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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YUKSEKDAG SENOGLU AND OTHERS v. TURKIYE - 14332/17 (Judgment : Preliminary objection dismissed : Second Section) French Text [2022] ECHR 940 (08 November 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/940.html Cite as: CE:ECHR:2022:1108JUD001433217, ECLI:CE:ECHR:2022:1108JUD001433217, [2022] ECHR 940 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE YÜKSEKDAĞ ŞENOĞLU ET AUTRES c. TÜRKİYE
(Requête n o 14332/17et 12 autres requêtes -
voir liste en annexe)
ARRÊT
Art 10 • Liberté d'expression • Poursuites pénales contre les requérants pour leurs activités politiques, sans examen des autorités nationales de savoir si leurs déclarations étaient protégées par l'irresponsabilité parlementaire en application de la Constitution • Législation pénale utilisée pour les incriminer n'offrant pas une protection adéquate contre les ingérences arbitraires des autorités nationales
Art 5 § 1 • Arrestation ou détention régulières • Interprétation et application du droit interne par les juridictions arbitraires, ou au moins manifestement déraisonnables
Art 5 § 3 • Caractère raisonnable de la détention provisoire Absence de raisons plausibles de les soupçonner d'avoir commis une infraction • Absence de motifs insuffisants
Art 5 § 4 • Garanties procédurales du contrôle • Impossibilité pour les requérants d'accéder au dossier d'enquête
Art 5 § 4 • Contrôle à bref délai de la légalité de la détention
Art 3 P1 • Libre expression de l'opinion du peuple • Requérants déchus de leur mandat parlementaire en raison de leur condamnation définitive
Art 18 (+ Art 5) • Détentions provisoires des requérants poursuivant le but inavoué d'étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique
Art 34 • Entraver l'exercice du droit de recours • Enquêtes à l'encontre des avocats de certains requérants sans lien avec leur requête devant la Cour européenne
STRASBOURG
8 novembre 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Yüksekdağ Şenoğlu et autres c. Türkiye,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Jon Fridrik Kjølbro , président,
Carlo Ranzoni ,
Egidijus Kūris ,
Pauliine Koskelo ,
Jovan Ilievski ,
Saadet Yüksel ,
Diana Sârcu , juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section ,
Vu les requêtes dirigées contre la République de Türkiye et dont treize ressortissants de cet État (« les requérants »), dont la liste figure en annexe, ont saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 5, 10 et 18 de la Convention ainsi que de l'article 3 du Protocole n o 1 à la Convention et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,
Vu les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,
Vu les observations de la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (« la Commissaire aux droits de l'homme »), qui a exercé son droit de prendre part à la procédure et a présenté des observations écrites (article 36 § 3 de la Convention et article 44 § 2 du règlement de la Cour),
Vu les observations présentées par l'Union Interparlementaire (« l'UIP ») ainsi que par les organisations non gouvernementales ARTICLE 19 et Human Rights Watch, lesquelles ont agi conjointement (« les organisations non gouvernementales intervenantes »), que le président de la Section avait autorisées à intervenir en vertu de l'article 36 § 2 de la Convention et de l'article 44 § 3 du règlement de la Cour,
Vu les observations reçues de la Commission internationale des juristes (« l'ICJ »), que le président de la section avait autorisée à se porter tierce intervenante dans le cadre de la requête n o 68853/17 ;
Vu les observations reçues de l'association İfade Özgürlüğü Derneği (Association pour la liberté d'expression (İFÖD)), que le président de la section avait autorisée à se porter tierce intervenante dans le cadre de la requête n o 54469/18 ;
Vu les commentaires en réponse du Gouvernement aux observations des parties intervenantes,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 septembre 2022,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1.
Les présentes requêtes concernent plus particulièrement les détentions provisoires subies par les requérants lors de leurs mandats parlementaires, prétendument en raison de leurs discours politiques.
EN FAIT
2.
Les requérants sont représentés par différents avocats, dont les coordonnées figurent en annexe.
3.
Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l'homme au Ministère de la Justice de Türkiye.
4.
À l'époque des faits, la requérante de la première requête était l'une des coprésidents du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti politique pro
-
kurde de gauche. À l'issue du scrutin législatif du 1
er
novembre 2015, les requérants furent élus députés à la Grande Assemblée Nationale de Türkiye («
Assemblée nationale
»), dans les rangs du HDP.
5.
En septembre et en octobre 2014, des membres de l'organisation terroriste armée Daech (État islamique en Irak et au Levant) lancèrent une offensive sur la ville syrienne de Kobané qui se trouve à environ 15
kilomètres de la ville frontalière turque de Suruç. Des affrontements armés eurent lieu entre les forces de Daech et celles des Unités de protection du peuple (YPG), une organisation fondée en Syrie et considérée comme terroriste par la Türkiye en raison des liens qu'elle entretiendrait avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale armée).
6.
À partir du 2 octobre 2014, de nombreuses manifestations eurent lieu en Türkiye et plusieurs organisations non gouvernementales publièrent des déclarations appelant à la solidarité internationale avec Kobané contre le siège de Daech. Le 6 octobre 2014, trois tweets, appelant à protester contre les attaques de Daesh à Kobané et contre les politiques du gouvernement turc, furent publiés sur le compte Twitter officiel du HDP (@HDPgenelmerkezi).
7.
À partir du 6 octobre 2014, les manifestations devinrent violentes, faisant 50 morts et des centaines de blessés. Pour des informations plus détaillées concernant les événements des 6-8 octobre 2014 et les tweets publiés sur le compte Twitter du HDP, voir
Selahattin Demirtaş c.
Turquie (n
o
2)
([GC], n
o
14305/17, §§ 17-27, 22 décembre 2020).
9 . Le 20 mai 2016, l'Assemblée nationale adopta une modification constitutionnelle consistant en l'ajout d'un article provisoire à la Constitution de 1982. Selon cette modification, l'immunité parlementaire, telle que prévue par le second paragraphe de l'article 83 de la Constitution, était levée dans tous les cas de demandes de levée d'immunité transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de ladite modification. Pour des informations plus détaillées concernant la révision constitutionnelle du 20 mai 2016, voir les arrêts Selahattin Demirtaş (n o 2) (précité, §§ 55-61) et Kerestecioğlu Demir c. Turquie (n o 68136/16, §§ 4 - 16, 4 mai 2021).
10.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de huit rapports d'enquête (
fezleke
), dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
11.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire (paragraphe 9 ci-dessus), les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Diyarbakır.
12.
Le 6 septembre 2016 et le 6 octobre 2016, les procureurs de la République compétents adressèrent à la requérante deux convocations distinctes qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête. L'autre coprésident du HDP, M. Selahattin Demirtaş, avait en effet déclaré, lors d'un discours prononcé en avril 2016 pendant la réunion de groupe parlementaire de son parti politique, qu'aucun député du HDP ne fournirait de déposition de son propre gré.
13 . Le 8 octobre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), le juge de paix de Diyarbakır ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats. Par une décision du 19 décembre 2016, le juge de paix de Diyarbakır rejeta le recours tendant à la levée de la mesure de restriction d'accès au dossier d'enquête présenté par la requérante.
14.
Le 3 novembre 2016, à la demande du procureur de la République de Diyarbakır, le juge de paix de Diyarbakır ordonna la perquisition du domicile de la requérante.
15.
Le 4 novembre 2016, sur l'ordre du procureur de la République de Diyarbakır, la requérante fut arrêtée et placée en garde à vue.
16 . Le même jour, la requérante, qui était assistée par trois avocats, comparut devant le parquet de Diyarbakır. Elle y précisa qu'elle était une députée et la coprésidente du troisième plus grand parti politique au sein de l'Assemblée nationale et que l'opération menée en l'occurrence était organisée par le pouvoir politique, qui utilisait, selon elle, le pouvoir judiciaire comme un outil. Elle ajouta qu'en tant que députée, elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre elle car elle considérait qu'il s'agissait en l'occurrence d'une comédie de justice, organisée par le président de la République.
17 . À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Diyarbakır demanda au 2 e juge de paix de Diyarbakır de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article 314 § 1 du code pénal (CP)) et pour incitation publique à commettre une infraction (article 214 § 1 du CP).
18 . Le même jour, la requérante fut traduite devant le juge de paix de Diyarbakır. Elle y répéta d'abord le contenu de sa déposition faite devant le parquet. Elle argua ensuite que la véritable raison de l'enquête menée contre elle et contre les autres responsables de son parti politique était les instructions du pouvoir politique. Elle considérait qu'elle se trouvait devant le juge car elle avait exprimé ses opinions et que le pouvoir politique le demandait. Elle ajouta qu'elle savait, même avant son arrestation, qu'elle allait être mise en détention provisoire. Elle nia avoir commis une quelconque infraction et déclara notamment qu'elle était contre l'utilisation de la violence. Les avocats de la requérante, précisant que leur cliente était une députée et la coprésidente du deuxième plus grand parti politique d'opposition, soutinrent qu'il n'y avait aucune raison de placer la requérante en détention provisoire.
19 . Après avoir entendu les avocats de la requérante, le juge de paix de Diyarbakır ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressée. Dans la motivation de sa décision, il considéra que, le 6 octobre 2014, trois tweets avaient été publiés au nom du comité exécutif du HDP, dont la requérante était membre et coprésidente, appelant les gens à sortir dans la rue. Il nota que, au cours des événements ayant eu lieu du 6 au 8 octobre 2014, les sympathisants du PKK avaient commis plusieurs infractions et ils avaient notamment causé la mort de 50 personnes, blessé 678 autres et endommagé 1 113 bâtiments. Selon lui, les tweets envoyés par le parti en question démontraient l'existence d'un fort soupçon pesant sur la requérante : celle-ci aurait commis l'infraction d'incitation à commettre une infraction en raison de sa fonction au sein du HDP. Ensuite, il indiqua que la requérante avait tenu plusieurs discours, notamment dans le cadre des activités du Congrès de la société démocratique, une organisation qui mène ses activités, selon le juge, conformément à la Convention du KCK ( Koma Civakên Kurdistan - « Union des communautés du Kurdistan », considérée par la Cour de cassation comme une organisation terroriste et comme la « branche urbaine » du PKK). D'après le juge, dans ces discours, elle avait démontré son soutien, direct ou indirect, aux actes prétendument commis par les membres du PKK et qu'elle avait notamment qualifié certaines personnes tuées lors des opérations menées par les forces de sécurité de « nos martyrs ». Il estima que ces données étaient suffisantes pour démontrer l'existence de forts soupçons pesant sur la requérante selon lesquels l'intéressée avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. La décision ne mentionnait pas les discours en question. Le juge de paix constata ensuite que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait levé l'immunité parlementaire de la requérante pour les infractions en cause. Par la suite, il ordonna le placement en détention provisoire de la requérante eu égard à la nature des infractions en cause ; à l'état des preuves ; à la lourdeur des peines prévues par la loi pour les infractions concernées ; au fait que les infractions en cause figuraient parmi les infractions énumérées à l'article 100 § 3 a) du CPP, à savoir les infractions dites « cataloguées », pour lesquelles, en cas de fortes présomptions, la détention provisoire de la personne soupçonnée était réputée justifiée ; au fait que la mesure de détention était proportionnée par rapport à la peine potentielle et que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes.
20.
Le 8 novembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
21.
Par une décision du 11 novembre 2016, le juge de paix de Diyarbakır rejeta ce recours.
22 . Le 15 janvier 2017, le procureur de la République de Diyarbakır déposa devant la cour d'assises de Diyarbakır un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'avoir constitué ou dirigé une organisation terroriste armée (article 314 § 1 du CP), d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste (à sept reprises - article 7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme), d'avoir incité publiquement à la commission d'une infraction (article 214 § 1 du CP), d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité (à deux reprises - article 216 § 1 du CP), et de n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité (article 32 § 1 de la loi n o 2911 relative au déroulement des réunions et manifestations (« la loi n o 2911 »)).
23.
Le procureur de la République de
Diyarbakır
soutenait qu'à la suite des proclamations d'auto-gouvernance et des opérations menées par les forces de sécurité, la requérante aurait déclaré, à plusieurs occasions, que les opérations en question étaient menées par «
l'occupant
» (
işgalci
) et que certaines demandes des personnes à l'encontre desquelles les opérations étaient organisées, que le parquet qualifiait d'être des «
terroristes
», étaient également leurs demandes. Selon lui, ces propos constituaient l'infraction de l'incitation de la population à la haine et à l'hostilité. En outre, il estimait que plusieurs discours de la requérante constituaient de la propagande en faveur d'une organisation terroriste. Le procureur de la République affirmait que les activités, en apparence à caractère politique de la requérante, ne pouvaient pas être considérées comme des activités politiques
stricto sensu
et qu'elles démontraient que la requérante faisait partie de la hiérarchie d'une organisation terroriste armée. En outre, il soulignait que la requérante aurait qualifié d'actes de résistance certains actes attribués à des membres du PKK et qu'elle aurait indiqué que certaines des personnes tuées par les forces de sécurité étaient des «
martyrs
». Elle aurait également dit qu'Abdullah Öcalan -
le dirigeant du PKK qui avait été condamné en 1999 pour avoir mené des actions visant à la sécession d'une partie du territoire de la Türkiye et pour avoir formé et dirigé dans ce but une organisation terroriste - était un leader du peuple kurde. Selon le procureur de la République, dans ces propos, la requérante glorifiait le terrorisme et elle faisait la propagande d'une organisation terroriste. De plus, la requérante aurait participé aux activités du Congrès de la société démocratique et elle y aurait tenu un discours par lequel elle appelait le peuple à la résistance. De même, lors d'une émission de télévision diffusée sur Özgür Gün TV le 23 octobre 2015, la requérante aurait déclaré qu'ils comptaient sur PYD (le parti de l'Union démocratique), YPG (les Unités de protection du peuple) et YPJ (Unités de protection de la femme). Ces discours démontraient, selon le parquet, que la requérante avait commis l'infraction d'être dirigeante d'une organisation terroriste. Aux yeux du parquet, les discours de la requérante légitimaient le terrorisme et ses méthodes violentes. En outre, rappelant les tweets publiés par le HDP le 6
octobre 2014, le procureur de la République soutenait que la requérante aurait provoqué les actes de violence survenus du 6 au 8 octobre 2014 et qu'elle aurait incité le peuple à l'insurrection armée.
24.
Le 1
er
février 2017, la cour d'assises de Diyarbakır admit l'acte d'accusation du procureur de la République. Le même jour, elle rendit une ordonnance d'incompétence et renvoya l'affaire devant la cour d'assises d'Ankara.
25.
Le 21 février 2017, la requérante fut déchue de son mandat parlementaire en raison de sa condamnation définitive pour propagande d'une organisation terroriste prononcée lors d'une autre procédure pénale engagée devant la cour d'assises d'Adana.
26.
À une date non précisée, la cour d'assises d'Ankara rendit également une ordonnance d'incompétence et renvoya l'affaire à la Cour de cassation pour que cette dernière décide sur la question de compétence.
27.
Par une décision du 11 avril 2017, la Cour de cassation, jugeant que les tribunaux d'Ankara étaient compétents, transféra l'affaire à la cour d'assises d'Ankara.
28.
Le 4 juillet 2017, la 16
ème
cour d'assises d'Ankara tint sa première audience dans l'affaire.
29.
Durant le procès pénal, la requérante, soutenant qu'elle avait été mise en détention pour avoir exprimé des opinions critiques envers le pouvoir politique, nia avoir commis une quelconque infraction pénale. Elle affirma que son placement et son maintien en détention provisoire n'étaient pas conformes à la loi. Elle allégua en particulier que cette privation de liberté avait pour but de faire taire les membres de l'opposition politique.
30.
Le 27 juillet 2017, la requérante commença à purger sa peine d'emprisonnement de 3 ans et 15 jours, devenue définitive à la suite d'une autre série de procédures pénales engagées à son encontre. Le 3 mai 2018, les avocats de l'intéressée saisirent la cour d'assises de Mardin d'une demande tendant à ce que les jours qu'elle avait passés en détention provisoire dans le cadre de la procédure pénale menée devant la cour d'assises d'Ankara fussent déduits de la peine définitive prononcée à l'issue de la procédure pénale menée devant la cour d'assises de Mardin. Le 28 novembre 2018, la cour d'assises de Mardin accueillit cette demande.
31.
Le 4 janvier 2018, à l'issue d'une autre procédure pénale, la cour d'assises de Diyarbakır condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de 13 ans, 17 mois et 10 jours pour
: i) avoir participé à des réunions illégales et ne pas s'être dispersée malgré les avertissements
; ii)
propagande d'une organisation terroriste
; et iii) appartenance à une telle organisation.
32.
Le 20 septembre 2019, nonobstant la procédure pénale pendante devant la cour d'assises d'Ankara, le procureur de la République d'Ankara demanda au juge de paix d'Ankara de placer la requérante et M.
Selahattin Demirtaş (l'ancien coprésident du HDP) en détention provisoire, dans le cadre d'une autre enquête pénale entamée en 2014 (n
o
2014/146757) sur les événements des 6-8 octobre 2014, pour les infractions suivantes
:
- atteinte à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'État ;
- incitation au meurtre afin de dissimuler un crime ou les preuves d'un autre crime ou pour éviter l'arrestation ;
- incitation, avec plus d'une personne, au vol avec violence durant la nuit afin d'aider une organisation criminelle ;
- incitation à priver une personne de sa liberté par la menace, la violence et la ruse ; et
- incitation à la tentative de meurtre afin de dissimuler un crime ou les preuves d'un autre crime ou pour éviter l'arrestation.
33.
Le 20 septembre 2019, sur le fondement de l'article 100 du CPP, le 1
er
juge de paix d'Ankara ordonna la mise en détention provisoire de la requérante et de M. Selahattin Demirtaş, eu égard aux éléments suivants
:
- la nature des infractions qui leur étaient reprochées ;
- l'existence d'éléments de preuve permettant de soupçonner fortement les intéressés d'avoir commis les infractions en cause ;
- la lourdeur des peines prévues par la loi pour les infractions concernées ;
- l'existence des conditions permettant de placer les intéressés en détention provisoire au regard de l'article 19 de la Constitution et de l'article 5 de la Convention ; et
- le fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes.
34.
À la suite de cette nouvelle détention provisoire de la requérante, le 21
septembre 2019, le président de la République fit cette déclaration à la presse
:
« Si l'on cherche un tueur dans ce pays, il est inutile de chercher son adresse. Ils se sont infiltrés jusqu'au Parlement. Cette nation n'oublie pas et n'oubliera pas ceux qui ont appelé les gens à descendre dans la rue et qui ont ensuite tué nos cinquante-trois enfants à Diyarbakır. Nous suivons cette affaire et nous la suivrons jusqu'au bout. On ne peut pas les [la requérante et Selahattin Demirtaş] relâcher. Si nous [les] relâchons, nos martyrs nous demanderont des comptes au royaume éternel. Ces terres ne sont pas n'importe quelles terres » (« Bu ülkede katil aranıyorsa bunların adresini aramaya gerek yok. Bunlar, parlamentoya kadar sızmışlar. Sokağa insanları çağırıp ondan sonra Diyarbakır'da 53 evladımızı öldürenleri bu millet unutmuyor ve unutmayacaktır da. Sonuna kadar bu işin takipçisiyiz, takipçisi olacağız. Bunları bırakamayız. Eğer biz bırakırsak ebedi alemde şehitlerimiz bize bunun hesabını sorar. Bu topraklar rastgele topraklar değil »).
35.
Par un acte d'accusation du 30 décembre 2020, le procureur de la République d'Ankara déposa devant la cour d'assises d'Ankara un acte d'accusation contre 108 personnes, dont la requérante, d'une longueur de 3
530
pages sans les annexes. Selon le procureur de la République, les accusés, y compris les coprésidents et les dirigeants du HDP, étaient responsables de toutes les infractions commises au cours des événements des 6-8
octobre 2014 en raison notamment des tweets publiés sur le compte Twitter du HDP. Il requit la condamnation des intéressés à la réclusion à perpétuité aggravée (38 fois) pour les infractions suivantes
: i) atteinte à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'État
; ii) tentative de meurtre (31 fois)
; iii)
meurtre (37 fois)
; iv) commettre un vol pendant la nuit (272 fois)
; v)
commettre un vol qualifié (114 fois)
; vi) commettre un vol à main armée (20
fois)
; vii) commettre un vol à main armée pendant la nuit (26 fois)
; viii)
priver une autre personne de sa liberté (38 fois)
; ix) tentative de priver une autre personne de sa liberté (2 fois)
; x) endommager la propriété (1750
fois)
; xi) mettre le feu à la propriété (397 fois)
; xii) endommager la propriété publique (1060 fois)
; xiii) mettre le feu à la propriété publique (503
fois)
; xiv) violer le lieu de travail personnel (53 fois)
; xv) violer le lieu de travail personnel pendant la nuit (294 fois)
; xvi) blessure simple (5
fois)
; xvii)
blessure simple à main armée (43 fois)
; xviii) blessure simple à main armée d'un fonctionnaire (264 fois)
; xix) blessure simple d'un fonctionnaire (7
fois)
; xx)
blessure de manière aggravée (1 fois)
; xxi) blessure aggravée d'un fonctionnaire (1 fois)
; xxii) blessure aggravée à main armée d'un fonctionnaire (1 fois)
; xxiii) blessure délibérée à main armée (78 fois)
; xxiv)
blessure avec une arme d'un fonctionnaire (51 fois)
; xxv) atteinte à la liberté du travail (3 fois)
; xxvi) endommager des lieux de culte (4
fois)
; xxvii)
provoquer une fausse couche (1 fois)
; xxviii) brûler le drapeau turc (24
fois).
36.
Le 7 janvier 2021, la 22
ème
cour d'assises d'Ankara accepta l'acte d'accusation.
37.
Le 24 février 2021, la 16
ème
cour d'assises d'Ankara décida qu'il y avait des liens factuels et juridiques entre les deux procès et transféra l'affaire devant la 22
ème
cour d'assises d'Ankara.
38.
La procédure pénale est actuellement pendante devant cette instance.
39.
Au cours des mandats parlementaires du requérant, les parquets compétents établirent contre lui un total de sept rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé.
40.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, six enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre du requérant furent réunies par le procureur de la République de Bingöl.
41.
Le 19 octobre 2016, le procureur de la République compétent adressa au requérant une convocation qui l'invitait à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre lui. Toutefois, celui-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
42.
Le 1
er
novembre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), le juge de paix de Bingöl ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers le requérant et ses avocats.
43.
Le 3 novembre 2016, à la demande du procureur de la République de Bingöl, le juge de paix de Diyarbakır ordonna la perquisition du domicile du requérant.
44.
Le 4 novembre 2016, sur l'ordre du procureur de la République de Bingöl, le requérant fut arrêté à Ankara. Il fut par la suite transféré d'abord à Diyarbakır et puis à Bingöl où il fut placé en garde à vue.
45.
Le même jour, le requérant, qui était assistée par trois avocats, comparut devant le parquet de Diyarbakır. Il refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre lui étant donné qu'il considérait qu'il s'agissait en l'occurrence d'une procédure illégale organisée par le président de la République et l'AKP (Parti du développement et de la justice). Selon lui, sa privation de liberté était une action contre la volonté du peuple qui l'avait élu à l'Assemblée nationale.
46.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Bingöl demanda au juge de paix de Bingöl de placer le requérant en détention provisoire pour atteinte à l'unité de l'État et à l'intégrité du pays, appartenance à une organisation terroriste et propagande en faveur d'une organisation terroriste.
47.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge de paix de Bingöl. Il déclara qu'il répétait le contenu de sa déposition faite devant le parquet. Les avocats du requérant, précisant que leur client était un député du deuxième plus grand parti politique d'opposition, soutinrent que les accusations contre leur client ne concernaient que les activités politiques de celui-ci. Ils précisèrent notamment que tous les propos reprochés au requérant étaient des propos que l'intéressé avait tenus dans le cadre de ses travaux à l'Assemblée nationale. Selon eux, le requérant était protégé tant par son immunité parlementaire que par sa liberté d'expression.
48.
Après avoir entendu les avocats du requérant, le juge de paix de Bingöl ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé eu égard à l'existence de forts soupçons pesant sur le requérant selon lesquels l'intéressé avait commis les infractions suivantes
: l'atteinte à l'unité de l'État et à l'intégrité du pays, l'appartenance à une organisation terroriste et la propagande en faveur d'une organisation terroriste
; au fait que les preuves à charge n'avaient pas été recueillies
; à la lourdeur des peines prévues par la loi pour les infractions concernées
; au risque de fuite
; au fait qu'il existait des éléments factuels qu'il pourrait prendre la fuite
; au fait que les infractions en cause figuraient parmi les infractions cataloguées
; au fait que la mesure de détention était proportionnée et que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes. La décision ne mentionnait ni les preuves contre le requérant, ni les éléments factuels démontrant un quelconque risque de fuite.
49.
Le 9 novembre 2016, le requérant forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
50.
Par une décision du 17 novembre 2016, le juge de paix de Muş, considérant qu'il y avait une procédure pénale pendante contre le requérant, estima qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur le recours formé par l'intéressé.
51.
Le 18 novembre 2016, le procureur de la République de
Bingöl
déposa devant la cour d'assises de Bingöl un acte d'accusation contre le requérant. Il reprochait à l'intéressé d'être membre d'une organisation terroriste armée (article
314 § 2 du CP), d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste (à neuf reprises - article 7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme), de n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité (à neuf reprises - article
32 § 1 de la loi n
o
2911), et d'avoir porté atteinte à l'unité de l'État et à l'intégrité du pays (article 302 du CP).
52.
Le procureur de la République de
Bingöl
soutenait qu'il ressortait de plusieurs discours tenus par le requérant et des réunions auxquelles il avait participé entre le 14 juillet 2011 et le 26 février 2016 qu'il était membre de l'organisation terroriste PKK et du Congrès de la société démocratique, lequel avait déclaré l'auto-gouvernance, et qu'il avait, en raison de ses discours, porté atteinte à l'unité de l'État et à l'intégrité du pays. Par ailleurs, le parquet soutenait que dans ses discours, le requérant avait fait éloge des méthodes violentes de l'organisation terroriste en question et qu'il avait fait la propagande de celle-ci. Selon lui, le requérant avait fait des déclarations à la presse et participé à certaines manifestations conformément aux instructions des responsables du PKK et KCK. A l'appui de ses allégations, le parquet citait une série de dix événements, durant lesquels le requérant avait partagé ses considérations notamment concernant l'histoire de la question kurde, ainsi que le «
processus de résolution
». Il y avait également critiqué les politiques du gouvernement en place en Türkiye, qui, selon le requérant, menait une politique de «
guerre sale
» et qui avait commis des massacres contre le peuple kurde. Il saluait dans plusieurs discours les «
martyrs
» du peuple kurde, les guérillas tués prétendument par les forces de sécurité, et Abdullah Öcalan. Selon le requérant, le pouvoir politique n'avait qu'à négocier pour une paix durable avec M. Öcalan. Le parquet précisait également que dans plusieurs réunions, les participants avaient scandé des slogans en faveur de l'organisation terroriste PKK.
