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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GOUDOUMAS v. GREECE - 62459/09 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 412 (02 May 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/412.html
Cite as: [2013] ECHR 412

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GOUDOUMAS c. GRÈCE

     

    (Requête no 62459/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

     

     

    2 mai 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Goudoumas c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Elisabeth Steiner, présidente,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Ksenija Turković, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 62459/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Spyros Goudoumas (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Entre-temps, le requérant est décédé et sa mère, Mme Dimitra Goudouma, a exprimé le souhait de reprendre l’instance.

  2. .  La mère du requérant est représenté par Me T. Xynos, avocat retraité au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme G. Kotta et M. I. Bakopoulos, auditeurs auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

  3. .  Le 19 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1974 et a résidé à Magoulitsa Karditsas.

  6. .  Le 20 octobre 1999, le requérant, chômeur et handicapé, introduisit devant le tribunal administratif de Thessalonique une action contre l’Etat pour entretien et signalisation insuffisants d’une route départementale, ce qui eut comme conséquence qu’il fut victime, le 19 octobre 1994, d’un grave accident de voiture qui le laissa paraplégique. L’accident survint alors qu’il effectuait son service militaire et son handicap était irréversible.

  7. .  Par une décision avant dire droit du 29 décembre 2000 (notifiée au requérant le 30 janvier 2001), le tribunal administratif ordonna un complément d’instruction. Le 21 mars 2001, le requérant apporta les preuves supplémentaires demandées et déposa une demande afin que son affaire soit examinée en priorité.

  8. .  Le 31 octobre 2001, le tribunal administratif rendit un nouveau jugement avant dire droit, par lequel il ordonnait un nouveau complément d’instruction.

  9. .  Par un jugement du 21 février 2003 (notifié au requérant le 5 juillet 2003), le tribunal administratif lui donna gain de cause. Plus précisément, il condamna l’Etat à verser au requérant la somme de 23 251,87 euros (EUR), ainsi que les sommes suivantes au début de chaque mois : 225,97 EUR du 1er mars au 31 décembre 2003, 228,90 EUR du 1er janvier au 31 décembre 2004 et 231,84 EUR du 1er janvier au 31 décembre 2005.

  10. .  Le 14 novembre 2003, l’Etat interjeta appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Thessalonique. Le 21 janvier 2004, le requérant réclama le traitement prioritaire de son affaire.

  11. .  Par un arrêt du 22 août 2005 (notifiée au requérant le 10 février 2006), la cour administrative d’appel débouta l’Etat.

  12. .  Le 3 avril 2006, l’Etat se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat. Le 13 septembre 2006, le requérant réclama une nouvelle fois le traitement prioritaire de son affaire. Il soulignait que sept ans s’étaient déjà écoulés depuis l’introduction de la procédure et que sa famille et lui devaient faire face à des problèmes économiques sérieux, car il était pauvre et dans l’impossibilité de travailler.

  13. .  L’audience fut fixée au 26 février 2007. Toutefois, elle fut ajournée d’office aux 24 juillet et 19 décembre 2007, 2 juin et 15 décembre 2008, 25 mai et 14 décembre 2009.

  14. .  Entre-temps, l’Etat modifia par la loi no 3659/2008 (article 37) l’article 285 du code de procédure administrative en supprimant, en matière administrative, l’effet suspensif des décisions judiciaires jusqu’à ce qu’elles deviennent insusceptibles d’appel (voir paragraphe 16 ci-dessous).

  15. .  Le 23 février 2009, le requérant, se prévalant de l’article 37 de la loi 3659/2008, saisit le comité des trois membres du Conseil d’Etat en se plaignant du refus de l’administration de se conformer à une décision judiciaire définitive. L’audience fut fixée au 5 novembre 2009. La partie requérante ne fournit pas d’informations concernant la suite donnée à cette demande.

  16. .  Le 1er octobre 2012, le Conseil d’Etat par son arrêt no 3732/2012 fit partiellement droit au pourvoi de cassation formé par l’Etat. Cet arrêt n’est pas encore mis au net.
  17. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  18. .  L’article 37 de la loi 3659/2008 relatif à l’amélioration et l’accélération des procédures devant les juridictions administratives (publié au Journal officiel du 7 mai 2008) a rajouté un paragraphe 3 à l’article 285 du code de procédure administrative, aux termes duquel :
  19. « Les dispositions qui prévoient en faveur de l’Etat (...) la suspension de l’exécution des décisions judiciaires définitives, jusqu’à ce qu’elles deviennent insusceptibles de faire l’objet d’une voie de recours, ne s’appliquent plus dans le domaine du procès administratif. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  20. .  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  21. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  22. .  Le Gouvernement n’a pas soumis des observations.

  23. .  La période à considérer a débuté le 20 octobre 1999, avec la saisine du tribunal administratif de Thessalonique et a pris fin le 1er octobre 2012, avec l’arrêt no 3732/2012 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré douze ans et onze mois environ pour trois degrés de juridiction.
  24. A.  Sur la recevabilité


  25. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  26. B  Sur le fond


  27. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  28. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  29. .  En l’espèce, la Cour note qu’il a fallu trois ans et huit mois environ au tribunal administratif de Thessalonique pour se prononcer sur l’action du requérant (du 20 octobre 1999 au 5 juillet 2003) et six ans et six mois environ au Conseil d’Etat pour se prononcer sur le pourvoi de l’Etat (du 3 avril 2006 au 1er octobre 2012). Le Gouvernement ne fournit aucune explication pertinente pour ces délais.

  30. .  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  31. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  32. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  33. .  Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect des biens en raison de la non exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel et de la continuation d’une procédure judiciaire qui perdure depuis trop longtemps.

  34. .  La Cour note que le requérant se plaint pour l’essentiel de l’impossibilité de toucher la somme qui lui a été allouée pendant la durée de la procédure devant le Conseil d’Etat. Or, selon la jurisprudence de la Cour, les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s’analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que le requérant pourrait obtenir à la suite du constat de cette violation (Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999).

  35. .  Quant à la continuation de la procédure dont, il fait état dans la deuxième partie de son grief, la Cour relève que le requérant ne fournit pas d’éléments de nature à l’étayer.

  36. .  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  37. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  38. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  39. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  40. .  Le requérant réclame 31 005,17 euros (EUR), plus intérêts, au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi et qui correspond à la somme dont la cour administrative a condamné l’Etat à lui verser. Il réclame aussi 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  41. .  Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le préjudice matériel allégué et le grief tiré du délai raisonnable de la procédure. Il considère que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante pour dépassement du délai raisonnable. Si la Cour estimait devoir accorder une somme à la requérante, celle-ci ne devrait pas dépasser 5 500 EUR.

  42. .  La Cour rappelle qu’elle n’a constaté qu’une violation de l’article 6 § 1 pour dépassement du délai raisonnable. Elle considère que seule une indemnité pour dommage moral à ce titre entre en ligne de compte et qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 11 200 EUR.
  43. B.  Frais et dépens


  44. .  Le requérant demande également 3 000 EUR pour frais et dépens. Il produit à cet égard une fracture signée par son avocat sur laquelle figure la somme réclamée.

  45. .  Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et n’est pas justifiée.

  46. .  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], n31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

  47. .  En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.
  48. C.  Intérêts moratoires


  49. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  50. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la mère du requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes:

    i)  11 200 EUR (onze mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la mère du requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mai 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                                  Elisabeth Steiner
      Greffier adjoint                                                                       
    Présidente


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