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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SPASOV v. ROMANIA - 27122/14 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Fourth Section) French Text [2022] ECHR 1054 (06 December 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/1054.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2022:1206JUD002712214, CE:ECHR:2022:1206JUD002712214, [2022] ECHR 1054

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SPASOV c. ROUMANIE

(Requête no 27122/14)

 

 

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) • Condamnation pénale reposant sur des dispositions de droit interne manifestement contraires aux règlements de l’UE l’emportant sur celles-ci et directement applicables • Erreur de droit manifeste revenant à un déni de justice

Art 1 P1 • Confiscation en valeur et interdiction temporaire de pêcher dans la zone économique exclusive, en lien avec une condamnation pénale contraire au droit de l’UE • Licence de pêche maritime délivrée dans un autre État membre de l’UE, partiellement vidée de sa substance • Art 1 P1 applicable • Principe de légalité non respecté

 

STRASBOURG

6 décembre 2022

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Spasov c. Roumanie,


La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

          Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
          Tim Eicke,
          Faris Vehabović,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Jon Fridrik Kjølbro,
          Armen Harutyunyan,
          Ana Maria Guerra Martins, juges,


et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,


Vu la requête (no 27122/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant bulgare, M. Hristo Spasov (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 avril 2014,


Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le 31 mai 2019,


Vu les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2021,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION


1. Le requérant a été reconnu coupable de pêche illicite dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire. Il soutient que cette condamnation est contraire aux règles de la politique commune de la pêche et, partant, constitutive d’une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

EN FAIT


2.  Le requérant est né en 1968 et réside à Balchik, en Bulgarie. Il a été représenté par Mes M. Ekimdzhiev et K. Boncheva, avocats à Plovdiv.


3.  Le Gouvernement a été représenté par ses agents, en dernier lieu Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.


4.  Informé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention), le gouvernement bulgare n’a pas manifesté l’intention de s’en prévaloir.


5.  À l’époque des faits, le requérant était à la fois commandant et propriétaire d’un navire de pêche battant pavillon bulgare. Le navire était immatriculé en Bulgarie et pratiquait la pêche dans les « eaux communautaires » en mer Noire. L’équipage était composé de lui-même et de neuf autres ressortissants bulgares.


6.  Le 13 avril 2011, alors que le navire se trouvait au large des côtes roumaines, à une distance de 20 milles marins, dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire, il fut arraisonné par une vedette des garde-côtes roumains. Lors du contrôle, ceux-ci trouvèrent à bord une vingtaine de turbots et un filet de pêche dont le maillage était inférieur à celui prévu par la législation roumaine sur la pêche du turbot. À la demande des garde-côtes, le requérant retira de l’eau plusieurs filets de pêche qui se trouvaient à proximité de son navire.


7.  Le navire fut conduit sous escorte au port de Mangalia, où il fut mis sous séquestre et les turbots furent saisis.


8.  Le requérant fut placé en garde à vue. À sa sortie, il lui fut interdit de quitter la Roumanie pendant l’enquête, qui fut confiée au parquet près le tribunal de première instance de Mangalia.


9.  Le parquet poursuivit le requérant pour pêche illicite de turbot dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire. Il lui reprochait d’avoir pratiqué la pêche dans cette zone sans détenir de licence de pêche roumaine, et d’avoir utilisé du matériel de pêche non conforme à la législation roumaine.


10.  Le requérant se défendit en présentant aux autorités roumaines sa licence et son permis de pêche bulgares. Il soutenait que ces documents l’autorisaient à pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire une certaine quantité de turbot qui faisait partie du quota de capture de turbot alloué à la Bulgarie dans le cadre de la politique commune de la pêche de l’Union européenne (« UE »).


11.  Il exposait que son navire était un navire de pêche communautaire, que la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire faisait partie des eaux communautaires, et que dès lors, les règles de la politique commune de la pêche et, en particulier, les dispositions du Règlement (CE) no 2371/2002 du Conseil du 20 décembre 2002, l’autorisaient à pêcher dans cette zone.


12.  Il affirmait également que le filet de pêche trouvé à bord de son bateau ne lui appartenait pas mais qu’il l’avait remonté à bord parce qu’il était accroché à ses propres filets et que, par conséquent, il était obligé de le ramener au port et de le remettre aux autorités bulgares. Il ajoutait que les filets retirés de l’eau à la demande des garde-côtes ne lui appartenaient pas non plus. Quant aux turbots qu’il avait pêchés, il indiquait qu’ils faisaient partie du quota de pêche alloué à la Bulgarie.


13.  Le 15 mai 2011, le requérant fut autorisé à retourner en Bulgarie. Le 22 mars 2012, son navire lui fut restitué.


14.  À la demande du parquet, l’Agence nationale de pêche roumaine précisa que les règles de la politique commune de la pêche autorisaient l’accès des navires battant pavillon d’un État membre dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire, mais que le droit d’y pêcher était soumis à l’obtention d’une licence de pêche délivrée par les autorités roumaines.


15.  Toujours à la demande du parquet, l’Institut roumain de recherche marine indiqua que l’utilisation de matériel de pêche non conforme à la législation roumaine était de nature à mettre en danger la population de turbot et de provoquer des captures accidentelles d’autres espèces, protégées.


16.  Par un réquisitoire du 5 septembre 2011, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal de Mangalia pour infraction aux articles 64 a), i) et k) et 65 § 1b) de l’OUG no 23/2008, à savoir pêche sans licence, utilisation de filets de maillage inférieur au minimum autorisé, utilisation de matériel de pêche industrielle sans autorisation et pêche avec du matériel interdit.


17.  Par un jugement du 18 octobre 2011, le tribunal relaxa le requérant. Il constata que celui-ci était en possession de tous les documents requis par le droit de l’UE pour pêcher le turbot dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire. Il jugea qu’en vertu des règles de la politique commune de la pêche et, en particulier, de l’article 17 § 1 du Règlement (CE) no 2371/2002, le requérant n’avait pas besoin d’une licence de pêche roumaine pour pratiquer ce type de pêche.


