GIANNOUSIS N.T. & KLIAFAS BROTHERS S.A. v. GREECE - 60338/15 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : First Section Committee) French Text [2019] ECHR 556 (11 July 2019)

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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/556.html
Cite as: CE:ECHR:2019:0711JUD006033815, [2019] ECHR 556, ECLI:CE:ECHR:2019:0711JUD006033815

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PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE GIANNOUSIS N.T. & KLIAFAS BROTHERS S.A. c.   GRÈCE

 

( Requête n o 60338/15 )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÉT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

11 juillet 2019

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l ' affaire Giannousis N.T. & Kliafas Brothers S.A. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l ' homme ( première section ), siégeant en un Comité composé de   :

Aleš Pejchal, président,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener , greffière adjointe d e section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2019 ,

Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date   :

PROCÉDURE

1 .     À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 60338/15) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme ayant son siège à Athènes , Giannousis N.T. & Kliafas Brothers S.A.   la société requérant e   »), a saisi la Cour le 27 novembre 2015 en vertu de l ' article   34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales («   la Convention   »).

2 .     La société requérant e a été représenté e par M e   N. Frangakis, avocat au barreau d ' Athènes . Le gouvernement grec   le Gouvernement   ») a été représenté par son agent, M . K. Georgiadis , auditeur auprès du Conseil juridique de l ' État .

3 .     Le 28 août 2017 , les griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention concernant la durée de s procédures en première et en deuxième instance e t l ' absence de recours à cet égard ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l ' article   54 §   3 du règlement de la Cour .

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE

4 .     La société requérant e est spécialisée dans le traitement des produits textiles .

5 .     Le 23 décembre 2005, à la s uite de la révocation de l ' autorisation d ' exploitation de son usine et de l ' arrêt du fonctionnement de ce tte derni ère , elle saisit le tribunal administratif de première instance d ' Athènes   le tribunal administratif   ») d ' une action en dommages-intérêts fondée sur l ' article 105 de la loi d ' accompagnement du code civil , par laquelle elle demandait la condamnation de la préfecture d ' Athènes - Pirée ( νομαρχιακή αυτοδιοίκηση Αθηνών - Πειραιώς )   la préfecture   ») et de l ' État grec à lui payer chacun les somme s de 7   897   232,84 euros (EUR) pour dommage matériel et de 300   000   EUR pour dommage moral.

6 .     Par une décision ( n o 9488/2007 ) du 23 juillet 2007, le tribunal administratif ajourna l ' examen de l ' affaire et ordonna à la préfecture de produire certains documents.

7 .     Par une décision ( n o   16858/2008 ) du 28 novembre 2008, l e tribunal administratif fit partiellement droit à l ' action de la société requérante et c ondamna la préfecture e t l ' État grec à verser chacun à l ' intéressée la somme de 163   892 ,72 EUR majorée d es intérêts. Il condamna également la préfecture à verser à la société requérante la somme de 1   000 EUR maj orée d es intérêts .

8 .     Le 9 novembre 2009, la préfecture interjeta appel contre ladite décision .

9 .     Le 13 novembre 2009, l ' État grec interjeta appel.

10 .     Le 19 novembre 2009, la société requérante interjeta appel.

11 .     Par d es arrêts ( n os 2229/2010 et 2230/2010 ) du 30 septembre 2010, la cour administrative d ' appel d ' Athènes   la cour d ' appel   ») fit droit aux appels de la préfecture et de l ' État grec et rejeta l ' action de la société requérante.

12 .     Par un arrêt ( n o 2231/2010 ) du même jour, la cour d ' appel rejeta l ' appel de la société requérante .

13 .     Le 31 janvier 2011, la société requérante saisit l e Conseil d ' État de trois pourvois en cassation.

14 .     Le 8 juin 2015 , le Conseil d ' État rejeta pour irrecevabilité les trois pourvois de la société requérante (arrêts n os 2172/2015, 2173/2015 et 2174/2015) . Ces arrêts furent mis au net et certifiés conformes le 4   septembre 2015.

