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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HOUSE OF MACEDONIAN CIVILIZATION AND OTHERS v. GREECE - 1295/10 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 654 (09 July 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/654.html
Cite as: [2015] ECHR 654

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      PREMIÈRE SECTION

       

       

       

       

       

       

       

      AFFAIRE MAISON DE LA CIVILISATION MACÉDONIENNE

      ET AUTRES c. GRÈCE

       

      (Requête no 1295/10)

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

       

      ARRÊT

       

       

      STRASBOURG

       

      9 juillet 2015

       

       

      Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


      En l’affaire Maison de la Civilisation macédonienne et autres c. Grèce,

      La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

                Isabelle Berro, présidente,
                Khanlar Hajiyev,
                Mirjana Lazarova Trajkovska,
                Julia Laffranque,
                Paulo Pinto de Albuquerque,
                Linos-Alexandre Sicilianos,
                Erik Møse, juges,

      et de Søren Nielsen, greffier de section,

      Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mai 2015,

      Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

      PROCÉDURE

      1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1295/10) dirigée contre la République hellénique et dont une association à but non lucratif et sept ressortissants de cet État dont les noms figurent en annexe (« les requérants »), ont saisi la Cour le 10 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

      2.  Les requérants ont été représentés par une organisation non-gouvernementale, le Greek Helsinki Monitor, ayant son siège à Glyka Nera. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. V. Kyriazopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.

      3.  Les requérants allèguent en particulier une violation de l’article 11 de la Convention.

      4.  Le 30 août 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

      EN FAIT

      I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

      A.  Le contexte de l’affaire

      5.  Le 12 juin 1990, les membres du comité directeur provisoire de l’association à but non lucratif « Maison de la civilisation macédonienne » (Στέγη Μακεδονικού Πολιτισμού), qui prétendaient être d’origine ethnique « macédonienne » et avoir une « conscience nationale macédonienne », décidèrent de saisir le tribunal de grande instance de Florina d’une demande d’enregistrement de leur association en vertu de l’article 79 du code civil. Cette demande fut rejetée par le tribunal de grande instance de Florina, décision qui fut par la suite confirmée par la cour d’appel de Thessalonique et la Cour de cassation (arrêt du 16 mai 1994). Les faits litigieux de cette affaire sont relatés en détail dans l’arrêt Sidiropoulos et autres c. Grèce (10 juillet 1998, §§ 7-13, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV). Par cet arrêt, la Cour a conclu à la violation de l’article 11 de la Convention, en raison du rejet de la demande d’enregistrement de l’association susmentionnée (Sidiropoulos et autres, précité, § 47).

      B.  Les faits pertinents à la présente requête

      6.  Le 19 juin 2003, les requérants sous les nos 2-8 décidèrent de créer à nouveau avec d’autres personnes l’association la « Maison de la civilisation macédonienne » (Στέγη Μακεδονικού Πολιτισμού), la première requérante. Le siège de l’association fut fixé à Florina. Selon les statuts de la première requérante, les buts étaient : a) l’épanouissement culturel, intellectuel et artistique de ses membres et le développement d’un esprit de coopération, de solidarité et d’amour entre eux, b) la décentralisation culturelle et la préservation des manifestations et traditions intellectuelles et artistiques ainsi que des monuments de cette civilisation et, plus généralement, la promotion et le développement de la civilisation macédonienne ; la préservation et le développement de la langue macédonienne, et c) la protection de l’environnement naturel et culturel de la région. Selon les requérants, les références dans les statuts de l’association à la civilisation et la langue « macédoniennes » étaient conformes à l’arrêt Sidiropoulos et autres, précité.

      7.  Le 24 juillet 2003, la première requérante, représentée par les autres requérants en tant que membres de son comité directeur provisoire, demanda en vertu de l’article 79 du code civil son enregistrement au nom de « Maison de la civilisation macédonienne » auprès du tribunal de grande instance de Florina.