18.  Par ailleurs, il estima que l’on ne pouvait reprocher au requérant d’avoir utilisé du matériel de pêche non autorisé. Il considéra en effet qu’il n’avait pas été démontré que les filets sortis de l’eau à la demande des garde‑côtes fussent ceux du requérant. Quant au filet trouvé à bord du bateau de l’intéressé, il nota qu’il était autorisé pour la pêche industrielle de manière générale et seulement interdit par la législation roumaine pour la pêche au turbot, à défaut de normes techniques communes entre les différents pays riverains de la mer Noire. Au vu des circonstances de l’espèce et, en particulier, de la faible quantité de poisson pêché, il estima que l’utilisation de ce filet n’atteignait pas le degré de gravité d’un délit et lui infligea une amende administrative.


19.  Le parquet et le requérant interjetèrent appel. Le parquet demandait la condamnation du requérant pour pêche illicite ; le requérant sollicitait l’annulation de l’amende qui lui avait été infligée.


20.  Par un arrêt du 21 décembre 2011, la cour d’appel de Constanta accueillit l’appel du parquet. Elle estima qu’en l’absence d’accord bilatéral entre la Roumanie et la Bulgarie sur les conditions d’accès de leurs navires respectifs aux eaux communautaires, le tribunal de première instance aurait dû justifier sa décision d’appliquer en l’espèce l’article 17 § 1 du Règlement (CE) no 2371/2002 et non la législation nationale et la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer.


21.  Elle renvoya donc l’affaire devant le tribunal de Mangalia pour que celui-ci détermine de façon motivée le régime juridique applicable aux activités de pêche dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire.


22.  À une date non précisée, les autorités bulgares saisirent la Commission européenne (« la Commission ») de l’incident impliquant le requérant. La Commission demanda des explications aux autorités roumaines.


23.  Le 21 décembre 2011, la Direction générale des Affaires maritimes et de la pêche de la Commission européenne (la DG MARE) adressa aux autorités roumaines une lettre dans laquelle elle les informait qu’elles avaient commis dans le traitement de l’affaire de graves erreurs d’interprétation et d’application des règles de la politique commune de la pêche, en particulier du Règlement (CE) no 2371/2002 et du Règlement (UE) no 1256/2010.


24.  Elle estimait notamment que la mise sous séquestre du navire du requérant, opérée au motif que ce dernier ne possédait pas de licence de pêche roumaine, était contraire à ces règles.


25.  La DG MARE indiquait également que les poursuites engagées contre l’intéressé pour utilisation de filets de pêche non conformes à la législation roumaine étaient contraires au droit de l’UE (« le droit de l’Union »). À cet égard, elle précisait que le droit de l’Union ne prévoyait pas de normes techniques communes pour le matériel de pêche au turbot en mer Noire. Elle ajoutait que les autorités roumaines pouvaient seulement réglementer la dimension du maillage des filets de pêche au turbot dans les eaux territoriales situées à moins de 12 milles marins au large de leurs côtes.


26.  Enfin, elle demandait instamment aux autorités roumaines de remédier à la situation. Elle rappelait que les organes de l’UE étaient seuls compétents pour adopter des mesures de conservation des ressources halieutiques en mer Noire, dans le cadre de la politique commune de la pêche, et que les autorités nationales ne pouvaient légiférer dans ce domaine sans leur accord.


27.  Dans une lettre du 13 mars 2012, adressée à une association bulgare agissant au nom du requérant, la DG MARE confirma que les bateaux de pêche battant pavillon bulgare et munis d’une licence de pêche délivrée par les autorités bulgares avaient le droit de pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire.


28.  Le 10 mai 2012, au vu de la position de la Commission, le parquet demanda au tribunal de Mangalia de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne (« la CJUE ») une question préjudicielle sur l’interprétation et l’application des règles de la politique commune de la pêche. Il souhaitait que la CJUE soit invitée à préciser si ces règles s’opposaient à ce que les autorités roumaines adoptent elles-mêmes des normes encadrant la pêche dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire. Le requérant se joignit à cette demande.


29.  Le 11 octobre 2012, le tribunal rejeta la demande. Il estima que les questions visaient le fond du litige et non le droit de l’Union, dont l’interprétation ou l’application en l’espèce ne faisaient selon lui pas de doute.


30.  Par un jugement du 12 février 2013, le tribunal jugea que le régime juridique applicable aux activités de pêche dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire était celui de la politique commune de la pêche de l’UE.


31.  Il nota que l’article 17 § 1 du Règlement (CE) no 2371/2002 posait expressément le principe du libre accès aux zones de pêche des États membres pour tout navire communautaire muni d’une licence de pêche.


32.  Il souligna que l’accès aux zones de pêche des États membres situées au-delà des 12 milles marins au large des côtes était autorisé aux navires inscrits sur le fichier de la flotte de pêche communautaire détenteurs d’une licence de pêche délivrée par l’État membre dont ils battaient pavillon.


33.  Il nota qu’en l’espèce, le navire du requérant était un navire de pêche communautaire, il disposait d’une licence de pêche valable délivrée par les autorités bulgares et il avait été contrôlé dans les eaux communautaires à une distance de plus de 12 milles marins au large des côtes roumaines.


34.  Rappelant que le droit de l’Union primait sur la législation nationale, il conclut que le requérant ne s’était pas rendu coupable de pêche illicite. Il prononça la relaxe, et infligea au requérant une amende administrative de 1 000 RON, soit 230 EUR, pour les motifs déjà exposés dans le jugement du 18 octobre 2011 (paragraphe 18 ci-dessus).


35.  Le parquet interjeta appel, demandant la condamnation du requérant pour pêche illicite et la confiscation en valeur du navire. Le requérant demanda la confirmation de la relaxe, répétant que les autorités roumaines ne pouvaient pas le poursuivre pour pêche illicite puisqu’il avait respecté les règles de la politique commune de la pêche.