53.
Le 21 novembre 2016, la cour d'assises de Bingöl ordonna le maintien en détention provisoire du requérant. À une date non-précisée, le requérant forma un recours contre cette décision, lequel fut rejeté par la cour d'assises de Bingöl le 1
er
décembre 2016.
54.
Le même jour, la cour d'assises de Bingöl décida de joindre trois autres procédures pénales menées contre le requérant avec ce procès. Ces actions pénales concernaient i) un discours tenu par le requérant à Bingöl lors de la fête de Newroz du 21 mars 2012, ii) une déclaration à la presse tenue par le requérant à Bingöl dans les locaux de son parti politique le 27
août 2012, et iii) un tweet publié par le requérant sur une attaque violente contre les locaux de son parti politique survenue le 14 juin 2014. Dans ce tweet, le requérant avait déclaré que deux personnes, à savoir B.K. et H.A., étaient responsable de cette attaque commise sous la surveillance de la police. Selon lui, B.K. et H.A. étaient des membres des forces de sécurité.
55.
Toujours le même jour, la cour d'assises de Bingöl rendit une ordonnance d'incompétence et transféra la procédure pénale devant la cour d'assises de Diyarbakır.
56.
Le 30 janvier 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Le requérant nia toutes les accusations à son encontre. Il déclara que toutes ses activités politiques étaient destinées à la contribution à la paix et à trouver une solution à la question kurde. Il indiqua également qu'il était un des membres des délégations lors du «
processus de résolution
» et qu'il avait pour but principal de trouver une solution pacifique à la question kurde en vue de réaliser une vie commune et pacifique au sein de la République de Türkiye. Selon lui, il n'y avait rien dans ses discours qui impliquait la commission d'une infraction liée au terrorisme.
57.
À l'issue de l'audience, la cour d'assises de Diyarbakır ordonna la remise en liberté du requérant eu égard au fait qu'il avait terminé sa défense, au fait qu'il n'y avait aucun risque d'altération des preuves, au vu de la qualité de député du requérant et conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans ce domaine.
58.
À une date inconnue, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre la décision de remise en liberté du requérant. Par une décision du 15 février 2017, la cour d'assises de Diyarbakır accepta la demande du parquet et rendit un mandat d'arrêt contre le requérant.
59.
Le 21 février 2017, le requérant fut de nouveau placé en garde à vue à Ankara. Le même jour, il fut traduit au palais de justice d'Ankara où la cour d'assises de Diyarbakır l'interrogea via le système informatique audiovisuel «
SEGBİS
» (
Ses ve Görüntü Bilişim Sistemi
). À l'issue de l'audience
audio-visuelle, le requérant fut placé en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste.
60.
Le 4 janvier 2018, la cour d'assises de Diyarbakır condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de 15 ans, 18 mois et 60 jours pour appartenance à une organisation terroriste, propagande d'une organisation terroriste (à quatre reprises) et n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité (à quatre reprises).
61.
Le 23 mai 2018, la cour d'appel de Gaziantep confirma la condamnation du requérant. Par cet arrêt, les peines d'emprisonnement prononcées à l'encontre du requérant en raison des infractions de propagande d'une organisation terroriste et de n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité devinrent définitives.
62.
À une date non-précisée, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation contre cet arrêt.
63.
Par un arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant. S'agissant d'abord de la condamnation de l'intéressé pour les infractions de propagande d'une organisation terroriste et de n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité, la haute juridiction constata qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'un pourvoi dans la mesure où le requérant avait été condamné, pour chacun des chefs d'accusation, à une peine d'emprisonnement inférieure à cinq ans. Ensuite, elle examina la condamnation du requérant du chef d'accusation d'appartenance à une organisation terroriste armée. Dans ce contexte, elle constata que le requérant avait participé aux activités du Congrès de la société démocratique qui avait déclaré, le 14 juillet 2011, l'autonomie. Elle indiqua également qu'il avait participé à plusieurs réunions et funérailles entre 2011 et 2016 dans lesquelles certaines personnes avaient fait la propagande de l'organisation terroriste PKK. En outre, la Cour de cassation souligna que le requérant avait participé à plusieurs manifestations organisées de manière contraire à la loi n
o
2911. En conséquence, elle confirma la condamnation du requérant pour appartenance à une organisation terroriste armée.
64.
Le 24 octobre 2019, la loi n
o
7188 modifiant certaines dispositions du CPP fut publiée au Journal officiel. En son article 29, elle prévoyait un droit de pourvoi en cassation pour plusieurs infractions liées à la liberté d'expression. Concernant les condamnations qui étaient déjà définitives, la loi prévoyait la possibilité de former un pourvoi dans un délai de quinze jours à partir de l'entrée en vigueur de celle-ci.
65.
Le 25 octobre 2019, le requérant forma un pourvoi et demanda le sursis de l'exécution de la peine prononcée à son encontre et sa remise en liberté.
66.
Le 28 octobre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır sursit à l'exécution de la peine d'emprisonnement qui avait été prononcée pour propagande d'une organisation terroriste et pour n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité et elle ordonna la remise en liberté de l'intéressé à condition qu'il ne fût pas détenu dans le cadre d'une autre procédure.
67.
Le 31 octobre 2019, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre la décision du 28 octobre 2019 et demanda que le requérant soit maintenu en détention pour chacun des chefs d'accusation.
68.
Par une décision du 7 novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır, rappelant que le requérant était actuellement condamné pour appartenance à une organisation terroriste et qu'il purgeait sa peine d'emprisonnement, accueillit la demande du procureur de la République et ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressé pour propagande d'une organisation terroriste (à quatre reprises) et n'avoir pas obtempéré à l'ordre de dispersion d'une manifestation illégale émis par les forces de sécurité (à quatre reprises).
69.
Le 8 novembre 2019, le requérant forma un recours contre cette décision.
70.
Par une décision du 30 janvier 2020, la cour d'assises de Diyarbakır rejeta le recours formé par l'intéressé.
71.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en octobre 2021 que la procédure pénale engagée contre le requérant est toujours pendante devant la Cour de cassation.
72.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de huit rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée. La présente requête concerne uniquement une de ces huit enquêtes pénales. Les parties ne fournirent aucune information sur l'issue des autres enquêtes menées contre la requérante.
73.
Le 12 août 2016, le procureur de la République de Batman adressa à la requérante une convocation qui l'invitait à faire une déposition dans le cadre de l'enquête pénale menée contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
74.
Le 12 décembre 2016, à la demande du procureur de la République de Batman, le juge de paix de Batman ordonna la perquisition du domicile de la requérante.
75.
Le 12 décembre 2016, sur l'ordre du procureur de la République de Batman, la requérante fut arrêtée et placée en garde à vue.
76.
Le même jour, la requérante, qui était assistée par trois avocats, comparut devant le parquet de Batman. Elle y précisa qu'elle était une députée du troisième plus grand parti politique au sein de l'Assemblée nationale qui bénéficiait de l'immunité parlementaire. Niant qu'elle avait commis une quelconque infraction pénale, la requérante argua que la véritable raison de son placement en garde à vue n'était pas juridique, mais qu'elle était politique. Selon elle, les magistrats impliqués dans les opérations contre elle étaient contrôlés par le palais présidentiel. Elle ajouta par ailleurs qu'elle n'allait pas se défendre. Les avocats de l'intéressée indiquèrent que leur cliente était une députée et qu'elle était protégée par l'immunité parlementaire. Selon eux, sa privation de liberté était contraire à la loi et à la procédure. Ils demandèrent sa remise en liberté.
77 . À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Batman demanda au juge de paix de Batman de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article 314 § 1 du CP). Le procureur de la République indiqua que le 16 mars 2016, la requérante avait participé à la cérémonie d'enterrement de C.T., une personne prétendument membre du PKK et du KCK, et tuée par les forces de sécurité. Dans cette cérémonie, elle avait prononcé ce qui suit : « La mère de C., le père, la famille de C. et les gens de Batman, je vous suis reconnaissante de votre présence ici, nous garderons notre martyr vivant et nous marcherons sur son chemin ». Selon le procureur de la République, ces propos étaient l'éloge d'un membre d'une organisation terroriste armée reconnue par les institutions internationales et constituait la propagande de celle-ci. En outre, il argua que la requérante avait, par le même discours, commis une infraction au nom de l'organisation terroriste sans être un membre de celle-ci.
78.
Le 13 décembre 2016, la requérante fut traduite devant le juge de paix de Batman, qui ordonna la remise en liberté de l'intéressée eu égard à l'état des preuves
; au fait que la classification de l'infraction pénale reprochée pouvait changer
; au fait que les preuves étaient, dans une large mesure, recueillies
; et au fait que la mesure de détention serait lourde. Il imposa en revanche une interdiction de sortie du territoire national.
79.
Le même jour, le procureur de la République de Batman forma une opposition contre cette décision.
80.
Le même jour, le juge de paix de Batman donna gain de cause au procureur de la République et rendit un mandat d'arrêt contre la requérante.
81.
Toujours le même jour, la requérante fut de nouveau arrêtée. Elle fut traduite au palais de justice de Diyarbakır où le juge de paix de Batman l'interrogea via le SEGBİS. La requérante répéta le contenu de sa déposition faite devant le procureur de la République. À l'issue de l'audience audio-visuelle, le juge de paix de Batman rendit deux ordonnances relatives à la détention provisoire de la requérante
: la première pour appartenance à une organisation terroriste et la deuxième pour propagande d'une organisation terroriste, eu égard à l'existence de preuves solides démontrant de forts soupçons selon lesquels la requérante aurait commis les infractions en cause
; à la lourdeur des peines prévues par la loi pour les infractions concernées
; à l'importance de l'affaire
; au fait que la mesure de détention était proportionnée par rapport à la peine potentielle
; à l'existence de forts soupçons quant au risque de fuite et d'altération des preuves
; au fait que l'infraction en cause figurait parmi les infractions énumérées à l'article
100 §
3 du CPP
; au fait qu'il n'était pas certain que la requérante se conformerait aux termes d'une mesure alternative à la détention et qu'une telle mesure était, en conséquence, insuffisante. La décision mentionnait deux écrits du 16
mars 2016 (le jour de la cérémonie d'enterrement de C.T.) et du 13
décembre 2016 préparés par les forces de sécurité, lesquels, selon le juge de paix, démontraient les forts soupçons à l'encontre de la requérante, sans mentionner le contenu de ceux-ci.
82.
Le 13 décembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
83.
Par une décision du 5 janvier 2017, le juge de paix de Diyarbakır rejeta ce recours.
84.
Le 20 janvier 2017, le procureur de la République de
Batman
déposa devant la cour d'assises de Batman un acte d'accusation contre la requérante. Il requit la condamnation de l'intéressée pour avoir commis une infraction au nom d'une organisation terroriste armée sans être membre de celle-ci (article
220 § 6 du CP) et d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste (article 7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme). Selon lui, le fait que la requérant avait tenu le discours cité au paragraphe 77 démontrait qu'elle avait commis les infractions en cause.
85.
Le 30 janvier 2017, la cour d'assises de Batman admit l'acte d'accusation du procureur de la République.
86.
Le 3 mai 2017, la cour d'assises de Batman ordonna la remise en liberté de la requérante.
87.
Le 4 mai 2017, le procureur de la République de Batman forma une opposition contre la remise en liberté de l'intéressée et demanda son replacement en détention provisoire.
88.
Le 8 mai 2017, la cour d'assises de Batman donna gain de cause au procureur de la République et rendit un mandat d'arrêt contre la requérante.
89.
Le 29 mai 2017, la requérante fut remise en détention provisoire par la cour d'assises de Batman.
90.
Le 31 mai 2017, la cour d'assises de Batman condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de deux ans et six mois pour propagande d'une organisation terroriste en raison de son discours tenu lors de la cérémonie d'enterrement du 16 mars 2016. Par le même jugement, la requérante fut acquittée du chef d'accusation relatif à l'article 220 § 6 du CP.
91.
À une date inconnue, la requérante fit appel contre la partie du jugement du 31 mai 2017 relative à sa condamnation.
92.
Par un arrêt du 4 juillet 2017, la cour d'appel de Gaziantep confirma la condamnation de la requérante.
93.
Le 28 juillet 2017, la requérante fut remise en liberté.
94.
Le 3 octobre 2017, la requérante fut déchue de son mandat parlementaire en raison de sa condamnation définitive pour propagande d'une organisation terroriste.
95.
Au cours des mandats parlementaires du requérant, les parquets compétents établirent contre lui un total de sept rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé.
96.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre du requérant furent réunies par le procureur de la République de Hakkari.
97.
Le 20 juillet 2016, le procureur de la République compétent adressa au requérant plusieurs convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre lui. Toutefois, celui-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
98.
Le 4 novembre 2016, sur l'ordre du procureur de la République de Hakkari, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue.
99.
Le même jour, le requérant, qui était assisté par trois avocats, comparut devant le parquet de Hakkari. Il refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre lui car il considérait que la levée de son immunité parlementaire n'était pas conforme à la Constitution. Les avocats de l'intéressé demandèrent la remise en liberté de leur client.
100 . À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Hakkari demanda au juge de paix de Hakkari de placer le requérant en détention provisoire pour les infractions suivantes : i) appartenance à une organisation terroriste armée ; ii) propagande en faveur d'une organisation terroriste ; iii) avoir participé à des réunions illégales ; et iv) l'apologie du crime et de criminels. Le procureur de la République alléguait en particulier que les activités, en apparence légales et politiques, du requérant ne pouvaient pas être considérées comme des activités politiques étant donné qu'elles constituaient l'infraction d'être attachées à la structure hiérarchique d'une organisation terroriste armée. Dans ce contexte, le parquet indiquait que, entre le 13 janvier 2011 et 15 octobre 2011, le requérant avait assisté à vingt manifestations qui s'étaient transformées en propagande de l'organisation terroriste PKK. De plus, il soulignait que, le 4 octobre 2015, le requérant et un groupe de cinquante personnes avaient organisé une manifestation de bouclier humain en apportant de la nourriture et des médicaments en vue d'empêcher les opérations militaires menées par les forces de sécurité contre les membres du PKK. Enfin, il citait un discours tenu par le requérant le 26 juillet 2015, dans lequel l'intéressé avait dit ce qui suit : « N'essayez pas de tester la force du PKK et du peuple kurde. Le PKK a une telle force qu'il peut vous étouffer avec son crachat. » (« PKK'nin ve Kürt halkının gücünü kimse test etmeye kalkışmasın. PKK'nin öyle bir gücü var ki sizi tükürüğü ile boğar »).
101.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge de paix de Hakkari. Il déclara qu'il était un représentant élu du peuple qui jouissait de l'immunité parlementaire. Selon lui, la levée de son immunité parlementaire n'était pas en conformité avec la Constitution. Le requérant indiqua qu'il n'avait aucune peur de rendre compte de ses actes devant des tribunaux équitables et impartiaux, mais qu'il n'accepterait jamais d'être l'objet d'une comédie de justice devant des magistrats dépendants. Il refusa de répondre aux accusations portées à son encontre dans la mesure où il ne croyait pas que la procédure serait équitable. Les avocats du requérant, soutenant que la procédure était contraire à la loi, demandèrent la remise en liberté de leur client.
102.
Après avoir entendu les avocats du requérant, le juge de paix de Hakkari ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé eu égard à l'existence de forts soupçons pesant sur le requérant selon lesquels l'intéressé avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste
; à la nature de l'infraction reprochée
; à l'état des preuves
; au fait que l'infraction en cause figurait parmi les infractions cataloguées
; au fait que la mesure de détention était proportionnée et que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes.
103.
À une date inconnue, le requérant forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
104.
Par une décision du 20 novembre 2016, le juge de paix de Yüksekova rejeta le recours formé par l'intéressé.
105.
Le 16 novembre 2016, le procureur de la République de
Hakkari
déposa devant la cour d'assises de Hakkari un acte d'accusation contre le requérant. Il reprochait à l'intéressé d'être membre d'une organisation terroriste armée (article 314 § 2 du CP), d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste (article 7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme), d'avoir fait l'apologie du crime et de criminels (article 215 §
1 du CP), et d'avoir organisé et assisté à des manifestations illégales (article
28 de la loi n
o
2911).
106.
Selon le procureur de la République de
Hakkari, il convenait de condamner le requérant pour les actes suivants
: i) la manifestation de bouclier humain du 4 octobre 2015
; ii) son discours du 26 juillet 2015 (voir le paragraphe 100 ci-dessus)
; iii) la participation de l'intéressé aux funérailles de trois personnes, prétendument membres du PKK, tuées par les forces de sécurités
; et iv) la participation du requérant à certaines réunions et manifestations dans lesquelles il y avait eu une propagande alléguée en faveur d'une organisation terroriste.
107. Le 17 novembre 2016, la cour d'assises de Hakkari admit l'acte d'accusation du procureur de la République. À une date inconnue, les autres procédures pénales menées contre le requérant furent réunies dans ce dossier.
108. À une date non-précisée, la cour d'assises de Hakkari s'adressa au ministère de la Justice pour qu'il fît le nécessaire afin de dépayser, pour des raisons de sécurité publique, le procès pénal du requérant. Conformément à la décision de la Cour de cassation, elle transféra, le 16 janvier 2017, la procédure pénale devant la cour d'assises de Diyarbakır. Également à la même date, elle ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressé.
109.
Le 23 mai 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Le requérant nia toutes les accusations à son encontre. Il déclara qu'il était un député. Selon lui, la levée de son immunité parlementaire était contraire à la Constitution et il avait été détenu en violation de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. S'agissant de la manifestation de bouclier humain, le requérant a indiqué qu'elle était destinée à la contribution au retour du processus de résolution et qu'il y avait participé pour empêcher les gens de mourir. Il déclara qu'il avait participé aux funérailles et qu'il avait rendu visite aux familles des défunts pour partager le chagrin des familles et pour démontrer son soutien contre les attaques du Daech. Selon lui, il n'y avait rien dans ses actes qui impliquait la commission d'une infraction liée au terrorisme.
110.
Le 14 juillet 2017, la cour d'assises de Diyarbakır condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de 5 ans pour assistance à une organisation terroriste et de 3 ans 1 mois et 15 jours pour propagande d'une organisation terroriste.
111.
Le 25 novembre 2017, la cour d'appel de Gaziantep infirma la condamnation du requérant pour vice de procédure.
112.
Le 11 janvier 2018, la cour d'assises de Diyarbakır condamna le requérant de nouveau à une peine d'emprisonnement de 5 ans pour assistance à une organisation terroriste et de 3 ans 1 mois et 15 jours pour propagande d'une organisation terroriste.
113.
Le 25 avril 2018, la cour d'appel de Gaziantep confirma ce jugement. Par cet arrêt, les peines d'emprisonnement prononcées à l'encontre du requérant devinrent définitives.
114.
À la suite de l'entrée en vigueur de la loi n
o
7188 modifiant certaines dispositions du CPP, le 25 octobre 2019, le requérant forma un pourvoi et demanda le sursis de l'exécution de la peine prononcée à son encontre et sa remise en liberté.
115.
Le 1
er
novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır sursit à l'exécution de la peine d'emprisonnement qui avait été prononcée pour assistance à une organisation terroriste et pour propagande d'une telle organisation. Elle ordonna également la remise en liberté provisoire de l'intéressé à condition qu'il ne fût pas détenu dans le cadre d'une autre procédure.
116.
Le même jour, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre la décision du 1
er
novembre 2019 et demanda que le requérant soit maintenu en détention pour chacun des chefs d'accusation.
117.
Par une décision rendue le même jour, la cour d'assises de Diyarbakır accueillit la demande du procureur de la République et ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressé pour les deux chefs d'accusation.
118.
Le 4 novembre 2019, le requérant forma un recours contre cette décision.
119.
Par une décision du 11 novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır rejeta le recours formé par l'intéressé au motif que la décision du 1
er
novembre était conforme à la loi et à la procédure.
120.
Par un arrêt du 3 juin 2021, la Cour de cassation infirma la condamnation du requérant en raison du défaut d'équité de la procédure pénale engagée contre lui.
121.
Le 7 janvier 2022, la cour d'assises de Diyarbakır condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de cinq ans pour avoir assisté une organisation terroriste sciemment et intentionnellement. Elle le condamna en outre à une peine d'emprisonnement de 3 ans, 1 mois et 15 jours pour propagande d'une organisation terroriste. Le même jour, elle ordonna la remise en liberté de l'intéressé eu égard à la durée de sa détention provisoire.
122.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en janvier 2022 que la procédure pénale est actuellement en cours devant les juridictions nationales.
123.
Au cours des mandats parlementaires du requérant, les parquets compétents établirent contre lui un total de neuf rapports d'enquête, dont plusieurs concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé.
124.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, sept enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre du requérant furent réunies par le procureur de la République de Hakkari.
125.
Le 30 juin 2016, le procureur de la République compétent adressa au requérant des convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre lui. Toutefois, celui-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
126.
Le 4 novembre 2016, à la demande du procureur de la République de Hakkari, le juge de paix de Hakkari rendit un mandat d'arrêt contre le requérant.
127.
Le 7 novembre 2016, le requérant fut arrêté.
128.
Le même jour, le requérant, qui était assisté par trois avocats, comparut devant le parquet de Hakkari. Selon lui, dans une démocratie, il appartenait au peuple d'interroger ses élus. Il argua que l'enquête pénale en question était contraire à la Constitution. Il refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre lui.
129.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Hakkari demanda au juge de paix de Hakkari de placer le requérant en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste.
130.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge de paix de Hakkari. Selon lui, le fait que le HDP avait franchi le seuil permettant d'être représenté au sein de l'Assemblée nationale dans les élections organisées en juin et novembre 2015 avait empêché un système présidentiel voulu par le président de la République. Il argua que la véritable raison des enquêtes pénales menées contre les responsables du HDP était leur succès dans les élections contre l'AKP. Il rappela qu'il jouissait toujours de l'immunité parlementaire et indiqua qu'il n'avait aucune peur de rendre compte de ses actes devant des tribunaux équitables et impartiaux, mais qu'il n'accepterait jamais d'être l'objet d'une comédie de justice devant des magistrats dépendants, qui prendraient leurs ordres du président de la République. Les avocats du requérant, précisant que leur client était un député, soutinrent que sa privation de liberté était contraire à la loi et ils demandèrent la remise en liberté de leur client.
131.
Après avoir entendu les avocats du requérant, le juge de paix de Hakkari ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé pour appartenance à une organisation terroriste. Le juge considéra que, entre le 9
juillet 2015 et le 13 janvier 2016, le requérant avait participé à plusieurs manifestations dans lesquelles les participants avaient scandé des slogans en faveur d'Abdullah Öcalan. Par ailleurs, le juge de paix indiqua qu'il avait été allégué que lors d'un affrontement armé entre la police et les membres présumés de l'organisation terroriste PKK, le requérant était parmi les personnes qui avaient organisé une manifestation de bouclier humain pour arrêter l'affrontement armé. En conséquence de cette manifestation, certains membres de l'organisation terroriste avaient pu prendre la fuite. Selon le juge de paix, il existait donc de forts soupçons pesant sur le requérant selon lesquels l'intéressé avait commis les infractions d'appartenance à une organisation terroriste et de propagande en faveur d'une organisation terroriste. Considérant ensuite le fait que l'infraction reprochée figurait parmi les infractions cataloguées
; la lourdeur de la peine prévue par la loi pour cette infraction
; le fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, le juge de paix estima que la détention de l'intéressé était proportionnée.
132.
Le 10 novembre 2016, le requérant forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
133.
Par une décision du 20 novembre 2016, le juge de paix de Yüksekova rejeta le recours du requérant.
134.
Le 22 novembre 2016, le procureur de la République de
Hakkari
déposa devant la cour d'assises de Hakkari un acte d'accusation contre le requérant. Il reprochait à l'intéressé d'être membre d'une organisation terroriste armée (article 314 § 2 du CP), d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste (article
7 § 2 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme), et d'avoir organisé des manifestations illégales (article 28 de la loi n
o
2911).
135.
Les faits reprochés au requérant étaient énoncés sous quatorze rubriques dans l'acte d'accusation. Dans ce contexte, le procureur de la République de
Hakkari cita d'abord plusieurs manifestations auxquelles le requérant avait assisté. Selon lui, certaines personnes avaient fait la propagande de l'organisation terroriste lors de ces manifestations. Le procureur de la République indiqua en outre que le requérant était un des coprésidents du Congrès de la société démocratique. Selon lui, cette organisation était fondée conformément aux instructions de l'organisation terroriste PKK/KCK. Le parquet
soutenait que les activités, en apparence à caractère politique, du requérant, ne pouvaient pas être considérées comme des activités politiques
stricto sensu
et qu'elles démontraient que le requérant était membre d'une organisation terroriste armée. Le procureur de la République argua que le requérant avait participé aux funérailles des membres présumés de l'organisation terroriste en question, qu'il avait participé à des manifestations et réunions illégales, qu'il avait fait l'apologie du crime et de criminels et qu'il avait organisé une manifestation de bouclier humain afin d'empêcher la mort des terroristes. Selon lui, ces actes démontraient que le requérant était membre d'une organisation terroriste.
136. Le 22 novembre 2016, la cour d'assises de Hakkari admit l'acte d'accusation du procureur de la République.
137. À une date non précisée, la cour d'assises de Hakkari s'adressa au ministère de la Justice pour qu'il fît le nécessaire afin de dépayser, pour des raisons de sécurité publique, le procès pénal du requérant. Conformément à la décision de la Cour de cassation, elle transféra, le 12 janvier 2017, la procédure pénale devant la cour d'assises de Diyarbakır.
138.
Le 27 février 2017, la cour d'assises de Diyarbakır ordonna le maintien en détention provisoire du requérant.
139.
Le 26 avril 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Le requérant nia les accusations à son encontre. Il précisa qu'il était un député et qu'il bénéficiait de l'irresponsabilité et de l'inviolabilité parlementaire. Selon lui, il était accusé en raison de ses activités politiques.
À
l'issue de l'audience, la cour d'assises de Diyarbakır, considérant entre autres la durée de la détention provisoire subie par le requérant, ordonna sa remise en liberté.
140. À une date inconnue, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre la décision relative à la remise en liberté du requérant. À une date non-précisée, la cour d'assises de Diyarbakır rejeta cette opposition.
141. À une date inconnue le requérant saisit les juridictions nationales d'une action en indemnisation fondée sur l'article 141 du CPP. Par une décision rendue le 10 novembre 2017, le tribunal de première instance rejeta cette action. Cette procédure est pendante devant les tribunaux nationaux.
142.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en 2018 que la procédure pénale engagée contre le requérant est toujours pendante devant la cour d'assises de Diyarbakır.
143.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de vingt-trois rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
144.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Hakkari.
145.
Entre 20 juillet et 4 octobre 2016, les procureurs de la République compétents adressèrent à la requérante plusieurs convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
146.