      8.  Le 19 décembre 2003, le tribunal de grande instance de Florina examina la demande sur la base des articles 12 de la Constitution et 78-80 du code civil et la rejeta. Elle considéra que les termes « civilisation macédonienne » employés dans les statuts de l’association requérante pouvaient semer la confusion quant à son contenu. En particulier, le tribunal de grande instance estima que les statuts de l’association requérante sous-entendaient l’existence d’une civilisation dite « macédonienne » autonome d’un point de vue ethnologique. Or, selon le tribunal de grande instance, le terme macédonien ne pouvait être employé que dans son sens historique ou géographique. Dans son sens historique, ce terme faisait partie de la civilisation grecque, tandis que sur le plan géographique, les statuts de l’association requérante ne précisaient pas la partie de la région de Macédoine à laquelle ils faisaient référence, celle-ci ayant été définie après les guerres balkaniques. Selon le tribunal, cette imprécision quant à l’emploi du terme « macédonien » était renforcée respectivement par l’usage des termes « langue macédonienne » dans les statuts et le titre de l’association requérante. Le tribunal de grande instance conclut que ces éléments pouvaient créer une confusion tant en ce qui concerne les États qui se mettraient en rapport avec l’association requérante dans l’exercice de ses activités que des individus qui souhaiteraient en devenir membres. Il ajouta qu’il y avait aussi un risque pour l’ordre public, puisque l’existence de l’association requérante pourrait être exploitée par tous ceux qui souhaiteraient promouvoir la création d’une « nation macédonienne », qui pour autant n’avait jamais historiquement existé (décision no 243/2003).

      9.  Le 15 septembre 2004, la première requérante, représentée par les autres requérants en tant que membres de son comité directeur provisoire, interjeta appel. Elle alléguait entre autres que la décision no 243/2003 avait méconnu l’arrêt Sidiropoulos et autres c. Grèce, précité.

      10.  Le 16 décembre 2005, la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest confirma la décision no 243/2003. Après avoir fait référence aux articles 9-11 de la Convention pour admettre que l’ordre public constitue un but légitime de restriction des droits consacrés par lesdites clauses, elle procéda à une analyse géographique et historique extensive et élaborée du terme « Macédoine » ; elle conclut qu’avant la fin de la Seconde Guerre mondiale les notions de « Macédoine slave » ou de « nation macédonienne » étaient inexistantes. Selon la cour d’appel, la création d’une « nation macédonienne » ainsi que le façonnement d’une « identité nationale macédonienne » et d’une « langue macédonienne » furent encouragées par Tito, dirigeant à l’époque de l’État socialiste yougoslave, et visaient à contrer toute revendication bulgare de cette région. Selon la cour d’appel, les requérants faisaient la promotion de ces thèses en Grèce et soulevaient des questions sans objet sur « la civilisation et la langue macédoniennes ».

      11.  En faisant référence notamment à une participation de certains des membres fondateurs de l’association, en 1990, aux travaux de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et à une rencontre, en 1991, avec l’ancien président de l’ex-République yougoslave de Macédoine, Kiro Gligorov, la cour d’appel admit que les requérants s’étaient engagés dans la promotion de l’idée de l’existence d’une minorité macédonienne en Grèce. En se fondant sur la conclusion de l’inexistence d’une « nation macédonienne », la cour d’appel confirma la thèse du tribunal de grande instance, en ce que l’emploi du terme « macédonien » par l’association requérante et le but proclamé dans ses statuts contrediraient l’ordre public et mettraient en danger la symbiose harmonieuse des habitants de la région de Florina et la paix publique en Grèce (arrêt no 243/2005).

      12.  Le 22 juin 2007, la première requérante, représentée par les autres requérants en tant que membres de son comité directeur provisoire, se pourvut en cassation. Dans ses observations, elle invoqua la liberté d’association et l’article 11 de la Convention en faisant, parmi d’autres, référence aux considérants de la cour d’appel et, en particulier, au fait que l’emploi du terme « macédonien » dans le nom de l’association pouvait semer la confusion. L’audience de l’affaire eut lieu le 19 décembre 2008.

      13.  Le 11 juin 2009, la Cour de cassation rejeta, à l’unanimité, le pourvoi en cassation. La haute juridiction admit, entre autres, que l’arrêt no 243/2005 de la cour d’appel était suffisamment motivé et conforme à l’article 12 de la Constitution et aux dispositions pertinentes de la Convention. Elle considéra aussi que, dans le cadre de la procédure spéciale de reconnaissance d’une association, le système inquisitoire permettait aux juridictions compétentes de prendre d’office en considération des faits qui n’avaient pas été mentionnés par les parties et que les juridictions n’étaient pas liées par les moyens de preuve et les allégations de celles-ci. La Cour de cassation, conclut qu’en l’occurrence la cour d’appel s’était fondée sur des éléments suffisants pour considérer que le fonctionnement de l’association requérante compromettrait l’ordre et paix publics (arrêt no 1448/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 17 septembre 2009.