36.  Le 25 avril 2013, la Commission ouvrit une procédure d’infraction contre la Roumanie en vertu de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (procédure no 20132043), en raison de l’incident impliquant le requérant et d’autres incidents similaires. Elle mit les autorités roumaines en demeure de respecter le principe de l’égalité d’accès aux eaux et ressources de l’UE dans la mer Noire.


37.  Par un arrêt définitif du 2 octobre 2013, la cour d’appel infirma le jugement rendu en première instance estimant que le tribunal avait considéré à tort que le régime juridique applicable à la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire était celui de l’UE.


38.  Contrairement au tribunal de première instance, la cour d’appel jugea que les normes applicables dans cette zone étaient la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer et la législation nationale adoptée en vertu de cette convention. Elle considéra que la législation nationale avait établi des droits souverains sur la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire, et conclut que les navires battant pavillon bulgare opérant dans cette zone étaient sous la juridiction de la Roumanie et, par conséquent, obligés de se soumettre à sa législation.


39.  Elle jugea qu’en l’espèce, n’étant pas titulaire d’une licence de pêche roumaine, le requérant s’était rendu coupable de pêche illicite.


40.  Elle écarta l’argument que le requérant tirait de l’application des règles de la politique commune de la pêche. Elle estima en effet que ces règles ne faisaient pas obstacle à une législation instaurant l’obligation de détenir une licence de pêche roumaine.


41.  La cour d’appel parvint à cette conclusion en considérant que selon les dispositions de l’article 17 du Règlement CE no 2371/2002, les navires de pêche battant pavillon d’un État membre jouissaient d’un accès égal aux ressources maritimes de l’UE, mais le droit d’y pêcher n’était ni libre ni illimité.


42.  Elle souligna que l’article 8 de ce règlement autorisait les États membres à adopter des mesures d’urgence s’il existait des preuves qu’une menace grave et imprévue, résultant des activités de la pêche, pesait sur la conservation des ressources aquatiques vivantes ou sur l’écosystème marin dans les eaux relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction.


43.  Or, estima-t-elle, l’instauration de règles nationales spécifiques pour la pêche au turbot répondait à une telle menace.


44.  S’appuyant sur le point de vue de l’Institut roumain de recherche marine (paragraphe 15 ci-dessus), elle jugea que la pêche pratiquée par le requérant était constitutive de braconnage et mettait en danger l’équilibre de l’écosystème marin, et qu’il fallait donc la sanctionner sévèrement pour dissuader l’intéressé et les tiers de pratiquer pareille pêche à l’avenir.


45.  Au vu de ces considérations, la cour d’appel déclara le requérant coupable de pêche illicite au moyen de matériel interdit. Elle le condamna à une peine de prison d’un an avec sursis, pour infraction à l’article 65 § 1b) de l’OUG no 23/2008. Elle lui infligea également trois amendes pénales de 6 000 RON (environ 1 350 EUR), soit un total de 18 000 RON, pour infractions aux alinéas a), i) et k) de l’article 64 de la même ordonnance.


46.  Elle ordonna en outre, à titre de sanctions complémentaires, la confiscation en valeur d’une partie de la valeur du navire, à savoir la somme de 10 000 RON (environ 2 250 EUR) et l’interdiction de pêche dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire d’une durée d’un an.


47.  Le requérant saisit la commission des pétitions du Parlement européen. Celle-ci adressa une demande d’informations à la Commission, qui y répondit le 28 février 2015.


48.  La Commission précisa ceci :

« (...) dans le cas du requérant, le tribunal roumain de première instance a correctement interprété les dispositions pertinentes du droit de l’UE concernant le libre accès. Cependant (...) sur appel du parquet, la cour d’appel a infirmé ce jugement en octobre 2013, et elle a condamné l’intéressé à une peine particulièrement sévère. (...) Il apparaît que la cour d’appel a méconnu la position de la Commission concernant l’interprétation des dispositions du droit de l’UE applicables en l’espèce (la position de la Commission avait été versée au dossier de la procédure) et qu’elle a omis de poser à la CJUE les questions préjudicielles qui auraient pu dissiper ses éventuels doutes sur l’interprétation correcte du droit de l’UE. Compte tenu de ces éléments et étant donné que la présente affaire porte sur des principes fondamentaux de l’UE, la Commission étudie actuellement l’opportunité de poursuivre la procédure d’infraction par l’envoi d’une lettre de mise en demeure formelle. »


49.  Le 18 juin 2015, la Commission adressa aux autorités roumaines une mise en demeure complémentaire, dans le cadre de la procédure d’infraction.


50.  Le 15 février 2017, elle émit un avis motivé dans lequel elle reprochait à la Roumanie de ne pas assurer aux navires battant pavillon bulgare l’égalité d’accès aux eaux et ressources de l’UE en mer Noire et demandait instamment aux autorités roumaines de remédier à cette situation.


51.  Par un arrêté du 28 mars 2017, le ministère roumain de l’Agriculture et de la Pêche autorisa expressément l’accès de tous les navires de pêche battant pavillon d’un État membre et disposant d’une licence de pêche délivrée par un État membre aux eaux et ressources de la mer Noire se trouvant sous la juridiction de la Romanie.


52.  Le 25 janvier 2018, au vu de cette modification du cadre juridique national, la Commission mit fin à la procédure d’infraction.

LE CADRE JURIDIQUE

I.        LE DROIT INTERNE PERTINENT


53.  La loi no 17/1990 relative au régime juridique des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale et de la zone contiguë de la Roumanie en mer Noire a été modifiée par la loi no 36/2002, entrée en vigueur le 31 janvier 2002. Elle a ensuite été republiée au Journal officiel. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

Article 1

« La présente loi fixe le statut juridique des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale, de la zone contigüe et de la zone économique exclusive, conformément aux dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, que la Roumanie a ratifiée par la loi no 110/1996.

