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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALECSANDRESCU v. ROMANIA - 51272/16 (Judgment : Article 6+6-3-a - Right to a fair trial : Fourth Section Committee) French Text [2022] ECHR 1071 (13 December 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/1071.html
Cite as: [2022] ECHR 1071, CE:ECHR:2022:1213JUD005127216, ECLI:CE:ECHR:2022:1213JUD005127216

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ALECSANDRESCU c. ROUMANIE

(Requête no 51272/16)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2022

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Alecsandrescu c. Roumanie,


La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Branko Lubarda, président,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,


Vu la requête (no 51272/16) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Andrei Mihail Alecsandrescu (« le requérant »), né en 1969 et résidant à Bucarest, représenté par Me , avocat à Bucarest, a saisi la Cour le 25 août 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, les griefs concernant l’équité de la procédure pénale et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,


Vu les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2022,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  Par un réquisitoire du 10 juillet 2012, le parquet près le tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest (« le parquet ») ordonna le renvoi en jugement du requérant des chefs de soutien à des activités infractionnelles (favorizarea infractorului), de faux en écritures publiques et de faux en documents sous seing privé. Il lui était reproché d’avoir procédé à l’immatriculation dans les registres publics d’une voiture appartenant à une société de crédit-bail mais détenue frauduleusement par D.A.M. Le requérant fut représenté par un avocat tout au long de la procédure.


2.  Par un jugement du 2 décembre 2014, le tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest (« le tribunal de première instance »), estimant qu’il n’y avait pas de preuves permettant de conclure que le requérant eût commis les infractions qui lui étaient reprochées, acquitta celui‑ci des chefs de soutien à des activités infractionnelles (article 264 de l’ancien code pénal, « le CP ») et de faux (articles 288 et 290 de l’ancien CP).


3.  Saisie d’un appel interjeté par le parquet contre ce jugement, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») entendit le requérant, D.A.M. et B.P. ainsi qu’un autre témoin. Jugeant contradictoires et lacunaires les déclarations livrées pendant la procédure par B.P. et D.A.M. (ce dernier ayant été condamné dans une procédure connexe), la juridiction d’appel saisit le parquet du chef de faux témoignage par une décision avant dire droit du 20 novembre 2015.


4.  Lors des débats tenus le 20 novembre 2015, la cour d’appel évoqua la possibilité d’une requalification en complicité de faux, des accusations de faux portées contre le requérant auparavant, invita celui-ci à présenter ses arguments sur ce point et entendit les observations de l’avocat de l’intéressé à cet égard. En revanche, la cour d’appel n’ayant pas abordé la possibilité d’une requalification en recel de biens (tăinuire, infraction réprimée par l’article 221 de l’ancien CP) du chef de soutien à des activités infractionnelles (article 264 de l’ancien CP), les parties ne purent présenter leurs éventuels arguments sur ce point.


5.  Par un arrêt du 15 décembre 2015, la cour d’appel, après avoir requalifié les faits en recel de biens (article 221 de l’ancien CP) et en complicité de faux, condamna le requérant à une peine de deux ans de prison, assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve. Écartant comme manifestement trompeuses les déclarations formulées devant elle par B.P. et D.A.M., elle se fonda, notamment, sur celles qu’ils avaient faites devant le parquet et le tribunal de première instance et qui étaient corroborées par d’autres éléments de preuve. Elle prit également en considération les déclarations de deux autres témoins qui avaient participé à des discussions avec B.P. et D.A.M. dont il ressortait que B.P. avait mis D.A.M. en contact avec le requérant afin que celui‑ci procédât, contre rémunération, à l’immatriculation frauduleuse d’une voiture en faveur de D.A.M. Quelques mois après avoir mené l’opération à bien et D.A.M. ne lui ayant pas versé la somme convenue, le requérant avait, en guise de représailles, opéré la radiation du véhicule.


6.  S’agissant de la qualification juridique des faits, la cour d’appel, contrairement au parquet, considéra que le requérant, bien qu’il n’eût pas falsifié de documents dont il se fût ensuite servi lui-même aux fins d’immatriculation du véhicule, avait, à ces mêmes fins, apporté son soutien à une tierce personne. De surcroît, elle releva que le requérant avait agi non pas dans le seul but de garantir à D.A.M. la jouissance de la voiture en question, mais en vue de s’assurer une rémunération, élément justifiant la requalification juridique de ses agissements en recel de biens.


7.  L’arrêt de la cour d’appel fut notifié au requérant le 29 février 2016.


8.  Par une décision du 22 mars 2019, le parquet classa les procédures pénales engagées contre D.A.M. et B.P du chef de faux témoignage, considérant que les contradictions relevées dans leurs déclarations pouvaient s’expliquer par l’oubli de certains éléments factuels imputable au laps de temps qui s’était écoulé depuis les événements en question (paragraphe 3 ci‑dessus).