      II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

      A.  La Constitution

      14.  L’article 4 § 1 de la Constitution se lit ainsi :

      « Tous les Grecs sont égaux devant la loi. »

      15.  L’article 12 § 1 de la Constitution est ainsi libellé :

      « Tous les Grecs sont en droit de former des syndicats et associations à but non lucratif, conformément à la loi qui ne peut toutefois jamais soumettre l’exercice de ce droit à une autorisation préalable. »

      B.  Le code civil

      16.  Le code civil contient les dispositions suivantes concernant les associations à but non lucratif :

      Article 78
      Association

      « Une union de personnes poursuivant un but non lucratif acquiert la personnalité juridique dès son inscription dans un registre spécial public (association) tenu auprès du tribunal de grande instance de son siège. Vingt personnes au moins sont nécessaires pour la constitution d’une association. »

      Article 79
      Requête aux fins de l’enregistrement de l’association

      « Pour que l’association soit inscrite au registre, les fondateurs ou le comité directeur de celle-ci doivent déposer une requête auprès du tribunal de grande instance. Doivent être annexés à cette requête, l’acte constitutif, la liste des noms des personnes composant le comité directeur et le statut daté et signé par les membres de celui-ci. »

      Article 80
      Statut de l’association

      « Le statut de l’association, pour qu’il soit valide, doit préciser : a) le but, le titre et le siège de l’association, b) les conditions d’admission, de retrait et d’expulsion des membres de celle-ci ainsi que leurs droits et obligations, (...) »

      Article 81
      Décision d’enregistrer une association

      « Le tribunal de grande instance accueille la demande s’il est convaincu que toutes les conditions légales sont remplies (...) »

      Article 105
      Dissolution de l’association

      « Le tribunal de grande instance ordonne la dissolution de l’association (...) c) si l’association poursuit un but différent de celui fixé par le statut, ou si son objet ou son fonctionnement s’avèrent contraires à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. »

      C.  Le code de procédure civile

      17.  La procédure non contentieuse (ekoussia dikeodossia) suivie par les tribunaux lorsqu’ils examinent notamment les demandes d’enregistrement d’associations est régie par les dispositions ci-après :

      Article 744

      « Le tribunal peut ordonner d’office toute mesure qui pourrait conduire à l’établissement de faits pertinents, même si ceux-ci ne sont pas évoqués dans les conclusions des parties (...) »

      Article 759 §§ 2 et 3

      « 2.  L’administration des preuves ordonnée par le tribunal est réalisée à la diligence d’une des parties.

      3.  Le tribunal peut ordonner d’office toute mesure qu’il estime nécessaire à l’établissement des faits, même s’il s’écarte des dispositions régissant l’administration des preuves. »

      18.  En outre, l’article 336 § 1 dispose que :

      « Le tribunal peut, d’office et sans ordonner l’administration de preuves, prendre en considération des faits tellement notoires que leur véracité ne peut raisonnablement être mise en doute. »

      III.  LA RÉSOLUTION DH (2000) 99 DU COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE

      19.  La Résolution DH (2000) 99 a été adoptée par le Comité des Ministres le 24 juillet 2000, lors de la 716e réunion des Délégués des Ministres, dont le texte est le suivant :

      « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 54 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée «la Convention»),

      Vu l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme rendu le 10 juillet 1998 dans l’affaire Sidiropoulos et autres et transmis à la même date au Comité des Ministres ;

      Rappelant qu’à l’origine de cette affaire se trouve une requête (no 26695/95) dirigée contre la Grèce, introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 16 novembre 1994 en vertu de l’article 25 de la Convention, par M. Hristos Sidiropoulos, Petros Dimtsis, Stavros Anastasiadis, Anastasios Boules, Dimitrios Seltsas et Stavros Sovitsilis, ressortissants grecs, et que la Commission a déclaré recevable leur grief selon lequel le refus des juridictions nationales d’enregistrer leur association aurait enfreint leur droit à la liberté d’association ;

      Rappelant que l’affaire a été portée devant la Cour par la Commission le 29 mai 1997 ;

      Considérant que dans son arrêt du 10 juillet 1998 la Cour, à l’unanimité :

      - a rejeté les exceptions préliminaires du Gouvernement de l’État défendeur ;

      - a dit qu’il y avait eu violation de l’article 11 de la Convention ;

      - a dit qu’il ne s’imposait pas de statuer sur les griefs tirés de l’article 6, paragraphe 1, et des articles 9, 10 et 14 de la Convention ;

      - a dit que le présent arrêt constituait par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;

      - a dit que le Gouvernement de l’État défendeur devait verser aux requérants, dans les trois mois, 4 000 000 de drachmes au titre des frais et dépens et que ce montant serait à majorer d’un intérêt simple de 6% l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