Article 9

« 1.  La zone économique exclusive de la Roumanie recouvre l’espace maritime (...) de la mer Noire se trouvant au-delà des eaux territoriales et adjacent à celles-ci (...).

2.  Compte tenu des spécificités des dimensions de la mer Noire, l’étendue de la zone économique exclusive de la Roumanie sera déterminée par une délimitation à effectuer par voie d’accords conclus avec les États voisins dont les côtes sont adjacentes ou font face aux côtes roumaines, sachant qu’en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, que la Roumanie a ratifiée par la loi no 110/1996, la largeur maximale de la zone économique exclusive est de 200 milles marins, calculés à partir des lignes de base prévues à l’article 2.

3.  La délimitation sera établie de manière conforme aux principes généralement reconnus du droit international et dans le respect de la loi roumaine, compte tenu, selon les circonstances propres à chaque secteur à délimiter, des principes et des critères de délimitation généralement reconnus, de sorte qu’une solution équitable soit trouvée. »

Article 10

« 1.  Dans la zone économique exclusive, la Roumanie exerce :

a) des droits souverains d’exploration et d’exploitation, de protection, de conservation et de gestion de toutes les ressources naturelles biologiques ou non biologiques et des autres ressources se trouvant au fond de la mer, dans son sous-sol, ou dans la colonne d’eau et l’espace aérien au-dessus de celui-ci ;

(...) »

Article 14

« 1.  La Roumanie assure l’utilisation optimale des ressources halieutiques et des autres ressources biologiques, en prenant les mesures de nature technique ou autre qui s’imposent pour leur conservation, ainsi que la gestion de toutes les eaux situées à l’intérieur du périmètre de sa zone économique exclusive (...)

2.  Dans ce but, les organes compétents roumains fixent annuellement le volume total autorisé des prélèvements de chaque espèce de poisson et d’autres ressources biologiques, [et ils] adoptent des mesures de nature technique ou autre afin d’assurer une pêche raisonnée ainsi que la conservation, la protection et la régénération des ressources biologiques ; [ils veillent] au respect de la législation roumaine applicable en la matière en procédant à un suivi par satellite des navires de pêche, [et à] l’inspection, l’immobilisation et la saisie des navires de pêche qui violent les droits souverains de l’État roumain et en engageant les poursuites judiciaires correspondantes ;

(...) »

54.   Après l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, le 1er janvier 2007, l’article 3.1 d) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui prévoit que l’Union dispose d’une compétence exclusive dans le domaine de la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, est devenu la base du droit interne dans le domaine de la pêche dans les eaux de la mer Noire relevant de la juridiction de la Roumanie.


55.  Le 10 mars 2008, le Gouvernement a adopté l’ordonnance d’urgence no 23/2008 concernant la pêche et l’aquaculture.


56.  En vertu de l’article 16 de cette ordonnance, le droit de pêcher dans les eaux relevant de la juridiction de la Roumanie est soumis à l’obtention d’une licence délivrée par l’Agence nationale de la pêche et de l’aquaculture.


57.  Les articles 64 a), i) et k) et 65 § 1b) de l’ordonnance prévoient que la pêche sans licence, l’utilisation de filets dont la dimension du maillage est inférieure au minimum autorisé, l’utilisation sans autorisation de matériel de pêche industrielle et la pêche au moyen de matériel interdit constituent des délits (infractiuni) au sens de la loi pénale et sont punis d’une amende pénale ou d’une peine de prison et d’une interdiction temporaire de pêcher. L’article 66 de l’ordonnance prévoit la confiscation des bateaux et du matériel de pêche ayant servi à la pêche illicite.


58.  L’arrêté no 36 du 10 février 2011 du ministère de l’agriculture concernant la pêche au turbot en mer Noire, en vigueur à l’époque des faits, prévoyait l’obligation de détenir une licence de pêche roumaine délivrée par l’Agence nationale de la pêche. Il indiquait également la dimension du maillage des filets pouvant être utilisés pour la pêche au turbot.

II.     LES éLéMENTS PERTINENTS DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

A.    Les principes de l’effet direct et de la primauté du droit de l’Union


59.  Dans l’affaire Costa c. E.N.E.L. (arrêt du 15 juillet 1964, 6/64, Recueil de jurisprudence 1141), la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a dit ceci :

« À la différence des traités internationaux ordinaires, le Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du Traité et qui s’impose à leurs juridictions. »


60.  Dans l’affaire Van Gend et Loos (arrêt du 5 février 1963, 26/62, Recueil 3), elle a précisé ceci :

« Le droit communautaire, indépendant des législations des États membres, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique. »


61.  Sur les principes de l’effet direct et de la primauté du droit de l’Union, voir également, Amministrazione delle Finanze dello Stato c. Simmenthal SpA (Simmenthal II), C-106/77, 9 mars 1978, EU:C:1978:49; Internationale Handelsgesellschaft, C-11/70, 17 décembre 1970, EU:C:1970:114 et Euro Box Promotion, C-357/19, 21 décembre 2021, EU:C:2021:1034).

B.    L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)


62.  L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit la saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en ces termes :

« La Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

(...)

b)  sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté (...) ;

(...)