EN DROIT

  1. LA D É CLARATION UNILAT É RALE DU GOUVERNEMENT D É FENDEUR ET LA DEMANDE DE RA DIATION DU R Ô LE AU TITRE DE L ' ARTICLE 37 DE LA CONVENTION
15 .     Le 10 janvier 2018, le Gouvernement a présenté une déclaration unilatérale et invité la Cour à rayer la requête du rôle en vertu de l ' article   37 de la Convention.

16 .     La société requérante a indiqué qu e, compte tenu de l ' importance pour elle de l ' enjeu du litige, elle n ' était pas satisfaite des termes de la déclaration unilatérale , et notamment du montant du dédommagement proposé par le Gouvernement.

17 .     La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l ' article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d ' une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l ' examen de l ' affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l ' homme garantis par la Convention n ' exige pas qu ' elle poursuive l ' examen de l ' affaire ( Tahsin   Acar c. Turquie [GC], n o 26307/95, § 75, CEDH 2004 - III , et Melnic c.   R é publique de Moldova , n o 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).

18 .     La Cour rappelle en outre qu ' un arrêt constatant une violation entraîne pour l ' État défendeur l ' obligation juridique de mettre un terme à la violation et d ' en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci ( Ex-roi de Grèce et autres c.   Grèce [GC] (satisfaction équitable), n o 25701/94, § 72, 28   novembre 2002). Elle a décidé que la même approche devait être suivie lorsqu ' un g ouvernement cherche à obtenir une radiation du rôle par le biais d ' une déclaration unilatérale ( Decev c. République de Moldova (n o 2) , n o   7365/05, §   18, 24 février 2009).

19 .     En l ' espèce, l a Cour a examiné les termes de la déclaration unilatérale du Gouvernement. À la lumière des circonstances particulières de l ' affaire et , en particulier , du fait que le montant du dédommagement offert est considérablement inférieur aux sommes octroyées dans des affaires similaires, elle considère que cette déclaration n ' offre pas une base suffisante pour qu ' elle puisse considérer qu ' il ne se justifie plus de poursuivre l ' examen de l ' affaire.

20 .     En conclusion, elle rejette la demande de radiation du rôle formulée par le Gouvernement sur le fondement de l ' article 37 § 1 c) de la Convention et décide en conséquence de poursuivre l ' examen de la recevabilité et du fond de l ' affaire.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE   6   §   1 DE LA CONVENTION
21 .     L a société requérant e voit dans la durée des procédure s suivies en première et en deuxième instance une méconnaissance du principe du «   délai raisonnable   » consacré par l ' article   6   §   1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l ' espèce   :

«   Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)   »

  1. Sur la recevabilité
22 .     Constatant que ce grief n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article   35 §   3   a) de la Convention et qu ' il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
23 .     La Cour note que la période à considérer a débuté le 23 décembre 2005, date à laquelle la société requérante a saisi le tribunal administratif , et qu ' elle s ' est achevée le 30 septembre 2010, date à laquelle l es arrêts de la cour administrative d ' appel ont été publiés ( voir paragraphes 5, 11 et   21 ci - dessus) . Elle constate que cette période a donc duré plus de quatre ans et neuf mois pour deux instances. Elle relève encore que la cour d ' appel a examiné les appels des parties en litige par trois arrêts différents, de sorte qu ' il s ' agi ssai t , en l ' espèce , de trois procédures distinctes .

24 .     La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d ' une procédure s ' apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l ' affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes , ainsi que l ' enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d ' autres, Frydlender c.   France [GC], n o   30979/96, §   43, CEDH 2000-VII).

25 .     La Cour a traité à maintes reprises d ' affaires soulevant la question de la durée d es procédure s engagée s par les intéressés devant les juridictions administratives et a constaté la violation de l ' article   6   §   1 de la Convention ( Vassilios Athanasiou et autres c.   Grèce, n o 50973/08, 21   décembre 2010 ).