      - a rejeté les prétentions des requérants pour le surplus ;

      Vu les Règles adoptées par le Comité des Ministres relatives à l’application de l’article 54 de la Convention ;

      Ayant invité le Gouvernement de l’État défendeur à l’informer des mesures prises à la suite de l’arrêt du 10 juillet 1998, eu égard à l’obligation qu’a la Grèce de s’y conformer selon l’article 53 de la Convention ;

      Considérant que lors de l’examen de cette affaire par le Comité des Ministres, le Gouvernement de l’État défendeur a donné à celui-ci des informations sur les mesures prises permettant d’éviter de nouvelles violations semblables à celle constatée dans le présent arrêt (ces informations sont résumées dans l’annexe à la présente résolution) ;

      S’étant assuré que dans le délai imparti, le Gouvernement de l’État défendeur a versé aux requérants la somme prévue dans l’arrêt du 10 juillet 1998,

      Déclare, après avoir pris connaissance des informations fournies par le Gouvernement de la Grèce, qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 54 de la Convention dans la présente affaire.

      Annexe à la Résolution DH (2000) 99

      Informations fournies par le Gouvernement de la Grèce lors de l’examen de l’affaire Sidiropoulos et autres par le Comité des Ministres

      Depuis l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, du 10 juillet 1998, dans l’affaire Sidiropoulos et autres, aucune violation similaire de la Convention n’a été constatée, ce qui prouve la nature exceptionnelle de cette affaire.

      Dans le but d’attirer l’attention des juridictions directement concernées, le Président de la Cour Suprême (Arios Pagos) a adressé une lettre circulaire aux autorités judiciaires du Département de Florina le 30 octobre 1998, contenant une traduction grecque de l’arrêt de la Cour européenne dans cette affaire.

      De plus, l’arrêt de la Cour a été publié in extenso dans la revue juridique Syntagma no 2 de 1999, et un commentaire sur l’arrêt figure dans la revue juridique Diki, (novembre 1999). Enfin, il a également été fait référence à cet arrêt dans le livre « Convention européenne des Droits de l’Homme », 1999, p. 46. Ce livre a été distribué gratuitement à tous les juges de première instance, des cours d’appel et à la Cour de cassation.

      Le Gouvernement de la Grèce est de l’avis que, considérant l’effet direct attaché aujourd’hui aux arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme en droit grec (voir notamment l’affaire Papageorgiou contre la Grèce, Résolution DH (99) 714), les tribunaux grecs ne manqueront pas d’éviter le type d’erreur judiciaire à la base de la violation constatée dans cette affaire.

      Par conséquent, le Gouvernement de la Grèce est de l’avis qu’il a rempli ses obligations en vertu de l’article 53 de la Convention.  »

      EN DROIT

      I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 11 ET 46 DE LA CONVENTION

      20.  Les requérants se plaignent du rejet de la demande d’enregistrement de la première requérante. Ils invoquent les articles 11 et 46 de la Convention, dispositions ainsi libellées :

      Article 11

      « 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

      2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

      Article 46

      « 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

      2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

      3.  Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’inter­prétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

      4.  Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation au regard du paragraphe 1.

      5.  Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »

      21.  La Cour doit tout d’abord se pencher sur la question de savoir si, mis à part l’article 11, le présent grief doit aussi être examiné séparément sur la base de l’article 46 de la Convention, comme soulevé par les requérants. À cet égard, elle a eu l’occasion d’exprimer de sérieux doutes que l’article 46 § 1 de la Convention puisse être interprété comme reconnaissant un droit au requérant à faire valoir à travers une requête individuelle devant la Cour. Bien qu’elle soit compétente pour examiner si les mesures prises par un État en exécution de l’un de ses arrêts sont compatibles avec les clauses normatives de la Convention, la Cour a considéré qu’en principe elle ne peut pas vérifier sur la base de l’article 46 § 1, si un État contractant s’est conformé aux obligations découlant de l’un de ses arrêts (voir sur cette question, Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, §§ 33 et 34, CEDH 2015 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 61-68 et 78-98, CEDH 2009 ; Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres c. Bulgarie (no 2), nos 41561/07 et 20972/08, § 66, 18 octobre 2011 ; Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 121, CEDH 2009). Les nouveaux paragraphes 4 et 5 ajoutés à l’article 46 de la Convention par l’article 16 du Protocole no 14 semblent confirmer cette approche (Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres (no 2), loc. cit.).