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice. »


63.  En ce qui concerne l’initiative de la procédure préjudicielle, la CJUE a, entre autres, dans l’affaire Katz (C-404/07, 9 octobre 2008, EU:C:2008:553, point 37), indiqué ceci :

« (...) il appartient au juge national et non aux parties au litige au principal de saisir la Cour. La faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est donc dévolue au seul juge national et les parties ne sauraient en changer la teneur (...) »


64.  Entre autres, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 9 novembre 2010 dans l’affaire VB Pénzügyi Lízing (C-137/08, EU:C:2010:659, point 28), la grande chambre de la CJUE a précisé ce qui suit :

« (...) le système instauré à l’article 267 TFUE en vue d’assurer l’unité de l’interprétation du droit de l’Union dans les États membres institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure étrangère à toute initiative des parties (...) »


65.  Le 8 novembre 2019, la CJUE a publié une mise à jour de ses « recommandations à l’attention des juridictions nationales relatives à l’introduction de procédures préjudicielles » (2019/C 380/01). La partie pertinente en l’espèce de ce document se lit comme suit :

« 3.  La compétence de la Cour pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union s’exerce à l’initiative exclusive des juridictions nationales, que les parties au litige au principal aient ou non exprimé le souhait d’une saisine de la Cour. Dans la mesure où elle est appelée à assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir, c’est en effet à la juridiction nationale saisie d’un litige - et à elle seule - qu’il appartient d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une demande de décision préjudicielle pour être en mesure de rendre sa décision que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour. »

C.    L’article 258 du TFUE et l’ouverture d’une procédure d’infraction contre un État membre (recours en manquement)


66.  En ce qui concerne l’ouverture d’une procédure d’infraction contre un État membre, l’article 258 du TFUE prévoit ceci :

« Si la Commission estime qu’un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.

Si l’État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne. »

D.    Les règles de la politique commune de la pêche


67.  Le Règlement (CE) no 2371/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, en vigueur à l’époque des faits reprochés au requérant [1], renferme les dispositions suivantes :

Article premier

« 2.  La politique commune de la pêche prévoit des mesures cohérentes concernant :

a)  la conservation, la gestion et l’exploitation des ressources aquatiques vivantes ;

b)  la limitation des répercussions de la pêche sur l’environnement ;

c)  les conditions d’accès aux eaux et aux ressources (...) »

Article 3

Définitions

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)  « eaux communautaires », les eaux sous souveraineté ou juridiction des États membres, à l’exception des eaux adjacentes aux territoires visés à l’annexe II du traité ;

b)  « ressources aquatiques vivantes », les ressources aquatiques marines vivantes disponibles et accessibles ;

(...)

d)  « navire de pêche communautaire », tout navire de pêche battant pavillon d’un État membre et immatriculé dans la Communauté ;

(...) »

Article 8

Mesures d’urgence adoptées par les États membres

« 1.  S’il existe des preuves qu’une menace grave et imprévue, résultant des activités de la pêche, pèse sur la conservation des ressources aquatiques vivantes ou sur l’écosystème marin, dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction d’un État membre, et que tout retard risque de causer des dommages difficiles à réparer, ledit État membre peut adopter des mesures d’urgence, pour une durée maximale de trois mois.

2.  Les États membres souhaitant adopter des mesures d’urgence notifient préalablement leur intention à la Commission, aux autres États membres et aux conseils consultatifs régionaux concernés en leur adressant le projet de mesures, accompagné d’un exposé des motifs. »

Article 17

« 1.  Les navires de pêche communautaires jouissent d’une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux communautaires autres que celles visées au paragraphe 2, sous réserve des mesures adoptées conformément au chapitre II [2].

2.  Dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, les États membres sont autorisés, du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2012, à limiter la pêche aux navires de pêche opérant traditionnellement dans ces eaux à partir des ports de la côte adjacente, sans préjudice de régimes applicables aux navires de pêche communautaires battant pavillon d’autres États membres au titre des relations de voisinage existant entre États membres et des modalités prévues à l’annexe I, qui fixe, pour chacun des États membres, les zones géographiques des bandes côtières des autres États membres où ces activités sont exercées ainsi que les espèces sur lesquelles elles portent. »


68.  Le Règlement (CE) no 1281/2005 de la Commission du 3 août 2005 concernant la gestion des licences de pêche et les informations minimales qu’elles doivent contenir, en vigueur à l’époque des faits, prévoyait ceci :

Article 3

Exploitation des ressources aquatiques

« Un navire de pêche communautaire ne peut être utilisé pour l’exploitation commerciale des ressources aquatiques vivantes que s’il détient à son bord une licence de pêche valable. »

Article 4

Obligations des États membres

« L’État membre du pavillon délivre, gère et retire la licence de pêche conformément au présent règlement. »


69.  Le Règlement (UE) no 1256/2010 du Conseil du 17 décembre 2010 établissait pour 2011 les possibilités de pêche applicables en mer Noire pour certains stocks halieutiques. Dans le cadre du total admissible des captures (TAC), la Roumanie et la Bulgarie pouvaient prélever chacune 43,2 tonnes de turbot.


70.  Le règlement (UE) no 227/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 établit un maillage minimal pour la pêche au turbot en mer Noire.

III.   Le droit international pertinent


71.  La Convention des Nations unies sur le droit de la mer a été conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982. La Roumanie l’a ratifiée par la loi no 110 du 10 octobre 1996.


72.  Les dispositions pertinentes de cette convention sont ainsi libellées :

Article 55
Régime juridique particulier de la zone économique exclusive

« La zone économique exclusive est une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci, soumise au régime juridique particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la juridiction de l’État côtier et les droits et libertés des autres États sont gouvernés par les dispositions pertinentes de la Convention. »

Article 56
Droits, juridiction et obligations de l’État côtier dans la zone économique exclusive

« 1.  Dans la zone économique exclusive, l’État côtier a :

a)  des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux sur jacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol (...) ;

b)  juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en ce qui concerne : i) la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages ; ii) la recherche scientifique marine ; iii) la protection et la préservation du milieu marin ;

c)  les autres droits et obligations prévus par la Convention. (...) »

Article 57
Largeur de la zone économique exclusive

« La zone économique exclusive ne s’étend pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. »

Article 61
Conservation des ressources biologiques

« 1.  L’État côtier fixe le volume admissible des captures en ce qui concerne les ressources biologiques dans sa zone économique exclusive.

(...) »

Article 62
Exploitation des ressources biologiques

« 1.  L’État côtier se fixe pour objectif de favoriser une exploitation optimale des ressources biologiques de la zone économique exclusive, sans préjudice de l’article 61.

