximité et les détenus y avaient librement accès. L'état d'entretien et de propreté des locaux (y compris des lits, de la literie et des installations sanitaires) était satisfaisant (...) »

  67. Le rapport au Gouvernement de la Roumanie relatif à la visite effectuée en Roumanie par le CPT du 24 janvier au 5 février 1999 contient les passages pertinents suivants :
  68. « a)  Visite de suivi au Centre de rétention à l'aéroport d'Otopeni

    (...)

    La description des locaux faite au paragraphe 90 du premier rapport reste dans l'ensemble valable, bien que l'agencement des dortoirs dans la section des hommes ait été quelque peu modifié. Toutefois, une dégradation notable dans les conditions matérielles a été relevée : sol et murs des locaux sanitaires étaient en mauvais état d'entretien, la production d'eau chaude était en panne (pour y pallier, l'on entreposait des bouteilles d'eau sur les radiateurs) ; (...)

    En ce qui concerne l'alimentation, les constatations faites ont été des plus préoccupantes. Des entretiens avec les responsables du centre et d'autres personnes, il est apparu que la police des frontières ne disposait d'aucun budget à cet effet et que les compagnies aériennes, l'administration de l'aéroport et les autorités se rejetaient mutuellement la responsabilité de la couverture des frais d'alimentation. Quant aux deux personnes retenues au centre lors de la visite, l'une, disposant d'argent, a pu se procurer de la nourriture ; l'autre, sans argent, n'avait rien mangé depuis la veille.

    Comme en 1995, il n'y avait aucune disposition prise pour assurer aux personnes retenues pendant des périodes prolongées un exercice en plein air, en dépit de la recommandation faite par le CPT. Ceci est d'autant plus regrettable que les séjours dans le centre de l'aéroport peuvent être longs, jusqu'à trois mois, d'après les responsables. Quant aux autres activités, les possibilités se limitaient à l'accès à la zone de transit de l'aéroport. La délégation avait communiqué une observation sur-le-champ en ce qui concerne l'exercice en plein air, visant aussi les personnes retenues dans les centres de rétention (paragraphes 10 ci-dessus). Les réponses données ne couvrent pas ce lieu.

    Quant aux soins médicaux, en cas de nécessité appel était fait au service médical de l'aéroport, avec la possibilité de transfert en cas d'urgence vers un hôpital de Bucarest.

    Le CPT avait fait déjà remarquer que cette zone de rétention ne convenait pas à de longs séjours : les activités étaient limitées et l'atmosphère générale était plutôt claustrophobique. Il ne peut que répéter cette conclusion et recommander aux autorités de faire tous les efforts nécessaires pour limiter le séjour dans ce centre au strict minimum, en utilisant notamment les facilités nouvellement créées ou à créer (...) ».

  69. Le rapport au Gouvernement de la Roumanie relatif à la visite effectuée en Roumanie par le CPT du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003 contient les passages pertinents suivants :
  70. « b. Situation dans les établissements visés :

    La délégation du CPT a visité le Centre pour étrangers d'Otopeni ; d'une capacité officielle de 90 places, ce centre comptait, lors de la visite, 47 personnes (...).

    Cependant, au Centre pour étrangers d'Otopeni, elle a recueilli auprès des personnes retenues un nombre non négligeable d'allégations selon lesquelles le personnel les obligerait à lui verser des pots-de-vin (appelés par euphémisme « commissions ») en échange de certains privilèges/éléments de confort (par exemple, des visites d'amis, des articles achetés en dehors du Centre). Elle a recueilli des récits analogues auprès d'autres sources. Cela serait inacceptable. Le CPT recommande qu'une enquête soit menée et que des mesures soient prises pour mettre un terme à cette pratique si elle est avérée (...).

    Les conditions matérielles de détention étaient satisfaisantes dans les établissements pour personnes détenues en vertu de la législation relative aux étrangers que la délégation a visités. Les dortoirs bénéficiaient d'un bon éclairage (y compris l'accès à la lumière du jour) et d'une bonne aération, ils offraient suffisamment d'espace de vie par rapport au nombre de personnes qu'ils pouvaient accueillir, et ils étaient équipés de suffisamment de lits et d'espaces de rangement. Les détenus avaient libre accès à des sanitaires adéquats, y compris la nuit (...).