      22.  Au demeurant, mis à part le fait que les requérants dans la présente affaire ne correspondent pas tous à ceux de l’affaire Sidiropoulos et autres (arrêt précité), les questions soulevées sous l’article 46 § 1 de la Convention sont étroitement liées à celles soulevées sur la base de l’article 11. Au vu de ce qui précède, la Cour examinera le présent grief uniquement sous l’angle de cette dernière disposition (voir Organisation macédonienne unie Ilinden - PIRIN et autres (no 2), précité, § 67 ; Johansen c. Norvège (déc.), no 12750/02, 10 octobre 2002).

      A.  Sur la recevabilité

      23.  Le Gouvernement excipe l’irrecevabilité de ce grief faute pour les requérants d’avoir explicitement contesté devant la Cour de cassation l’un des arguments retenus par la cour d’appel, à savoir que l’emploi du terme « macédonien » pourrait semer la confusion au sein de la population.

      24.  Les requérants rétorquent que, comme la Cour de cassation l’a admis, la demande d’enregistrement de la première requérante a été rejetée principalement sur la base des dangers que son nom entraînerait pour l’ordre public et la vie commune et harmonieuse des habitants de la région de Florina. Au demeurant, ils relèvent que dans leur pourvoi en cassation, ils ont fait référence à l’argument retenu par la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest sur la confusion que le nom de la première requérante pourrait créer.

      25.  En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil 1996-IV ; Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

      26.  En l’occurrence, la Cour note que les requérants ont relevé devant la Cour de cassation que l’arrêt no 243/2005 de la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest avait porté atteinte à la liberté d’association et, tout spécifiquement, à l’article 11 de la Convention. De surcroît, ils ont fait référence dans leurs observations soumises auprès de la Cour de cassation à l’argument tiré de la confusion pouvant être provoquée par l’emploi du terme « macédonien » dans le nom de l’association requérante. Dans ces conditions, la Cour considère que les requérants ont satisfait la condition d’épuiser les voies de recours internes quant à cette partie de la requête et rejette l’exception du Gouvernement à cet égard.

      27.  Au demeurant, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

      B.  Sur le fond

      28.  Le Gouvernement allègue notamment qu’en général l’État grec reconnaît à chaque personne le droit de s’exprimer en faveur d’une quelconque minorité sur le territoire grec. Par ailleurs, en l’espèce, les juridictions internes ont justement considéré que l’emploi du terme « macédonien » dans le nom de l’association requérante comme élément culturel et linguistique se distinguant de l’histoire grecque pourrait entraver l’exercice de la liberté d’association par des tierces personnes. Tel serait le cas des membres d’autres associations où le terme « macédonien » est utilisé dans sa connotation géographique, se référant à la partie nord de la Grèce. De surcroît, le Gouvernement soumet la jurisprudence des juridictions internes, à savoir des tribunaux de première instance et des cours d’appel, pour démontrer que celles-ci procèdent à un examen au cas par cas pour chaque demande d’enregistrement d’associations. Elle se réfère en particulier au cas de l’entreprise à but non lucratif sous le nom « Mouvement éducatif et culturel d’Edessa » ainsi qu’au parti politique « Arc en ciel » (Ουράνιο Τόξο) qui affichaient des buts similaires à ceux de l’association requérante et qui ont été reconnus par les juridictions internes. Le Gouvernement admet qu’en l’espèce les juridictions internes ont fait de longues références à l’aspect historique de l’affaire quant à l’emploi du terme « macédonien ». Il affirme en même temps que les buts principaux de l’ingérence à la liberté d’association de la première requérante étaient la protection de la paix publique et des droits d’autrui, notamment en raison de la confusion qui pourrait résulter de l’emploi d’un terme au sens géographique en tant que notion de contenu culturel et historique. En tout état de cause, le Gouvernement argue qu’une interdiction absolue n’a pas été imposée à l’association requérante. Celle-ci pouvait revenir ultérieurement devant les juridictions internes avec une nouvelle demande d’enregistrement.

      29.  Les requérants rétorquent principalement que le refus d’enregistrement de l’association requérante ne s’est pas uniquement fondé sur l’élément de confusion qui pourrait être semée parmi les personnes concernées en raison du terme « macédonien ». Ils arguent que la Cour de cassation a fait référence de manière plus générale à l’homogénéité de la population grecque et à l’inexistence d’une nation, langue et culture « macédoniennes ». En outre, les requérants relèvent que le Gouvernement ne mentionne nulle part dans ses observations l’arrêt Sidiropoulos et autres c. Grèce (précité) qui concerne le rejet initial en 1994 de la demande d’enregistrement de la première requérante par les juridictions internes et le constat subséquent de violation de l’article 11 par la Cour. Au demeurant, les requérants font référence à plusieurs textes et rapports publiés par des organes internationaux, auxquels la Grèce a accédé, qui sont en faveur de l’enregistrement sans entraves disproportionnées d’associations dont les membres proviennent de minorités.