4.  Les ressortissants d’autres États qui pêchent dans la zone économique exclusive se conforment aux mesures de conservation et aux autres modalités et conditions fixées par les lois et règlements de l’État côtier. Ces lois et règlements doivent être compatibles avec la Convention et peuvent porter notamment sur les questions suivantes :

a)  délivrance de licences aux pêcheurs ou pour les navires et engins de pêche [...] ;

b)  indication des espèces dont la pêche est autorisée et fixation de quotas [...] ;

c)  réglementation des campagnes et des zones de pêche, du type, de la taille et du nombre des engins, ainsi que du type, de la taille et du nombre des navires de pêche qui peuvent être utilisés ;

 (...) »

EN DROIT

I.        SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


73.  Le requérant se plaint de sa condamnation, prononcée le 2 octobre 2013 par la cour d’appel de Constanta. Il s’estime victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En ses parties pertinentes en l’espèce, cette disposition est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.    Sur la recevabilité


74.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B.    Sur le fond

1.     Thèses des parties


75.  Le requérant soutient qu’il a fait l’objet d’une condamnation arbitraire. Il reproche à la cour d’appel d’avoir interprété et appliqué les règles de la politique commune de la pêche de manière manifestement erronée. Il critique également l’omission de la cour d’appel de renvoyer à la CJUE les questions préjudicielles que les parties avaient soulevées en première instance.


76.  Le Gouvernement considère pour sa part que l’arrêt du 2 octobre 2013 de la cour d’appel de Constanta est dûment motivé.


77.  En ce qui concerne le fait que la cour d’appel n’a pas saisi la CJUE d’une question préjudicielle d’interprétation du droit de l’Union, il soutient que le tribunal de première instance avait dûment motivé le rejet de la demande de renvoi (paragraphe 29 ci-dessus). Le requérant n’ayant pas réitéré cette demande devant la cour d’appel, le Gouvernement estime que celle-ci n’était pas tenue de saisir la CJUE.


78.  Il considère que la cour d’appel a dûment indiqué les raisons pour lesquelles les faits reprochés au requérant constituaient des délits selon le droit national, en s’appuyant sur les dispositions de droit interne et de droit international applicables en l’espèce, en particulier celles de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et l’article 17 du règlement (CE) no 2371/2002.


79.  Il estime qu’en concluant que les navires communautaires jouissaient d’un accès certes égal mais non libre ou illimité à la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire (paragraphe 41 ci-dessus), la cour d’appel a statué d’une manière qui ne saurait être qualifiée ni d’arbitraire ni de manifestement déraisonnable au point de nuire à l’équité du procès.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Les principes généraux


80.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 83, 11 juillet 2017, où elle a examiné sous l’angle du volet pénal de l’article 6 de la Convention un grief tiré d’un manque d’équité allégué du raisonnement suivi par les juridictions internes, elle a résumé en ces termes les principes généraux :

« a)  Il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, par exemple si elles peuvent exceptionnellement s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention.

b)  L’article 6 § 1 de la Convention ne réglemente pas l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables. »


81.  Dans cet arrêt, la Cour a précisé qu’une décision de justice interne ne peut être qualifiée d’« arbitraire » au point de nuire à l’équité du procès que si elle est dépourvue de motivation ou si cette motivation est fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste commise par le juge national qui aboutit à un « déni de justice » (Moreira Ferreira (no 2), précité, § 85).


82.  La Cour rappelle également que la Convention ne garantit pas, comme tel, un droit à ce qu’une affaire soit renvoyée à titre préjudiciel par le juge interne devant la CJUE (Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, § 57, 20 septembre 2011 ; voir aussi Sanofi Pasteur c. France, no 25137/16, § 69, 13 février 2020).


83.  Il appartient au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, le cas échéant en conformité avec le droit de l’Union européenne. Sous réserve d’une interprétation arbitraire ou manifestement déraisonnable, le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de cette interprétation (Thimothawes c. Belgique, no 39061/11, § 71, 4 avril 2017 et la jurisprudence citée).

b)      Application de ces principes en l’espèce


84.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que les autorités roumaines ont poursuivi le requérant aux motifs qu’il n’était pas titulaire d’une licence de pêche roumaine et qu’il avait utilisé des filets interdits par la législation roumaine (paragraphe 9 ci-dessus).


85.  Dans son arrêt définitif du 2 octobre 2013, la cour d’appel a jugé que les navires communautaires, dont celui du requérant, étaient soumis aux dispositions de la législation roumaine adoptée en application de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (paragraphe 38 ci-dessus). Elle a fait application en l’espèce des règles nationales encadrant spécifiquement la pêche au turbot, et elle a considéré que ces règles n’étaient pas contraires aux règles du droit de l’Union concernant la politique commune de la pêche (paragraphe 43 ci-dessus).


86.  Le requérant reproche à la cour d’appel, d’une part, de ne pas avoir saisi la CJUE d’une question préjudicielle d’interprétation des règles de la politique commune de la pêche et, d’autre part, d’avoir rendu une décision qu’il estime arbitraire au regard de ces règles (paragraphe 75 ci-dessus).


87.  La Cour note d’emblée que la présente affaire se distingue sensiblement des affaires où la Cour a précédemment examiné l’obligation des juridictions internes de motiver au regard du droit applicable les décisions par lesquelles elles refusent de poser une question préjudicielle Ullens de Schooten et Rezabek, et Sanofi Pasteur, arrêts précités). En effet, il ne s’agit pas en l’espèce du refus de la cour d’appel de Constanta de renvoyer à la CJUE une demande d’interprétation du droit de l’Union qui aurait été formulée devant elle par les parties, mais de la question de savoir si l’arrêt définitif du 2 octobre 2013 était le résultat d’une erreur de droit manifeste.


88.  Le requérant estime qu’il a fait l’objet d’une condamnation arbitraire car contraire aux règles du droit de l’Union. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse et soutient que l’arrêt du 2 octobre 2013 était dûment motivé.


89.  La Cour constate que la question de l’application des règles du droit de l’Union aux activités de pêche pratiquées dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire était au cœur du litige (paragraphes 21 et 38 ci-dessus).