    La situation était nettement moins bonne en ce qui concernait le régime. Aucune activité organisée n'était prévue. Et la délégation a recueilli de nombreuses plaintes concernant le fait que trop peu de temps était consacré à l'exercice en plein air au Centre ainsi qu'à l'annexe de la zone de transit de l'aéroport. Apparemment, les détenus n'avaient pas accès quotidiennement aux aires de promenade.

    Le CPT recommande que des mesures soient prises pour développer les activités au Centre pour étrangers ; ces activités devraient comprendre l'accès à la radio/télévision et à des journaux/magazines, ainsi qu'à d'autres moyens récréatifs (par exemple, jeux de société, tennis de table). Il recommande aussi que des instructions fermes soient données pour garantir à toutes les personnes détenues en vertu de la législation relative aux étrangers au moins une heure par jour d'exercice en plein air (...).

    Le système en vigueur était satisfaisant aussi en ce qui concernait le service médical du Centre. Ce dernier disposait d'un médecin qui se rendait régulièrement dans l'établissement et de deux infirmiers à plein temps. Un membre de l'équipe soignante du Centre voyait les détenus après leur admission et des consultations médicales avaient lieu sur demande (...). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

  71. Le requérant se plaint de mauvaises conditions de vie au centre de rétention de l'aéroport de Bucarest Otopeni. Il invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  72. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

  73. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
  74. A.  Sur la recevabilité

  75. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  76. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

  77. Le requérant indique qu'après son placement au centre, il a partagé pendant plus d'un an une chambre avec treize autres personnes dont deux souffraient de tuberculose et que ce n'est que vers la fin de son séjour qu'il a été placé dans une chambre avec cinq autres personnes. Il dit avoir supporté des conditions d'hygiène précaires et avoir reçu une nourriture d'une mauvaise qualité Il souligne que le contrôle médical effectué lors de son placement au centre de rétention par un infirmier a été très sommaire. Il ajoute que ce n'est que deux ans après son placement au centre qu'il a été examiné par un médecin, à savoir le 13 avril 2002, et qu'il n'a bénéficié de soins médicaux que pendant ses grèves de la faim.
  78. Le requérant dénonce la pratique des « commissions » imposée par le personnel du centre de rétention et l'absence d'activité physique pendant son séjour, qui a contribué à l'aggravation de son état de santé. Il renvoie à cet effet au rapport du CPT réalisé après ses visites au centre de rétention du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003 (paragraphe 51 ci dessus). Le requérant note que lors de son examen médical du 7 mai 2002, le médecin a constaté qu'il souffrait de varices et lui a recommandé une intervention chirurgicale qui n'a jamais été réalisée, malgré le fait qu'il a souffert plusieurs fois de fortes douleurs à sa jambe et qu'il a demandé à être examiné par un médecin spécialiste.
  79. Le requérant conteste avoir participé à l'incendie du centre, comme le soutient le Gouvernement, et note qu'après l'incendie, une enquête a été menée par les autorités afin d'identifier les responsables. Or, le requérant n'en faisait pas partie.
  80. Renvoyant au même rapport du CPT que le requérant et à l'affaire Mogos c. Roumanie (no 20 420/02, 13 octobre 2005), le Gouvernement estime que le requérant n'a présenté aucune preuve objective concernant ses allégations et qu'il n'est pas établi que les conditions de vie au centre étaient suffisamment mauvaises pour emporter une violation de l'article 3 de la Convention. Il note que, pendant son séjour au centre de rétention, le requérant a été placé dans une chambre dotée de six lits et d'un groupe sanitaire, y compris une cabine de douche. Selon le Gouvernement, lors du placement, le requérant a bénéficié d'un contrôle médical qui a conclu qu'il était apte pour être placé dans le centre. Il énumère les examens médicaux dont a bénéficié le requérant pendant son séjour et souligne que ce dernier a refusé plusieurs fois l'assistance médicale offerte.
  81. Le Gouvernement note que le requérant pouvait participer, dans le centre de rétention, à différentes activités et faire des promenades. Il estime que le rapport du CPT rédigé à la suite de la visite effectuée au centre de rétention au mois de février 1999 (paragraphe 50 ci-dessus) n'est pas pertinent pour la présente affaire, les conditions de vie s'étant beaucoup améliorées après cette visite.
  82. Le Gouvernement ajoute enfin, sans fournir de détails, que pendant son séjour au centre de rétention, le requérant a eu un comportement inapproprié envers le personnel et a participé à un incendie du centre.
  83. 2.  L'appréciation de la Cour