      1.  Sur l’existence d’une ingérence

      30.  Pour les requérants - et le Gouvernement ne le conteste pas - le rejet de la demande d’enregistrement s’analyse en une ingérence des autorités nationales dans l’exercice de leur droit à la liberté d’association, ingérence qui les auraient privés de la possibilité de poursuivre collectivement ou individuellement les buts fixés dans les statuts de la première requérante. C’est aussi l’opinion de la Cour et, partant, il y a eu en l’espèce ingérence dans le droit consacré par l’article 11 de la Convention.

      2.  Sur la justification de l’ingérence

      31.  La Cour rappelle que pareille ingérence enfreint l’article 11 de la Convention, sauf si elle était « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cette disposition et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces buts.

      a)  Prévue par la loi

      32.  En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que l’ingérence en cause était « prévue par la loi » et qu’elle était fondée, notamment, sur les articles 12 de la Constitution et 78-80 du code civil (paragraphes 15 et 16 ci-dessus).

      b)  But légitime

      33.  La Cour observe également qu’il n’est pas non plus contesté par les parties que l’ingérence litigieuse visait plusieurs buts légitimes, à savoir la sûreté publique et la défense de l’ordre public.

      c)  Nécessaire dans une société démocratique

      i.  Principes généraux pertinents

      34.  Tout en se référant aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence pertinente en matière de liberté d’association (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, §§ 88-93, CEDH 2004-I, et les références qui s’y trouvent citées, et Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, § 61, 11 octobre 2011), la Cour rappelle que le droit qu’énonce l’article 11 inclut celui de fonder une association. La possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir collectivement dans un domaine d’intérêt commun constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’association, sans quoi ce droit se trouverait dépourvu de tout sens (Sidiropoulos et autres, précité, § 40).

      35.  En conséquence, pour juger de l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les États ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite, laquelle se double d’un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles d’une juridiction indépendante.

      36.  Par ailleurs, la Cour rappelle que, lorsqu’elle exerce son contrôle, elle n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Gorzelik et autres, précité, § 96, et Sidiropoulos et autres, précité, § 40).

      ii.  Application des principes précités à la présente espèce

      37.  Il est utile de rappeler d’emblée que dans l’affaire Sidiropoulos et autres (arrêt précité), la Cour a conclu à la violation de l’article 11 de la Convention, après avoir notamment admis que les buts de l’association requérante, tels que mentionnés dans les statuts de celle-ci, lui paraissaient « parfaitement clairs et légitimes » (Sidiropoulos et autres, précité, § 44). Elle a aussi écarté l’argument retenu à l’époque par les juridictions internes, à savoir qu’elles voyaient dans l’emploi du terme « macédonienne » par la société requérante l’intention de ses fondateurs de porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Grèce ; en particulier, elle a admis que « cette affirmation se fondait sur une simple suspicion quant aux véritables intentions des fondateurs de l’association et aux actions que celle-ci aurait pu mener une fois qu’elle aurait commencé à fonctionner » (Sidiropoulos et autres, précité, § 45). Enfin, dans le même arrêt, la Cour a relevé que n’ayant jamais existé, l’association en cause n’a pas eu le temps de mener des activités inconciliables avec les buts mentionnés dans ses statuts, comme le soutenait le Gouvernement. En tout état de cause, dans l’affirmative les autorités internes ne seraient pas désarmées, puisque la juridiction compétente pourrait ordonner, sur la base de l’article 105 du code civil, la dissolution de l’association, si celle-ci poursuivait un but différent de celui fixé par les statuts ou si son fonctionnement s’avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public (Sidiropoulos et autres, précité, § 46).

      38.  En l’occurrence, la Cour note que les juridictions internes ont rejeté la demande d’enregistrement de l’association requérante en se fondant plus ou moins sur la même ligne de raisonnement que celle adoptée par elles dans l’affaire Sidiropoulos et autres (arrêt précité). En particulier, la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest, après avoir fait une longue analyse de la « question macédonienne », est arrivée à la conclusion que les termes « Macédoine slave » ou « nation macédonienne » n’avaient aucune réalité. En se fondant sur ces conclusions, confirmées ensuite par la Cour de cassation, la cour d’appel a notamment conclu à l’absence « de civilisation ou de langue macédoniennes ». Elle a considéré que les statuts de l’association requérante et l’emploi du terme « macédonien » pourraient provoquer la confusion au sein du pays quant à l’identité de l’association et perturber l’ordre public.

