En l’affaire Lanteri c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme
(deuxième section), siégeant une chambre composée de :
Danutė Jočienė,
présidente,
Guido Raimondi,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18
décembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une requête (no 56578/00) dirigée contre la République
italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Girolamo Lanteri et
Mme Marianna Lanteri (« les requérants »), ont saisi la Cour le 21
mars 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
. Par un arrêt
du 15 novembre 2005 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la
perte de toute disponibilité du terrain, combinée avec l’impossibilité de
remédier à la situation incriminée avait engendré des conséquences assez graves
pour que les requérants aient subi une expropriation de fait incompatible avec leur
droit au respect de leurs biens et non conforme au principe de prééminence du
droit (Lanteri c. Italie, no 56578/00, § 80, 15 novembre 2005).
. En s’appuyant
sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient, s’agissant du
dommage matériel, une satisfaction de « 66 765 EUR chacun, et
pas moins de 500 000 EUR ». Ils sollicitaient au titre du dommage
moral 250 000 EUR et demandaient le remboursement des frais et dépens engagés
devant les juridictions nationales et devant la Cour, à concurrence d’un
montant de 83 981,02 EUR.
. La question de
l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la
Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre
par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et
notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient
aboutir (ibidem, § 91, et point 3 b) du dispositif).
. Le 27 octobre 2006,
le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune
un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise
avant le 24 janvier 2007.
. Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.
. A la suite de la modification de la
composition des sections de la Cour, la présente requête a été attribuée à la
deuxième section ainsi remaniée.
EN DROIT
8. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
. Les requérants
réclament 525 800 EUR, somme correspondant à la valeur du terrain en 2007,
plus 1 725 750 EUR pour la valeur des infrastructures construites sur
le terrain.
. Le Gouvernement s’oppose à cette demande.
. La Cour
rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation
de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à
rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis
c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH
2000-XI).
. Elle rappelle
que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable)
[GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a modifié la
jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires
d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les
prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur
des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour
évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État
sur les terrains.
. L’indemnisation
doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la
perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la
juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que
l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce
montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il
convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en
partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des
terrains.
. En l’espèce, les requérants ont perdu la
propriété du leur terrain le 31 décembre 1988 (paragraphe 18 de l’arrêt au
principal). La Cour observe qu’ils ont reçu au niveau national une somme
correspondant à la valeur vénale de leur terrain, réévaluée et assortie d’intérêts
à compter de la date de la perte de la propriété, (paragraphe 18 de l’arrêt au
principal). Selon elle, les intéressés ont ainsi déjà obtenu
une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.
. Reste à évaluer la perte de chances subie à la
suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC] précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en
considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la
période allant du début de l’occupation
légitime (24 juillet 1987) jusqu’au moment de la perte de propriété
(31 décembre 1988). Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux
requérants 3 000 EUR.
B. Dommage moral
. Les
requérants demandent 500 000 EUR
pour le dommage moral.
. Le
Gouvernement s’y oppose.
. La Cour
estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession
illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il
y a lieu de réparer de manière adéquate.
. Statuant en
équité, la Cour accorde conjointement aux requérants 10 000 EUR pour le
dommage moral.
C. Frais et dépens
. Les
requérants demandent le remboursement des frais encourus dans la procédure
nationale (1 926,02 EUR), des frais d’expert comptable (612 EUR)
et de ceux exposés devant la Cour (81 443 EUR).
. Le Gouvernement s’y oppose.
. La Cour
rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41
présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le
caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction
équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les
frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à
la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin
c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
. La Cour ne
doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les
honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a
lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la
cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement aux requérants un
montant de 15 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement
aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les
sommes suivantes :
i. 3 000 EUR (trois mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR (dix mille
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage
moral ;
iii. 15 000 EUR (quinze mille
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants,
pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
2. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 29 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Danute
Jociene
Greffier Présidente