Le 8 octobre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du CPP, le juge de paix de Hakkari ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats.
147.
Le 4 novembre 2016, la requérante fut arrêtée à Mardin puis transférée à Hakkari où elle fut placée en garde à vue.
148.
Le même jour, la requérante, qui était assistée par son avocat, comparut devant le parquet de Hakkari. Elle y précisa que l'objet de l'enquête menée contre elle était ses activités politiques protégées par sa liberté d'expression en tant que parlementaire. L'avocat de l'intéressée demanda la remise en liberté de sa cliente.
149.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Hakkari demanda au juge de paix de Hakkari de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article
314 § 2 du CP), propagande d'une organisation terroriste (article
7 §
2 de la loi n
o
3713), incitation du peuple à la haine et à l'hostilité (article
216 du CP), apologie du crime et de criminels (article 215 du CP), et avoir organisé et assisté à des manifestations illégales (article 28 de la loi n
o
2911). Selon le procureur de la République, dans la déclaration finale de la 5
ème
session générale de l'organisation terroriste PKK/Kongragel, tenue du 16
au 22 mai 2007, le chef de l'organisation Abdullah Öcalan avait désigné un paradigme fondé sur quatre piliers en vue de permettre à l'organisation terroriste de s'étendre à la base. Ce paradigme consistait en conseils municipaux, académie démocratique politique, Congrès de la société démocratique et mouvement des coopératives. Dans ce contexte, le procureur de la République indiqua que la requérante était la coprésidente du Congrès de la société démocratique. En outre, le procureur affirmait que dans presque tous ses discours, prononcés lors de différentes manifestations organisées à Diyarbakır, Hakkari et Şırnak, la requérante avait mis en avant les différences entre les individus qui constituent la société en termes de classe sociale, de race, de religion, de secte et de région. Elle avait également exprimé ces différences d'une manière qui provoquerait la haine et l'hostilité de la population.
150.
Le 4 novembre 2016, la requérante fut traduite devant le juge de paix de Hakkari. Le juge de paix considéra qu'entre le 5 janvier 2014 et le 29
février 2016, la requérante avait participé à plusieurs manifestations et réunions durant lesquelles certaines personnes avaient fait la propagande de l'organisation terroriste PKK. Lors de ces réunions, l'intéressée avait également tenu des discours incitant le public à la haine et à l'hostilité, faisant l'éloge d'Abdullah Öcalan et faisant l'apologie du crime et de criminels. Aux yeux du juge de paix, la continuité et l'intensité des liens de la requérante avec l'organisation terroriste en question constituait une menace pour la sécurité nationale. En conséquence, eu égard à l'état des preuves, à la nature de l'infraction reprochée et à la lourdeur de la peine prévue par la loi pour celle-ci, et au fait que la mesure de détention était proportionnée, il ordonna le placement de la requérante en détention provisoire uniquement pour l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste.
151.
Le 8 novembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
152.
Par une décision du 20 novembre 2016, le juge de paix de Yüksekova rejeta ce recours.
153.
Le 16 novembre 2016, le procureur de la République de Hakkari
déposa devant la cour d'assises de Hakkari un acte d'accusation contre la requérante. Il requit la condamnation de l'intéressée pour appartenance à une organisation terroriste armée, apologie du crime et de criminels, propagande d'une organisation terroriste, et pour avoir organisé et assisté à des manifestations illégales.
154.
Le 21 novembre 2016, la cour d'assises de Hakkari admit l'acte d'accusation du procureur de la République. Le même jour, elle
s'adressa au ministère de la Justice pour qu'il fît le nécessaire afin de dépayser, pour des raisons de sécurité publique, le procès pénal de la requérante. Conformément à la décision de la Cour de cassation, elle transféra, le 6
janvier 2017,
la procédure pénale devant la cour d'assises de Diyarbakır.
155.
Le 18 avril 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Elle entendit la requérante via le SEGBİS. La requérante argua que la levée de son immunité parlementaire par la modification constitutionnelle n'était pas conforme à la loi. Selon elle, ses discours étaient protégés par son immunité parlementaire et par son droit de mener des activités politiques.
156.
Le 3 novembre 2017, la cour d'assises de Diyarbakır condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de sept ans et six mois pour appartenance à une organisation terroriste armée et à une réclusion criminelle d'un an et dix-huit mois pour propagande d'une organisation terroriste.
157.
À une date inconnue, la requérante fit appel contre ce jugement.
158.
Par un arrêt du 15 février 2018, la cour d'appel de Gaziantep confirma la condamnation de la requérante. En conséquence, la condamnation de la requérante pour propagande d'une organisation terroriste devint définitive.
159.
À une date non-précisée, la requérante se pourvut en cassation contre sa condamnation pour appartenance à une organisation terroriste.
160.
Le 19 avril 2018, la requérante fut déchue de son mandat parlementaire en raison de sa condamnation définitive pour propagande d'une organisation terroriste.
161.
À la suite de l'entrée en vigueur de la loi n
o
7188 modifiant certaines dispositions du CPP, le 28 octobre 2019, la requérante forma un pourvoi et demanda le sursis de l'exécution de la peine prononcée à son encontre pour propagande d'une organisation terroriste et sa remise en liberté.
162.
Le 1
er
novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır sursit à l'exécution de la peine d'emprisonnement qui avait été prononcée pour propagande d'une organisation terroriste. Elle ordonna également la remise en liberté provisoire de l'intéressée à condition qu'elle ne fût pas détenue dans le cadre d'une autre procédure.
163.
Le 3 novembre 2019, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre la décision du 1
er
novembre 2019 et demanda que la requérante soit maintenue en détention pour propagande d'une organisation terroriste.
164.
Par une décision rendue le 5 novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır accueillit la demande du procureur de la République et ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressée pour propagande d'une organisation terroriste.
165.
Le 7 novembre 2019, la requérante forma un recours contre cette décision.
166.
Par une décision du 22 novembre 2019, la cour d'assises de Diyarbakır rejeta le recours formé par l'intéressée au motif que la décision du 5
novembre 2019 était conforme à la loi et à la procédure.
167.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en janvier 2020 que la procédure pénale engagée contre la requérante est toujours pendante devant la Cour de cassation.
168.
Au cours des mandats parlementaires du requérant, les parquets compétents établirent contre lui un total de cinq rapports d'enquête, dont plusieurs concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé.
169.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, sept enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre du requérant furent réunies par le procureur de la République de Şırnak.
170.
Entre le 29 juin 2016 et le 4 octobre 2016, les procureurs de la République compétents adressèrent au requérant des convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre lui. Toutefois, celui-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
171.
Le 3 novembre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du CPP, le juge de paix de Şırnak ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers le requérant et ses avocats.
172.
Le 3 novembre 2016, à la suite de la demande du procureur de la République de Şırnak, le juge de paix de Şırnak interdit au requérant de sortir du territoire national.
173.
Le même jour, le requérant alla à l'aéroport pour partir à l'étranger. Les autorités nationales l'informèrent de la décision du juge de paix de Şırnak et saisirent son passeport.
174.
Toujours le même jour, à la demande du procureur de la République de Şırnak, le juge de paix de Şırnak ordonna l'arrestation du requérant et la perquisition de son domicile.
175.
Le jour même, le requérant fut arrêté à Istanbul puis transféré à Şırnak où il fut placé en garde à vue.
176.
Le 4 novembre 2016, le requérant, qui était assisté par ses avocats, comparut devant le parquet de Şırnak. Il argua qu'il était accusé pour des raisons politiques et refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre lui. Les avocats de l'intéressé, soutenant que la privation de liberté en question était contraire à la loi, demandèrent la remise en liberté de leur client.
177.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Şırnak demanda au juge de paix de Şırnak de placer le requérant en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste.
178.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge de paix de Şırnak. Il argua que les responsables de son parti politique étaient contre la violence et qu'ils croyaient au dialogue et aux négociations pour résoudre les problèmes. Selon lui, pour cette raison, le HDP était considéré par le gouvernement comme une menace. Il affirma qu'il s'agissait en l'espèce d'une comédie de justice, débutée sur ordre du président de la République, et qu'il ne croyait pas qu'il y aurait un procès équitable. Les avocats du requérant, précisant que leur client était un député, soutinrent que sa privation de liberté était contraire à la loi et ils demandèrent la remise en liberté de leur client.
179.
Après avoir entendu les avocats du requérant, le juge de paix de Şırnak ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé pour appartenance à une organisation terroriste. Le juge considéra que les propos du requérant étaient contraires à l'article 10 de la Convention et à l'article
26 de la Constitution. Il estima que, comme l'indique la jurisprudence de la Cour, l'appel à la violence et la propagande d'une organisation terroriste ne pouvaient pas être considérés comme relevant de la liberté d'expression. Selon le juge, la détention du requérant poursuivait des buts légitimes tels que la protection de la sécurité nationale, l'intégrité territoriale, la sécurité et l'ordre publics, la protection des caractéristiques fondamentales de la République, l'intégrité indivisible de l'État avec son pays et sa nation et la punition des criminels. Compte tenu du contenu des déclarations publiques du requérant, l'état du dossier de l'enquête pénale menée contre lui et les rapports d'enquêtes, le juge de paix estima que les actes du requérant avaient dépassé la propagande, qu'il se trouvait au sein de la structure hiérarchique de l'organisation terroriste PKK et que l'intéressé avait adopté la stratégie et les actes de l'organisation en question. Selon le juge de paix, il existait donc de forts soupçons pesant sur le requérant selon lesquels l'intéressé avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. Considérant ensuite la nature de l'infraction reprochée, l'état des preuves, la lourdeur de la peine prévue par la loi pour cette infraction, le fait que celle-ci figurait parmi les infractions énumérées à l'article 100 du CPP, et le fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, le juge de paix estima que la détention de l'intéressé était proportionnée.
180.
Le 9 novembre 2016, le requérant forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
181.
Par une décision du 14 novembre 2016, le juge de paix de Siirt rejeta le recours du requérant.
182.
Le 18 novembre 2016, le procureur de la République de Şırnak déposa devant la cour d'assises de Şırnak un acte d'accusation contre le requérant. Il reprochait à l'intéressé d'être membre d'une organisation terroriste armée (article 314 § 2 du CP), d'avoir organisé des manifestations illégales (article 28 de la loi n
o
2911) et d'avoir violé les dispositions de la loi n
o
5442 sur les départements (article 66 § 1 de la loi n
o
5442).
183.
Le procureur de la République soutenait que, par ses discours et ses tweets, le requérant aurait cherché à légitimer les actes de la lutte armée des membres de l'organisation terroriste qui ont été tués au cours des opérations menées par les forces de sécurité en vue de neutraliser les terroristes. Selon lui, il aurait également participé aux manifestations illégales organisées par les membres du PKK en vue d'empêcher les opérations de sécurité dans la région où un couvre-feu était en vigueur. De plus, le procureur de la République estimait que le requérant aurait qualifié les opérations menées par les forces de sécurité de «
massacres
» et qu'il aurait fait des déclarations visant à légitimer les actes terroristes.
184. Le 21 novembre 2016, la cour d'assises de Şırnak admit l'acte d'accusation du procureur de la République. Le même jour, à la suite d'un examen sur dossier, il ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressé.
185. Par un jugement rendu le 9 juin 2017, la cour d'assises de Şırnak condamna le requérant à une peine d'emprisonnement de trois ans et neuf mois pour propagande d'une organisation terroriste. Elle le condamna en outre, avec un sursis, à dix mois d'emprisonnement pour avoir violé l'article 66 de la loi n o 5442. Elle l'acquitta par contre pour avoir organisé des manifestations illégales. Dans sa motivation relative au chef d'accusation concernant la propagande d'une organisation terroriste, la cour d'assises releva que les dates auxquelles le requérant aurait prononcé ses discours et partagé les messages sur les médias sociaux, correspondaient à une période où les forces de sécurité menaient des opérations contre les membres de l'organisation terroriste PKK. Selon elle, les déclarations du requérant étaient de nature à légitimer la lutte armée des terroristes, ainsi que les actes qu'ils avaient accomplis dans le cadre des déclarations d'auto-gouvernance. Aux yeux de la cour d'assises, les propos du requérant ne pouvaient pas être considérés comme relevant de la liberté d'expression, étant donné que, dans cette période, l'ordre public avait été perturbé et que des tentatives avaient été faites contre la vie de la population civile et celle des membres des forces de sécurité.
186.
Le 17 octobre 2017, la cour d'appel de Gaziantep confirma ce jugement. Par cet arrêt, la peine d'emprisonnement prononcée à l'encontre du requérant devint définitive.
187.
Le 6 février 2018, le requérant fut déchu de son mandat parlementaire en raison de sa condamnation définitive pour propagande d'une organisation terroriste.
188.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de neuf rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
189.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Diyarbakır.
190.
Entre le 23 juillet et le 11 octobre 2016, les procureurs de la République compétents adressèrent à la requérante plusieurs convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
191.
Le 3 novembre 2016, à la demande du procureur de la République de Diyarbakır, le juge de paix de Diyarbakır ordonna l'arrestation de la requérante et la perquisition de son domicile.
192.
Toujours le 3 novembre 2016, sur le fondement de l'article 3 du décret-loi d'urgence n
o
668, le procureur de la République de Diyarbakır ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats.
193.
Le 4 novembre 2016, la requérante fut arrêtée à Mardin puis transférée à Diyarbakır où elle fut placée en garde à vue.
194.
Le même jour, la requérante, qui était assistée par ses trois avocats, comparut devant le parquet de Diyarbakır. Elle y précisa que l'enquête menée contre elle était de nature politique et qu'elle n'allait pas faire de déposition.
195.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Diyarbakır demanda au juge de paix de Diyarbakır de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article
314 § 2 du CP) et pour incitation publique à commettre une infraction (article
214 § 1 du CP). Dans ce contexte, le procureur de la République argua que les tweets publiés le 6 octobre 2014 par le comité exécutif du HDP avaient un rôle essentiel dans les événements violents survenus les
6-8
octobre 2014. Ensuite, il précisa que la requérante avait été responsable de ramener un membre présumé de l'organisation terroriste PKK, blessé lors des affrontements armés avec les forces de sécurité, à l'hôpital et qu'elle lui avait permis de recevoir un traitement médical. De plus, sur la base des enregistrements téléphoniques, le procureur de la République soutenait que la requérante était en contact avec un responsable de l'organisation en question et qu'elle agissait conformément aux instructions de celui-ci. Enfin, le procureur de la République citait plusieurs discours tenus par la requérante, qui démontraient, selon le parquet, le lien entre la requérante et l'organisation terroriste en question.
196.
Toujours le 4 novembre 2016, la requérante fut traduite devant le juge de paix de Diyarbakır. Elle argua qu'elle était une représentante du peuple et qu'elle n'avait aucune peur de répondre de ses actes devant une justice indépendante et impartiale. Cela étant, considérant la procédure actuelle comme une procédure politique et une comédie de justice, déclenchée par l'AKP et le président de la République, elle refusa de répondre aux questions. Les avocats de la requérante, précisant que leur cliente était une députée, soutinrent que sa privation de liberté était contraire à la loi et ils demandèrent la remise en liberté de leur cliente.
197.
Le juge de paix considéra que la requérante ne pouvait pas bénéficier de l'immunité parlementaire pour les infractions d'avant le 20 mai 2016, en raison de la modification apportée au deuxième paragraphe de l'article 83 de la Constitution. Il releva ensuite que, à l'occasion de l'intensification des conflits opposant Daech et le PYD en Syrie en octobre 2014, le PKK avait publié plusieurs appels invitant les gens à descendre dans la rue. Presque simultanément, trois tweets avaient été publiés au nom du comité exécutif du HDP, dont la requérante était membre, appelant également les gens à sortir dans la rue. Notant ensuite les événements violents ayant eu lieu du 6
au 8
octobre 2014, il estima que les tweets envoyés par le parti en question démontraient l'existence d'un fort soupçon pesant sur la requérante
: celle-ci aurait commis l'infraction d'incitation à commettre une infraction en raison de sa fonction au sein du HDP. De plus, le juge de paix indiqua que dans ses discours, la requérante avait fait l'apologie d'Abdullah Öcalan et du PKK, qu'elle avait qualifié les actes violents de cette organisation comme une «
résistance
» et qu'elle avait parlé des membres de celle-ci tués comme des «
martyrs
» et qu'elle avait personnellement ramené une personne à l'hôpital lors des affrontements armés. Il ajouta que la requérante avait participé à certaines funérailles des membres du PKK où les photos d'Abdullah Öcalan et les drapeaux du PKK étaient exposés. Enfin, le juge de paix nota que la requérante avait parlé au téléphone avec un membre de l'organisation terroriste tué lors des affrontements armés avec les forces de sécurité, qui avait demandé son aide. En conséquence, il estima qu'il y avait des preuves concrètes démontrant l'existence de forts soupçons quant à la commission des infractions d'appartenance à une organisation terroriste armée et d'incitation publique à commettre une infraction. Eu égard à l'état des preuves, au fait que les infractions en question figuraient parmi les infractions énumérées à l'article
100 § 3 du CPP, et au fait que la mesure de détention était proportionnée, il ordonna le placement de la requérante en détention provisoire.
198.
Le 7 novembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
199.
Par une décision du 10 novembre 2016, le juge de paix de Diyarbakır rejeta ce recours.
200.
Le 25 janvier 2017, le procureur de la République de Diyarbakır déposa devant la cour d'assises de Diyarbakır un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'avoir constitué ou dirigé une organisation terroriste armée, d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste, d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité, d'avoir fait l'apologie du crime et de criminels, d'avoir incité publiquement à la commission d'une infraction, d'avoir incité la population à des manifestations illégales. Dans son acte d'accusation, le parquet se basait essentiellement sur les mêmes faits qui avaient constitué la base de la détention provisoire de la requérante.
201.
Le 27 janvier 2017, la cour d'assises de Diyarbakır admit l'acte d'accusation du procureur de la République. Le même jour, elle rendit une ordonnance d'incompétence et
transféra
la procédure pénale devant la cour d'assises de Mardin.
202.
Le 16 février 2017, la cour d'assises de Mardin rendit à son tour une ordonnance d'incompétence.
203.
Le 13 mars 2017, la cour d'appel de Mardin décida que la cour d'assises de Mardin était compétente pour connaître l'affaire.
204.
Le 2 mai 2017, la cour d'assises de Mardin tint sa première audience. Elle entendit la requérante, qui argua que ses discours incriminés n'appelaient aucunement à la violence et qu'ils étaient destinés à la paix. Rappelant son rôle en tant que députée, elle exposa que tous les citoyens pouvaient la joindre par téléphone. Dans ce contexte, elle précisa qu'il était impossible pour elle de connaître l'identité des personnes qui l'appelaient. Elle ajouta qu'elle avait ramené le corps d'une personne à l'hôpital, après avoir contacté le préfet de la ville et le commandement de la gendarmerie de Dargeçit. Ils étaient donc au courant de cet acte, qui ne constituait pas, selon elle, une infraction. S'agissant des appels publiés par le compte Twitter du HDP, elle indiqua qu'il s'agissait en l'espèce d'une réaction contre Daech et qu'ils n'appelaient pas à la violence.
205.
Le 22 septembre 2017, la cour d'assises de Mardin disjoignit la procédure pénale relative à l'infraction d'avoir constitué ou dirigé une organisation terroriste armée et décida de l'enregistrer sous un numéro différent. Le 25 octobre 2017, elle ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressée dans le cadre de cette procédure pénale.
206.
Le 15 novembre 2017, la cour d'assises de Mardin ordonna la remise en liberté de la requérante du chef d'accusation d'incitation publique à commettre une infraction.
207.
Le 19 avril 2018, la cour d'assises de Mardin condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de 7 ans et 6 mois pour appartenance à une organisation terroriste.
208.
Par un arrêt du 11 juillet 2018, la cour d'appel de Gaziantep infirma le jugement rendu par la cour d'assises de Mardin. Elle considéra qu'il y avait une autre procédure pénale pendante contre la requérante pour appartenance à une organisation terroriste. Selon la cour d'appel, il fallait d'abord examiner s'il existait des liens juridiques ou factuels entre les deux procédures. Il estima également qu'il fallait joindre ces deux procédures, si de tels liens existaient.
209.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en 2019 que les procédures pénales engagées contre la requérante sont toujours pendantes devant la cour d'assises de Mardin.
210.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de vingt-et-un rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
211.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Şırnak.
212.
Entre le 27 juillet et le 26 octobre 2016, les procureurs de la République compétents adressèrent à la requérante plusieurs convocations qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
213.
Le 4 novembre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du CPP, le juge de paix de Şırnak ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats.
214.
Le 4 novembre 2016, la requérante fut arrêtée à Diyarbakır puis transférée à Şırnak où elle fut placée en garde à vue.
215.
Le même jour, la requérante comparut devant le parquet de Şırnak. Elle y précisa qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire conformément à la Constitution. Elle considéra que la levée de son immunité parlementaire était contraire à la Constitution. Elle ajouta qu'elle ne ferait pas de déposition tant que son mandat parlementaire continuerait.
216.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Şırnak demanda au juge de paix de Şırnak de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article
314 §
2 du CP). Dans sa demande, le procureur de la République estimait que les actes et les propos de la requérante dépassaient la propagande d'une organisation terroriste et constituaient l'appartenance à une telle organisation.
217.
Toujours le 4 novembre 2016, la requérante fut traduite devant le juge de paix de Şırnak. Elle argua qu'elle était une députée qui jouissait de l'immunité parlementaire. Selon elle, la levée de son immunité parlementaire était contraire à la Constitution. Elle considérait la procédure pénale engagée à son encontre comme une procédure politique. Les avocats de la requérante, précisant que leur cliente était une députée, soutinrent que sa privation de liberté était contraire à la loi et ils demandèrent sa remise en liberté.
218.
Après avoir entendu les avocats de la requérante, le juge de paix de Şırnak ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressée pour appartenance à une organisation terroriste. Le juge considéra que les actes reprochés à la requérante dépassaient la propagande d'une organisation terroriste. Selon lui, il existait une continuité et une intensité des liens de la requérante avec l'organisation terroriste armée en question. En conséquence, il estima qu'il existait de forts soupçons pesant sur la requérante selon lesquels l'intéressée avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. Considérant ensuite le risque de fuite, la nature de l'infraction reprochée, l'état des preuves, la lourdeur de la peine prévue par la loi pour cette infraction, le fait que celle-ci figurait parmi les infractions énumérées à l'article 100 du CPP, et le fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, le juge de paix estima que la détention de l'intéressée était proportionnée.
219.
Le 11 novembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
220.
Par une décision du 8 décembre 2016, le juge de paix de Şırnak rejeta ce recours.
221.
Le 22 décembre 2016, le procureur de la République de Şırnak déposa devant la cour d'assises de Şırnak un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'être membre d'une organisation terroriste, d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste, d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité, d'avoir fait l'apologie du crime et de criminels et d'avoir organisé ou assisté à des manifestations illégales.
222.
Les faits reprochés à la requérante par le parquet peuvent se résumer comme suit
:
i) Le 21 avril 2013, la requérante avait mentionné qu'Abdullah Öcalan avait déclaré qu'une nouvelle période commencerait dans le cas peu probable où le processus de solution échouerait. Il décrivait la période en question comme la guerre du peuple et que le processus ultérieur serait achevé par la guerre en question à laquelle 50 000 personnes se joindraient.
ii) La requérante avait participé aux réunions organisées par le Congrès de la société démocratique en vue d'établir une « autonomie démocratique ».
iii) La requérante avait assisté aux funérailles des membres de l'organisation terroriste PKK et elle avait participé aux manifestations destinées à mettre fin à l'emprisonnement du leader de cette organisation terroriste.
iv) Dans son discours du 14 janvier 2012, la requérante avait dit ce qui suit : « Le 15 août 1984 [les premières attaques terroristes du PKK, intervenues le 15 août 1984 à Hakkari et à Siirt], à une époque où presqu'aucune feuille ne bougeait [en raison] des graves conditions du [coup d'État militaire du] 12 septembre [1980], les enfants courageux et honorables du peuple kurde ont commencé une résistance. Le gouvernement de l'AKP, vous ne pouvez pas faire reculer le peuple kurde, le détenteur d'une résistance glorieuse. Ce peuple n'a ni tremblé ni reculé depuis 30 ans. À partir de maintenant, ils vont continuer à résister dans les champs, sur les places et dans tous les lieux liés à la vie et à parcourir ce chemin jusqu'à ce que la lutte soit couronnée par la victoire. On vous le dit. Vous feriez mieux de le savoir. Sachez-le et adaptez votre attitude ».
v) Dans son discours prononcé le 4 mars 2012, la requérante avait déclaré ce qui suit : « Nous sommes ici dans les champs aujourd'hui pour demander la liberté d'Öcalan, qu'on considère comme l'acteur le plus important et unique pour la solution de la question kurde. Nous sommes dans les champs pour demander [sa] liberté ».
vi) Le 21 mars 2012, la requérante avait tenu un discours dont les parties pertinentes se lisent comme suit : « Vous n'avez pas un tel pouvoir. Vous ne pouvez pas détruire ou éliminer le PKK. C'est une réalité. C'est un fait. En effet, le PKK n'est pas un mouvement limité à seulement dix mille guérilleros dans les montagnes. Actuellement, le PKK est composé de millions de personnes dans les champs et sur les places ».
223.
Le 29 décembre 2016, la cour d'assises de Şırnak admit l'acte d'accusation du procureur de la République.
224.
Le 2 janvier 2017, elle rendit une ordonnance d'incompétence et
transféra
la procédure pénale devant la cour d'assises de Diyarbakır. Le même jour, la cour d'assises de Şırnak ordonna le maintien en détention provisoire de l'intéressée.
225.
Le 21 avril 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Elle entendit la requérante, qui argua qu'en l'occurrence ses actes légitimes faisaient l'objet d'une procédure pénale à caractère politique. Elle demanda sa remise en liberté dans la mesure où les actes reprochés concernaient ses libertés d'expression et de réunion et qu'ils étaient destinés à la résolution pacifique de la question kurde.
226.
À l'issue de l'audience, la cour d'assises de Diyarbakır ordonna la remise en liberté provisoire de la requérante.
227.
À une date non-précisée, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition contre l'ordonnance de remise en liberté de la requérante.
228 . Le 28 avril 2017, la cour d'assises de Diyarbakır recueillit la demande du procureur de la République et rendit un mandat d'arrêt contre la requérante. Cela étant, ce mandat d'arrêt ne fut pas exécuté dans la mesure où la requérante avait pris la fuite.
229.
Le 9 mai 2017, la requérante fut déchue de son mandat parlementaire en raison de sa condamnation définitive pour propagande d'une organisation terroriste prononcée lors d'une autre procédure pénale.
230.
À une date inconnue, la requérante saisit la cour d'assises de Diyarbakır d'une action en indemnisation fondée sur l'article 141 du CPP. Par une décision du 3 novembre 2017, cette juridiction rejeta la demande de l'intéressée. Par un arrêt rendu le 10 janvier 2018, la cour d'appel de Gaziantep confirma la décision de la cour d'assises de Diyarbakır. L'affaire est pendante devant la Cour de cassation.