90.  Elle constate également que la cour d’appel a procédé à sa propre interprétation de ces règles (paragraphe 41 et 42 ci-dessus) et a appliqué en l’espèce la législation interne sur la pêche (paragraphe 38 et 40 ci-dessus).


91.  Elle est donc appelée à déterminer si la motivation de l’arrêt de la cour d’appel sur ce point est conforme aux standards de la Convention.


92.  La Cour note que les règles de la politique commune de la pêche sont définies dans un ensemble de règlements qui sont obligatoires en tous leurs éléments et directement applicables dans les États membres (paragraphes 59 et 60 ci-dessus).


93.  Elle rappelle qu’elle a déjà souligné dans sa jurisprudence que dans le système juridique de l’UE un règlement est, à la différence d’une directive, obligatoire en tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre (Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 106, 23 mai 2016). En vertu du principe de la primauté du droit de l’Union, un tel règlement, doté d’un effet direct, l’emporte sur le droit interne contraire (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 92, CEDH 2005‑VI).


94.  En l’espèce, la Cour note que le navire du requérant a été arraisonné alors qu’il se trouvait au large des côtes roumaines, à une distance de 20 milles marins, dans la zone économique exclusive de la Roumanie (paragraphe 6 ci-dessus). Il s’ensuit que les dispositions de l’article 17 du règlement (CE) no 2371/2002 qui prévoient l’égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans les eaux communautaires étaient applicables au cas du requérant. Concernant les dispositions de l’article 8 du règlement susmentionné, la Cour constate que les autorités internes n’ont nullement fait usage du mécanisme prévu par cet article pour limiter l’accès à ces ressources.


95.  La Cour note également que la Commission a clairement indiqué aux autorités roumaines que les poursuites engagées contre le requérant étaient contraires au droit de l’UE, et particulièrement aux Règlements (CE) no 2371/2002 et (UE) no 1256/2010 (paragraphe 23 ci-dessus). Elle a précisé que la législation nationale qui exigeait une licence de pêche roumaine et prévoyait un maillage minimal dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire était contraire aux règles de la politique commune de la pêche (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). La position de la Commission, qui portait spécifiquement sur le cas du requérant, a été communiquée aux autorités roumaines bien avant que la cour d’appel ne rende son arrêt définitif (paragraphes 2326 ci-dessus).


96.  Le manquement de l’État défendeur aux obligations qui lui incombaient dans le cadre de la politique commune de la pêche a d’ailleurs fait l’objet d’une procédure d’infraction qui portait sur l’incident impliquant le requérant et d’autres incidents similaires (paragraphes 36, 49 et 50 ci‑dessus). Cette procédure était pendante à la date à laquelle la cour d’appel a adopté l’arrêt définitif du 2 octobre 2013 (paragraphe 37 ci-dessus) et la Commission n’a mis fin à la procédure qu’après que la Roumanie a modifié sa législation interne et les règles d’accès aux eaux et ressources de la mer Noire se trouvant sous sa juridiction afin de les mettre en conformité avec le droit européen (paragraphes 51 et 52 ci-dessus).


97.  Au vu des dispositions du règlement (CE) no 2371/2002 et de l’opinion très claire de la Commission au sujet de l’application des règles de la politique commune de la pêche, la Cour considère qu’en condamnant le requérant alors que selon la Commission, les poursuites contre lui étaient contraire à ces règles (paragraphe 95 ci-dessus), la cour d’appel a commis une erreur de droit manifeste. En cas de doute, la cour d’appel aurait pu saisir la CJUE au sujet de l’interprétation des règles en question.


98.  Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que le requérant a été victime d’un « déni de justice ».


99.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE no 1 A LA CONVENTION


100.  Le requérant allègue que les sanctions complémentaires d’ordre pécuniaire, c’est-à-dire la confiscation en valeur d’une partie de la valeur du navire et l’interdiction de pêche (paragraphe 46 ci-dessus), prononcées contre lui par la cour d’appel étaient illégales et qu’elles ont emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A.    Sur la recevabilité

1.     Thèses des parties


101.  Le Gouvernement soutient que l’interdiction temporaire de pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire prononcée par la cour d’appel à l’égard du requérant n’a pas porté atteinte au droit de l’intéressé au respect de ses biens.


102.  Il argue qu’au vu de la législation roumaine en vigueur à l’époque des faits, le requérant, qui ne détenait pas de licence de pêche roumaine, ne saurait prétendre qu’il avait dans son patrimoine un bien actuel, à savoir le droit de pêcher dans cette zone, ni une « espérance légitime » de voir se concrétiser un tel droit.


103.  Le requérant affirme pour sa part que son droit de pêcher dans cette zone était garanti par les règles de la politique commune de la pêche et que, dès lors, il constituait un bien au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il allègue que, par conséquent, l’interdiction de pêcher que lui a infligée la cour d’appel a porté atteinte à son droit au respect de ses biens et l’a privé d’une importante source de revenus.

2.     Appréciation de la Cour


104.  La Cour rappelle qu’une licence d’exploitation d’une activité commerciale constitue un bien et que le retrait d’une telle licence s’analyse en une atteinte au droit garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (voir, parmi de nombreux exemples, Tre Traktörer AB c. Suède, 7 juillet 1989, § 53, série A no 159 ; Megadat.com SRL c. Moldova, no 21151/04, § 63, CEDH 2008 et Vékony c. Hongrie, no 65681/13, §§ 29 et 30, 13 janvier 2015).


105.  En l’espèce, elle constate que le requérant détenait une licence de pêche bulgare en vertu de laquelle il était autorisé à pêcher dans les eaux communautaires, dont fait partie la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire (paragraphe 10 ci-dessus). L’interdiction temporaire de pêcher dans cette zone prononcée par la cour d’appel a donc restreint la portée de la licence.