  84. La Cour constate que le requérant a été placé dans le centre de rétention de l'aéroport d'Otopeni du 15 février 2000 au 31 juillet 2003, soit pendant une durée de trois ans et cinq mois. Privé de sa liberté, il n'était pas libre de ses mouvements et ne pouvait pas quitter le centre de rétention sans l'accord des autorités.
  85. La Cour rappelle que les mesures privatives de liberté s'accompagnent ordinairement de souffrances et humiliation. Toutefois, l'article 3 impose à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 99, CEDH 2008 ... (extraits)).
  86. Lorsqu'on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant. Pour cette appréciation, il faut tenir compte « de ce que la Convention est un « instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles », et de ce que le niveau d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 48, CEDH 2006 XI).
  87. En l'espèce, la Cour note que certains aspects des conditions de vie du requérant dans le centre de rétention, à savoir le nombre de personnes logées avec le requérant, font l'objet d'une controverse entre les parties. La Cour n'estime pas nécessaire de prendre position sur cet aspect des conditions d'existence dans la mesure où elle peut procéder à une appréciation de l'affaire en s'appuyant sur d'autres aspects relatifs aux conditions de vie présentées dans les arguments des parties et les rapports du CPT (paragraphes 50 et 51 ci-dessus).
  88. La Cour relève que pendant le séjour du requérant au centre de rétention, des travaux d'amélioration des locaux ont eu lieu. Dans la mesure où les parties n'indiquent pas la date à laquelle ces travaux ont été réalisés en 2002, la Cour prendra comme date de référence la visite du CPT du 16 au 25 septembre 2002. Dans ce rapport, le CPT a relevé une amélioration des conditions de vie au centre. Dès lors, la Cour examinera successivement les conditions de vie au centre avant et après le mois de septembre 2002.
  89. a)  Les conditions de vie au centre de rétention avant le mois de septembre 2002

  90. La Cour constate que les affirmations du requérant quant aux conditions précaires de vie au centre de rétention sont confirmées par le rapport du CPT réalisé à la suite de sa visite du 24 janvier au 5 février 1999. Elle note à cet égard les mauvaises conditions d'hygiène et la pauvre qualité de la nourriture dénoncées par le requérant. La Cour relève plus particulièrement que l'intéressé ne bénéficiait d'un accès aux douches qu'une seule fois toutes les deux semaines, fait qui n'est pas contesté par le Gouvernement. En outre, il était confiné la majeure partie de la journée, la possibilité d'avoir une activité physique étant très limitée. Cet état de choses pose en soi des problèmes sous l'angle de l'article 3 de la Convention (mutatis mutandis Maciuca c. Roumanie, no 25763/03, 26 mai 2009, § 25), La Cour relève également que le CPT a noté que le centre de rétention ne convenait pas à de longs séjours. Elle estime que, de par sa nature même, il s'agissait d'un lieu destiné à accueillir des personnes pour des courtes durées et n'était pas adapté aux besoins d'un séjour de plusieurs années.
  91. La Cour note aussi que le requérant n'a pas bénéficié de soins médicaux spécifiques malgré les recommandations du médecin (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, il convient de constater que le requérant a été suivi médicalement seulement pendant ses grèves de la faim et que les examens réalisés se limitaient à analyser les conséquences de ces grèves.
  92. La Cour admet qu'en l'espèce rien n'indique qu'il y ait eu véritablement intention de rabaisser ou de porter atteinte à la dignité du requérant. Toutefois, elle rappelle que, s'il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement était d'humilier ou de rabaisser la victime, l'absence d'un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l'article 3. Elle estime que les conditions de vie que le requérant a dû supporter du 15 février 2000 à septembre 2002 n'ont pas manqué de porter atteinte à sa dignité et de lui inspirer des sentiments d'humiliation et d'avilissement.
  93. Dès lors, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en raison des conditions de vie subies par le requérant au centre de rétention jusqu'en septembre 2002.
  94. b)  Les conditions de vie au centre de rétention après le mois de septembre 2002