      39.  En premier lieu, la Cour note que les buts de l’association requérante mentionnés, de manière générale, dans ses statuts pouvaient difficilement porter à eux seuls atteinte à l’ordre public. Il est opportun sur ce point de rappeler que dans son arrêt Sidiropoulos et autres, précité, la Cour a déjà considéré que « à supposer même que les fondateurs d’une association comme celle de l’espèce se prévalent d’une conscience minoritaire, le Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE (chapitre IV) du 29 juin 1990 et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe du 21 novembre 1990 - que la Grèce a signés du reste - autorisent ceux-ci à créer des associations pour protéger leur patrimoine culturel et spirituel » (Sidiropoulos et autres, précité, § 44).

      40.  En deuxième lieu, il ne ressort pas du dossier que les requérants sous les nos 2-8 aient entrepris à l’époque des faits des initiatives et/ou mené des actions susceptibles de compromettre l’ordre public en Grèce. Dans son arrêt no 243/2005, la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest ne s’est référée qu’à des actions, entreprises en 1990 et 1991, par certains membres fondateurs de l’association requérante pour conclure que les requérants s’étaient engagés dans la promotion de l’idée de l’existence d’une minorité macédonienne en Grèce. Or, les faits relevés par la cour d’appel ne sont relatifs qu’à un temps révolu qui ne concerne pas la période litigieuse en cause, à savoir celle couvrant la demande d’enregistrement de l’association requérante plus de dix ans après.

      41.  Enfin, à l’instar de l’arrêt Sidiropoulos et autres (précité), la Cour estime qu’un élément particulièrement pertinent en l’occurrence est l’état du droit interne quant au contrôle de l’enregistrement des associations à but non lucratif. En effet, l’article 12 de la Constitution précise que la création d’associations ne peut pas être soumise à une autorisation préalable. De sa part, l’article 81 du code civil n’autorise pas les tribunaux à exercer un contrôle d’opportunité d’une demande d’enregistrement d’une association à but non lucratif (Sidiropoulos et autres, précité, § 45).

      42.  La Cour note qu’en l’espèce, afin de procéder à l’appréciation des buts et de l’activité potentielle de la première requérante, les juridictions internes se sont fondées sur le fait que les articles 9-11 de la Convention incluaient la notion d’ordre public parmi les buts légitimes susceptibles de justifier une restriction des droits garantis (voir paragraphe 10 ci-dessus). Or, dans ce cas, elles auraient aussi dû prendre en compte la jurisprudence pertinente de la Cour, qui favorise l’enregistrement d’une association et non pas le contrôle préalable de sa légalité, lorsque le droit interne prévoit des clauses permettant le suivi de son activité a posteriori (voir, entre autres, Emin et autres c. Grèce, no 34144/05, § 31, 27 mars 2008).

      43.  Ainsi, concernant l’état du droit interne en l’espèce, à supposer que des actions concrètes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public en Grèce se seraient confirmées après l’enregistrement de l’association requérante, les autorités nationales ne se trouveraient pourtant pas désarmées : en vertu de l’article 105 du code civil, le tribunal de grande instance pourrait ordonner la dissolution de l’association requérante si elle poursuivait un but différent de celui fixé par ses statuts ou si son fonctionnement s’avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public (voir Sidiropoulos et autres, précité, § 46).

      44.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le refus d’enregistrer l’association en cause a été disproportionné par rapport aux buts légitimes retenus par les juridictions internes. Il y a donc eu violation de l’article 11 de la Convention.

      II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

      45.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée et de l’iniquité de la procédure en cause. S’agissant, en particulier, du grief tiré de l’iniquité de la procédure, ils allèguent que les décisions des juridictions internes pêchaient par manque de motivation et, en ce qui concerne la Cour de cassation, d’impartialité. En outre, les requérants se plaignent sous l’angle de l’article 14 de la Convention du rejet de la demande d’enregistrement de la première requérante.

