En l’affaire Tekin c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en un Comité composé de :
Peer Lorenzen, président,
András Sajó,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section
f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7
mai 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 26252/06) dirigée contre la
République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Arife
Tekin (« la requérante »), a saisi la Cour le 20 juin 2006 en vertu
de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
. La requérante
est représentée par Mes M. Ertek et A. Tanrıverdi, avocats
à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté
par son agent.
. Le 1er
février 2011, la Requête a été déclarée partiellement irrecevable et le grief
tiré de la durée de la procédure a été communiqué au Gouvernement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. La requérante
est née en 1967 et réside à Istanbul.
. La requérante, demeurant à Istanbul, était mariée sous le régime religieux dit du « imam
nikâhı » avec Hüseyin Altun (H.A.). Elle n’a jamais célébré de
mariage civil devant l’officier de la mairie compétente conformément aux
dispositions du code civil. De cette union naquirent trois enfants nés en 1989, 1991 et 1994 ; ces enfants furent reconnus par leur père. H.A. exerçait les fonctions de
garde de village jusqu’à sa mort, le 21 janvier 1994, lors d’un
affrontement avec les membres du PKK.
. Le 12 avril
2001, la caisse de retraite d’Ankara refusa d’accorder à la requérante la
pension de retraite de son défunt concubin.
. Le 22 juin
2001, la requérante contesta cette décision de la caisse de retraite d’Ankara
devant le tribunal administratif d’Istanbul.
. Par un
jugement du 5 juillet 2001, le tribunal administratif d’Istanbul se déclara
incompétent ratione loci et renvoya le dossier au tribunal
administratif d’Ankara.
. Par un
jugement du 10 juin 2002, le tribunal administratif d’Ankara rejeta la demande
de la requérante au motif qu’elle n’avait pas célébré de mariage civil
conformément au code civil.
. Le 23 septembre
2002, la requérante se pourvut devant le Conseil d’Etat.
. Par un arrêt
du 15 novembre 2005, le Conseil d’Etat confirma le jugement du tribunal
administratif d’Ankara.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
. La requérante
allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai
raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un
délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
. La période à
considérer a débuté le 22 juin 2001 et s’est terminée le 15 novembre 2005. Elle
a donc duré près de quatre ans et cinq mois, pour deux instances.
A. Sur la recevabilité
. La Cour constate que la Requête n’est
pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention.
Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
. La Cour
rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie
suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa
jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la
requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour
les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France
[GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, et Kaplan c. Turquie,
no 24240/07, § 48, 20 mars 2012).
. Après avoir
examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le
Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion
différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière,
la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive
et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
. Aux termes de
l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
. La requérante
n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime
qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le restant de la
Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 28 mai 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Peer Lorenzen
Greffière adjointe f.f. Président