  95. La Cour note qu'en septembre 2002, le CPT a constaté que les conditions matérielles de vie au centre de rétention étaient satisfaisantes. S'il est vrai que les activités récréatives au centre doivent encore être améliorées, il n'en reste pas moins que ce seul élément ne peut être considérer comme atteignant le niveau de gravité demandé par l'article 3 de la Convention. La Cour accorde de l'importance au fait que les 24 et 25 janvier 2003, bien que le personnel médical du centre ait essayé d'assurer un examen médical spécialisé au requérant, ce dernier a refusé les soins proposés.
  96. Dans ces conditions, la Cour considère qu'après septembre 2002, il n'est pas établi que les conditions de vie du requérant au centre de rétention aient été suffisamment sévères pour emporter violation de l'article 3 de la Convention.
  97. Dès lors, il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention en raison des conditions de vie subies par le requérant au centre de rétention après septembre 2002.
  98. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

  99. Le requérant dénonce une violation de son droit à la liberté, en invoquant l'article 5 § 1 b) et f) de la Convention. La Cour estime que le grief du requérant doit être examiné sous l'angle de l'article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :
  100. « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales. »

  101. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.
  102. A.  Sur la recevabilité

  103. La Cour note que dans ses observations sur le fond de l'affaire (paragraphe 80 ci-dessous), le Gouvernement soutient que le requérant avait à sa dispositions des voies de recours au niveau national pour faire contrôler la légalité de son placement au centre de rétention. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour considère qu'il convient d'examiner l'exception de non-épuisement de voies de recours internes sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention (paragraphes 104-111 ci-dessous).
  104. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  105. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

  106. Le requérant allègue que sa détention du 15 février 2000 au 31 juillet 2003, effectuée sur la base de l'ordre no 779, qui ne lui a jamais été communiqué, a été arbitraire et disproportionnée. Il considère qu'aucune procédure d'expulsion n'a été engagée contre lui et note que l'article de loi autorisant le ministre de l'Intérieur à ordonner la levée de son droit de séjour a été déclaré inconstitutionnel (paragraphe 40 ci-dessus). Il met en avant qu'il n'a jamais été informé des motifs qui justifiaient sa privation de liberté ou la durée de celle-ci et qu'il n'a jamais été amené devant un juge pour statuer sur le bien fondé de son placement dans le centre.
  107. Par ailleurs, il souligne qu'en vertu de la loi no 25/1969, lorsque l'éloignement du territoire n'était pas possible, l'étranger devait être assigné à résidence dans une localité et non pas enfermé dans un centre. Il note également qu'au terme des cinq ans pendant lesquels il a été déclaré indésirable, il a été remis en liberté sans qu'une autre mesure soit prise à son encontre au vu du prétendu danger qu'il représentait pour la sécurité nationale.
  108. Le Gouvernement note que par l'ordre no 779, le ministère a levé le droit de séjour du requérant en Roumanie, l'a déclaré personne indésirable pour une période de cinq ans et a ordonné à l'Inspection générale de police d'exécuter l'ordre et d'assurer le départ du requérant du territoire dans un délai de quarante-huit heures. Il admet que le procès-verbal rédigé le 3 août 1998 ne mentionnait pas que le requérant avait été déclaré personne "indésirable" mais il souligne qu'il faisait référence à l'article 19 de la loi no 25/1969 au motif que l'intéressé n'avait pas quitté le pays à l'expiration de son titre de séjour. Il souligne que, bien que l'ordre no 779 n'ait pas été communiqué au requérant, ce dernier a été informé de ses conséquences par le procès-verbal du 3 août 1998.
  109. Le Gouvernement souligne qu'au moment du placement du requérant au centre, une procédure d'expulsion était en cours et que la détention de ce dernier était "régulière". Il souligne que la privation de liberté du requérant avait une base légale en droit interne, à savoir les lois nos 25/1969 et 123/2001 et l'OUG no 194/2002, et que ces lois remplissaient les conditions de prévisibilité et d'accessibilité. Le Gouvernement estime que l'ordre no 779 et le rapport prolongeant le placement du requérant au centre constituaient des actes qui pouvaient faire l'objet d'une contestation par la voie du contentieux administratif et note que l'OUG no 194/2002 prévoyait une voie de recours spéciale.
  110. Le Gouvernement considère que le placement du requérant dans le centre était une mesure nécessaire en raison de son refus de quitter le pays et du fait que l'éloignement ne pouvait pas être réalisé aussitôt, à cause de l'absence d'un document de voyage valable.
  111. 2.  L'appréciation de la Cour