106.  Certes, la licence est restée valable (voir, a contrario, Tre Traktörer AB , précité, § 53 et Vékony, précité, § 29).


107.  La Cour rappelle toutefois qu’elle a déjà jugé que l’article 1 du Protocole no 1 trouvait à s’appliquer même lorsque la licence en cause n’avait pas été retirée mais vidée de sa substance (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, §§ 177 et 178, CEDH 2012).

 


109.  Il s’ensuit que ce grief est compatible ratione materiae avec les dispositions de l’article 1 du Protocole no 1. Constatant qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.    Sur le fond

1.     Thèses des parties


110.  Le requérant soutient que les sanctions complémentaires d’ordre pécuniaire que la cour d’appel lui a infligées étaient illégales et disproportionnées.


111.  Le Gouvernement affirme au contraire que ces sanctions étaient prévues par les articles 64 et 65 de l’OUG no 23/2008 et que ces dispositions étaient accessibles, précises et prévisibles (paragraphes 56 et 57 ci-dessus).


112.  Il expose que ces dispositions visaient à protéger l’écosystème marin contre les effets néfastes du braconnage (paragraphe 44 ci-dessus). Il ajoute que pour fixer les sanctions litigieuses, la cour d’appel a mis en balance les différents intérêts en jeu et examiné la proportionnalité de la mesure par rapport au but d’intérêt général poursuivi.

2.     Appréciation de la Cour


113.  La Cour note d’emblée que la cour d’appel a jugé le requérant coupable de pêche illicite au moyen de matériel interdit et l’a condamné, outre la peine privative de liberté et les amendes pénales, à des sanctions complémentaires d’ordre pécuniaire : confiscation en valeur et interdiction temporaire de pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumaine en mer Noire (paragraphes 45 et 46 ci-dessus).


114.  Elle estime que les sanctions complémentaires pécuniaires infligées au requérant constituent une atteinte au droit de l’intéressé au respect de ses biens, et que cette atteinte s’analyse en une « réglementation de l’usage des biens », au sens du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, pour l’interdiction temporaire de pêcher, O’Sullivan McCarthy Mussel Development Ltd, précité, § 104 et, pour la confiscation en valeur, Plechkov c. Roumanie, no 1660/03, § 87, 16 septembre 2014).


115.  Elle rappelle ensuite que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». Il s’ensuit que la nécessité de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et n’était pas arbitraire (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II).


116.  En l’espèce, la Cour note que les sanctions d’ordre pécuniaire infligées par la cour d’appel au requérant étaient fondées sur les dispositions de l’OUG no 23/2008 et qu’elles étaient complémentaires à la condamnation pour pêche illicite (paragraphes 46 et 57 ci-dessus).


117.  Cependant, elle rappelle qu’elle vient de constater que la condamnation pénale du requérant était le résultat d’une erreur de droit manifeste (paragraphe 97 ci-dessus).


118.  Dès lors, les dispositions susmentionnées ne pouvaient servir de base légale aux sanctions complémentaires d’ordre pécuniaire infligées au requérant alors que des normes européennes claires l’autorisaient à pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire.


119.  Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.


120.  Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III.   SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


121.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage


122.  Le requérant demande pour dommage matériel la valeur de la capture de turbot dont il estime avoir été privé en 2011 et 2012 en raison de la saisie temporaire de son navire par les autorités roumaines. Il expose qu’il a été empêché de travailler, alors que la capture moyenne annuelle de turbot réalisée par son navire avant l’ouverture de la procédure pénale était de 3 474 kilogrammes. Compte tenu du prix moyen du kilogramme de turbot sur le marché bulgare, il chiffre son préjudice matériel à 122 260,83 euros (EUR).


123.  Il réclame également 15 000 EUR pour préjudice moral. Il expose qu’il a éprouvé en raison des poursuites et de la condamnation dont il a fait l’objet des sentiments de frustration et de désespoir accentués par l’impossibilité de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille, dont la pêche constituait selon lui la seule ressource.


124.  Le Gouvernement conteste les prétentions du requérant. Il soutient que la somme réclamée au titre du préjudice matériel a un caractère spéculatif dès lors qu’elle repose en partie sur une prétendue perte d’opportunités commerciales et sur des bénéfices selon lui impossibles à chiffrer.


125.  Quant au préjudice moral, il soutient que la somme réclamée est excessive. Il considère qu’un constat de violation représenterait en lui-même une satisfaction équitable suffisante.


126.  La Cour estime que le requérant a subi un préjudice matériel certain en raison des sanctions que lui a infligées la cour d’appel.


127.  Cependant, elle constate que la somme que le requérant réclame représente la valeur de la capture dont il estime avoir été privé en 2011 et 2012, alors qu’elle vient de constater une violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison des sanctions prononcées par la cour d’appel le 2 octobre 2013 (paragraphe 118 ci-dessus). Dès lors, elle ne peut baser le calcul de la satisfaction équitable sur l’estimation qu’il a fournie.


128.  Par ailleurs, elle estime que le requérant a subi un préjudice moral indéniable du fait des violations des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention.


129.  Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’allouer au requérant 6 500 EUR, tous chefs de dommage confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B.    Frais et dépens


130.  Le requérant réclame 4 574 EUR au titre des frais et dépens engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. À l’appui de sa demande, il présente des récépissés attestant du paiement d’honoraires d’avocat et de frais de traduction.


131.  Le Gouvernement conteste la nécessité des frais de traduction, qui s’élèvent au total à 190 EUR.


132.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 4 574 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C.    Intérêts moratoires


133.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour l’ensemble des chefs de dommage ;

ii. 4 574 EUR (quatre mille cinq cent soixante-quatorze euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Ilse Freiwirth                                            Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe                                                        Présidente



[1] Le règlement (CE) n° 2371/2002 a été abrogé par le règlement (UE) n° 1380/2013 relatif à la politique commune de la pêche.

[2] Mesures communautaires établies par le Conseil et régissant l’accès aux zones et aux ressources et l’exercice durable des activités de pêche.


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