APPRÉCIATION DE LA COUR


9.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation. Sous l’angle, d’une part, des paragraphes 1 et 3 a) et b) de cette disposition, il allègue n’avoir pas été informé, au cours de la procédure d’appel, de la requalification en recel de biens des faits qui lui étaient reprochés et, partant, de n’avoir pas pu en débattre. Sur le terrain, d’autre part, des paragraphes 1 et 3 d) de la même disposition, il plaide que sa condamnation en appel a été fondée sur les mêmes preuves que celles qui avaient conduit à son acquittement en première instance. Il se plaint également de n’avoir pu remettre en cause la crédibilité et l’utilisation des déclarations des témoins B.P. et D.A.M., alors même que la juridiction d’appel avait décidé, en ce qui concerne ces témoins, de saisir le parquet du chef de faux témoignage.


10.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.


11.  Les principes applicables sont détaillés dans les arrêts Pélissier et Sassi c. France [GC] (no 25444/94, §§ 51-53, CEDH 1999‑II) et Pereira Cruz et autres c. Portugal (nos 56396/12 et 3 autres, §§ 196-199, 26 juin 2018).


12.  La Cour note que le requérant a été renvoyé en jugement pour soutien à des activités infractionnelles, chef dont il a été acquitté en première instance, et que ce n’est qu’en appel que la cour d’appel a requalifié les faits en recel de biens, infraction pour laquelle il a finalement été condamné. Les éléments du dossier n’indiquent pas que la cour d’appel ait informé le requérant de cette requalification, ni que l’intéressé ait pu présenter ses arguments sur ce point.


13.  À cet égard, le Gouvernement affirme que la requalification opérée par la cour d’appel était la conséquence d’une réinterprétation de la loi à la lumière du constat que le requérant avait agi en échange d’une somme d’argent dont il était convenu avec D.A.M. Or, il indique que, tant le réquisitoire que le jugement du tribunal de première instance, ont mentionné le fait que le requérant était soupçonné d’avoir reçu une somme d’argent en échange de l’aide apportée à D.A.M. Enfin, il soutient qu’en tout état de cause cette situation n’est pas assez grave pour emporter violation de l’article 6 de la Convention.


14.  Pour sa part, la Cour, notant que selon les déclarations des témoins résumées tant dans le réquisitoire que dans le jugement du tribunal de première instance, le requérant avait agi contre la promesse d’une certaine somme d’argent, elle relève toutefois que ni le parquet ni le tribunal de première instance n’ont considéré qu’il s’agissait là d’un élément factuel déterminant ni entendu à aucun moment examiner sur un autre terrain que celui de l’infraction de soutien à des activités infractionnelles les faits reprochés au requérant.


15.  Il ne peut être affirmé non plus que les faits pour lesquels le requérant a été condamné en appel aient été des éléments intrinsèques de l’accusation initiale (De Salvador Torres c. Espagne, 24 octobre 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Sadak et autres c. Turquie (no 1), nos 29900/96 et 3 autres, § 56, CEDH 2001-VIII, et Juha Nuutinen c. Finlande, no 45830/99, § 32, 24 avril 2007). À cet égard, l’argument du requérant selon lequel la requalification des faits n’était pas suffisamment prévisible pour lui revêt une importance certaine. En effet, à la différence du chef de soutien à des activités infractionnelles initialement retenu, le recel de biens impliquait de la part du requérant l’intention d’obtenir un gain matériel. Dans ces conditions, sans présumer du bien-fondé des moyens que celui-ci aurait pu avancer s’il avait disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense contre l’accusation de recel de biens, la Cour fait observer qu’ils auraient selon toute vraisemblance été différents de ceux qu’il avait choisis pour contester l’accusation initiale.


16.  Enfin, la Cour écarte l’argument que le Gouvernement tire de ce que la requalification des faits n’a pas modifié les limites de la peine encourue par le requérant. Elle ne saurait en effet spéculer sur l’issue que la procédure aurait connue si l’intéressé avait été informé de cette requalification.


17.  Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la Cour conclut que cette requalification a porté atteinte au droit du requérant à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ainsi que son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.


18.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention. Au vu de cette conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le volet du grief relatif à la condamnation du requérant sur la base des mêmes preuves que celles qui avaient initialement conduit à son acquittement.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


19.  Le requérant demande 7 000 euros (EUR) au titre du dommage qu’il dit avoir subi, sans préciser s’il s’agit d’un préjudice matériel ou moral.


20.  Le Gouvernement considère qu’un éventuel constat de violation de l’article 6 de la Convention constituerait en soi une réparation équitable satisfaisante. À titre subsidiaire, il estime que la somme demandée est excessive.


21.  La Cour octroie au requérant 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.


22.  En outre, elle rappelle que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de remédier à la violation constatée (voir, entre autres, Maestri et autres c. Italie, nos 20903/15 et 3 autres, § 72 in fine, 8 juillet 2021). À cet égard, elle note que l’article 465 du code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er février 2014, permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (Ovidiu Cristian Stoica c. Roumanie, no 55116/12, § 53, 24 avril 2018).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention à raison de la requalification par la cour d’appel des faits reprochés en recel de biens ;

3.      Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé du grief formulé sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention relativement à la condamnation du requérant sur la base des mêmes preuves que celles qui avaient initialement conduit à son acquittement ;

4.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, la somme de 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

Crina Kaufman                                                         Branko Lubarda
Greffière adjointe f.f.                                                          Président


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