  112. La Cour rappelle qu'en proclamant le « droit à la liberté », le paragraphe 1 de l'article 5 vise la liberté physique de la personne ; il a pour but d'assurer que nul n'en soit privé de manière arbitraire (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 76, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI). Par ailleurs, pour déterminer si une personne se trouve privée de sa liberté au sens de l'article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères, comme le genre, la durée et les modalités de l'exécution de la mesure considérée (arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, §§ 58-59, Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A no 39, § 92, et Amuur c. France, 25 juin 1996, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1996 III).
  113. La Cour note qu'en l'espèce le requérant a séjourné pendant trois ans et cinq mois environ dans le centre de rétention de l'aéroport de Bucarest-Otopeni, en attendant son éloignement du pays. Le requérant n'était pas libre de ses mouvements et ne pouvait pas quitter le centre de rétention sans l'accord des autorités. La Cour conclut que le maintien du requérant dans le centre de rétention s'analyse, en raison des restrictions subies, en une privation de liberté (voir également Amuur, précité, § 43 et Riad et Ibiad, précité, § 68).
  114. Reste à savoir si cette privation était compatible avec l'article 5 § 1 de la Convention. En matière de « régularité » d'une privation de liberté, la Cour rappelle que l'article 5 § 1 renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en respecter les règles de fond comme de procédure. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l'article 5 § 1, à savoir protéger l'individu de toute privation de liberté arbitraire (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009 ...).
  115. En exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l'article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, la Cour rappelle que l'exigence que la privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales » ne se borne pas à renvoyer au droit interne ; elle concerne aussi la qualité de la loi, elle la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Amuur, précité, § 50). Pareille qualité implique qu'une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et ait une formulation assez précise pour permettre aux intéressés, en s'entourant, au besoin, de conseils éclairés, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1998 VII et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000 III).
  116. En l'espèce, la période de privation de liberté litigieuse a débuté le 15 février 2000 et s'est achevée le 31 juillet 2003, au moment où le requérant a été remis en liberté, après avoir été prolongée les 27 août 2001 et 31 janvier 2003. Le requérant a été donc privé de liberté de manière ininterrompue pendant trois ans et cinq mois.
  117. La Cour note que l'ordre no 779, fondé sur l'article 20 de la loi no 25/1969, déclarant le requérant personne « indésirable » constituait pour les autorités la base légale de la privation de liberté. Or, la Cour observe que l'ordre en cause, qui n'a jamais été communiqué au requérant, ne prévoyait pas comme mesure le placement du requérant au centre de rétention ou sa privation de liberté. Qui plus est, en vertu de l'article 21 de la loi no 25/1969 en vigueur lors du placement du requérant dans le centre de rétention, les personnes qui ne pouvaient pas faire l'objet d'un éloignement immédiat du territoire devaient être assigné à résidence dans une certaine localité et non être privées de liberté comme ce fut le cas pour le requérant (paragraphe 38 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime que lors du placement du requérant dans le centre de rétention l'ordre en cause ne pouvait pas constituer une base légale, conforme au droit interne, pour sa privation de liberté.
  118. La Cour doit rechercher également si les décisions de prolongations de la mesure de maintien du requérant en rétention prises ultérieurement ont rendu sa privation de liberté compatible avec l'article 5 § 1 de la Convention. La Cour constate qu'après l'entrée en vigueur de la loi no 123/2001 et de l'OUG no 194/2002, le placement dans un centre de rétention d'une personne déclarée indésirable dont l'éloignement du territoire n'était pas possible dans l'immédiat était prévu par la loi. Elle conclut donc que la mesure litigieuse avait une base en droit interne. Il reste à savoir si le droit interne répondait aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité afin de protéger l'intéressé d'une privation de liberté arbitraire.
  119. 89.  Au sujet de l'accessibilité, la Cour note que tant la loi que l'ordonnance précitées ont été publiées au Journal officiel. Dès lors, la Cour estime que ce texte répondait au critère de l'accessibilité.