231.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en 2019 que la procédure pénale engagée contre la requérante est toujours pendante devant la cour d'assises de Diyarbakır.
232.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de seize rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
233.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, le procureur de la République de Diyarbakır décida de réunir en un seul dossier onze enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante.
234.
Le 19 septembre 2016, le procureur de la République de Diyarbakır adressa à la requérante une convocation qui l'invitait à faire une déposition dans le cadre des enquêtes pénales menées contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
235.
Le 20 septembre 2016, sur le fondement de l'article 153 du CPP, le juge de paix de Diyarbakır ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats. Il ressort des documents contenus dans le dossier que l'intéressée ne forma aucun recours contre cette décision.
236 . Le 20 octobre 2016, le procureur de la République de Diyarbakır déposa devant la cour d'assises de Diyarbakır un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'être membre d'une organisation terroriste armée, d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste et d'avoir participé à des manifestations illégales. Les accusations portées par le procureur de la République contre la requérante peuvent se résumer comme suit :
i) Le 24 mai 2015, la requérante participa à un concert de musique où il y a eu, selon le parquet, la propagande de l'organisation terroriste PKK. Elle s'adressa à la foule qui s'était rassemblée. Dans son discours, elle qualifia les membres décédés du PKK de « martyrs » et Abdullah Öcalan de « président ».
ii) Le 1 er août 2015, un groupe de personne, dont la requérante, fit une déclaration à la presse et refusa de se disperser malgré les avertissements des forces de sécurité.
iii) Le 13 septembre 2015, un groupe de personne, dont la requérante, essaya d'aller à Sur où un couvre-feu était en vigueur en raison des opérations menées par les forces de sécurité. Il refusa de se disperser malgré les avertissements lancés par les forces de sécurité.
iv) Dans plusieurs discours prononcés en 2015 et 2016, la requérante qualifia de « massacre » les opérations menées par les forces de sécurité. Elle considéra les actes comme le creusement de tranchées, comme la résistance du peuple kurde et qu'ils devraient être suivis. Selon le parquet, elle fit ainsi l'éloge des actes violents des membres de l'organisation terroriste PKK.
237.
Le 7 novembre 2016, la cour d'assises de Diyarbakır admit l'acte d'accusation du procureur de la République.
238.
Le 18 novembre 2016, la cour d'assises de Diyarbakır décida de notifier l'acte d'accusation à la requérante. Le même jour, elle adressa une invitation à l'avocat de l'intéressée pour la première audience, laquelle se tiendrait le 16 février 2017.
239.
Le 12 décembre 2016, à la demande du procureur de la République de Diyarbakır et eu égard au rapport de la police de Diyarbakır, la cour d'assises de Diyarbakır tint une audience urgente et rendit un mandat d'arrêt en vue de la détention provisoire de la requérante.
240.
Le 13 décembre 2016, la requérante fut arrêtée à Ankara et traduite devant la cour d'assises de Diyarbakır. Soutenant que les actes reprochés étaient liés à ses activités politiques légitimes, elle nia avoir commis une quelconque infraction. Elle indiqua également qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire.
241.
À l'issue de l'audience, la cour d'assises ordonna la mise en détention provisoire de la requérante pour appartenance à une organisation terroriste armée. Elle considéra que la requérante ne pouvait pas bénéficier de l'immunité parlementaire en raison de la modification apportée au deuxième paragraphe de l'article 83 de la Constitution. Selon la cour d'assises, il existait de forts soupçons pesant sur la requérante selon lesquels l'intéressée avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. Considérant ensuite le fait que l'infraction en question figurait parmi les infractions énumérées à l'article 100 du CPP et au fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, la cour d'assises estima que la détention de l'intéressée était proportionnée.
242.
Le 20 décembre 2016, la requérante forma un recours contre la décision de mise en détention provisoire prise à son égard.
243.
Par une décision du 28 décembre 2016, la cour d'assises de Diyarbakır rejeta ce recours.
244.
Par un jugement du 14 juillet 2017, la cour d'assises de Diyarbakır condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de sept ans et six mois pour appartenance à une organisation terroriste. Selon la cour d'assises, les discours incriminés de la requérante n'étaient pas protégés par son irresponsabilité parlementaire. Dans sa motivation, elle se référa aux accusations portées par le procureur de la République contre la requérante (voir le paragraphe 236 ci-dessus). S'agissant des autres chefs d'accusation, elle l'acquitta.
245.
Le 5 octobre 2017, la cour d'appel de Gaziantep confirma la condamnation de la requérante pour appartenance à une organisation terroriste armée.
246.
À une date non-précisée, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation contre cet arrêt.
247. Le 27 novembre 2017, la requérante saisit les juridictions nationales d'une action en indemnisation fondée sur l'article 141 du CPP. Par une décision rendue le 26 juin 2018, le tribunal de première instance rejeta cette action. Cette procédure est pendante devant les tribunaux nationaux.
248.
Par un arrêt du 13 juillet 2018, la Cour de cassation infirma la condamnation de la requérante. Eu égard à l'état des preuves, elle ordonna néanmoins le maintien en détention provisoire de l'intéressée.
249.
Le dossier de la requérante fut retourné d'abord à la cour d'appel de Gaziantep puis transmis à la cour d'assises de Diyarbakır. Les juridictions compétentes ont toujours ordonné le maintien de l'intéressé en détention provisoire.
250.
Par un jugement du 10 janvier 2020, la cour d'assises de Diyarbakır condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de sept ans et six
mois pour être membre d'une organisation terroriste.
251.
Le 25 février 2020, la cour d'appel de Gaziantep confirma le jugement de condamnation de la requérante.
252.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en avril
2021 que la procédure pénale engagée contre la requérante est toujours pendante devant la Cour de cassation.
253.
Au cours des mandats parlementaires du requérant, les parquets compétents établirent contre lui deux rapports d'enquête, lesquels concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé.
254.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales menées à l'encontre du requérant furent réunies par le procureur de la République de Diyarbakır.
255.
Le 29 janvier 2017, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue.
256.
Le même jour, le requérant comparut devant le parquet de Diyarbakır. Il déclara qu'il était député et bénéficiait donc de l'immunité parlementaire. Selon lui, la levée de son immunité parlementaire était contraire à la Constitution.
257.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Diyarbakır demanda au juge de paix de Diyarbakır de placer le requérant en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste. Selon le procureur de la République, le requérant, en tant que membre du comité exécutif du HDP, était responsable des actes de violence survenus entre les 6
et 8 octobre 2014.
258.
Le même jour, le requérant fut traduit devant le juge de paix de Diyarbakır. Selon lui, les tweets en question restaient au sein des limites de la liberté d'expression. Il affirma qu'ils étaient publiés par une personne inconnue et qu'il n'y avait pas eu de décision du comité exécutif du parti politique de les publier.
259.
Après avoir entendu les avocats du requérant, le juge de paix de Diyarbakır ordonna la remise en liberté du requérant, assortie d'une interdiction de sortie du territoire national.
260.
Le même jour, le procureur de la République de Diyarbakır forma une opposition à la décision relative à la remise en liberté du requérant.
261.
Le 30 janvier 2017, le juge de paix de Diyarbakır rendit un mandat d'arrêt contre le requérant.
262.
Le 31 janvier 2017, le requérant, assisté par ses trois avocats, fut traduit devant le juge de paix de
Diyarbakır. Le requérant déclara qu'il n'avait pas assisté à la réunion en question du comité exécutif du HDP et qu'il n'était pas au courant des tweets publiés sur le compte Twitter du parti. Les avocats de l'intéressé demandèrent la remise en liberté de leur client.
263. À l'issue de l'audience, le juge de paix de Diyarbakır ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé pour appartenance à une organisation terroriste.
264.
Le 2 février 2017, le requérant forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
265.
Par une décision du 6 février 2017, le juge de paix de
Diyarbakır
rejeta le recours du requérant.
266.
Le 8 février 2017, le procureur de la République de
Diyarbakır
déposa devant la cour d'assises de
Diyarbakır
un acte d'accusation contre le requérant. Il reprochait à l'intéressé d'être membre d'une organisation terroriste armée (article 314 § 2 du CP), d'avoir incité publiquement à la commission d'une infraction (article 214 § 1 du CP), et d'avoir organisé des manifestations illégales (article 28 de la loi n
o
2911). Les faits reprochés au requérant concernaient principalement les tweets publiés sur le compte Twitter officiel du HDP et les événements des 6-8 octobre 2014.
267.
Le 8 août 2017, la cour d'assises de Diyarbakır tint sa première audience. Le requérant nia les accusations à son encontre. Il précisa qu'il n'avait pas participé à la réunion du comité exécutif du HDP tenue le 6
octobre 2014 et qu'il n'était donc pas responsable des tweets publiés par le compte Twitter de son parti.
268 . Le 8 septembre 2017 , la cour d'assises de Diyarbakır, considérant entre autres la durée de la détention provisoire subie par le requérant, ordonna sa remise en liberté.
269.
La Cour ne dispose plus d'information concernant l'issue de cette procédure pénale. Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en janvier 2021 que le 2 octobre 2020, le requérant fut de nouveau placé en détention provisoire par le juge de paix d'Ankara concernant une enquête pénale engagée en relation aux événements des 6-8 octobre 2014. La Cour ne fut pas informée de l'issue de cette enquête pénale concernant le requérant.
270.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle plusieurs rapports d'enquête, dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
271.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, le Ministère de la Justice envoya les dossiers de la requérante aux procureurs de la République de Muş et de Hınıs pour qu'ils fassent le nécessaire. À la suite de l'ordonnance d'incompétence rendue par le procureur de la République de Hınıs, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Muş.
272. Le 21 juin 2016, le parquet de Muş appela la requérante par téléphone et l'invita à faire une déposition dans le cadre d'une enquête pénale menée contre elle. La requérante déclara qu'elle ne se présenterait pas devant le parquet dans la mesure où son parti politique avait décidé que la procédure était inconstitutionnelle.
273.
Le 1
er
septembre 2016, le procureur de la République de Muş déposa devant la cour d'assises de Muş un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'être membre d'une organisation terroriste armée, d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité et d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste. Les accusations portées par le procureur de la République contre la requérante peuvent se résumer comme suit :
i) Le 8 juin 2015, le lendemain des élections, la requérante avait dit, par rapport aux gardes de village ( korucu ) ce qui suit : « Vous allez tous disparaître, vous allez disparaître. Nous savons très bien comment tourner les kalachnikovs que vous nous pointez ».
ii) Le 25 septembre 2015, la requérante participa aux funérailles d'un membre présumé du PKK et elle y dit ce qui suit : « Ce sont des temps où il n'y a plus de mot, plus de phrase. Par un concept de guerre contre le peuple et le Kurdistan, [débuté] à la suite [des élections du] 7 juin, des dizaines de nos jeunes, camarades et enfants ont été massacrés. Cette lutte va continuer jusqu'à la fin ».
iii) La requérante participa aux funérailles d'un membre présumé du PKK tué le 5 avril 2016, lors d'un affrontement armé avec les forces de sécurité.
274.
Le 9 septembre 2016, la cour d'assises de Muş accepta l'acte d'accusation du procureur de la République.
275.
Par un nouvel acte d'accusation, déposé le 15 novembre 2016, le procureur de la République de Muş requit la condamnation de la requérante pour appartenance à une organisation terroriste armée. Il soutenait à cet égard que le 2 mars 2016, la requérante avait participé aux funérailles d'un membre présumé du PKK, tué lors d'un affrontement armé avec les forces de sécurité.
276.
Le 23 novembre 2016, la cour d'assises de Muş décida de joindre les deux procédures pénales engagées contre la requérante dans un seul dossier.
277.
Le 8 avril 2017, la cour d'assises de Muş émit un mandat d'arrêt à l'encontre de la requérante.
278.
Le 19 avril 2017, la requérante fut arrêtée et traduite devant la cour d'assises de Muş, où elle fut interrogée, pour la première fois, concernant les accusations portées contre elle. À l'issue de l'audience, la cour d'assises ordonna la mise en détention provisoire de la requérante pour appartenance à une organisation terroriste armée. Selon la cour d'assises, il existait de forts soupçons pesant sur la requérante selon lesquels l'intéressée avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. Considérant ensuite le fait que l'infraction en question figurait parmi les infractions énumérées à l'article
100 du CPP, le fait que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes et la lourdeur de la peine encourue, la cour d'assises estima que la détention de l'intéressée était proportionnée.
279.
Le 26 avril 2017, la requérante forma un recours contre la décision de mise en détention provisoire prise à son égard.
280.
Par une décision du 2 mai 2017, la cour d'assises de Muş rejeta ce recours.
281.
Par un jugement rendu le 6 octobre 2017, la cour d'assises de Muş acquitta la requérante des chefs d'accusations d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité et d'avoir fait la propagande d'une organisation terroriste. Elle la condamna par contre à une peine d'emprisonnement de six ans pour avoir assisté une organisation terroriste sciemment et intentionnellement.
282.
Par un arrêt du 9 avril 2018, la cour d'appel d'Erzurum considéra qu'il ressortait clairement du discours du 8 juin 2015 tenu par la requérante que celle-ci avait émis des menaces contre les gardes de village. Elle la condamna ainsi à une peine d'emprisonnement de trois ans et vingt-quatre mois. Elle la condamna également à une réclusion criminelle d'un an et dix jours pour avoir commis une infraction pour le compte d'une organisation armée sans appartenance toutefois à la structure hiérarchique de cette dernière. En ce qui concerne l'infraction de propagande d'une organisation terroriste, la cour d'appel condamna la requérante à une peine d'emprisonnement de 1 an et 3 mois. S'agissant de l'infraction de diffusion de propagande en faveur d'une organisation terroriste, la Cour d'appel condamna la requérante à 1 an et 3 mois d'emprisonnement.
283.
Par un arrêt du 14 septembre 2019, la Cour de cassation confirma la condamnation de la requérante pour propagande en faveur d'une organisation terroriste. Elle infirma pourtant l'arrêt de la cour d'appel dans la mesure où il concerne les autres aspects relatifs à la condamnation de l'intéressée. Eu égard à la durée de la détention provisoire subie par la requérante, la haute juridiction ordonna également sa remise en liberté.
284.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en mars 2020 que la procédure pénale engagée contre la requérante est toujours pendante devant la cour d'assises de Muş.
285.
Au cours des mandats parlementaires de la requérante, les parquets compétents établirent contre elle un total de dix rapports d'enquête (
fezleke
), dont la grande majorité concernaient des infractions liées au terrorisme. Ils saisirent les autorités compétentes pour obtenir la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressée.
286.
À la suite de l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle concernant la levée de l'immunité parlementaire, les enquêtes pénales distinctes menées à l'encontre de la requérante furent réunies par le procureur de la République de Şırnak.
287.
Les 9 septembre 2016, 3 octobre 2016 et 4 octobre 2016, le procureur de la République de Şırnak adressa à la requérante trois convocations distinctes qui l'invitaient à faire une déposition dans le cadre de l'enquête pénale menée contre elle. Toutefois, celle-ci ne se présenta pas devant les autorités d'enquête.
288.
Le 3 novembre 2016, sur le fondement de l'article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), le juge de paix de Şırnak ordonna l'application d'une mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers la requérante et ses avocats. Par une décision du 19 décembre 2016, le juge de paix de Diyarbakır rejeta le recours tendant à la levée de la mesure de restriction d'accès au dossier d'enquête présenté par la requérante.
289.
Le même jour, à la demande du procureur de la République de Şırnak, le juge de paix de Şırnak ordonna la perquisition du domicile de la requérante.
290.
Le 4 novembre 2016, la requérante fut arrêtée à Mardin et placée en garde à vue.
291.
Le même jour, la requérante comparut devant le parquet de Şırnak. Elle refusa de répondre aux questions relatives aux accusations portées contre elle. Elle précisa que la levée de son immunité parlementaire était contraire à la Constitution. Selon elle, les opérations judiciaires menées contre les députés du HDP avaient été déclenchées par le gouvernement de l'AKP et le président de la République et elles étaient en réalité un coup d'État.
292.
À la suite de cette comparution, le procureur de la République de Şırnak demanda au juge de paix de Şırnak de placer la requérante en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste armée (article
314 §
1 du CP).
293.
Le même jour, la requérante, assistée par son avocat, fut traduite devant le juge de paix de Şırnak. La déposition de la requérante, faite en kurde, fut par la suite traduite en turc par un traducteur. Elle déclara d'abord qu'elle répétait le contenu de sa déposition faite devant le parquet. Elle argua que la véritable raison de l'enquête menée contre elle et contre les autres responsables de son parti politique était les instructions du pouvoir politique, qui ne pouvait pas supporter le succès du HDP. Selon elle, le pouvoir judiciaire était contrôlé par le président de la République. Elle soutint que même sa présence devant le juge était une infraction. D'après elle, il y a eu deux coups d'État lorsque le gouvernement actuel était au pouvoir
; le premier eut lieu le 15 juillet [2016] et le deuxième le 4 novembre [2016], quand les députés du HDP furent privés de leurs libertés. Niant toutes les accusations à son encontre, elle déclara qu'elle ne voulait pas répondre aux questions.
294.
À l'issue de l'audience, le juge de paix de Şırnak ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressée pour appartenance à une organisation terroriste armée. Dans la motivation de sa décision, il considéra que les déclarations de la requérante, notamment son discours du 15 juillet 2015, dans lequel elle avait dit que l'État était en train de commettre un massacre et que le gouvernement de l'AKP avait, prétendument, déclaré une guerre contre la population kurde, étaient contraires à l'article 10 § 2 de la Convention et à l'article
26 § 2 de la Constitution dans la mesure où les appels à la violence et la propagande d'une organisation terroriste ne relevaient pas de la liberté d'expression. Il estima que la liberté d'expression pouvait être limitée pour protéger la sécurité nationale, l'intégrité territoriale, la sécurité publique, les valeurs de la République, l'ordre public et la prévention de la criminalité. Eu égard à l'état des preuves et les déclarations de la requérante, le juge de paix considéra qu'il existait de forts soupçons pesant sur la requérante selon lesquels l'intéressée avait commis l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste. Par la suite, il ordonna le placement en détention provisoire de la requérante eu égard à la nature des infractions en cause
; à l'état des preuves
; à la lourdeur des peines prévues par la loi pour l'infraction concernée
; au fait que l'infraction en cause figuraient parmi les infractions cataloguées
; au fait que la mesure de détention était proportionnée par rapport à la peine potentielle et que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes.
295.
Le 17 novembre 2016, la requérante forma un recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire prise à son égard.
296.
Par une décision du 1
er
décembre 2016, la cour d'assises de Şırnak rejeta ce recours.
297.
Le 18 novembre 2016, le procureur de la République de Şırnak déposa devant la cour d'assises de Şırnak un acte d'accusation contre la requérante. Il reprochait à l'intéressée d'appartenir à une organisation terroriste armée (article 314 § 1 du CP), d'avoir incité la population à la haine et à l'hostilité (article 216 § 1 du CP), d'avoir menacé en utilisant les noms des organisations criminelles (article 106 du CP), et d'avoir organisé et assisté à des manifestations illégales (article 28 de la loi n
o
2911).
298 . Le parquet soutenait que la requérante avait participé à dix réunions et manifestations dans lesquelles la propagande de l'organisation terroriste PKK avait été diffusée. Selon le procureur de la République, la requérante faisait partie de l'aile politique du PKK et elle était membre de celui-ci. Les accusations portées par le procureur de la République contre la requérante peuvent se résumer comme suit :
i) La requérante avait participé à une manifestation dans laquelle des photos d'Abdullah Öcalan étaient exposées et la marche du PKK avait été jouée. Elle y avait, selon le parquet, fait l'apologie de l'organisation en question.
ii) La requérante avait participé aux funérailles d'un membre présumé du PKK tué lors d'un affrontement armé avec les forces de sécurité et tenu un discours dans lequel elle avait légitimé les méthodes violentes de l'organisation terroriste.
iii) La requérante avait, dans ses discours, légitimé la lutte armée du PKK.
299.
Le 21 novembre 2016, la cour d'assises de Şırnak admit l'acte d'accusation du procureur de la République.
300.
Le 4 janvier 2017, la cour d'assises de Şırnak tint sa première audience dans l'affaire, à l'issue de laquelle elle ordonna la remise en liberté de la requérante, assortie d'une interdiction de sortie du territoire national.
301.
À différentes dates, la requérante forma des recours contre la décision d'interdiction de sortie du territoire national. La cour d'assises de Şırnak rejeta ces recours.
302 . Le 29 août 2018, la cour d'assises de Şırnak établit que, malgré l'interdiction de sortie du territoire, la requérante était partie en Grèce. Par conséquent, elle émit un mandat d'arrêt en vue de sa remise en détention provisoire.
303.
À l'issue de l'audience du 19 novembre 2018, la cour d'assises de Şırnak décida de joindre la procédure pénale engagée contre la requérante avec la procédure pénale pendante devant la cour d'assises d'Ankara et envoya le dossier devant cette instance.
304.
Le 21 mars 2019, la cour d'assises d'Ankara émit un nouveau mandat d'arrêt contre la requérante en vue de sa remise en détention provisoire. Elle décida par ailleurs de notifier la situation au ministère de la Justice pour qu'il fasse le nécessaire afin d'obtenir l'extradition de la requérante.
305.
Il ressort des derniers éléments fournis par les parties en février 2020 que la procédure pénale est actuellement pendante devant la cour d'assises d'Ankara.
306 . À des dates différentes, les requérants introduisirent chacun un recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Ils se plaignirent essentiellement de leurs privations de liberté.
307.
Entre le 16 novembre 2017 et le 14 novembre 2018, la Cour constitutionnelles rendit ses décisions. À l'exception du recours individuel introduit par le requérant de la requête n
o
41087/17, M. Ayhan Bilgen, la haute juridiction constitutionnelle déclara les recours des intéressés irrecevables. Les raisonnements de ces décisions sont résumés ci-dessous.
308 . Le 17 novembre 2016, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 4 avril 2018 (n o 2016/25187), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
309.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
310 . S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
311.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des décisions judiciaires relatives à la détention provisoire de la requérante et des preuves contenues dans l'acte d'accusation, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle nota notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de l'autre co-président du HDP qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
312.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres c. Turquie
(26
novembre 1997,
Recueil des arrêts et décisions
1997
-
VII), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
313 . La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
314.
La Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé, sous l'angle de l'article 5 § 3 de la Convention ou de l'article 19 § 7 de la Constitution, du grief de la requérante relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier sa détention provisoire.
315.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
316.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressée avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. En conséquence, elle déclara ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
317.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
318.
Dans son opinion dissidente, M. Engin Yıldırım, le juge minoritaire, fit référence à son opinion dissidente dans l'affaire
Selahattin Demirtaş
(pour les détails relatifs à l'opinion dissidente en question, voir l'arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 107).
319.
Le 2 décembre 2016, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 21 mars 2018 (n
o
2016/41020), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
320.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que le requérant aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'il n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
321.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20
mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle considéra en outre que le requérant n'avait pas présenté de preuves pour démontrer que ses discours incriminés étaient protégés par son irresponsabilité parlementaire. Selon la haute juridiction, on ne pouvait pas attendre que la Cour constitutionnelle fasse un tel examen de sa propre initiative. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressé selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
322.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des décisions judiciaires relatives à la détention provisoire du requérant et les preuves contenues dans l'acte d'accusation, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par le requérant. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire du requérant poursuivait un but légitime. Elle nota notamment que la détention de l'intéressé avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que le requérant avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M.
Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. Elle estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
323.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire du requérant était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait le requérant, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
324.
La haute juridiction nota en outre que, comme le requérant avait été mis en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, le requérant ne pouvait pas être mis en détention provisoire tant qu'il jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressé avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que le requérant avait été placé en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra donc qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire du requérant était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
325.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
326.
La Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé du grief du requérant relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant. Elle a considéré que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
327 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour le requérant d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressé avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressé avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que le requérant n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels il n'avait pu accéder. Selon elle, le requérant n'avait donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
328.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
329.
Le 10 février 2017, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 3 juillet 2018 (n
o
2017/5867), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
330.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
331.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard au contenu des oppositions formées par l'intéressée contre sa mise en détention provisoire et aux éléments contenus dans le dossier d'enquête. En conséquence, elle déclara ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
332.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
333.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des décisions judiciaires relatives à la détention provisoire de la requérante et les preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par l'intéressée, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M. Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
334.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
335.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ six mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
336.
La Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle a considéré que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
337.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
338.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
339.
Dans son opinion dissidente, M. Engin Yıldırım, le juge minoritaire, fit référence à son opinion dissidente dans l'affaire
Selahattin Demirtaş
(pour les détails relatifs à l'opinion dissidente en question, voir l'arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 107).
340.
Le 28 novembre 2016, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 14 novembre 2018 (n
o
2016/29875), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
341.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que le requérant aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'il n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
342.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20
mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressé selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
343.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment un discours tenu par le requérant et le fait qu'il était allé dans une zone d'opération pour créer un bouclier humain, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par le requérant. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire du requérant poursuivait un but légitime. Elle nota notamment que la détention de l'intéressé avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que le requérant avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M.
Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. Elle estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
344.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire du requérant était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait le requérant, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
345.
La haute juridiction nota en outre que, comme le requérant avait été mis en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, le requérant ne pouvait pas être mis en détention provisoire tant qu'il jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressé avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que le requérant avait été placé en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra donc qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire du requérant était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
346.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
347.
La Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé du grief du requérant relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant. Elle a considéré que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
348.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour le requérant d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressé avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressé avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que le requérant n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels il n'avait pu accéder. Il n'avait pas non plus informé la Cour constitutionnelle de la date et du numéro de la décision relative à l'interdiction de son accès au dossier d'enquête. Selon elle, le requérant n'a donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
349.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
350.
Le 30 novembre 2016, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 23 mai 2018 (n
o
2016/29411), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
351.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que le requérant aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'il n'avait pas fait. De même, elle constata qu'il n'avait formé aucun recours contre son placement en garde à vue sur le fondement de l'article
91
§
5 du CPP. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
352.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20
mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressé selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
353.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les réunions, les marches et les funérailles auxquelles le requérant avait participé et les discours qu'il y avait tenus, ainsi que le fait qu'il avait essayé de sauver la vie des membres d'une organisation terroriste qui étaient en affrontement armé avec les forces de sécurité, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par le requérant. Elle jugea également que la mise en détention provisoire du requérant poursuivait un but légitime. Elle nota notamment que la détention de l'intéressé avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que le requérant avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M.
Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. Elle estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
354.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire du requérant était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait le requérant, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
355.
La haute juridiction nota en outre que, comme le requérant avait été mis en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, le requérant ne pouvait pas être mis en détention provisoire tant qu'il jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressé avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que le requérant avait été placé en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra donc qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire du requérant était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
356.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
357.
La Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé du grief du requérant relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant. Elle a considéré que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
358 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour le requérant d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressé avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressé avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que le requérant n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels il n'avait pu accéder. Il n'avait pas non plus informé la Cour constitutionnelle de la date et du numéro de la décision relative à son interdiction d'accéder au dossier d'enquête. Selon elle, le requérant n'a donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
359.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
360.
Le 1
er
décembre 2016, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 7 mars 2018 (n
o
2016/32948), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
361.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
362.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle considéra en outre que la requérante n'avait pas présenté de preuves pour démontrer que ses discours incriminés étaient protégés par son irresponsabilité parlementaire. Selon la haute juridiction, on ne pouvait pas attendre que la Cour constitutionnelle fasse un tel examen de sa propre initiative. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
363.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par l'intéressée, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M. Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
364.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
365.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
366.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
367.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
368 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressée avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que la requérante n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels elle n'avait pu accéder. Selon elle, la requérante n'a donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
369.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
370.
Dans son opinion dissidente, M. Engin Yıldırım, le juge minoritaire, fit référence à son opinion dissidente dans l'affaire
Selahattin Demirtaş
(pour les détails relatifs à l'opinion dissidente en question, voir l'arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 107).
371.
Le 29 novembre 2016, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 11 juin 2018 (n
o
2016/29925), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
372.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que le requérant aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'il n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
373.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20
mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressé selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
374.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par le requérant qui qualifia les opérations menées par les forces de sécurité de «
massacre
» et le fait qu'il avait assisté aux funérailles des membres présumés du PKK, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par le requérant. Elle jugea également que la mise en détention provisoire du requérant poursuivait un but légitime. Elle nota notamment que la détention de l'intéressé avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que le requérant avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M.
Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. Elle souligna également que le requérant s'était rendu à l'aéroport pour partir à l'étranger, sans préciser si l'intéressé était au courant de la décision relative à l'interdiction de sortie du territoire national. Selon la juridiction constitutionnelle, ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
375.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire du requérant était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait le requérant, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
376.
La haute juridiction nota en outre que, comme le requérant avait été mis en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, le requérant ne pouvait pas être mis en détention provisoire tant qu'il jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressé avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que le requérant avait été placé en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra donc qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire du requérant était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
377.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
378.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief du requérant relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
379 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour le requérant d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressé avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu de la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et de l'ordonnance relative à son placement en détention. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
380.
Concernant les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par le requérant, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
381.
Le 6 décembre 2016, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 16 novembre 2017 (n
o
2016/40170), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
382.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. De même, elle constata que la requérante n'avait formé aucun recours contre son placement en garde à vue sur le fondement de l'article 91 § 5 du CPP. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
383.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
384.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les tweets publiés sur le compte Twitter du HDP, ses discours dans lesquels elle qualifia les membres du PKK de «
nos martyrs
» et «
nos camarades
» et les opérations menées par les forces de sécurité de «
massacres
» et le fait que la requérante était en contact avec une personne soupçonnée d'être membre du PKK, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article
100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M. Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
385.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
386.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
387.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
388.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
389 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressée avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que la requérante n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels elle n'avait pu accéder. Selon elle, la requérante n'a donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
390.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
391.
Le 15 décembre 2016, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 30 octobre 2018 (n
o
2016/35718), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
392.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
393.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
394.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par la requérante entre 2012 et 2016 concernant la question kurde, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article
100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M. Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
395.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
396.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
397.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
398.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
399 . Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressée avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. De plus, la Cour constitutionnelle releva que la requérante n'avait pas expliqué quels étaient les documents auxquels elle n'avait pu accéder. Elle nota également que la requérante n'avait pas précisé la date et le numéro de la décision relative à l'interdiction d'accéder au dossier d'enquête. Selon elle, la requérante n'a donc pas fondé son grief. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
400.
S'agissant du grief relatif à l'absence de contrôle juridictionnel à bref délai de son recours contre sa détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que les juridictions nationales avaient rejeté le recours en question respectivement sous dix et quatorze jours. Elle considéra que ces délais étaient en conformité avec l'exigence de célérité de l'examen de la légalité de la détention et déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
401.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
402.
Le 26 janvier 2017, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 12 septembre 2018 (n
o
2017/5221), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
403.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
404.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle considéra en outre, d'une manière générale et sans effectuer une comparaison des discours incriminés avec les discours de la requérante tenus au sein de l'Assemblée nationale, que les discours incriminés n'étaient pas protégés par son immunité parlementaire. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
405.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par la requérante en 2015 et 2016 concernant la question kurde, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article
100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
406.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
407.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Selon la Cour constitutionnelle, le constat de la cour d'assises de
Diyarbakır, selon lequel la détention de la requérante était proportionnée et que
les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, n'était ni arbitraire ni sans fondement. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
408.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
409.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
410.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
411.
Le 15 février 2017, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par un arrêt du 21 décembre 2017 (n
o
2017/5974), dans laquelle elle a conclu à la violation du droit à la liberté et à la sûreté du requérant, tel que protégé par l'article 19 § 3 de la Constitution.
412.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour le requérant d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressé avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République et aux questions posées durant son interrogatoire. Elle nota également qu'eu égard à la demande du procureur de la République concernant sa mise en détention provisoire et à l'ordonnance relative à son placement en détention, l'intéressé avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
413.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20
mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire du requérant qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle considéra en outre que le requérant n'avait pas présenté de preuves pour démontrer que ses discours incriminés étaient protégés par son irresponsabilité parlementaire. Selon la haute juridiction, on ne pouvait pas attendre que la Cour constitutionnelle fasse un tel examen de sa propre initiative. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressé selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
414.
Ensuite, la Cour constitutionnelle examina s'il y avait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par le requérant. Elle indiqua qu'il n'y avait aucun élément de preuve pour attester que le requérant avait participé à la réunion du comité exécutif du HDP tenu le 6 octobre 2014. Elle nota à cet égard que le requérant avait critiqué les appels publiés sur le compte Twitter de son parti politique. Elle estima donc qu'il n'était pas responsable des tweets en question. Elle conclut en conséquence qu'il n'y avait pas suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par ce requérant. Partant, elle dit qu'il y a eu violation de l'article 19 § 3 de la Constitution.
415.
Compte tenu de sa conclusion relative à l'article 19 § 3 de la Constitution, la Cour constitutionnelle n'a pas fait d'examen séparé des griefs du requérant relatifs à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant et à son droit d'être élu et de mener des activités politiques.
416.
La Cour constitutionnelle estima également qu'il y avait lieu d'octroyer au requérant 20
000 livres turques (TRY) (soit environ 4
400
euros (EUR) à l'époque des faits) pour dommage moral et 2
057,50
TRY (soit environ 450 EUR à l'époque des faits) pour frais et dépens.
417.
Le 10 juillet 2017, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 25 octobre 2018 (n
o
2017/28895), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
418.
En ce qui concerne le grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
419.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par la requérante et le fait qu'elle avait participé aux funérailles des membres présumés du PKK, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que le fait que la requérante n'avait pas présenté sa défense était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
420.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables.
421.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ dix mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Selon la Cour constitutionnelle, le constat de la cour d'assises de
Muş, selon lequel la détention de la requérante était proportionnée et que
les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes, n'était ni arbitraire ni sans fondement. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
422.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence de considération des mesures alternatives à la détention provisoire. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
423.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
424.
Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
425.
Le 23 décembre 2016, la requérante saisit la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 4 juillet 2018 (n
o
2016/40882), dans laquelle elle a déclaré ce recours irrecevable.
426.
En ce qui concerne le grief tiré de la légalité de l'arrestation et de la garde à vue, la Cour constitutionnelle déclara que la requérante aurait dû introduire une action en indemnisation sur le fondement de l'article
141 du
CPP, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, invoquant le principe de subsidiarité, elle déclara ce grief irrecevable pour non
-
épuisement des voies de recours.
427.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la requérante soutenait en premier lieu qu'elle bénéficiait toujours de l'immunité parlementaire et que dès lors sa détention provisoire était contraire à la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle releva que la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 avait permis d'accéder aux demandes visant à la levée de l'immunité parlementaire de la requérante qui avaient été transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de cette modification. Elle rejeta donc l'argument de l'intéressée selon lequel sa détention provisoire n'avait aucune base légale.
428.
Puis la Cour constitutionnelle conclut, à l'instar des preuves contenues dans l'acte d'accusation, notamment les discours tenus par la requérante contre les opérations menées par les forces de sécurité et le fait qu'elle avait participé aux funérailles des membres présumés du PKK, qu'il existait suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction par la requérante. Elle jugea ainsi que la mise en détention provisoire de la requérante poursuivait un but légitime. Elle indiqua notamment que la détention de l'intéressée avait été ordonnée, entre autres, aux motifs que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l'article 100 § 3 du CPP et que les peines prévues par la loi étaient lourdes. Elle ajouta que la lourdeur d'une peine encourue était un élément à prendre en compte lors de l'appréciation du risque de fuite. De plus, elle nota que la requérante avait refusé de se présenter devant les autorités d'enquête, conformément à la déclaration de M. Selahattin Demirtaş qui avait déclaré qu'aucun député de son parti politique ne fournirait de déposition de son propre gré. La haute juridiction estima que ces éléments suffisaient pour conclure à l'existence d'un risque de fuite.
429.
La Cour constitutionnelle rechercha ensuite si la détention provisoire de la requérante était proportionnée ou non au but poursuivi. Elle indiqua d'abord que, contrairement à ce qu'alléguait la requérante, elle n'avait jamais rendu d'arrêt déclarant que la mise en détention provisoire d'un député dont l'immunité avait été levée constituait
per se
une violation de la Constitution. Se référant à ses décisions
Gülser Yıldırım (2)
et
Selahattin Demirtaş
, elle souligna qu'elle avait déclaré des griefs similaires de deux députés irrecevables. Ainsi, se référant à l'arrêt de la Cour
Sakık et autres
(précité), elle précisa que la jurisprudence strasbourgeoise était parallèle.
430.
La haute juridiction nota en outre que, comme la requérante avait été mise en détention provisoire longtemps après la date de commission des infractions alléguées, il fallait examiner si cette détention provisoire pouvait ou non être considérée comme nécessaire. Dans ce contexte, elle rappela que, au regard de l'article 83 de la Constitution, la requérante ne pouvait pas être mise en détention provisoire tant qu'elle jouissait de l'immunité parlementaire. Elle observa qu'en l'espèce les rapports d'enquête concernant l'intéressée avaient été renvoyés aux procureurs de la République compétents après l'entrée en vigueur de la modification constitutionnelle introduisant une exception à l'immunité parlementaire et que la requérante avait été placée en détention provisoire environ cinq mois plus tard. Elle considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que les autorités d'enquête n'étaient pas restées inactives pendant cette période. Elle estima en outre qu'il n'était pas possible de parvenir à la conclusion que la détention provisoire de la requérante était disproportionnée et arbitraire, eu égard notamment à la sévérité de la peine prévue pour les infractions reprochées. Pour ces raisons, elle déclara cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
431.
La Cour constitutionnelle ne fit pas d'examen séparé du grief relatif à l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire de la requérante. Elle considéra que celui-ci requérait un examen uniquement sous l'angle de l'article 19 § 3 de la Constitution.
432.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 18 de la Convention, eu égard à sa conclusion relative à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, la Cour constitutionnelle jugea qu'il n'était pas nécessaire de l'examiner séparément.
433.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante d'accéder au dossier d'enquête, la juridiction constitutionnelle considéra que l'intéressée avait eu suffisamment de moyens pour préparer sa défense face aux accusations portées à son encontre et pour contester sa mise en détention provisoire, eu égard notamment au contenu des rapports d'enquête soumis à l'Assemblée nationale par les procureurs de la République. Elle nota également qu'eu égard aux interrogatoires devant le parquet et devant le juge de paix, l'intéressée avait la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire. En conséquence, elle déclara cette partie de la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
434 . Concernant enfin les griefs tirés du droit à la liberté d'expression et du droit d'être élu et de mener des activités politiques, la Cour constitutionnelle, eu égard à sa conclusion sur le grief relatif à la légalité de la détention provisoire subie par la requérante, les déclara irrecevables pour défaut manifeste de fondement.
435.
Le 26 février 2021, la requérante saisit à nouveau la Cour constitutionnelle d'un recours individuel, qui a statué par une décision du 13
janvier 2022 (n
o
2021/7181), dans laquelle elle déclara ce recours partiellement irrecevable. Elle conclut ainsi à la non-violation du droit à la liberté et à la sûreté de l'intéressée tel que protégé par l'article 19 § 7 de la Constitution.
436.
S'agissant du grief relatif à la légalité de la détention provisoire, la Cour constitutionnelle estima que celui-ci était essentiellement le même que le recours individuel précédemment examiné (voir les paragraphes 310-313 ci-dessus). En conséquence, elle déclara cette partie du recours irrecevable.
437.
En ce qui concerne le grief relatif aux recours formés contre la détention provisoire de la requérante, notamment en raison de la durée excessive de la procédure, la Cour constitutionnelle nota que la requérante n'avait aucunement expliqué, ni envoyé d'élément de preuve à l'appui de ses allégations. Elle déclara donc cette partie du recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
438.
Pour ce qui est du grief tiré de l'impossibilité pour la requérante de comparaître devant un juge appelé à se prononcer sur son recours contre sa détention provisoire, la Cour constitutionnelle releva que la requérante aurait dû la saisir dans un délai de trente jours à partir de la décision prise par le juge de paix le 7 novembre 2016, ce qu'elle n'avait pas fait. En conséquence, elle déclara ce grief irrecevable pour tardiveté.
439.
S'agissant enfin du grief de la requérante relative à la durée excessive de sa détention provisoire (trois ans et un mois), la Cour constitutionnelle estima que les magistrats et les cours d'assises compétentes avaient évalué les allégations de la requérante selon lesquelles son maintien en détention était déraisonnable. La haute juridiction considéra que les décisions relatives à la détention de l'intéressée étaient établies sur la base d'un raisonnement pertinent et suffisant et qu'elles étaient suffisamment motivées pour justifier la durée de la détention subie par la requérante. Pour ces raisons, la haute juridiction jugea qu'il n'y avait pas eu violation du droit de la requérante à la liberté et à la sécurité au sens de l'article 19 § 7 de la Constitution.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
440.
Le droit et la pratique internes pertinents et les éléments internationaux pertinents sont exposés dans l'arrêt de la Cour
Selahattin Demirtaş c. Turquie (n
o
2)
(précité, §§ 129-166).
441 . Dans ses passages pertinents, l'article 153 du code de procédure pénale dispose :
« (1) L'avocat de la défense peut examiner le contenu intégral du dossier relatif à la phase d'enquête et peut prendre une copie des documents de son choix, et n'est pas tenu de payer des frais pour cela.
(2) Le pouvoir de l'avocat de la défense peut être limité, sur demande du procureur de la République, par décision du juge de paix, si un examen du contenu du dossier, ou des copies prises, entrave l'objectif de l'enquête en cours. (...)
(3) Les dispositions du deuxième alinéa ne sont pas applicables aux procès-verbaux d'interrogatoire de la personne arrêtée ou du suspect, aux rapports d'expertise et aux procès-verbaux d'autres actes judiciaires, au cours desquels les personnes susmentionnées ont le droit d'être présentes.
(4) L'avocat de la défense peut examiner le contenu intégral du dossier et tous les éléments de preuve confidentiels, à partir de la date d'approbation de l'acte d'accusation par le tribunal ; il peut prendre copie de tous les dossiers et documents sans aucun frais (...) »
EN DROIT
442.
Eu égard à la similarité de l'objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
443.
Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d'irrecevabilité.
444.
Le Gouvernement soutient que les requérants ont soumis leurs griefs à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement au sens de l'article
35 § 2 b) de la Convention, à savoir l'Union interparlementaire (UIP). Cette disposition énonce
:
« (...) 2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l'article 34, lorsque :
(...)
b) elle est essentiellement la même qu'une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux. »
445.
Les requérants contestent la thèse du Gouvernement. Ils soutiennent que l'UIP ne peut pas être considérée comme une instance internationale d'enquête ou de règlement.
446.
La Cour rappelle qu'elle a récemment examiné dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
([GC], n
o
14305/17, 22 décembre 2020) si le Comité de l'UIP pouvait être considéré comme «
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement
» et elle a conclu qu'il ne pouvait pas être considéré comme offrant une procédure judiciaire ou quasi judiciaire similaire à celle mise en place par la Convention (
ibidem
, §§ 179-190). En l'occurrence, la Cour ne voit aucune raison pour s'écarter de cette jurisprudence. Elle rejette donc l'exception soulevée par le Gouvernement.
447.
Le Gouvernement, citant notamment les conclusions de la Cour dans ses décisions
Uzun c. Turquie
((déc.), n
o
10755/13, 30 avril 2013) et
Mercan c.
Turquie
((déc.), n
o
56511/16, 8 novembre 2016), reproche aux requérants de ne pas avoir exercé un recours individuel devant la Cour constitutionnelle.
448.
Les requérants soutiennent qu'ils ont épuisé toutes les voies de recours internes.
449.
La Cour rappelle que l'obligation pour le requérant d'épuiser les voies de recours internes s'apprécie en principe à la date d'introduction de la requête devant la Cour (
Baumann c. France
, n
o
33592/96, §
47, CEDH
2001
-
V (extraits)). Néanmoins, elle tolère que le dernier échelon d'un recours soit atteint après le dépôt de la requête mais avant qu'elle ne se prononce sur la recevabilité de celle-ci (
Karoussiotis c.
Portugal
, n
o
23205/08, § 57, CEDH 2011 (extraits),
Stanka Mirković et autres c.
Monténégro
, n
os
33781/15et 3 autres, § 48, 7 mars 2017,
Azzolina et autres c.
Italie
, n
os
28923/09et
67599/10, § 105, 26 octobre 2017,
Mehmet Hasan Altan c. Turquie
, n
o
13237/17, § 107, 20 mars 2018, et
Şahin Alpay c.
Turquie
, n
o
16538/17, § 86, 20 mars 2018).
450.
À des dates différentes, les requérants introduisirent chacun un recours individuel devant la Cour constitutionnelle, qui a rendu ses décisions entre le 16 novembre 2017 et le 14 novembre 2018 (paragraphes 308-434
ci-dessus).
451.
Par conséquent, la Cour rejette également cette exception soulevée par le Gouvernement.
452.
S'agissant du requérant de la requête n
o
41087/17, le Gouvernement note que le requérant M. Ayhan Bilgen n'a soulevé aucun grief relatif à son droit à la liberté d'expression devant la Cour constitutionnelle. Il invite donc la Cour à déclarer cette partie de la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.
453.
Le requérant, soutenant d'une manière générale qu'il a épuisé toutes les voies de recours internes, ne se prononce pas spécifiquement sur cette exception.
454 . La Cour observe, à la lumière des observations du Gouvernement non contestées par ce requérant, que celui-ci n'a pas formulé un tel grief devant la haute juridiction constitutionnelle. Elle accepte donc l'exception du Gouvernement sur ce point et déclare cette partie de la requête n o 41087/17irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.
455.
Le Gouvernement affirme que les requérants, à l'exception de M
me
Figen Yüksekdağ Şenoğlu et M. Ayhan Bilgen, n'ont pas soulevé leurs griefs tirés de l'article 5 § 3 de la Convention dans le cadre de leurs recours auprès de la Cour constitutionnelle. Il estime en conséquence que ces parties des requêtes doivent être déclarées irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes.
456.
Les requérants allèguent, d'une manière générale, qu'ils ont épuisé les voies de recours internes.
457.
La Cour observe, d'après la copie des formulaires de recours initiaux qui figurent dans le dossier des affaires, que ces onze requérants n'ont pas explicitement invoqué l'article 5 § 3 de la Convention devant la Cour constitutionnelle. Cela étant, ils se plaignaient clairement de l'absence de raisonnement des décisions relatives à leurs détentions (voir les formulaires de recours constitutionnel présentés par İdris Baluken (§§ 78-81), Besime Konca (§§ 78-81), Abdullah Zeydan (§§ 73-79), Nihat Akdoğan (§§
74-80), Selma Irmak (§§ 88-94), Ferhat Encu (§§ 72-78), Gülser Yıldırım (§§
73-79), Nursel Aydoğan (§§ 74-84), Çağlar Demirel (§§ 110-115), Burcu Çelik (§§
67-76) et Leyla Birlik (§§ 77-83)) et de la non-application d'une mesure alternative à la détention provisoire (voir les formulaires de recours constitutionnel présentés par İdris Baluken (§§ 82-86), Besime Konca
(§§ 82-86), Abdullah Zeydan (§§ 80-84), Nihat Akdoğan (§§ 74-80), Selma Irmak (§§ 95-99), Ferhat Encu (§§ 79-84), Gülser Yıldırım (§§ 80-84), Nursel Aydoğan (§§ 84-89), Çağlar Demirel (§§ 116-120), Burcu Çelik (§§
77-81) et Leyla Birlik (§§ 84-88)). Dans ces conditions, la Cour estime que les recours initiaux des requérants auprès de la Cour constitutionnelle énonçaient, en substance, leurs griefs tirés de l'article 5 § 3 de la Convention soulevés devant la Cour (voir,
Selahattin Demirtaş (n
o
2),
précité, § 198).
458.
En conséquence, la Cour rejette cette exception formulée par le Gouvernement.
459.
Le Gouvernement allègue que la requérante de la requête n
o
68853/17, M
me
Burcu Çelik, n'a pas soulevé, dans le cadre de son premier recours auprès de la Cour constitutionnelle, ses griefs concernant les articles
10 et 18 de la Convention et l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention, en relation avec son maintien en détention provisoire.
460.
La requérante soutient, d'une manière générale, qu'elle a épuisé toutes les voies de recours internes.
461.
Il ressort de la copie du formulaire de recours initial du 10
juillet 2017 qui figure dans le dossier de l'affaire, que la requérante a explicitement invoqué les articles 10 et 18 de la Convention (respectivement aux paragraphes
100-110 et 110-136 du formulaire de recours) et l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention en relation avec sa mise en détention provisoire (aux paragraphes 84-99 du formulaire de recours) devant la Cour constitutionnelle. Après l'introduction de son recours constitutionnel, les autorités judiciaires ont ordonné son maintien en détention provisoire. En pareil cas, les observations ultérieures de la requérante ne concernaient donc pas un fait qui n'aurait pas été évoqué dans son recours initial, mais les développements factuels survenus dans le contexte de son maintien en détention provisoire (voir, dans ce sens,
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, §
198).
462.
Par conséquent, la Cour rejette l'exception soulevée par le Gouvernement.
463.
S'agissant des griefs des requérants sous l'angle de l'article 5 de la Convention, le Gouvernement indique que les intéressés avaient à leur disposition le recours en indemnisation prévu par l'article 141 § 1 a) et d) du CPP. Il estime que les requérants pouvaient, et auraient dû, introduire une action en indemnisation sur le fondement de la disposition susmentionnée. En ce qui concerne les requérants qui ont introduit une telle action, le Gouvernement note que les procédures sont actuellement en cours devant les juridictions nationales.
464.
Les requérants contestent la thèse du Gouvernement. Ils soutiennent qu'une action en indemnisation ne présentait pas des perspectives raisonnables de succès quant à leurs griefs.
465.
S'agissant d'abord des griefs tirés de l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, la Grande Chambre a estimé, dans son arrêt rendu dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précité, § 214), qu'une action en réparation fondée sur l'article 141 § 1 a) et d) du CPP ne pouvait pas être considérée comme une voie de recours effective pour contester l'absence alléguée de raisons plausibles de soupçonner un individu d'avoir commis une infraction ou l'absence alléguée de motifs pertinents et suffisants propres à justifier une détention provisoire au sens de l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.
466.
Pour ce qui est ensuite de l'exception relative au grief tiré de l'article
5 § 4 de la Convention, la Cour rappelle qu'elle s'est déjà prononcée sur un grief similaire à celui des requérants et qu'elle a alors constaté que l'article
141 du CPP ne permettait pas de demander réparation d'un préjudice causé par des défaillances procédurales afférentes au recours en opposition (
Altınok c. Turquie
, n
o
31610/08, § 67, 29 novembre 2011, et
Ceviz c.
Turquie
, n
o
8140/08, § 59, 17 juillet 2012). Par ailleurs, le Gouvernement n'a fourni aucune décision interne indiquant que, dans des circonstances similaires à celles des présentes affaires, le recours prévu à l'article 141 §
1
d) du CPP a pu aboutir pour un tel grief. La Cour ne voit donc pas de raisons de s'écarter de sa jurisprudence en l'espèce.
467.
Il s'ensuit que l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
468.
Dans ses observations supplémentaires, reçues le 4 janvier 2018, le Gouvernement expose que par son arrêt du 21 décembre 2017 la Cour constitutionnelle a reconnu que le requérant Ayhan Bilgen avait subi une violation de son droit à la liberté et à la sûreté. Il ajoute que l'intéressé a obtenu une indemnité appropriée et suffisante. En conséquence, il invite la Cour à rejeter la requête de l'intéressé, estimant que ce requérant ne peut plus se prétendre victime d'une violation de la Convention.
469.
Le requérant Ayhan Bilgen conteste cet argument. Il considère que le fait que la Cour constitutionnelle a déclaré ses griefs irrecevables, à l'exception de celui concernant son droit à la liberté et à la sûreté, démontre qu'il est toujours victime au sens de la Convention. En conséquence, il estime avoir toujours la qualité de victime, nonobstant l'arrêt de la Cour constitutionnelle.
470.
La Cour rappelle qu'il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention et que, pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d'une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l'introduction de la requête, mais aussi de l'ensemble des circonstances de l'affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l'examen de l'affaire par elle (
Tănase c.
Moldova
[GC], n
o
7/08, § 105, CEDH 2010).
471.
La Cour rappelle ensuite qu'une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de «
victime
» aux fins de l'article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention (
Scordino c. Italie (n
o
1)
[GC], n
o
36813/97, §§
179-180, CEDH
2006
-
V,
Gäfgen c. Allemagne
[GC], n
o
22978/05, §
115, CEDH
2010,
Kurić et autres c. Slovénie
[GC], n
o
26828/06, § 259, CEDH 2012 (extraits), et
Cristea c. République de Moldova
, n
o
35098/12, § 25, 12 février 2019). Ce n'est que lorsqu'il est satisfait à ces deux
conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s'oppose à un examen de la requête (
Rooman c. Belgique
[GC], n
o
18052/11, § 129, 31 janvier 2019).
472.
La Cour rappelle aussi qu'un recours visant la légalité d'une privation de liberté doit, pour être effectif, offrir à son auteur une perspective de cessation de la privation de liberté contestée (
Mustafa Avci c.
Turquie
, n
o
39322/12, § 60, 23 mai 2017). Cependant, lorsque la privation de liberté a déjà pris fin, il convient de vérifier si l'intéressé disposait d'un recours pouvant conduire, d'une part, à la reconnaissance du caractère déraisonnable de celle-ci et, d'autre part, à l'allocation d'une indemnité liée à ce constat.
