BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FERREIRA ALVES v. PORTUGAL - 5340/11 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 261 (02 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/261.html
Cite as: [2013] ECHR 261

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE FERREIRA ALVES c. PORTUGAL

     

    (Requête no 5340/11)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    2 avril 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ferreira Alves c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 5340/11) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Cândido Ferreira Alves (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me J. J. F. Alves, avocat à Matosinhos (Portugal). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

  3. .  Le 18 octobre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1944 et réside à São Paulo (Brésil).

  6. .  Le 15 novembre 2004, la société E. introduisit une action en paiement et en responsabilité civile devant le tribunal de Porto contre 105 défendeurs, dont le requérant et son épouse (procédure interne no 5878/04.6TVPRT).

  7. .  En l’occurrence, la société E. réclamait le paiement d’une somme pour la construction d’un immeuble. Elle demandait également des dommages et intérêts pour les préjudices subis en raison de l’appropriation par les défendeurs de la garantie constituée par ladite société dans le cadre du contrat de construction.

  8. .  Le 25 janvier 2006, l’épouse du requérant fut citée. Ce dernier le fut le 14 mars 2006.

  9. .  Entre le 1er octobre 2007 et le 29 avril 2010, suite au décès de plusieurs défendeurs, le tribunal ordonna la suspension de l’instance en l’attente de la conclusion des procédures d’habilitation des héritiers respectifs.

  10. .  Jusqu’au 16 février 2011, le tribunal reçut différents mémoires en défense d’un certain nombre de défendeurs.

  11. .  Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 9 mars 2012, la procédure serait toujours pendante à la date de l’adoption du présent arrêt.
  12. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

    11.  Le requérant allègue que la durée de la procédure civile a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 13 de la Convention, il dénonce également l’inefficacité, au niveau interne, de l’action en responsabilité extracontractuelle pour contester la durée excessive d’une procédure. A l’appui de ses allégations, le requérant invoque également la violation des articles 14, 17, 34, 35, 41, 46 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


  13. .  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), la Cour estime que l’affaire doit être examinée uniquement à la lumière des articles 6 § 1 et 13 de la Convention dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :
  14. Article 6 § 1

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »


  15. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  16. A.  Sur la recevabilité

    14.  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que le requérant a omis d’introduire une action en responsabilité extracontractuelle au niveau interne pour se plaindre de la durée de la procédure litigieuse, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.

    15.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ».

    16.  En l’espèce, la Cour estime toutefois que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes est étroitement liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 13 de la Convention. Compte tenu des affinités étroites que présentent les articles 35 § 1 et 13 de la Convention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI), la Cour reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond de l’affaire.


  17. .  La Cour constate que les griefs déduits de la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
  18. B.  Sur le fond

    1.  Sur la violation de l’article 6 § 1 de la Convention


  19. .  Le requérant dénonce la durée excessive de la procédure devant le tribunal de Porto.

  20. .  Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure s’explique par le nombre de défendeurs (au total, 105 défendeurs) et par le fait qu’il ait fallu faire face au décès de certains d’entre eux en ouvrant des démarches pour habiliter les héritiers respectifs dans le cadre de la procédure civile.

  21. .  La période à considérer a débuté le 14 mars 2006, date à laquelle le requérant fut cité par le tribunal de Porto, et n’avait pas encore pris fin au 9 mars 2012. Au jour de l’adoption de l’arrêt, la procédure avait duré 6 années, 11 mois et 26 jours pour une instance.

  22. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  23. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  24. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

  25. .  La Cour admet que le nombre de défendeurs ait pu causer certains retards au cours de la procédure. Elle constate notamment que le décès de certains d’entre eux a contraint le tribunal à suspendre l’instance à différentes reprises afin d’ouvrir les procédures d’habilitation des héritiers. Hormis ce qui précède, elle note que l’affaire ne présente pas de complexité particulière, aucune raison n’ayant été avancée pour expliquer pourquoi la procédure n’avance pas depuis plus d’un an.

  26. .  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  27. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  28. 2.  Sur la violation de l’article 13 de la Convention


  29. .  Le requérant soutient que l’action en responsabilité extracontractuelle ne saurait constituer un recours « effectif », au sens de l’article 13 de la Convention, pour faire sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire.

  30. .  Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.

  31. .  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne, précité, § 156). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir parmi d’autres, Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008 ; Garcia Franco et autres c. Portugal, no 9273/07, § 50, 22 juin 2010) et ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente dans le cas présent. Ainsi, en l’espèce, la Cour estime que l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne constituait pas un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention dans le cas d’espèce.

  32. .  Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
  33. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  34. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  35. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    32.  Le requérant réclame une somme non spécifiée au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi, demandant à la Cour de statuer en équité à cet égard. Il demande également 16 000 euros (EUR) au titre du dommage moral.

    33.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    34.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, par ailleurs non quantifié, et rejette cette demande. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, en tenant compte du nombre de défendeurs dans le cadre de la procédure, elle lui accorde 4 500 EUR à ce titre.

    B.  Frais et dépens

    35.  Le requérant demande également 3 450 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

    36.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

    37.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires


  36. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  37. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

     

    2.  Déclare la Requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

     {signature_p_1}

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
      Greffière adjointe                                                                     Président

     


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/261.html