      Sur la recevabilité

      46.  S’agissant du grief tiré de l’iniquité de la procédure, formulé sous l’angle de l’article 6 § 1, la Cour ne décèle pas d’indice d’arbitraire dans le déroulement de la procédure litigieuse, qui a respecté le droit d’accès à un tribunal. De plus, les arrêts en cause étaient suffisamment motivés. Enfin, dans la mesure où elle est compétente pour connaître l’allégation formulée sur l’impartialité de la Cour de cassation, la Cour relève que ce grief n’est pas étoffé et, partant, elle ne relève aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 à cet égard. Par conséquent, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

      47.  S’agissant du grief tiré de la durée de la procédure en cause, la Cour note que la procédure litigieuse a débuté le 24 juillet 2003, date à laquelle les requérants saisirent le tribunal de grande instance de Florina et s’est achevée le 17 septembre 2009, date à laquelle l’arrêt no 1448/2009 de la Cour de cassation a été mis au net et certifié conforme. Il s’agit donc d’une durée de six ans et deux mois environ pour trois degrés de juridiction.

      48.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier notamment à la lumière de la complexité de l’affaire et du comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi d’autres, Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, § 47, 30 octobre 2012). En l’occurrence, la Cour relève un délai d’un an et demi environ entre le 16 décembre 2005, date de publication de l’arrêt no 243/2005 de la cour d’appel de la Macédoine de l’Ouest et le 22 juin 2007, date de saisine par la première requérante de la Cour de cassation. Les requérants n’offrant pas d’explication sur ce retard, la Cour estime qu’il ne saurait être imputable aux autorités internes. Par conséquent, la période à prendre en compte s’étale sur quatre ans et demi environ, ce qui ne peut pas être considéré comme excessif pour trois degrés de juridiction (voir, en ce sens, Kantas c. Grèce [comité], no 47943/10, §§ 21-22, 26 novembre 2013).

      49.  Enfin, sous l’angle de l’article 14 de la Convention, les requérants réitèrent de fait leurs allégations déjà exposées en vertu de l’article 11 de la Convention. Dans la mesure où il ne ressort pas du dossier que le rejet de la demande d’enregistrement de la première requérante était fondé sur des motifs discriminatoires, la Cour conclut que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

      III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

      50.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

      « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

      A.  Dommage

      51.  Les requérants réclament conjointement 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi en raison de la violation de l’article 11. Ils demandent que la somme allouée soit versée sur le compte bancaire du requérant sous le no 4.

      52.  Le Gouvernement affirme que la somme revendiquée est excessive et que le constat de violation constitue en soi une satisfaction suffisante.

      53.  La Cour considère que les requérants ont dû subir un certain dommage moral en raison de l’atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’association et que le constat seul de violation de l’article 11 n’en constitue pas une réparation suffisante. Statuant en équité, comme le permet l’article 41 de la Convention, la Cour alloue conjointement aux requérants la somme demandée, à savoir 10 000 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt. Quant à la demande que ladite somme soit directement versée sur le compte bancaire du requérant sous le no 4, faute d’explications plus concrètes sur ce sujet de la part des requérants, la Cour n’estime pas nécessaire d’y faire droit.

      B.  Frais et dépens

      54.  Les requérants sollicitent conjointement une somme de 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Ils produisent à l’appui copie d’une note détaillée d’honoraires. Ils demandent à la Cour d’ordonner le versement de la somme en cause directement sur le compte de leur représentant, le Moniteur grec Helsinki.

      55.  Le Gouvernement estime que la somme demandée est excessive.

      56.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu du document en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour accorde conjointement aux requérants la somme demandée, à savoir 2 000 EUR au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt. Cette somme sera à verser sur le compte bancaire de leur représentant, le Moniteur grec Helsinki (voir Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 103, CEDH 2013 (extraits).

      C.  Intérêts moratoires

      57.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

      PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

      1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 11 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

       

      2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

       

      3.  Dit

      a)  que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

      i)  10 000 EUR (dix mille euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

      ii)  2 000 EUR (deux mille euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par eux, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire de leur représentant ;

      b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

       

      4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

       

      Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

         Søren Nielsen                                                                      Isabelle Berro
              Greffier                                                                              Présidente


       

      ANNEXE

       

      1.      Association « Maison de la civilisation macédonienne » (Στέγη Μακεδονικού Πολιτισμού)

      2.      Petros DIMTSIS, né en 1957

      3.      Ioannis GOTSIS, né en 1940

      4.      Panayote ANASTASIADIS, né en 1956

      5.      Georgia PETROPOULOU, née en 1970

      6.      Eleftherios MANTZAS, né 1953

      7.      Petros VASILIADIS, né en 1960

      8.      Ilias DAFOPOULOS, né en 1967


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