    90.  Quant à la prévisibilité, la Cour rappelle que certes, dans le contexte particulier de mesures touchant à la sécurité nationale, l'exigence de prévisibilité ne saurait être la même qu'en maints autres domaines (Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 51, série A no 116 et Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 121, 20 juin 2002). Toutefois, toute personne qui fait l'objet d'une mesure basée sur des motifs de sécurité nationale ne doit pas être dépourvue de garanties contre l'arbitraire. Ainsi, le droit interne doit offrir une protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention. En effet, l'existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, dont notamment celle de procédures de contrôle efficace par le pouvoir judiciaire, est d'autant plus nécessaire que, sous le couvert de défendre la démocratie, de telles mesures risquent de la saper, voire de la détruire (voir, mutatis mutandis, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 55 et 59, CEDH 2000-V).

  120. En l'espèce, la Cour constate que la privation de liberté du requérant a été prolongée toujours au motif qu'il avait été déclaré indésirable et qu'il présentait, selon les autorités, un danger pour la sécurité nationale (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). Or la Cour constate qu'aucune poursuite n'a été engagée à l'encontre du requérant pour avoir participé à la commission d'une quelconque infraction en Roumanie ou dans un autre pays. Il suffit à la Cour de constater que, hormis le motif général susmentionné, les autorités, en suivant les dispositions légales applicables en la matière, n'ont fourni au requérant aucune autre précision quant aux faits qui lui étaient reprochés et qui constituaient implicitement les raisons de sa privation de liberté.
  121. La Cour attache également de l'importance au fait que les juridictions nationales ne pouvaient exercer qu'un examen purement formel des décisions constatant que le requérant avait été déclaré indésirable et prolongeant son placement au centre (voir également les paragraphes  104 111 ci-dessous).
  122. Le requérant n'ayant joui ni devant les autorités administratives ni devant les juridictions nationales du degré minimal de protection contre le risque d'arbitraire des autorités, la Cour estime que lors des prolongations successives, sa privation de liberté n'avait pas non plus une base légale suffisante en droit interne, dans la mesure où elle n'était pas prévue par « une loi » répondant aux exigences de la Convention.
  123. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la privation de liberté ininterrompue du requérant pendant trois ans et cinq mois n'a pas eu une base légale répondant aux exigences de l'article 5 § 1 de la Convention.
  124. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

  125. Le requérant se plaint également de n'avoir pas pu contester devant un juge la légalité de sa privation de liberté. Il invoque les articles 5 § 4, 6 et 13 de la Convention.
  126. La Cour rappelle que l'article 5 § 4 est une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l'article 13 (Chahal, précité, § 126). De plus, dans la mesure où la procédure visait à la remise en liberté du requérant, elle examinera ce grief uniquement sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention lequel se lit ainsi :
  127. « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

  128. Le Gouvernement conteste cette thèse.
  129. A.  Sur la recevabilité

  130. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  131. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

  132. Le requérant estime que, dans la mesure où l'ordre litigieux le déclarant indésirable ne contenait pas les motifs justifiant cette mesure, il ne pouvait pas bénéficier d'un recours effectif au niveau national pour faire contrôler la légalité de sa privation de liberté. Il estime que cela a entraîné un déséquilibre entre lui et le ministère lors de la procédure en annulation. Il souligne la durée de cette procédure et note que les juridictions nationales ont rendu leurs décisions sans que des preuves démontrant le prétendu danger qu'il représentait pour la sécurité nationale soient versées au dossier.
  133. Le Gouvernement considère que le requérant aurait pu contester la légalité des mesures prises contre lui par la voie du contentieux administratif, recours qui était, selon lui, adéquat, efficace, accessible et suffisant. Le Gouvernement joint à ses observations des exemples de jurisprudence des juridictions nationales (voir paragraphes 46 et 47 ci dessus).
  134. 2.  L'appréciation de la Cour