473.
En l'espèce, la Cour observe que, le 8 septembre 2017, le requérant Ayhan Bilgen a été remis en liberté (voir le paragraphe 268 ci-dessus). En conséquence, elle doit tout d'abord vérifier s'il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d'une violation d'un droit protégé par la Convention et, d'autre part, si le redressement offert peut être considéré comme ayant été approprié et suffisant (voir, notamment,
Vedat Doğru
c.
Turquie
, n
o
2469/10, § 37, 5 avril 2016).
474.
En ce qui concerne la question de la «
reconnaissance
», la Cour note tout d'abord que la Cour constitutionnelle n'a trouvé de violation qu'à l'égard du droit à la liberté et à la sûreté du requérant, étant donné qu'il n'y avait pas suffisamment de données pour démontrer l'existence de forts soupçons de commission d'une infraction de sa part. Par conséquent, elle estime que l'intéressé peut toujours se prétendre victime d'une violation des autres griefs qu'il a soulevés devant la Cour.
475.
En revanche, la Cour estime que le constat de violation par les autorités nationales ne prête pas à controverse pour le grief formulé sur le terrain de l'article 5 § 1 de la Convention puisque la Cour constitutionnelle a conclu que le requérant Ayhan Bilgen avait été placé en détention provisoire sans qu'une forte indication qu'une infraction avait été commise eût été suffisamment démontrée. La haute juridiction a donc estimé qu'il y avait eu violation de l'article 19 § 3 de la Constitution.
476.
En ce qui concerne le grief du requérant Ayhan Bilgen formulé sur le terrain de l'article 5 § 3 de la Convention, la Cour renvoie aux principes généraux concernant le caractère raisonnable d'une détention, notamment décrits dans les arrêts
Buzadji c. République de Moldova
(précité, §§ 84
-
91) et
Merabishvili c. Géorgie
([GC], n
o
72508/13, §§ 222-225, 28
novembre 2017). À cet égard, elle rappelle que la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne détenue d'avoir commis une infraction est une condition
sine qua non
de la régularité du maintien en détention (
Merabishvili
, précité, § 222, avec les références qui y sont citées). En l'occurrence, la Cour constitutionnelle a estimé que l'intéressé avait été mis en détention provisoire sans qu'une forte indication qu'une infraction avait été commise eût été suffisamment démontrée. Autrement dit, elle a conclu qu'il n'y avait pas de raisons plausibles de soupçonner l'intéressé d'avoir commis une infraction. Aux yeux de la Cour, bien que la Cour constitutionnelle ait estimé, eu égard à son constat de violation de l'article
19 §
3 de la Constitution, qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir s'il y avait des motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention provisoire du requérant, sa conclusion relative à la légalité de la privation de liberté subie par l'intéressé signifie également qu'il y a eu reconnaissance, au moins en substance, d'une violation des droits garantis par l'article
5 § 3 de la Convention.
477.
Il incombe donc à la Cour de rechercher si l'arrêt de la Cour constitutionnelle a constitué pour le requérant Ayhan Bilgen un redressement approprié et suffisant. À cet égard, la Cour rappelle que, lorsque des autorités nationales ont octroyé à un requérant une indemnité en redressement de la violation constatée, il convient qu'elle en examine le montant (
Hebat Aslan et Firas Aslan
c. Turquie
, n
o
15048/09, § 44, 28 octobre 2014). Pour ce faire, elle tiendra compte de sa propre pratique dans des affaires similaires et elle se demandera, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu'elle aurait accordé dans une situation comparable - ce qui ne signifie pas que les deux montants doivent forcément correspondre. De plus, elle prendra en compte l'ensemble des circonstances de l'affaire, y compris le type de remède choisi et la rapidité avec laquelle les autorités nationales ont procédé au redressement en question, dès lors qu'il leur appartient en premier lieu d'assurer le respect des droits et libertés garantis par la Convention (
Vedat Doğru
, précité, § 40). Cela dit, la somme accordée au niveau national ne doit pas être manifestement insuffisante eu égard aux circonstances de l'affaire à l'examen (voir, entre autres,
Žúbor c. Slovaquie
, n
o
7711/06, §
63, 6
décembre 2011).
478.
En l'espèce, la Cour observe que la Cour constitutionnelle a estimé, compte tenu de ses constats de violation, qu'il y avait lieu d'octroyer au requérant Ayhan Bilgen 20
000 TRY - soit environ 4
400 EUR à la date du prononcé de son arrêt - pour dommage moral et 2
057,50 TRY - soit environ 450
EUR à la même date - pour frais et dépens. Tenant compte de sa pratique dans les affaires similaires (
Sabuncu et autres c. Turquie
, n
o
23199/17, §
260, 10
novembre 2020, et
Şık c. Turquie (n
o
2)
, n
o
36493/17, § 223, 24
novembre 2020), la Cour estime que ces sommes sont manifestement insuffisantes eu égard aux circonstances de l'affaire du requérant Ayhan Bilgen (
Murat Aksoy c.
Turquie
, n
o
80/17, § 91, 13 avril 2021).
479.
Dès lors, la Cour relève que, malgré le paiement d'une somme à titre de réparation pour les griefs du requérant Ayhan Bilgen tirés de l'article
5 §§
1 et 3, le requérant peut toujours se prétendre «
victime
», au sens de l'article
34 de la Convention.
480.
Le Gouvernement fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, le but de l'article 17 est de rendre impossible aux individus la possibilité de se prévaloir d'un droit dans le but de promouvoir des idées contraires au texte et à l'esprit de la Convention. La Cour a déjà estimé que la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention ne peut être invoquée en contradiction avec l'article 17. L'abus de la liberté d'expression est incompatible avec la démocratie et les droits de l'homme et porte atteinte aux droits d'autrui. En ce qui concerne les circonstances de la présente affaire, les déclarations de la requérante et ses actions sont, selon le Gouvernement, contraires au texte et à l'esprit de la Convention.
481.
Dans ce contexte, le Gouvernement cite deux discours tenus par la requérante Burcu Çelik, qui se lisent comme suit
:
« Vous allez tous disparaître, vous allez disparaître. Nous savons très bien comment tourner les kalachnikovs que vous nous pointez ».
« Ce sont des temps où il n'y a plus de mot, plus de phrase. Par un concept de guerre contre le peuple et le Kurdistan, [débuté] à la suite [des élections du] 7 juin, des dizaines de nos jeunes, camarades et enfants ont été massacrés. Cette lutte va continuer jusqu'à la fin. »
482.
Le Gouvernement argue que par ces discours, la requérante a clairement glorifié les activités d'une organisation terroriste. Par conséquent, elle ne peut, conformément à l'article 17 de la Convention, se prévaloir des dispositions de l'article 10.
483.
La requérante affirme qu'elle n'avait pas l'intention d'encourager la violence. Elle fait valoir que ses propos doivent être évalué dans le contexte général des circonstances en cause. Lors de leur mission de visite à Sungu et à Karaağaç, pour contrôler s'il y avait des irrégularités dans le vote, ce qu'ils ont d'ailleurs prétendument découvert, ils ont été insultés, physiquement harcelés et maltraités par les gardes du village. Les gardes ont harcelé la requérante et d'autres personnes avec les kalachnikovs qu'ils possédaient. Un garde a frappé la requérante à la main et sur son téléphone portable avec sa kalachnikov et a cassé son téléphone portable.
484.
La requérante accepte que la formulation de ses propos litigieux ait été offensante et virulente, ce pour quoi elle a fini par s'excuser. Cela étant, elle affirme qu'ils ne peuvent pas être considérés comme une provocation d'émotions négatives ou de préjugés ancrés dans une tentative d'incitation à la haine ou à la violence contre les gardes du village. Il s'agissait plutôt de sa réaction émotionnelle à l'attaque brutale à laquelle elle avait été confrontée de la part des gardes.
485.
La Cour rappelle tout d'abord que «
l'article 17, pour autant qu'il vise des groupements ou des individus, a pour but de les mettre dans l'impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention
; (...) ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés visés
» (
Lawless c. Irlande (n
o
3)
, 1
er
juillet 1961, § 7, série A n
o
3). Le but général de cette disposition étant, en d'autres termes, d'empêcher que des groupements totalitaires puissent exploiter en leur faveur les principes posés par la Convention, l'article 17 ne trouve à s'appliquer qu'à titre exceptionnel et dans des hypothèses extrêmes (voir
Paksas c. Lituanie
[GC], n
o
34932/04, § 88, CEDH 2011 (extraits) et les références jurisprudentielles y mentionnées).
486.
La Cour renvoie ensuite à sa décision
Roj TV A/S c.
Danemark
((déc.), n
o
24683/14, §§ 32-38, 24 mai 2018) pour un résumé des propos ou activités qu'elle a jugé devoir être soustraits, par l'article 17, à la protection de l'article 10 de la Convention, en raison de leur but islamophobe, antisémite, raciste et/ou incitant à la haine et à la violence.
487.
En l'espèce, la Cour estime que les mentions litigieuses, notamment le passage concernant «
les kalachnikovs
» - aussi controversées puissent-elles être - ne suffisent pas à révéler de manière immédiatement évidente que la requérante tendait par ce biais à la destruction des droits et libertés consacrés dans la Convention (voir, en ce sens,
Perinçek c. Suisse
[GC], n
o
27510/08, §§ 114-115, CEDH 2015 (extraits), et
Lilliendahl c.
Islande
(déc.), n
o
29297/18, § 26, 12 mai 2020). Ces propos ne sauraient en soi justifier l'application de l'article 17 de la Convention (comparer avec,
Hizb Ut-Tahrir et autres c. Allemagne
(déc.), n
o
31098/08, 12 juin 2012, dans laquelle étaient en cause de nombreuses déclarations écrites publiées dans des articles de magazine, des prospectus et des transcriptions appelant à la destruction de l'État d'Israël, au bannissement et au meurtre de ses habitants). En effet, la Cour observe dans ce contexte que la requérante s'est également excusée pour ses propos «
offensant[s] et virulent[s]
». Elle note également que ces propos semblent être une réaction émotionnelle en face du traitement qu'elle a subi de la part des gardes de village, qui ont prétendument cassé le téléphone portable de l'intéressée en frappant sur sa main avec une kalachnikov.
488.
Partant, dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la requête n
o
68853/17introduite par M
me
Burcu Çelik ne constitue pas un abus de droit aux fins de l'article 17 de la Convention. Dès lors, elle n'est pas incompatible
ratione materiae
avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Il convient donc de rejeter l'exception préliminaire du Gouvernement.
489.
Les requérants dénoncent une violation de leur droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé
:
«
1.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
»
490.
Les requérants soutiennent qu'ils ont été privés de leur liberté en raison de leurs discours politiques et que ceux-ci ne peuvent pas être considérés comme un appel à l'usage de la violence ou comme constituant un discours de haine. Ils estiment que toutes les accusations portées contre eux concernent leurs activités politiques, qui doivent selon eux être examinées sous l'angle de leur droit à la liberté d'expression.
491.
Les requérants affirment que leurs détentions provisoires respectives constituent une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression et que cette ingérence n'est pas prévue par la loi. Dans ce contexte, ils considèrent notamment que la modification constitutionnelle ayant levé leur immunité parlementaire ne satisfait pas à l'exigence de la «
qualité de la loi
» telle que définie par la jurisprudence de la Cour. Ils arguent à cet égard qu'ils ne pouvaient pas raisonnablement prévoir qu'une telle procédure de modification constitutionnelle serait menée au cours de leur mandat parlementaire.
492.
En outre, les requérants affirment que les dispositions de la législation pénale sur le fondement desquelles ils ont été accusés et détenus ne répondent pas aux exigences de la qualité de la loi. Ils déclarent que les autorités judiciaires ont considéré leurs activités politiques comme une preuve de la commission d'une infraction, sans présenter d'éléments de preuve concrets. Selon eux, ces autorités ont appliqué les dispositions pertinentes de manière large.
493 . Le Gouvernement estime que les requérants dont la procédure pénale engagée est toujours en cours n'ont pas épuisé les voies de recours internes concernant leurs griefs tirés de l'article 10 de la Convention.
494.
Selon le Gouvernement il n'y a pas eu d'ingérence dans le droit à la liberté d'expression des requérants dans la mesure où les intéressés n'ont pas été empêchés d'exprimer leurs opinions. En outre, il souligne qu'il n'y a pas de jugement définitif condamnant une partie des requérants.
495.
Pour le cas où la Cour admettrait l'existence d'une ingérence dans l'exercice par les requérants de leur droit à la liberté d'expression en raison de leur détention provisoire, le Gouvernement considère que cette ingérence était prévue par les articles 100 et 101 du CPP et poursuivait les buts légitimes que constituent la lutte contre le terrorisme et la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique. De plus, le Gouvernement plaide que la détention provisoire des requérants pour des infractions liées au terrorisme était nécessaire dans une société démocratique et que les tribunaux nationaux ont établi qu'il existait un besoin social impérieux de les maintenir en détention.
496.
La Commissaire aux droits de l'homme considère que la détention des requérants s'inscrit dans un contexte général de répression à l'encontre de différents groupes qui critiquent la politique officielle en Türkiye. Elle expose que de nombreux députés du HDP ont fait l'objet de poursuites judiciaires et d'une détention provisoire sur la base d'accusations liées au terrorisme, après avoir légitimement exercé leur droit à la liberté d'expression.
497.
La Commissaire aux droits de l'homme note qu'il est de plus en plus fréquent en Türkiye que les éléments de preuve utilisés pour justifier les détentions se limitent exclusivement à des déclarations et à des actes qui sont manifestement non violents et qui devraient
a priori
être protégés par l'article
10 de la Convention. Selon elle, les procureurs de la République et les tribunaux turcs omettent systématiquement de procéder à une analyse contextuelle appropriée et de filtrer ces éléments de preuve à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour concernant l'article 10.
498.
La Commissaire aux droits de l'homme critique la levée des immunités parlementaires en dehors de la procédure standard prévue par la Constitution. À cet égard, elle rappelle que la modification opérée avait été considérée par la Commission de Venise comme un abus de la procédure de modification constitutionnelle. Dans ce contexte, elle indique que les poursuites pénales qui en ont résulté ont touché presque tous les députés du HDP et que les procureurs de la République ont été exagérément actifs dans l'ouverture d'enquêtes contre eux, ciblant principalement leurs déclarations pour propagande terroriste, incitation à la haine ou insulte au président de la République. En effet, elle souligne à cet égard que le préambule de la modification constitutionnelle exposait que l'objet de celle-ci était de répondre à l'indignation du public au sujet des déclarations de certains députés constituant un soutien émotionnel et moral au terrorisme. À ses yeux, cette situation donne l'impression que les procédures pénales engagées contre les députés ont dès le début été entachées de graves irrégularités et qu'elles ont visé à faire taire ces derniers en tant que parlementaires.
499.
Invoquant l'importance de la liberté d'expression des parlementaires, l'UIP critique les procédures pénales engagées à l'encontre des députés du HDP, dont une partie ont été placés en détention provisoire pour des activités politiques pacifiques et légales, notamment en rapport avec la situation dans le sud-est de la Türkiye.
500.
S'appuyant sur la jurisprudence bien établie de la Cour en matière de liberté d'expression, les ONG intervenantes estiment que la mise en détention provisoire des hommes politiques de l'opposition fait jouer la protection offerte par l'article 10 de la Convention. Elles soutiennent que, contrairement à l'ample marge d'appréciation dont jouissent les gouvernements dans le domaine des limitations implicites découlant de l'article 3 du Protocole n
o
1, la marge d'appréciation liée à l'article 10 est particulièrement étroite
; elles considèrent en effet que l'essence de la démocratie est en jeu en cas d'atteinte au droit à la liberté d'expression d'un homme politique de l'opposition.
501.
L'ICJ, se référant aux conclusions de la Cour dans l'arrêt
Castells c.
Espagne
(23 avril 1992, série A n
o
236) indique que la liberté d'expression des parlementaires constitue un intérêt particulièrement important à l'égard de la Convention. Critiquant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en la matière, elle allègue que celle-ci ne protège pas suffisamment la liberté d'expression politique.
502.
İFÖD souligne qu'alors que pas un seul membre des partis au pouvoir, à savoir l'AKP et le MHP, n'a été détenu à la suite de la modification constitutionnelle du 20 mai 2015, tous les députés du HDP, à l'exception de quatre d'entre eux, ont été inculpés, détenus et condamnés pour des crimes terroristes graves, bien qu'aucun d'entre eux n'ait été inculpé pour avoir utilisé la violence. L'objet des enquêtes menées contre les députés du HDP concernait essentiellement leurs déclarations à la presse et leurs participations à des réunions et funérailles, qui relèvent du droit à la liberté d'expression.
503.
Se référant à un certain nombre de rapports internationaux, İFÖD indique que la Türkiye est l'un des pays les moins performants au niveau global en matière de liberté d'expression.
504.
S'agissant de l'exception de non-épuisement des voies de recours internes du Gouvernement tirée du fait que les procédures pénales engagées à l'encontre d'une partie des requérants sont toujours pendantes devant les tribunaux nationaux (voir paragraphe 493 ci-dessus), la Cour estime qu'elle soulève des questions étroitement liées à l'examen de l'existence d'une ingérence dans l'exercice par les requérants de leur droit à la liberté d'expression, donc à l'examen du bien-fondé du grief formulé sur le terrain de l'article 10 de la Convention. Par conséquent, la Cour va analyser ce point dans le cadre de son examen sur le fond du grief (
Şahin Alpay
, précité, § 164).
505.
Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
506.
Dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, la Grande Chambre, rappelant l'importance de la liberté d'expression des parlementaires (
ibidem
, §§
242-245), a estimé qu'il y avait eu ingérence dans l'exercice par le requérant de son droit à la liberté d'expression du fait d'une combinaison de mesures
: la levée de l'immunité parlementaire, le placement et le maintien en détention provisoire de celui-ci, et la procédure pénale engagée contre lui sur le fondement d'éléments de preuve comprenant ses discours politiques. La Cour estime, à la lumière de cette constatation de la Grande Chambre, qu'il y a également eu une ingérence dans le droit à la liberté d'expression des requérants des présentes requêtes pour les mêmes motifs. La Cour rejette donc l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
507.
Selon la Grande Chambre, cette ingérence avait une base légale accessible, à savoir la modification constitutionnelle et les dispositions du code pénal concernant les infractions liées au terrorisme. La question juridique devant la Grande Chambre était de savoir, en particulier, si l'interprétation et l'application du droit interne étaient prévisibles lorsque le requérant avait prononcé les discours qui ont conduit aux poursuites contre lui et sa privation de liberté.
508.
Dans ce contexte, la Cour renvoie aux conclusions de la Grande Chambre dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précité, §§
256-280). Ayant établi que les ingérences dans l'exercice par le requérant de sa liberté d'expression n'avaient pas satisfait à l'exigence de qualité de la loi, elle a estimé qu'il y avait eu violation de l'article 10 de la Convention à raison du non-examen de la question de l'application du premier paragraphe de l'article
83 de la Constitution et eu égard à la modification constitutionnelle ainsi qu'à l'interprétation et à l'application qui ont été faites, dans le cas de l'intéressé, des dispositions sur les infractions liées au terrorisme.
509 . En l'espèce, soulignant l'analyse faite dans l'affaire Selahattin Demirtaş (n o 2) , la Cour souscrit au raisonnement et à la conclusion de la Grande Chambre qui sont également pertinents pour les requérants des présentes requêtes. En effet, nonobstant la garantie offerte par le premier paragraphe de l'article 83 de la Constitution, les autorités judiciaires ont placé les requérants en détention provisoire et les ont soumis à des poursuites pénales essentiellement en raison de leurs activités politiques, sans qu'il y ait eu examen du point de savoir si leurs déclarations étaient protégées par l'irresponsabilité parlementaire. De plus, eu égard au libellé des deux premiers paragraphes de l'article 83 de la Constitution et à l'interprétation ou plutôt à l'absence d'interprétation de cette disposition par les juridictions nationales, la Cour estime que l'ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des requérants n'était pas « prévue par la loi » en ce qu'elle ne répondait pas à l'exigence de prévisibilité, car lorsqu'ils défendaient une opinion politique, les intéressés pouvaient légitimement s'attendre à bénéficier du cadre juridique constitutionnel en place offrant la protection de l'immunité pour le discours politique et des garanties procédurales constitutionnelles. Ainsi, rappelant les observations de la Commissaire aux droits de l'homme qui signale qu'il est de plus en plus fréquent en Türkiye que les éléments de preuve utilisés pour justifier les détentions se limitent exclusivement à des déclarations et à des actes qui sont manifestement non violents et qui devraient a priori être protégés par l'article 10 de la Convention et qui considère cette situation comme une omission systématique des parquets et tribunaux turcs de procéder à une analyse contextuelle appropriée et de filtrer les éléments de preuve à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour concernant l'article 10 de la Convention, la Cour estime que la législation pénale utilisée pour incriminer les requérants en l'occurrence n'offrait pas une protection adéquate contre les ingérences arbitraires des autorités nationales.
510.
La Cour conclut donc à la violation de l'article 10 de la Convention, pour tous les requérants à l'exception du requérant de la requête n
o
41087/17M.
Ayhan Bilgen (voir le paragraphe 454 ci-dessus). Cette conclusion rend inutile l'examen de la question de savoir si les ingérences poursuivaient un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l'article 10 et étaient «
nécessaires dans une société démocratique
».
511.
Les requérants dénoncent leurs détentions provisoires en ce qu'elles auraient été arbitraires. Dans ce contexte, ils se plaignent que leur placement en détention provisoire n'était pas conforme à la législation nationale dans la mesure où ils étaient membres de l'Assemblée nationale dotés de l'immunité parlementaire. Ils soutiennent ensuite qu'il n'existait aucun élément de preuve quant à l'existence de raisons plausibles de les soupçonner d'avoir commis une infraction pénale rendant nécessaire leur détention provisoire. De plus, dénonçant la durée de leur détention provisoire, tous les requérants se plaignent que les décisions judiciaires relatives à leur détention n'étaient motivées que par une simple citation des motifs de détention provisoire prévus par la loi, et qu'elles étaient libellées en des termes abstraits, répétitifs et stéréotypés. Ils invoquent l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, qui est ainsi libellé
:
«
1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales
:
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
(...)
3.
Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe
1
c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
512.
Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.
513.
Les requérants indiquent que, en tant que députés, ils bénéficient de l'immunité parlementaire en vertu de l'article 83 de la Constitution. Ils avancent que la modification constitutionnelle levant leur immunité parlementaire était contraire aux principes de l'État de droit, de la sécurité juridique, de la proportionnalité et de la protection contre l'arbitraire. À leurs yeux, une telle modification ne satisfait pas à l'exigence de la qualité de la loi. En conséquence, ils soutiennent que leurs détentions provisoires ne peuvent pas être considérées comme conformes à la législation nationale.
514.
Les requérants allèguent avoir été mis en détention provisoire en raison de leurs opinions politiques. Ils soutiennent qu'il n'existait aucun fait ni aucune information susceptible de persuader un observateur objectif qu'ils avaient commis les infractions qui leur étaient reprochées.
515.
En outre, les requérants considèrent que leurs détentions provisoires étaient contraires à l'article 5 § 3 de la Convention. D'après eux, les décisions relatives à leurs détentions n'étaient motivées que par un simple énoncé des motifs de détention provisoire prévus par la loi, et elles étaient libellées en des termes abstraits, répétitifs et stéréotypés.
516.
Le Gouvernement, rappelant les termes de la modification constitutionnelle du 20 mai 2016, soutient que la détention provisoire des requérants était en conformité avec la législation nationale.
517.
Le Gouvernement déclare en outre que les requérants ont été privés de leurs libertés lors des enquêtes pénales engagées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et plus particulièrement contre le PKK et le KCK. Il soutient que, eu égard aux éléments de preuve recueillis dans le cadre des enquêtes pénales menées en l'espèce et contenus dans le dossier, il était objectivement possible de parvenir à la conviction qu'il existait des raisons plausibles de soupçonner les requérants d'avoir commis les infractions qui leur étaient reprochées.
518 . Compte tenu de l'objet des enquêtes menées à l'égard des requérants, les motifs de leur détention et les incidents évoqués dans les actes d'accusation, les raisons de la détention des requérants peuvent être résumés comme suit :
a. Les incidents connus sous le nom de « événements des 6-8 octobre » se sont produits après les tweets publiés sur le compte Twitter officiel du HDP et les requérants M me Figen Yüksekdağ Şenoğlu, M me Gülser Yıldırım et M. Ayhan Bilgen sont responsables de ces tweets. En raison des événements survenus presque partout en Türkiye, un grand nombre de personnes ont perdu la vie, ont été blessées et des biens publics sont devenus inutilisables.
b. Les requérants M me Figen Yüksekdağ Şenoğlu, M. İdris Baluken, M. Nihat Akdoğan, M me Selma Irmak et M me Nursel Aydoğan, ont participé aux réunions organisées par le Congrès de la société démocratique et ont fait des déclarations en faveur de l'auto-gouvernance.
c.
Dans leurs discours, les requérants M
me
Figen Yüksekdağ Şenoğlu, M.
İdris Baluken, M. Abdullah Zeydan, M. Nihat Akdoğan, M
me
Selma Irmak, M. Ferhat Encu, M
me
Gülser Yıldırım, M
me
Nursel Aydoğan et M
me
Çağlar Demirel ont fait des déclarations en faveur de
l'auto-gouvernance. De plus, ils ont qualifié les opérations menées par les forces de sécurité de «
massacre
», ont appelé le public à la résistance, ont fait des déclarations et réalisé des actions qui ont légitimé le terrorisme et ils ont participé à des manifestations qui sont devenues de la propagande pour les organisations terroristes.
d. Dans un discours, la requérante M me Figen Yüksekdağ Şenoğlu a déclaré qu'ils avaient « appuyé leurs dos » sur le PYD, le YPG et le YPJ. Elle a donc mentionné clairement qu'elle soutenait une organisation terroriste.
e. Les requérants M. Nihat Akdoğan et M. Abdullah Zeydan ont servi de bouclier humain pour entraver les opérations militaires menées contre les membres d'une organisation terroriste.
f. Le 26 juillet 2015, le requérant M. Abdullah Zeydan s'est adressé à la foule comme suit : « n'essayez pas de tester la force du PKK et du peuple kurde. Le PKK a une telle force qu'il peut vous étouffer avec son crachat ».
g. La requérante M me Besime Konca a assisté aux funérailles d'un terroriste présumé et elle y a diffusé de la propagande de l'organisation terroriste PKK/KCK.
f. La requérante M me Gülser Yıldırım a emmené un membre blessé de l'organisation terroriste à l'hôpital et l'a fait soigner, prétendument conformément aux instructions de l'organisation terroriste PKK/KCK.
h. La requérante M me Burcu Celik a assisté aux funérailles d'un terroriste qui avait été membre du PKK/KCK, et elle a déclaré que « la lutte continuera » et a donc diffusé de la propagande de l'organisation terroriste. Elle a également tenu le discours suivant : « vous allez tous disparaître, vous allez disparaître, nous savons très bien comment tourner les kalachnikovs que vous nous pointez ».
