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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YASAR ERIS v. TURKEY - 53214/09 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 464 (28 May 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/464.html
Cite as: [2013] ECHR 464

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE YAŞAR ERİŞ c. TURQUIE

     

    (Requête no 53214/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    28 mai 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Yaşar Eriş c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Peer Lorenzen, président,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 53214/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Yaşar Eriş (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me M. Kırdök avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 6 septembre 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1971.

  6. .  Le 3 avril 2001, le requérant fut arrêté dans le cadre d’une opération policière menée contre le TKP/ML, une organisation illégale. Il fut placé en détention provisoire le 9 avril 2001.

  7. .  Le 11 avril 2001, le requérant fut inculpé du chef d’appartenance à une organisation illégale et son procès commença devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul. Après la suppression des cours de sûreté de l’Etat en 2004, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de cette ville (« la cour d’assises spéciale »).

  8. .  Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues devant elles, la cour de sûreté de l’Etat et la cour d’assises spéciale ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves. A partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la cour d’assises spéciale se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale (« CPP »).

  9. .  Le 6 avril 2011, le requérant fut remis en liberté en application de l’article 102 du CPP, régissant la durée maximale de la détention provisoire.

  10. .  Le 21 novembre 2011, la cour d’assises spéciale reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la réclusion perpétuelle.

  11. .  Selon les dernières informations fournies par les parties, l’affaire serait toujours pendante devant la Cour de cassation.
  12. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    11.  Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie, no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3 ET 5 DE LA CONVENTION

    A.  Article 5 § 3 de la Convention


  13. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
  14. « 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  15. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  16. .  La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).

  17. .  En l’espèce, la période à considérer a débuté le 3 avril 2001 avec l’arrestation du requérant pour s’achever le 6 avril 2011 avec son élargissement. Elle a donc duré dix ans.

  18. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné des cas similaires et a conclu à maintes reprises à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, et Taciroğlu c. Turquie, n25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006). Tout en reconnaissant les difficultés posées aux autorités nationales par cette affaire, la Cour parvient néanmoins, à la lumière de sa jurisprudence constante, à la même conclusion en l’espèce.

  19. .  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  20. B.  Article 5 § 5 de la Convention


  21. .  Le requérant se plaint de n’avoir pas disposé d’un recours effectif pour obtenir réparation. Il allègue la violation de l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :
  22. « Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »


  23. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  24. .  La Cour rappelle que le paragraphe 5 de l’article 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série À no 185-A). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X).

  25. .  En l’espèce, la Cour a conclu à la violation du paragraphe 3 de l’article 5 en raison du dépassement du « délai raisonnable » de la détention. Reste à déterminer si le requérant disposait de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

  26. .  La Cour observe que l’article 141 du CPP permet au justiciable jugé en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de saisir la juridiction compétente d’une demande d’indemnisation. Elle note toutefois que l’article 142 de ce code ne permet pas au justiciable d’intenter un tel recours au cours de la procédure engagée à son encontre puisqu’au niveau interne, le recours en indemnité n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive (voir Kürüm c. Turquie, no 56493/07, § 20, 26 janvier 2010).

  27. .  En l’espèce, l’affaire étant toujours pendante devant les juridictions nationales (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour relève que le requérant n’a pas la possibilité d’intenter le recours prévu aux articles 141 et suivants du CPP, nonobstant le fait qu’il ait déjà fait l’objet d’une détention contraire au paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention.

  28. .  Par conséquent, la Cour considère que la voie de recours envisagée par le CPP ne satisfait pas aux exigences du droit à réparation pour la détention irrégulière. Elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.
  29. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    25.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    26.  La Cour note que le requérant n’a pas présenté sa demande de satisfaction équitable dans les délais impartis. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mai 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                           Peer Lorenzen
     Greffière adjointe f.f.                                                                Président


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