  135. La Cour rappelle que l'article 5 § 4 reconnaît aux personnes arrêtées ou détenues le droit d'introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté.
  136. L'exigence d'équité procédurale découlant de l'article 5 § 4 n'impose pas l'application de critères uniformes et immuables indépendants du contexte, des faits et des circonstances de la cause. Si une procédure relevant de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l'individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (A. et autres précité, § 203).
  137. La Cour a déjà reconnu que l'utilisation d'informations confidentielles pouvait se révéler inévitable dans les affaires où la sécurité nationale était en jeu, tout en précisant que cela ne signifiait pas que les autorités nationales étaient exemptées du contrôle effectif des juridictions internes dès lors qu'elles affirmaient que l'affaire touchait à la sécurité nationale et au terrorisme (Chahal précité, §§ 130 et 131). Devant cet organe de contrôle, la personne concernée doit bénéficier d'une procédure contradictoire afin de pouvoir présenter son point de vue et réfuter les arguments des autorités (Al-Nashif précité, §§ 123 et 124). Elle a déjà constaté l'existence dans certains pays de techniques permettant de concilier, d'une part, les soucis légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements et, de l'autre, la nécessité d'accorder en suffisance au justiciable le bénéfice des règles de procédure (Al-Nashif précité, § 95).
  138. La Cour note que le Gouvernement indique la voie du contentieux administratif comme étant un recours efficace pour faire contrôler la légalité de la privation de liberté du requérant. Il mentionne également que l'OUG no 194/2002 prévoyait une voie de recours spéciale.
  139. Pour ce qui est du recours administratif, la Cour note qu'en vertu des dispositions légales en vigueur, le délai pour contester un acte administratif commençait à courir à partir de sa communication à l'intéressé, obligation qui incombait aux autorités. Or, en l'espèce, l'ordre en cause n'a jamais été communiqué au requérant en raison de son caractère secret. Par ailleurs, dans son arrêt du 19 septembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest a constaté que le requérant ne pouvait pas contester l'ordre no 779, faute pour celui-ci de lui avoir été communiqué (paragraphe 13 in fine ci-dessus).
  140. Pour ce qui est du recours prévu par l'article 93 de l'OUG 194/2002 (paragraphe 43 ci-dessus), la Cour note qu'il ressort du libellé de l'article précité que ce recours était limité aux situations prévues par l'article 93 § 2. Or, la mesure ordonnée contre le requérant le 31 janvier 2003 visait une situation différente fondée sur l'article 93 § 4 de l'OUG 194/2002. Par ailleurs, la Cour note que l'exemple de jurisprudence fourni par le Gouvernement concerne le recours d'une personne contre laquelle la mesure de retour et de placement avait été ordonnée en vertu de l'article 93 § 2 de l'OUG 194/2002.
  141. En tout état de cause, la Cour estime que tant le recours administratif que celui prévu par l'OUG 194/2002 ne pouvaient pas constituer des voies de recours efficaces contre les décisions de placement du requérant dans le centre de rétention pour les raisons qui suivent.
  142. La Cour constate que le requérant n'a été informé qu'oralement de l'existence de l'ordre qui l'avait déclaré personne indésirable, sans que les raisons justifiant cette mesure lui soient communiquées.
  143. En outre, il ressort de la jurisprudence interne en la matière, ainsi que du contenu des lois successives qui ont régi le régime des étrangers, que la compétence des tribunaux lors de l'examen de la légalité d'un ordre déclarant une personne indésirable était limitée à vérifier si les normes de procédures avaient été respectées et si l'autorité publique n'avait pas commis une erreur grave dans l'exercice de son droit d'appréciation (paragraphe 43 ci-dessus et, mutatis mutandis, Lupsa c. Roumanie, no 10337/04, §§ 58-60, CEDH 2006 VII). A cet égard, elle observe que le parquet n'a fourni aux juridictions nationales aucune précision quant aux faits reprochés au requérant. Dès lors, ce recours purement formel ne pouvait pas offrir à l'intéressé la possibilité de présenter valablement son point de vue et de réfuter les arguments des autorités.
  144. La Cour note enfin l'entrée en vigueur de la loi no 56/2007 (paragraphe 44 ci-dessus) qui prévoit expressément qu'il appartient à la cour d'appel de rendre une décision déclarant une personne indésirable après avoir examiné les motifs qui justifiaient une telle mesure et après avoir informé l'intéressé des faits reprochés. Il reste que ces changements législatifs, qu'il convient de saluer, sont largement postérieurs aux faits dénoncés par le requérant et ne sont pas en mesure de remédier à sa situation.
  145. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant n'a pas été en mesure d'opposer une véritable contestation au grief qui le visait et n'a pas bénéficié d'un recours effectif.
  146. Dès lors, il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention.

    IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

  147. Le requérant se plaint également de ce qu'il n'a pas pu obtenir au niveau national des dédommagements pour sa privation de liberté qu'il estimait illégale. Il invoque l'article 5 § 5 de la Convention qui se lit ainsi :
  148. « 5.  Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

  149. Le Gouvernement conteste cette thèse.
  150. A.  Sur la recevabilité

  151. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  152. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties

  153. Le requérant se plaint qu'il a été privé de la possibilité de demander une réparation pour sa privation de liberté qu'il estime illégale, en violation de l'article 5 § 5 de la Convention.
  154. Le Gouvernement estime que le requérant aurait pu tenter d'obtenir réparation en introduisant une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles. En tout état de cause, les tribunaux saisis de l'action du requérant en réparation ont statué que sa détention était légale.
  155. 2.  L'appréciation de la Cour

  156. La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l'article 5 se trouve respecté dès lors que l'on peut demander réparation du chef d'une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série A no 185 A). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu'une violation de l'un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002 X), ce qui est le cas dans la présente affaire.
  157. La Cour note que le Gouvernement admet qu'aucune voie de recours spécifique n'était ouverte au requérant pour obtenir une réparation en cas de privation illégale de liberté dans un centre de rétention. Elle note également que, bien qu'indiquant l'action en dommage-intérêts, prévue par le code civile, comme ouverte au requérant pour obtenir réparation, le Gouvernement n'a présenté aucun exemple pertinent de jurisprudence pour soutenir ses affirmations (mutatis mutandis, Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, §§ 213-215, 16 décembre 2008). Qui plus est, le requérant a saisi les juridictions nationales d'un chef de demande visant à obtenir des dommages-intérêts pour détention illégale (paragraphe 18 ci-dessus), action qui n'a pas été accueillie par les juridictions nationales, dans la mesure où elles n'ont pas jugé la privation du requérant comme étant contraire aux dispositions légales internes ou à la Convention.
  158. Dès lors, la Cour estime qu'il n'est pas établi que le requérant avait à sa disposition, au niveau national, la possibilité d'obtenir réparation pour sa privation de liberté contraire à l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.
  159. Partant, la Cour conclut que l'article 5 § 5 de la Convention a été violé.
  160. V.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

  161. Citant l'article 5 § 3 de la Convention, le requérant invoque le fait qu'il n'a pas été aussitôt traduit devant un juge après sa privation de liberté.
  162. La Cour note que l'article 5 § 3 se réfère expressément aux privations de liberté visées par l'article 5 § 1 c), c'est-à-dire à la détention préventive dans le cadre d'une procédure pénale. Il ne s'applique pas aux autres hypothèses de privations de liberté énumérées à l'article 5 § 1 (Bogdanovski c. Italie, no 72177/01, § 59, 14 décembre 2006). Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
  163. VI.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  164. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
  165. « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

  166. Le requérant réclame 1 000 000 euros (« EUR ») au titre du préjudice matériel et moral qu'il aurait subi. Il relève qu'en raison de la privation de liberté il a perdu le bénéfice de ses activités commerciales, ses économies et ses biens meubles et immeubles.
  167. Le Gouvernement note que le requérant n'a pas présenté de justificatifs pour prouver son préjudice matériel et que la somme est excessive pour le prétendu préjudice moral allégué.
  168. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 17 000 EUR au titre du préjudice moral.
  169. B.  Frais et dépens

  170. Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens, au motif qu'il ne dispose pas des justificatifs nécessaire. La Cour ne lui allouera donc aucune somme à ce titre.
  171. C.  Intérêts moratoires

  172. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  173. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

  174. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 5 §§ 1, 4 et 5 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

  175. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en raison des conditions de vie subies par le requérant dans le centre de rétention jusqu'au mois de septembre 2002 ;

  176. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention en raison des conditions de vie subies par le requérant dans le centre de rétention après le mois de septembre 2002 ;

  177. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;

  178. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;

  179. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 5 de la Convention ;

  180. Dit
  181. a)  que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 17 000 EUR (dix-sept mille euros), à convertir dans la monnaie nationale de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

    b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


  182. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
  183. Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada Josep Casadevall
    Greffier Président



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