519.
Le Gouvernement soutient également qu'il existait des motifs pertinents et suffisants pour ordonner la détention provisoire des requérants. Il allègue également que la durée de la détention provisoire subie par les requérants n'a pas enfreint l'article 5 § 3 de la Convention. Il estime dans ce contexte que la détention des requérants se justifiait au regard de la complexité et de l'importance des affaires, de la nature des infractions reprochées, du fait que celles-ci étaient liées à la lutte contre la criminalité organisée, de la peine encourue ainsi que du risque de fuite des intéressés.
520.
Sur ce dernier point, le Gouvernement indique que le co-président du HDP, M. Selahattin Demirtaş, avait déclaré pendant la réunion du groupe parlementaire de son parti qu'aucun député du HDP n'allait fournir de déposition de sa propre volonté. Dans ce contexte, le Gouvernement ajoute que les requérants ont refusé de se présenter devant les autorités d'enquête malgré les convocations délivrées par les procureurs de la République compétents. Il avance de plus que certains députés du HDP, notamment les requérants M
me
Nursel Aydoğan et M
me
Leyla Birlik, ont depuis fui à l'étranger. À ses yeux, ces faits sont suffisants pour démontrer qu'il existait un risque de fuite.
521.
Critiquant la levée des immunités parlementaires en dehors de la procédure standard prévue par la Constitution, la Commissaire aux droits de l'homme décèle un problème général dans les décisions des juges de paix relatives au placement et au maintien en détention provisoire. Elle soutient que ces décisions sont souvent dépourvues de référence à des éléments de preuve crédibles propres à établir l'existence de soupçons raisonnables et qu'elles justifient fréquemment les détentions en citant des déclarations et des actes qui sont clairement non violents.
522.
L'UIP déclare avoir reçu des informations détaillées selon lesquelles les preuves présentées à l'appui des accusations portées contre les députés détenus concernent des déclarations publiques, des rassemblements et d'autres activités politiques pacifiques organisés dans le cadre de leurs fonctions parlementaires. Cependant, elle indique qu'elle n'a pas encore tiré de conclusions quant à la question relative à l'existence de raisons plausibles de croire que ces personnes ont commis une infraction pénale.
523.
Les ONG intervenantes indiquent que, depuis la tentative de coup d'État militaire du 15 juillet 2016, 1
482 membres du HDP, dont de nombreux députés, ont été mis en détention provisoire. Elles soutiennent qu'une grande partie des personnes concernées ont été privées de leur liberté pour avoir fait des discours à caractère politique. Insistant sur l'importance du débat public dans une société démocratique, elles critiquent l'usage de mesures qui aboutissent à priver arbitrairement de leur liberté les députés du HDP.
524.
L'ICJ estime qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans les affaires relatives à la détention provisoire des députés que l'existence d'un soupçon fort de commission d'une infraction terroriste a été acceptée comme suffisante pour priver un parlementaire de sa liberté. Dans ce contexte, tant la nature de l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste que le critère de «
forts soupçons
» ont été interprétés de manière excessivement élastique, de sorte que des actes tels que la publication d'un tweet contenant une expression politique apparemment protégée, la participation à des funérailles ou un discours prononcé à cette occasion peuvent suffire à remplir les conditions de l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste.
525 . Dans ses observations reçues le 13 janvier 2020, la requérante M me Leyla Birlik allègue, pour la première fois, que le Gouvernement n'a pas démontré qu'il existait des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction. La Cour observe que l'intéressée a été remise en liberté le 4 janvier 2017 et la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt le 4 juillet 2018. Dans ces conditions, le grief de la requérante tiré de l'article 5 § 1 de la Convention doit être déclaré irrecevable pour tardiveté.
526 . Constatant que les autres griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
a) Sur la régularité de la détention provisoire subie par les requérants
527.
Toute privation de liberté doit non seulement relever de l'une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) de l'article 5 § 1 mais aussi être «
régulière
». En matière de «
régularité
» d'une détention, y compris l'observation des «
voies légales
», la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure (
Denis et Irvine c. Belgique
[GC], n
os
62819/17et
63921/17, §
125, 1
er
juin 2021).
528.
En exigeant que toute privation de liberté soit effectuée «
selon les voies légales
», l'article 5 § 1 impose en premier lieu que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne. Ils concernent aussi la qualité de la loi
; ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention. Sur ce dernier point, la Cour souligne qu'en matière de privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que le droit interne définisse clairement les conditions dans lesquelles une personne peut être privée de liberté et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de «
légalité
» fixé par la Convention, en vertu duquel une loi doit être suffisamment précise pour permettre au justiciable - en s'entourant au besoin de conseils éclairés - de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (
Khlaifia et autres c. Italie
[GC], n
o
16483/12, §§ 91
-
92, 15 décembre 2016,
Del Río Prada
c. Espagne
[GC], n
o
42750/09, § 125, CEDH 2013, et
Denis et Irvine
, précité, § 128).
529.
Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne. Cela étant, dès lors qu'au regard de l'article 5 § 1, l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention, la Cour peut et doit vérifier si le droit interne a bien été respecté (
Mooren c. Allemagne
[GC], n
o
11364/03, § 73, 9
juillet 2009). En particulier, il est essentiel, en matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application (
Creangă c. Roumanie
[GC], n
o
29226/03, § 101, 23 février 2012).
530.
Outre le respect du droit interne, l'article 5 § 1 exige la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l'individu contre l'arbitraire (parmi les arrêts récents,
Rooman
, précité, § 190, et
Denis et Irvine
, précité,
§
129).
531.
Se tournant vers les circonstances de l'espèce, la Cour note qu'il n'est pas contesté par les parties que les requérants ont été mis en détention provisoire selon les termes des articles 100 et suivants du CPP, à la suite de la levée de leur immunité parlementaire par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016. La question sur laquelle portent le débat et les thèses divergentes des parties en l'espèce est celle de savoir si la modification constitutionnelle levant l'immunité parlementaire dans le cas de toutes les demandes de levée d'immunité transmises aux autorités compétentes avant la date d'adoption de la modification en question pourrait être considérée comme satisfaisant à l'exigence de la «
qualité de la loi
».
532.
Dans ce contexte, la Cour renvoie à ses conclusions sous l'angle de l'article
10 de la Convention concernant l'immunité parlementaire des requérants (voir le paragraphe 509 ci-dessus). En effet, la modification constitutionnelle du 20 mai 2016 n'a pas changé l'article 83 pour autant qu'il concerne l'irresponsabilité parlementaire. Les députés touchés par la modification constitutionnelle ont de ce fait continué à jouir de la protection juridique. Il incombait donc aux autorités nationales, notamment aux juridictions internes, de déterminer d'emblée si les discours politiques des requérants relevaient ou non de cette irresponsabilité parlementaire, ce qu'elles n'ont pas fait. En outre, la Cour a déjà conclu que, à supposer même que les discours incriminés des requérants ne relevaient pas de l'irresponsabilité parlementaire, la modification constitutionnelle posait en elle-même un problème de prévisibilité (
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, §
264). En effet, un député ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que, au cours de son mandat parlementaire, une telle procédure fût introduite, affaiblissant par là même la liberté d'expression des membres de l'Assemblée nationale. Eu égard au libellé de l'article 83 de la Constitution et à l'interprétation, ou à l'absence d'interprétation, de cette disposition par les juridictions nationales, la Cour a estimé, à l'instar des conclusions de la Grande Chambre dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précité,
§§ 256-270), que le droit national permettant la détention provisoire des requérants n'était pas suffisamment prévisible.
533.
À la lumière de ce raisonnement, et rappelant l'importance du principe général de la sécurité juridique dans le domaine de privation de liberté, la Cour estime que l'interprétation et l'application du droit interne par les juridictions nationales qui se sont prononcées sur la détention provisoire des requérants apparaissent arbitraires, ou au moins manifestement déraisonnables. Eu égard à ce qui précède, elle relève que le droit interne ne définissait pas clairement les conditions de détention des requérants et que la loi n'était pas prévisible dans son application.
534.
Partant, la Cour conclut qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article
5 § 1 de la Convention.
b) Sur l'absence alléguée de raisons plausibles de soupçonner les requérants d'avoir commis une infraction
535.
La Cour rappelle que le premier volet de l'article 5 § 1 c) de la Convention n'autorise à placer une personne en détention dans le cadre d'une procédure pénale qu'en vue de la traduire devant l'autorité judiciaire compétente lorsqu'il y a des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction. La «
plausibilité
» des soupçons sur lesquels doit se fonder l'arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l'article 5 §
1
c). L'existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'individu en cause peut avoir accompli l'infraction qui lui est reprochée. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l'ensemble des circonstances (voir
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, §
314, avec d'autres références).
536.
L'alinéa c) de l'article 5 § 1 de la Convention ne présuppose pas que les autorités d'enquête aient rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l'arrestation. L'objet d'un interrogatoire mené pendant une détention au titre de cet alinéa est de compléter l'enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets ayant fondé l'arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux qui sont nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l'enquête pénale (voir
ibidem
, §
315, avec d'autres références).
537.
En règle générale, les problèmes liés à la «
plausibilité des soupçons
» se posent au niveau des faits. Il faut alors se demander si l'arrestation et la détention se fondaient sur des éléments objectifs suffisants pour justifier des «
raisons plausibles
» de soupçonner que les faits en cause s'étaient réellement produits. Outre l'aspect factuel, l'existence de «-�raisons plausibles de soupçonner-�» au sens de l'article
5 § 1 c) exige que les faits évoqués puissent raisonnablement passer pour relever de l'une des sections de la législation traitant du comportement criminel. Ainsi, il ne peut à l'évidence pas y avoir de soupçons raisonnables si les actes ou faits retenus contre un détenu ne constituaient pas un crime au moment où ils se sont produits (
ibidem
,
§ 317, avec d'autres références)
538.
En outre, les faits reprochés eux
-
mêmes ne doivent pas apparaître avoir été liés à l'exercice par le requérant de ses droits garantis par la Convention (
ibidem
, §
318).
539.
La Cour rappelle que, lors de l'appréciation de la «-�plausibilité-�» des soupçons, elle doit pouvoir déterminer si la substance de la garantie offerte par l'article 5 § 1 c) est demeurée intacte. À cet égard, il incombe au gouvernement défendeur de lui fournir au moins certains faits ou renseignements propres à la convaincre qu'il existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis l'infraction alléguée (
ibidem
, §
319).
540.
Si des soupçons plausibles doivent exister au moment de l'arrestation et de la détention initiale, il doit également être démontré, en cas de prolongation de la détention, que des soupçons persistent et qu'ils demeurent fondés sur des «
raisons plausibles
» tout au long de la détention (
ibidem
, §
320).
541 . En l'espèce, la Cour observe que les requérants avaient été placés en détention provisoire pour des infractions liées au terrorisme principalement en raison de leurs discours à caractère politique et à leurs participations à certaines manifestations et réunions publiques (voir le résumé fourni par le Gouvernement des raisons relatives à la détention provisoire des requérants au paragraphe 518 ci-dessus)
542 . Dans son arrêt Selahattin Demirtaş (n o 2) , la Cour a constaté que ladite affaire confirmait la tendance des juridictions nationales à déterminer l'appartenance d'une personne à une organisation armée au regard d'éléments de preuve très minces ( ibidem , § 280). Elle a conclu à cet égard que l'éventail des actes susceptibles de justifier la détention provisoire du requérant était si large que la teneur des dispositions pénales, combinée avec l'interprétation qu'en avaient donné les juridictions nationales, n'offrait pas une protection adéquate contre les ingérences arbitraires des autorités nationales. En conséquence, elle a estimé que les infractions liées au terrorisme qui étaient en cause, telles qu'interprétées et appliquées en l'espèce, n'étaient pas « prévisibles ».
543.
Outre les conclusions de la Grande Chambre, en l'espèce, la Cour donne un poids considérable aux constats de la Commissaire aux droits de l'homme, qui argue que les décisions relatives à la détention des voix critiques sont souvent dépourvues de référence à des éléments de preuve crédibles propres à établir l'existence de soupçons raisonnables et qu'elles justifient fréquemment les détentions en citant des déclarations et des actes qui sont clairement non violents. Aux yeux de la Cour, les considérations de la Grande Chambre (paragraphe 542 ci-dessus), lues avec les constats de la Commissaire aux droits de l'homme, sont également valables concernant l'incrimination des discours prononcés par les requérants des présentes requêtes. Selon elle, les propos à caractère politique tenus par les dirigeants du deuxième parti politique d'opposition ne peuvent pas être considérés comme suffisants pour justifier la plausibilité des soupçons censés avoir servi de fondement à la détention provisoire des intéressés pour des infractions graves relatives au terrorisme.
544.
En l'occurrence, souscrivant aux conclusions de la Grande Chambre dans son arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, la Cour relève qu'aucun fait ni aucune information spécifiques de nature à faire naître des soupçons justifiant la détention des requérants n'ont été exposés ou présentés durant la procédure, qui s'est pourtant soldée par l'adoption de cette mesure privative de liberté à l'encontre des intéressés. En conséquence, elle estime qu'il n'existait aucun fait ni aucun renseignement propres à convaincre un observateur objectif que les requérants avaient commis les infractions reprochées et qu'aucune des décisions relatives à la détention provisoire des requérants ne contenait d'éléments de preuve susceptibles de marquer un lien clair entre les actes des intéressés - à savoir principalement leurs discours à caractère politique et leurs participations à certaines réunions légales - et les infractions liées au terrorisme pour lesquelles ils avaient été détenus.
545.
Le Gouvernement n'a donc pas démontré que les éléments de preuve prétendument à la disposition des juridictions nationales répondaient au critère de «
soupçons plausibles
» requis par l'article 5 de la Convention, et pouvaient ainsi convaincre un observateur objectif que les requérants avaient pu commettre les infractions liées au terrorisme pour lesquelles ils avaient été détenus. Non seulement les accusations portées contre les requérants étaient essentiellement fondées sur des faits qui ne pouvaient raisonnablement pas être considérés comme un comportement criminel en vertu du droit interne, mais de plus elles concernaient principalement l'exercice par ceux-ci des droits garantis par la Convention (
Kavala c. Turquie
, n
o
28749/18, § 157, 10
décembre 2019).
546 . Partant, la Cour conclut qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article 5 § 1 de la Convention à raison de l'absence de raisons plausibles de soupçonner les requérants d'avoir commis une infraction.
c) Sur la violation alléguée de l'article 5 § 3 de la Convention
547.
La Cour renvoie aux principes généraux découlant de sa jurisprudence relative à l'article 5 § 3 de la Convention concernant la justification d'une détention tels qu'ils sont décrits notamment dans les arrêts
Buzadji
(précité, §§ 87-91) et
Merabishvili
(précité, §§ 222-225).
548.
En l'occurrence, la Cour a déjà constaté qu'aucun fait ni aucune information spécifiques de nature à faire naître des soupçons justifiant la détention provisoire des requérants, à l'exception de la requérante de la requête n
o
54469/18introduite par M
me
Leyla Birlik, n'avaient été exposés par les juridictions nationales, au cours de la privation de liberté des intéressés (paragraphes 525-526 ci-dessus) et qu'il n'y avait donc pas de raisons plausibles de les soupçonner d'avoir commis une infraction.
549.
La Cour rappelle que la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne détenue d'avoir commis une infraction est une condition
sine qua non
de la régularité du maintien en détention (
Merabishvili
, précité, § 222, avec les références qui y sont citées). En l'absence de telles raisons, la Cour estime qu'il y a également eu violation de l'article
5 § 3 de la Convention.
550.
Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de rechercher si les autorités nationales compétentes ont avancé des motifs pertinents et suffisants pour légitimer la détention provisoire subie par les intéressés ou bien si elles ont apporté une «
diligence particulière
» à la poursuite de la procédure (
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 356).
551.
La Cour rappelle que le grief de la requérante relatif à l'absence des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction a été déclaré irrecevable pour tardiveté (paragraphe 525 ci-dessus). Elle ne va donc pas examiner s'il existait de telles raisons dans le cadre de son examen sous l'angle de l'article 5 § 3 de la Convention.
552.
Il ressort de la jurisprudence bien établie de la Cour que lorsque les autorités judiciaires nationales apprécient pour la première fois, «
aussitôt
» après l'arrestation, s'il y a lieu de placer la personne arrêtée en détention provisoire, la persistance de raisons plausibles ne suffit plus et les autorités doivent aussi avancer d'autres motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention, tels que le risque de fuite, le risque de pression sur les témoins ou d'altération de preuves, le risque de collusion, le risque de récidive, le risque de trouble à l'ordre public, ou encore la nécessité en découlant de protéger la personne faisant l'objet de la mesure privative de liberté (
Buzadji
, précité, §§
87-88 et 101-102, et les affaires qui y sont citées). L'existence de ces risques doit être dûment établie, et le raisonnement des autorités à cet égard ne saurait être abstrait, général ou stéréotypé (
Merabishvili
, précité, § 222, et les affaires qui y sont citées).
553.
En l'occurrence, le Gouvernement soutient qu'il existait des motifs pertinents et suffisants pour ordonner la détention provisoire de la requérante. Dans ce contexte, outre les motifs évoqués dans l'ordonnance relative à la mise en détention provisoire de l'intéressée, il fait valoir en particulier que, à la suite de sa remise en liberté, la requérante est partie à l'étranger bien qu'il existait une mesure d'interdiction de sortie du territoire national. Selon lui, cela démontre qu'il y avait un risque de fuite.
554.
C'est sur la base des motifs figurant dans les décisions rendues par les autorités judiciaires nationales relativement à la détention provisoire d'un requérant que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article
5 §
3 de la Convention (
Merabishvili
, précité, § 225, et les affaires qui y sont citées). Dans ce contexte, la Cour note que le 4 novembre 2016, le juge de paix de Şırnak a ordonné la mise en détention provisoire de la requérante prenant en compte
; - la nature des infractions en cause
; - l'état des preuves
; -
la lourdeur des peines prévues par la loi pour l'infraction d'appartenance à une organisation terroriste
; - le fait que les infractions en cause figuraient parmi les infractions cataloguées
; - la proportionnalité de la mesure de détention par rapport à la peine potentielle
; - et le fait que les mesures alternatives à la détention étaient insuffisantes. À cet égard, le juge de paix n'a pas fait une quelconque référence à un risque de fuite. En conséquence, bien que la requérante soit par la suite partie à l'étranger en violation de l'interdiction de sortie du territoire national, et qu'elle a donc pris la fuite, la Cour ne peut pas prendre en considération un tel risque dans la mesure où ce motif n'était pas cité par le juge de paix de Şırnak.
555.
S'agissant des autres motifs cités par le juge de paix de Şırnak pour ordonner la détention provisoire de la requérante, la Cour constate que ceux-ci consistent en une énumération stéréotypée des motifs de portée générale. Aux yeux de la Cour, les décisions rédigées en des termes stéréotypés comme en l'espèce ne peuvent en aucun cas être considérées comme étant suffisantes pour justifier la mise et le maintien en détention provisoire d'une personne (
Şık
, précité, § 62).
556.
La Cour rappelle qu'elle a déjà examiné à maintes reprises des cas similaires dans lesquels elle a conclu à la violation de l'article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres,
Cahit Demirel c.
Turquie
, n
o
18623/03, §§ 21-28, 7 juillet 2009 et
Ali Rıza Kaplan c.
Turquie
, n
o
24597/08, §§ 19-23, 13 novembre 2014). En l'espèce, considérant les motifs donnés par les juridictions nationales, la Cour estime que les autorités judiciaires ont ordonné la détention de la requérante pour des motifs qui ne sauraient être considérés comme «
suffisants
».
557.
Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une «
diligence particulière
» à la poursuite de la procédure (
Kolomenskiy c. Russie
, n
o
27297/07, §
88, 13
décembre 2016).
558.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
559.
Les requérants, à l'exception des requérantes M
me
Burcu Çelik et M
me
Leyla Birlik, indiquent que l'impossibilité qui leur aurait été faite d'accéder au dossier d'enquête les a empêchés de contester effectivement les décisions ayant ordonné leur placement en détention provisoire. Ils dénoncent à cet égard une violation de l'article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé
:
«
4.
Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
»
560.
Le Gouvernement conteste cette thèse.
561.
Les requérants dénoncent une violation de l'article 5 § 4 de la Convention en raison de la mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête. Ils soutiennent qu'il n'était pas nécessaire d'imposer une telle restriction.
562.
Le Gouvernement fait valoir que la requérante Mme Çağlar DEMİRel a été placée en détention provisoire après le dépôt de l'acte d'accusation et en conséquence elle avait la possibilité de consulter toutes les pièces du dossier. Il invite donc la Cour de déclarer cette partie de la requête irrecevable pour défaut de qualité de victime.
563.
S'agissant des requérants M
me
Besime Konca et M.
Abdullah Zeydan, le Gouvernement souligne qu'aucune mesure de restriction d'accès au dossier de l'enquête envers ces requérants n'a été prise.
564 . De plus, le Gouvernement note que les requérants İdris Baluken, Ferhat Encu, Nursel Aydoğan, Çağlar Demirel, Nihat Akdoğan, Selma Irmak, Gülser Yıldırım et Ayhan Bilgen, n'ont pas formé de recours contre les décisions relatives à la restriction d'accès au dossier de l'enquête.
565.
Le Gouvernement souligne que les mesures de restriction d'accéder au dossier d'instruction ont été ordonnées pour autant que les juridictions nationales ont estimé que l'obtention de copies du dossier pourrait mettre en danger l'objectif des enquêtes menées contre les requérants. Il fait valoir dans ce contexte que ces mesures étaient applicables uniquement durant la phase d'instruction et que les requérant ont eu la possibilité de consulter toutes les preuves à leur encontre durant les procédures pénales engagées contre eux.
566.
Le Gouvernement soutient en outre que les requérants pouvaient contester leur maintien en détention provisoire par la voie de l'opposition. Il indique à cet égard que, après avoir été mis en détention provisoire, les requérants n'ont pas eu accès au dossier d'enquête pendant quelques mois. Il estime en outre que, compte tenu du contenu des rapports d'enquête présentés à l'Assemblée nationale et des questions posées devant la police, le parquet et le juge de paix, les intéressés et leurs avocats avaient une connaissance suffisante de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base aux placements en détention en question et qu'ils ont ainsi eu la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier la détention provisoire.
567.
La Commissaire aux droits de l'homme indique que la restriction d'accès au dossier d'enquête a eu un effet négatif sur la procédure d'examen de la détention provisoire.
568.
La Cour observe d'abord qu'en l'occurrence, le Gouvernement a souligné que la requérante M
me
Çağlar Demirel a été mise en détention à la suite du dépôt de l'acte d'accusation, lorsque la mesure de restriction d'accès au dossier d'instruction n'était plus applicable. Elle relève donc que pendant sa privation de liberté, l'intéressée avait la possibilité de consulter toutes les pièces du dossier pour contester sa détention provisoire. Ensuite, elle constate, à l'instar des observations du Gouvernement, qu'il n'y avait aucune mesure de restriction d'accès au dossier dans l'affaire des requérants M
me
Besime Konca et M. Abdullah Zeydan. Il s'ensuit que ce grief tel qu'il est formulé par ces trois requérants est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
569.
En ce qui concerne l'exception relative au défaut pour certains requérants de former des recours contre les décisions relatives à la restriction d'accès au dossier de l'enquête (voir le paragraphe 564 ci-dessus), il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours en question était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, susceptible d'offrir aux requérants le redressement de leurs griefs et qu'il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, notamment,
Vučković et autres c.
Serbie
(exception préliminaire) [GC], n
os
17153/11et 29 autres, §§ 74 et 77, 25
mars 2014,
Gherghina c. Roumanie
[GC] (déc.), n
o
42219/07, §§ 85 et 88, 9
juillet 2015, et
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 205). La Cour a fréquemment souligné qu'il faut appliquer la règle de l'épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (
Vučković et autres
, précité, § 76, et
Gherghina
, décision précitée, § 87). Elle a de plus admis que la règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu
; en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (voir, parmi d'autres,
Gherghina
, décision précitée, § 87).
570.
La Cour note que la Cour constitutionnelle, appelée à se prononcer sur ce grief des requérants, n'a pas constaté l'absence d'un recours destiné à la levée de restriction d'accès au dossier d'enquête de certains requérants, qu'elle a procédé à un examen du bien-fondé du grief comme s'il y avait bel et bien eu un tel recours, et qu'elle a rejeté les prétentions des requérants comme étant manifestement mal fondé (voir notamment les paragraphes 327, 358, 368, 379, 389, 399 ci-dessus). Aussi, dans la mesure où la Cour constitutionnelle n'a pas relevé l'absence d'un tel recours et procédé à son examen comme ci-dessus, la Cour estime qu'elle peut admettre l'existence d'un recours.
571.
De plus, la Cour note que les décisions de ne permettre aux requérants d'avoir accès au dossier ont été prises sans aucune explication liée à la situation individuelle des intéressés. Elle note dans ce contexte que la requérante M
me
Figen Yüksekdağ Şenoğlu a présenté un recours tendant à la levée de la mesure de restriction d'accès au dossier d'enquête, lequel a été rejeté le 19 décembre 2016 par le juge de paix de Diyarbakır (paragraphe
13 ci-dessus). En l'occurrence, la Cour observe que le Gouvernement n'explique pas comment un recours identique formé par les autres requérants aurait pu aboutir à une décision différente. Eu égard à la nature particulière de l'affaire, où il y a des personnes placées dans des situations très similaires, dont certains n'ont pas saisi la juridiction invoquée par le Gouvernement défendeur, elle ne peut pas déclarer un grief irrecevable dans la mesure où le recours interne exercé par une autre requérante s'est révélé inefficace en pratique, ce qui aurait été aussi le cas pour les autres (
mutatis mutandis
,
Asadbeyli et autres c. Azerbaïdjan
, n
os
3653/05et 5 autres, §§
118-119, 11
décembre 2012 et
Vasilkoski et autres c. l'ex-République yougoslave de Macédoine
, n
o
28169/08, § 46, 28 octobre 2010). En conséquence, la Cour rejette donc l'exception soulevée par le Gouvernement.
572.
Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable pour autant qu'il concerne les autres huit requérants.
a) Principes généraux
573.
Selon la pratique de longue date de la Cour, l'exigence d'équité procédurale découlant de l'article 5 §
4 n'impose pas l'application de critères uniformes et immuables indépendants du contexte, des faits et des circonstances de la cause. Si une procédure relevant de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article
6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l'individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (entre autres,
A. et autres c.
Royaume-Uni
[GC], n
o
3455/05, § 203, CEDH 2009).
574.
La procédure doit être contradictoire et garantir dans tous les cas «
l'égalité des armes
» entre les parties (
Mooren
, précité, § 124). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d'observations et jouisse d'une possibilité véritable de les commenter (
Lietzow c. Allemagne
, n
o
24479/94, § 44, CEDH 2001
-
I).