26 .     Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n ' a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu e, en l ' espèce , la durée de s procédure s litigieuse s a été excessive et n ' a pas répond u à l ' exigence du «   délai raisonnable   ».

27 .     Partant, il y a eu violation de l ' article   6 §   1 de la Convention .

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
28 .     La société requérante se plaint également de l ' absence d ' un recours effectif qui lui aurait permis de se plaindre de la durée, selon elle excessive, des procédures en cause. Elle invoque à cet égard l ' article 13 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l ' espèce   :

«   Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l ' octroi d ' un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l ' exercice de leurs fonctions officielles.   »

  1. Sur la recevabilité
29 .     Constatant que ce grief n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
30 .     La Cour rappelle que l ' article 13 de la Convention garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d ' une méconnaissance de l ' obligation, imposée par l ' article 6 § 1 de la Convention, d ' entendre les causes dans un délai raisonnable ( Kudła c.   Pologne [GC], n o 30210/96, § 156, CEDH 2000 - XI ).

31 .     Par ailleurs, la Cour a déjà eu l ' occasion de constater qu ' à l ' époque des faits l ' ordre juridique hellénique n ' offrait pas aux justiciables un recours effectif au sens de l ' article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d ' une procédure administrative ( Vassilios Athanasiou et   autres , précité, § 34 , et les références qui s ' y trouvent citées).

32 .     Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure à la violation de l ' article 13 de la Convention à raison, à l ' époque des faits, de l ' absence en droit interne d ' un recours qui aurait permis à la société requérante d ' obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au sens de l ' article 6 § 1 de la Convention.

  1. SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE   41 DE LA CONVENTION
33 .     Aux termes de l ' article   41 de la Convention,

«   Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable.   »

  1. Dommage
34 .     La société requérant e réclame 7   858   000 E U R au titre du préjudice matériel qu ' elle estime avoir subi. Elle réclame en outre 300   000 EUR pour dommage moral.

35 .     Le Gouvernement conteste ces prétentions.

36 .     La Cour n ' aperçoit pas de lien de causalité direct entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que la société requérant e a subi un tort moral certain. Eu égard aux circonstances particulières de l ' affaire, la Cour, s tatuant en équité, lui accorde 5   000 EUR à ce titre.

  1. Frais et dépens
37 .     La société requérant e demande également une somme globale de 1 10   372, 80   EUR pour frais et dépens , dont 7   140 EUR pour la procédure suivie devant la Cour . À l ' appui de sa demande, e lle produit , entre autres, les copies de deux factures d ' un montant total de 7   410 EUR pour les frais et dépens qu ' elle dit avoir été exposés devant la Cour.

38 .     Le Gouvernement considère que les prétentions de la société requérante sont excessives . À titre subsidiaire , il estime que la somme allouée à ce titre ne devrait pas dépasser 500 EUR.

39 .     Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence , la Cour rejette la demande relative aux frais et d épens encourus de vant les juridictions nationale s . En revanche, elle estime raisonnable d ' allouer à la société requérant e la somme de 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant elle .

  1. Intérêts moratoires
40 .     La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L ' UNANIMITÉ,

  1. Rejette la déclaration unilatérale du Gouvernement et sa demande de radi ation du rôle   ;
  2. Déclare la requête recevable   ;
  3. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article   6   §   1 de la Convention   ;
  4. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article   13 de la Convention   ;
  5. Dit

a)     que l ' État défendeur doit verser à la société requérant e, dans les trois mois, les sommes suivante s   :

  1. 5   000 EUR ( cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt sur cette somme , pour dommage moral ,
  2. 500 EUR ( cinq cent s euros), plus tout montant pouvant être dû par la société requérant e à titre d ' impôt sur cette somme , pour frais et dépens   ;

b)     qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ces montants seront à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage   ;

  1. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en françai s, puis communiqué par écrit le 11 juillet 2019 , en application de l ' article   77   §§   2 et   3 du règlement de la Cour .

              Renata Degener Aleš Pejchal
              Greffière adjointe Président


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