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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TZIOVARA AND GEMELIARI v. GREECE - 66608/09 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 317 (11 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/317.html
Cite as: [2013] ECHR 317

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE TZIOVARA ET GEMELIARI c. GRÈCE

     

    (Requête no 66608/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    11 avril 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Tziovara et Gemeliari c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Elisabeth Steiner, présidente,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Ksenija Turković, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 66608/09) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissantes grecques, Mmes Efstathia Tziovara et Panagiota Gemeliari (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 27 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérantes sont représentées par Mes S. Tzouvelopoulos, A. Mathioudakis et D. Tzouvalopoulou, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les déléguées de son agent, Mmes V. Pelekou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat et O. Souropani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

  3. .  Le 6 octobre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Les requérantes, Mmes Efstathia Tziovara et Panagiota Gemeliari, sont des ressortissants grecques, nées respectivement en 1945 et 1941 et résident à Athènes.

  6.   Les requérantes sont copropriétaires d’un terrain situé à Galatsi. En 1990, la municipalité de Galatsi occupa le terrain afin d’y créer une place municipale. Le procureur de première instance d’Athènes ordonna l’expulsion de la municipalité du terrain occupé. Néanmoins, la municipalité procéda à l’achèvement des travaux sur le terrain.

  7.   Le 2 janvier 1995, les requérantes saisirent les juridictions administratives d’une action en dommages-intérêts contre la municipalité. Elles sollicitèrent plusieurs sommes pour manque à gagner sur l’exploitation du terrain ainsi que pour dommage matériel et moral.

  8.   Le 31 juillet 1997, par une décision avant dire droit, le tribunal administratif de première instance d’Athènes rejeta partiellement l’action quant au manque à gagner et ordonna de recueillir des preuves supplémentaires pour le dommage matériel (décision no 10.035/1997).

  9.   Le 30 novembre 1999, la même juridiction accorda à la première requérante la somme de 1 370 000 drachmes (4 020 euros) et à la seconde requérante le somme de 1 400 000 drachmes (4 108,59 euros) pour dommage matériel et moral (décision no 11771/1999). Cette décision fut signifiée aux requérantes et à la municipalité le 25 janvier 2000 et le 8 février 2000 respectivement.

  10.   Les 24 mars et 29 février 2000, les requérantes et l’Etat interjetèrent respectivement appel. En 2002, l’examen de l’affaire fut ajournée une fois à la demande des requérantes. Plusieurs ajournements ont suivis qui ne sont pas attribuables aux requérantes. Deux décisions avant dire droit furent aussi rendues entre-temps qui ordonnaient la production d’éléments supplémentaires.

  11.   Le 29 janvier 2009, la cour administrative d’appel d’Athènes réexamina l’affaire et confirma la décision attaquée (arrêt no 265/2009). Cet arrêt fut signifié aux requérantes le 16 juillet 2009.

  12.   Le 9 septembre 2009, l’Etat se pourvut en cassation. Le 10 novembre 2009, les requérantes se pourvurent également de leur côté. Entre-temps, le 10 juillet 2009, était entrée en vigueur la loi no 3772/2009, dont l’article 35 dispose que le pourvoi en cassation est irrecevable, si l’objet du litige devant le Conseil d’Etat est inférieur à 40 000 euros.
  13. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  14.   L’article 35 § 1 de la loi 3772/2009 a modifié l’article 53 du décret présidentiel 18/1989 en ces termes :
  15. « Les trois premiers alinéas du paragraphe 3 de l’article 53 du décret présidentiel 18/1989 (...) sont remplacés comme suit :

    Le pourvoi en cassation n’est pas permis lorsque l’enjeu du litige devant le Conseil d’Etat est inférieur à quarante mille euros... »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  16.   Les requérantes allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  17. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  18.   La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  19. B.  Sur le fond

    1.  Période à prendre en considération


  20.   La Cour note que la procédure a débuté le 2 janvier 1995, avec la saisine des juridictions administratives par les requérantes et qu’elle est toujours pendante devant le Conseil d’Etat.

  21.   Les requérantes affirment que bien que la procédure ne soit pas formellement terminée, les pourvois formés par elles-mêmes et la partie adverse n’ont aucune chance d’aboutir en un jugement au fond et seront déclarés irrecevables conformément à la nouvelle loi no 3772/2009, dont l’article 35 dispose que le pourvoi en cassation est irrecevable, si l’objet du litige devant le Conseil d’Etat est inférieur à 40 000 euros. Elles considèrent dès lors que la décision interne définitive est en l’occurrence l’arrêt no 265/2009 de la cour administrative d’appel d’Athènes.

  22.   La Cour estime que cette approche est raisonnable et qu’il y a lieu de considérer l’arrêt no 265/2009 comme décision interne définitive. La période à considérer s’est donc terminée le 16 juillet 2009, date de la notification de l’arrêt no 265/2009 de la cour administrative d’appel d’Athènes.
  23. 2.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure


  24.   La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  25.   La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  26.   En l’espèce la Cour note qu’il a fallu cinq ans environ (du 2 janvier 1995 au 25 janvier 2000) au tribunal administratif de première instance pour se prononcer sur l’action des requérantes et neuf ans et quatre mois environ à la cour d’appel pour statuer sur l’appel (du 24 mars 2000 au 16 juillet 2009). Certes, la Cour ne perd pas de vue que la cour d’appel a dû ajourner une première fois l’examen de l’affaire à la demande de l’avocat des requérantes et que l’objet de certains ajournements ultérieurs consistait à demander d’éléments supplémentaires. Toutefois, elle réaffirme que l’article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2181, § 55 et Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV) et, notamment, garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (Frydlender c. France, précité, § 45). Dès lors, la Cour ne saurait estimer « raisonnable » la durée globale écoulée en l’espèce.

  27.   Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  28.   Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  29. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  30.   Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérantes se plaignent qu’en raison de la durée de la procédure litigieuse, elles ont été privées pour longtemps de l’indemnisation à laquelle elles auraient droit.

  31.   La Cour constate que ce grief est étroitement lié à celui tiré de la durée de la procédure. Elle note en outre que selon la jurisprudence de la Cour, les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s’analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que les requérantes pourraient obtenir à la suite du constat de cette violation (voir Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999).

  32.   Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  33. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  34.   Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  35. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  36.   Les requérantes réclament 48 000 et 51 000 euros (EUR) respectivement au titre du préjudice matériel. Elles réclament aussi 17 000 EUR chacune au titre du préjudice moral qu’elles auraient subi.

  37.   Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande au titre du dommage matériel. Il considère en outre que la somme réclamée au titre du préjudice moral est excessive et non justifiée par les circonstances de la cause. Il affirme qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

  38.   La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacune des requérantes 4 000 EUR au titre du préjudice moral.
  39. B.  Frais et dépens


  40.   Les requérantes demandent également 1 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  41.   Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et invite la Cour à ne pas allouer une somme qui dépasserait le montant de 500 EUR.

  42.   La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

  43.   En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérantes conjointement 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
  44. C.  Intérêts moratoires


  45.   La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  46. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser :

    i) à chacune des requérantes 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii) aux requérantes conjointement 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                                  Elisabeth Steiner
      Greffier adjoint                                                                       
    Présidente


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