575.
Le suspect placé en détention provisoire doit se voir offrir une véritable occasion de contester les éléments à l'origine des accusations portées contre lui car la persistance de soupçons raisonnables qu'il a commis une infraction est une condition
sine qua non
de la légalité de son maintien en détention. Cette exigence peut commander que l'intéressé - ou son représentant - puisse accéder aux pièces du dossier d'instruction sur lesquelles sont fondées les poursuites dirigées contre lui (
A.
et
autres
, précité, §
204, et les affaires qui y sont citées).
576.
L'égalité des armes n'est pas assurée si l'avocat se voit refuser l'accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention de son client (
Mooren
, précité, §
124).
577.
La Cour a considéré qu'il pouvait parfois se révéler nécessaire, au nom de l'intérêt public, de dissimuler certaines preuves à la défense. À ce titre, toute restriction au droit d'un détenu ou de son avocat d'accéder à son dossier d'instruction doit être strictement nécessaire à la lumière d'objectifs d'ordre public importants (
Piechowicz
, précité, § 203, et
Ovsjannikov
,
précité, §
73). Dans l'hypothèse même où un tel intérêt public important est proprement démontré, toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits, comme les décisions d'interdiction d'accéder au dossier d'enquête, doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (
A. et autres
,
précité, § 205, voir également, entre autres,
Lietzow
, précité, § 47,
Garcia Alva c.
Allemagne
, n
o
23541/94, § 42, 13 février 2001,
S.N. c. Suède
, n
o
34209/96, § 47, CEDH
2002
-
V,
Piechowicz
, précité, § 204, et
Ovsjannikov
, précité, §
73).
b) La jurisprudence de la Cour dans les affaires dirigées contre la Türkiye en la matière
578.
Dans un certain nombre d'affaires contre la Türkiye, en application de sa jurisprudence constante en la matière, la Cour a constaté des violations de l'article 5 § 4 de la Convention en raison de la restriction d'accéder au dossier d'enquête (voir, entre autres,
Nedim Şener c. Turquie
, n
o
38270/11, §§
83-86, 8 juillet 2014,
Şık c. Turquie
, n
o
53413/11, §§ 72-75, 8 juillet 2014,
Mustafa Avci
, précité, §§ 91-93,
Ragıp Zarakolu c. Turquie
, n
o
15064/12, §§
60-62, 15 septembre 2020,
Ahmet Hüsrev Altan c. Turquie
, n
o
13252/17, §§
161-164, 13 avril 2021,
Öğreten et Kanaat c. Turquie
, n
os
42201/17et
42212/17, §§ 104-105, 18 mai 2021, et
Akgün c. Turquie
, n
o
19699/18, §§
202-204, 20 juillet 2021).
579.
En revanche, dans plusieurs autres affaires, bien qu'il y ait eu une restriction empêchant les requérants l'accès aux pièces du dossier, la Cour a déclaré le grief des requérants irrecevable pour défaut manifeste de fondement (voir, notamment,
Ceviz
, précité, §§ 41-44,
Gamze Uludağ c.
Turquie
, n
o
21292/07, §§ 41-43, 10 décembre 2013,
Karaosmanoğlu et Özden c. Turquie
, n
o
4807/08, §§ 73-75, 17 juin 2014,
Hebat Aslan et Firas Aslan
, précité, §§ 65-67,
Ayboğa et autres c. Turquie
, n
o
35302/08, §§
16-18, 21
juin 2016, et
Mehmet Hasan Altan
, précité, §§ 147-150). Dans une affaire, à savoir
Baş c. Turquie
(n
o
66448/17, § 235, 3 mars 2020), elle a jugé qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur ce grief. Elle n'a par ailleurs pas trouvé une violation de cette disposition dans certaines autres affaires (voir, notamment,
Atilla Taş c. Turquie
, n
o
72/17, § 154, 19 janvier 2021,
Murat Aksoy
, précité, §§ 127-129, et
İlker Deniz Yücel c. Turquie
, n
o
27684/17, §§
108-110, 25 janvier 2022). Dans ces requêtes, la Cour est parvenue à ses conclusions sur la base d'une appréciation concrète des faits. Elle a en effet estimé que les requérants avaient une connaissance suffisante des éléments de preuve qui étaient essentiels pour contester la légalité de leur privation de liberté ou bien les documents qui se trouvaient dans le dossier ne revêtaient pas une importance essentielle pour une contestation effective de la légalité de la détention provisoire des intéressés, sans rechercher si la restriction au droit des requérants d'accéder à leur dossier d'instruction et aux éléments de preuve à leur encontre était strictement nécessaire à la lumière d'objectifs d'ordre public importants et si la difficulté causée à la défense par la limitation de leurs droits d'accéder au dossier était suffisamment compensée.
c) Application des principes au cas d'espèce
580.
En l'occurrence, les juges de paix compétents ont décidé de limiter l'accès des requérants et de leurs avocats au dossier d'enquête. En conséquence, les intéressés n'ont pas pu voir les éléments de preuve ayant servi à fonder leur placement en détention provisoire jusqu'à la date de l'admission des actes d'accusation préparés contre eux. La Cour reconnaît par ailleurs que les pièces du dossier auxquelles les requérants n'ont pas pu accéder revêtaient une importance essentielle dans la contestation de la légalité de la détention des intéressés.
581.
La Cour observe qu'en l'espèce, le Gouvernement allègue que les mesures de restriction d'accéder au dossier d'instruction ont été appliquées vu que l'obtention de copies du dossier pourrait entraver l'objectif des enquêtes menées contre les requérants. Or, aux yeux de la Cour, un tel raisonnement, rédigé en des termes stéréotypés et répétant les termes de l'article
153 du CPP (voir le paragraphe 441 ci-dessus), ne peut en aucun cas être considéré comme étant suffisant pour justifier l'interdiction de voir les pièces du dossier d'enquête. En effet, elle constate que ni les juridictions nationales, ni le Gouvernement n'expliquent nullement comment l'accès des requérants à ces pièces pouvait mettre en danger l'objectif des enquêtes pénales en question. Selon la Cour, l'existence d'un intérêt public important au sens de sa jurisprudence pour justifier l'interdiction d'accéder au dossier d'enquête imposée aux requérants n'est donc pas démontrée en l'occurrence.
582.
La Cour observe de plus que le Gouvernement n'allègue même pas que les difficultés causées au droit de défense des requérants en raison des mesures de restriction d'accéder au dossier d'enquête est suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires nationales (
A.
et
autres
,
précité, § 205).
583.
La Cour estime donc que ni les requérants ni leurs avocats, privés d'accès au dossier sans justification valable, n'ont eu la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier la détention provisoire des intéressés (
Mustafa Avci
, précité, § 92,
Ragıp Zarakolu
, précité, § 61, et
Öğreten et Kanaat
, précité, § 105, à comparer avec
Atilla Taş
, précité, § 153 et
Murat Aksoy
, précité, § 128).
584.
En conclusion, l'impossibilité pour les requérants d'accéder au dossier d'enquête ne peut passer pour compatible avec les exigences de l'article
5 § 4 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.
585.
Les requérants, à l'exception de la requérante de la requête n
o
54469/18, M
me
Leyla Birlik, soutiennent que la procédure menée devant la Cour constitutionnelle, par laquelle ils ont cherché à contester la légalité de leur détention provisoire, n'a pas été conforme aux exigences de la Convention en ce que la Cour constitutionnelle n'a pas respecté l'exigence de «
bref délai
». Ils dénoncent à cet égard une violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
586.
Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.
587.
Les requérants réitèrent leur assertion selon laquelle la Cour constitutionnelle ne s'est pas prononcée «
à bref délai
» au sens de l'article
5 §
4 de la Convention.
588.
Selon le Gouvernement, les requérants dont la détention provisoire a pris fin, soit par leurs remises en liberté, soit par leurs condamnations, ont perdu la qualité de victime au sens de l'article 5 § 4 de la Convention.
589.
Le Gouvernement déclare en outre que le droit turc contient des garanties juridiques adéquates permettant aux personnes mises en détention de contester effectivement leur privation de liberté. Dans ce contexte, il indique que les personnes mises en détention provisoire peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment de l'instruction ou du procès et que les décisions de rejet opposées à leurs demandes faites en ce sens sont susceptibles d'opposition. Il ajoute que la question du maintien en détention d'un détenu est examinée d'office à des intervalles réguliers ne pouvant excéder trente jours. Dans ce contexte, le Gouvernement expose que la Cour constitutionnelle ne doit pas être considérée comme un tribunal d'appel sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention.
590.
Ensuite, se fondant sur les statistiques relatives à la charge de travail de la Cour constitutionnelle, le Gouvernement indique qu'en
2012 1
342
requêtes ont été introduites devant celle-ci, qu'en 2013 ce nombre s'est élevé à 9
897, et qu'en 2014 et en 2015 il y a eu respectivement 20
578 et 20
376
saisines de la haute juridiction. Il ajoute que, depuis la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016, il y a eu une augmentation drastique du nombre de recours formés devant la Cour constitutionnelle. Il indique que 105
119
requêtes ont été introduites devant cette dernière entre le 15
juillet 2016 et le 10 novembre 2017. Eu égard à la charge de travail, exceptionnelle à ses yeux, de la Cour constitutionnelle, le Gouvernement considère qu'il n'est pas possible de conclure que la haute juridiction n'a pas respecté l'exigence de «
bref délai
».
591.
La Commissaire aux droits de l'homme estime que la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle en ce qui concerne les requêtes introduites par les députés placés en détention est déraisonnablement long.
592.
La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l'article 5 § 4 de la Convention s'applique aux procédures devant les juridictions constitutionnelles nationales (
Smatana c. République tchèque
, n
o
18642/04, §§
119-124, 27 septembre 2007,
Žúbor c. Slovaquie
, n
o
7711/06, §§
71
-
77, 6
décembre 2011,
Mehmet Hasan Altan
, précité, § 159, et
Şahin Alpay
, précité, § 131). Aussi, eu égard à la compétence de la Cour constitutionnelle turque (voir à ce sujet, à titre d'exemple,
Koçintar c. Turquie
(déc.), n
o
77429/12, §§ 30-46, 1
er
juillet 2014), la Cour conclut-elle que cette disposition s'applique également aux procédures devant cette juridiction, nonobstant le fait que la détention provisoire d'une personne a pris fin après l'introduction de son recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Dans ce contexte, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle la Cour peut examiner la période comprise entre la date du dépôt des recours constitutionnels et celle de la fin de la détention provisoire des requérants (
Öğreten et Kanaat
, précité, § 111). Elle rejette donc l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.
593.
Constatant en outre que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
594.
La Cour rappelle les principes pertinents découlant de sa jurisprudence relativement à l'exigence de «
bref délai
» au sens de l'article
5 §
4 de la Convention, lesquels sont résumés notamment dans son arrêt
Ilnseher c. Allemagne
([GC], n
os
10211/12et
27505/14, §§
251-256, 4
décembre 2018). Elle se réfère également à ses conclusions dans les arrêts
Mehmet Hasan Altan
(précité, §§ 161-167) et
Şahin Alpay
(précité, §§
133
-
139), concernant la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle turque à la suite de la tentative de coup d'État du 15
juillet 2016.
595.
La Cour rappelle aussi que le but premier de l'article 5 § 4 est d'assurer à des personnes privées de leur liberté un contrôle judiciaire à bref délai de la légalité de la détention, ce contrôle pouvant conduire, le cas échéant, à leur libération. Elle considère donc que l'exigence de célérité de l'examen de la légalité de la détention est pertinente tant que cette détention continue. Après la fin de la détention provisoire des intéressés, même si la garantie de bref délai n'est plus pertinente au regard du but de l'article 5 §
4, la garantie concernant l'effectivité du réexamen continue à s'appliquer, puisqu'un ancien détenu peut toujours avoir un intérêt légitime à ce que la légalité de sa détention soit établie même après sa libération (
Žúbor c.
Slovaquie
, n
o
7711/06, § 83, 6 décembre 2011).
596.
En l'occurrence, la Cour est donc invitée à examiner le grief des requérants tiré du respect de l'exigence de bref délai au sens de l'article 5 §
4 dans la procédure constitutionnelle pour autant qu'il concerne la période comprise entre la date du dépôt des recours constitutionnels et celle de la fin de la détention provisoire des intéressés (
Öğreten et Kanaat
, précité, § 111).
597.
En l'espèce, la date d'introduction des recours individuels des requérants, la date des décisions rendues par la Cour constitutionnelle et la date de la fin de la détention provisoire des requérants au sens de l'article
5 §
1
c), si elle est survenue avant la date du jugement constitutionnel et la période à prendre en considération, sont les suivantes
:
Nom du requérant |
Date de la saisine de la Cour constitutionnelle |
Date de la décision de la Cour constitutionnelle |
Date de la fin de la détention provisoire contestée |
Période à prendre en considération |
Figen Yüksekdağ Şenoğlu |
17 novembre 2016 |
4 avril 2018 |
N/A |
1 an, 4 mois et 18 jours |
İdris Baluken |
2 décembre 2016 |
21 mars 2018 |
4 janvier 2018 |
1 an, 1 mois et 2 jours |
Besime Konca |
10 février 2017 |
3 juillet 2018 |
31 mai 2017 |
3 mois et 21 jours |
Abdullah Zeydan |
28 novembre 2016 |
11 novembre 2018 |
14 juillet 2017 (première condamnation) Du 25 novembre 2017 (infirmation par la cour d'appel) au 11 janvier 2018 (deuxième condamnation) |
9 mois |
Nihat Akdoğan |
30 novembre 2016 |
23 mai 2018 |
N/A |
1 an, 5 mois et 23 jours |
Selma Irmak |
1 décembre 2016 |
7 mars 2018 |
3 novembre 2017 |
11 mois et 2 jours |
Ferhat Encu |
6 janvier 2017 |
28 juin 2018 |
9 juin 2017 |
5 mois et 3 jours |
Gülser Yıldırım |
6 décembre 2016 |
16 novembre 2017 |
N/A |
11 mois et 10 jours |
Nursel Aydoğan |
15 décembre 2016 |
30 octobre 2018 |
21 avril 2017 |
4 mois et 6 jours |
Çağlar Demirel |
26 janvier 2017 |
12 septembre 2018 |
14 juillet 2017 |
5 mois et 18 jours |
Ayhan Bilgen |
15 février 2017 |
21 décembre 2017 |
8 septembre 2017 |
6 mois et 24 jours |
Burcu Çelik |
10 juillet 2017 |
25 octobre 2018 |
6 octobre 2017 |
2 mois et 26 jours |
|
598.
Dans ses arrêts
Mehmet Hasan Altan
(précité, §§ 161-163) et
Şahin Alpay
(précité, §§ 133-35), la Cour avait noté que, dans le système juridique turc, les personnes mises en détention provisoire avaient la possibilité de demander leur remise en liberté à tout moment de la procédure et que, en cas de rejet de leur demande, elles pouvaient former une opposition. Elle avait relevé en outre que la question du maintien en détention des détenus était examinée d'office à des intervalles réguliers qui ne pouvaient excéder trente jours. Par conséquent, elle avait estimé qu'elle pouvait tolérer que le contrôle devant la Cour constitutionnelle prît plus de temps. Cependant, dans les affaires susmentionnées, la période à prendre en considération devant la Cour constitutionnelle avait duré respectivement quatorze mois et trois jours pour
Mehmet Hasan Altan
et seize mois et trois jours pour
Şahin Alpay
. La Cour, tenant compte de la complexité des requêtes et de la charge de travail de la Cour constitutionnelle depuis la déclaration de l'état d'urgence, avait estimé qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle. Par conséquent, bien que les délais de quatorze mois et trois jours et de seize mois et trois jours écoulés devant la Cour constitutionnelle ne puissent pas être considérés comme «
brefs
» dans une situation ordinaire, dans les circonstances spécifiques de ces affaires, elle n'avait pas conclu à la violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
599.
La Cour relève que cette jurisprudence a par la suite été confirmée par la Grande Chambre dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précité, §§
368-370).
600.
En l'espèce, la Cour note que la période à prendre en considération est minimum deux mois et vingt-six jours et maximum un an, cinq mois et vingt-trois jours, ces périodes s'étant déroulées pendant l'état d'urgence. Elle estime donc que les conclusions auxquelles elle est parvenue dans les arrêts
Mehmet Hasan Altan
,
Şahin Alpay
et
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précités) valent aussi dans le cadre des requérants de ces onze requêtes. Elle souligne à cet égard que les recours introduits par les requérants devant la Cour constitutionnelle étaient complexes puisqu'il s'agissait d'affaires soulevant des questions délicates relatives à la mise en détention provisoire de parlementaires. Dans ce contexte, elle estime qu'il est également nécessaire de tenir compte de la charge de travail exceptionnelle de la Cour constitutionnelle depuis la déclaration de l'état d'urgence en juillet
2016 (
Mehmet Hasan Altan
, précité, § 165, et
Şahin Alpay
, précité, §
137).
601.
En conséquence, elle estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article
5 §
4 de la Convention pour ces onze requérants.
602.
Les requérants se plaignent de ce que leur détention provisoire constitue une violation de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention, ainsi libellé
:
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
603.
Le Gouvernement conteste cette thèse.
604.
Les requérants déclarent ne pas avoir eu la possibilité de participer aux activités de l'Assemblée nationale en raison de leur détention. En conséquence, ils dénoncent une violation de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention. Certains requérants précisent également qu'ils ont perdu leur statut parlementaire en raison de leurs condamnations définitives à l'issue des procédures pénales engagées à la suite de la levée de leur immunité parlementaire.
605.
Les requérants soutiennent que ce grief est compatible
ratione
materiae
avec les dispositions de la Convention, notamment en vertu des principes d'interprétation que la Cour a développé dans son arrêt
Wemhoff c.
Allemagne
(n
o
2122/64, 27 juin 1968). À cet égard, ils allèguent que ce qui est protégé par le droit à des élections libres n'est pas seulement le droit d'être élu député. Cette disposition couvre également le droit d'exercer des activités politiques en tant que député.
606.
Le Gouvernement soutient que le grief des requérants tiré de l'article
3 du Protocole n
o
1 à la Convention doit être déclaré irrecevable pour incompatibilité
ratione materiae
. Il indique que le droit de voter, d'être élu et de se livrer à des activités politiques garanti par l'article 67 de la Constitution a une portée plus large que le droit à des élections libres consacré à l'article
3 du Protocole n
o
1 à la Convention. Il déclare à cet égard que, contrairement à la Constitution, le Protocole n
o
1 à la Convention n'oblige pas explicitement les États à reconnaître le droit de s'engager dans des activités politiques. En outre, il expose que les requérants n'ont pas perdu leur statut de député en raison de leur détention provisoire.
607.
Le Gouvernement avance également que les requérants pouvaient continuer à exercer une importante fonction parlementaire, notamment en posant des questions écrites, comme les requérants M
me
Çağlar Demirel et M.
İdris Baluken l'auraient fait.
608.
Le Gouvernement souligne qu'en l'occurrence les requérants M.
Nihat Akdoğan, M
me
Nursel Aydoğan, M
me
Besime Konca et M.
Ayhan Bilgen ont été mis en liberté provisoire. Par ailleurs, M. Nihat Akdoğan et M
me
Nursel Aydoğan ont introduit une action en réparation au titre de l'article
141 du CPP. En outre, les autres requérants avaient le droit d'introduire une pareille action en réparation. Selon le Gouvernement, si les requérants obtiennent une indemnisation, ils ne peuvent plus se prétendre victime d'une violation de l'article 3 du Protocole n
o
1. Ainsi, il soutient que cette partie des requêtes doit être déclarée irrecevable, soit étant prématurée, soit pour non-épuisement des voies de recours internes.
609.
En ce qui concerne le bien-fondé du grief, le Gouvernement déclare que les droits découlant de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention ne sont pas absolus et que les États contractants jouissent d'une large marge d'appréciation dans ce domaine. Il indique que, à la suite de la modification constitutionnelle, les dossiers relatifs aux enquêtes pénales menées à l'encontre des requérants ont été transmis aux parquets compétents et que les procédures se sont poursuivies conformément au principe de l'État de droit. Il ajoute que le fait que les requérants étaient des députés a été pris en considération dans le raisonnement des ordonnances relatives à la mise et au maintien en détention des intéressés. Il indique à cet égard que les juges nationaux ont estimé que les mesures alternatives à la détention semblaient être insuffisantes. Il ajoute que, après avoir pris note de la lourdeur des peines prévues par la loi pour les infractions reprochées et pris en compte le droit des requérants de mener leurs activités politiques, ils ont estimé que la détention provisoire était nécessaire et proportionnée au but poursuivi.
610.
La Commissaire aux droits de l'homme souligne le rôle important joué par les députés dans les systèmes démocratiques. Il estime que la détention provisoire de députés de l'opposition a eu un fort impact négatif sur le droit aux élections libres protégé par l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention.
611.
L'UIP déclare qu'il a été impossible pour les requérants de se consacrer utilement à leurs responsabilités parlementaires en raison de leur détention provisoire.
612.
Les organisations non gouvernementales intervenantes soutiennent que la détention provisoire des députés de l'opposition pour avoir exprimé leurs opinions critiques constitue une atteinte injustifiée à l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention.
613.
S'agissant de l'exception du Gouvernement tirée du non-exercice du recours en indemnisation prévu par l'article 141 du CPP, la Cour observe que cette voie de recours ne permet pas de demander réparation d'un préjudice concernant l'impossibilité de participer aux activités parlementaires. En effet, le Gouvernement n'a fourni aucune décision nationale indiquant que, dans des circonstances similaires à celles des présentes affaires, le recours prévu à l'article
14 du CPP a pu aboutir pour un tel grief. Par conséquent, l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
614.
Concernant l'exception d'irrecevabilité tirée de l'incompatibilité
ratione materiae
du grief relatif au droit aux élections libres, la Cour estime qu'elle soulève des questions étroitement liées à l'examen du bien-fondé du grief formulé par les requérants. Dès lors, la Cour va analyser ce point dans le cadre de son examen sur le fond du grief.
615.
Constatant par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
616.
La Cour rappelle que les principes généraux applicables dans ce domaine sont exposés dans son arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(précité, §§
382-389).
617.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention, la Cour rappelle les constatations suivantes de l'arrêt de Grande Chambre dans l'affaire
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(références omises)
:
«
391.
(...) la Cour ne saurait accepter l'argument du Gouvernement selon lequel le grief du requérant tiré de l'article 3 du Protocole n
o
1 doit être déclaré irrecevable pour absence de qualité de victime. En effet, comme la chambre l'a précisé, le droit à des élections libres ne se limite pas à la simple possibilité de participer aux élections législatives
; une fois élue, la personne concernée doit également voir reconnaître son droit d'exercer son mandat. En l'espèce, entre le 4 novembre 2016 et le 24 juin 2018, le requérant n'a pas pu participer aux activités de l'Assemblée nationale en raison de sa détention provisoire. Autrement dit, il n'a pas été en mesure de participer aux activités du corps législatif pendant un an, sept mois et vingt jours. Bien qu'il ait pu conserver son statut de député et qu'il ait eu la possibilité de poser des questions par écrit, la Cour admet que la détention provisoire du requérant a constitué une ingérence dans l'exercice par l'intéressé de ses droits résultant de l'article
3 du Protocole n
o
1 à la Convention. Dès lors, elle rejette l'exception soulevée par le Gouvernement.
392.
La Cour rappelle que les droits découlant de l'article 10 de la Convention et de l'article
3 du Protocole n
o
1 sont interdépendants et qu'ils se renforcent mutuellement. Cette interdépendance est particulièrement prononcée lorsqu'il s'agit de représentants démocratiquement élus qui sont maintenus en détention provisoire pour avoir exprimé leurs opinions politiques. Les parlementaires représentent les électeurs et leur liberté d'expression nécessite donc une protection renforcée. Compte tenu de cette importance qu'elle accorde à la liberté d'expression des parlementaires, surtout de l'opposition, comme le requièrent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, la Cour estime que la privation de liberté d'un député qui ne peut pas être tenue pour conforme aux exigences de l'article 10 de la Convention emportera également violation de l'article
3 du Protocole n
o
1.
393.
De plus, la Cour a déjà dit que la privation de liberté était une ingérence si grave dans l'exercice des droits fondamentaux qu'elle ne se justifie que lorsque d'autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l'intérêt personnel ou public exigeant la détention. En effet, la détention est une mesure provisoire dont la durée doit être aussi courte que possible. Ces considérations valent
a
fortiori
pour la détention d'un député. Dans une démocratie, le parlement est une tribune indispensable au débat politique, dont l'exercice du mandat parlementaire fait partie. Pendant l'exercice de son mandat, un député représente les électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts.
394.
En l'espèce, la Cour rappelle ses conclusions relatives aux violations des articles
10 et 5 § 1 de la Convention. Elle a déjà constaté sous l'angle de l'article 10 que l'ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression du requérant, à savoir sa détention provisoire en raison de l'expression de ses opinions d'homme politique, n'était pas «
prévue par la loi
» en ce qu'elle ne répondait pas à l'exigence de prévisibilité. Elle a notamment relevé qu'en l'espèce les juridictions nationales n'avaient aucunement examiné la question de savoir si les discours incriminés étaient couverts ou non par l'irresponsabilité parlementaire de l'intéressé telle que protégée par le premier paragraphe de l'article 83 de la Constitution. De plus, elle a estimé qu'il n'y avait pas de raisons plausibles de soupçonner le requérant d'avoir commis une infraction au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Ces constats sont également pertinents à l'égard de l'article
3 du Protocole n
o
1 à la Convention. En fait, la Cour rappelle que l'immunité parlementaire n'est pas un privilège accordé aux parlementaires à titre individuel, mais un privilège attribué au parlement, en tant qu'institution, pour garantir son bon fonctionnement. Dans ce contexte, si un État prévoit l'immunité parlementaire contre les poursuites pénales et les privations de liberté, les juridictions nationales doivent tout d'abord veiller à ce que le député concerné ne bénéficie pas de l'immunité parlementaire pour les actes incriminés. Or, en l'occurrence, bien que le requérant ait demandé à la cour d'assises d'examiner si les discours litigieux étaient protégés par le premier paragraphe de l'article 83 de la Constitution turque, les juridictions nationales n'ont pas effectué le moindre examen, de sorte qu'elles n'ont pas rempli leurs obligations procédurales découlant de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention.
395.
En outre, en cas d'application à un député d'une mesure privative de liberté, les autorités judiciaires qui ordonnent cette mesure sont tenues de démontrer qu'elles ont procédé à une mise en balance entre les intérêts concurrents. Dans le cadre de cet exercice de mise en balance, elles doivent protéger la libre expression des opinions politiques du député en question. Elles sont notamment tenues de veiller à ce que l'infraction reprochée n'ait pas de lien direct avec l'activité politique du député concerné. Dans ce contexte, le système juridique des États membres doit offrir une voie de droit permettant à un député placé en détention de contester de manière effective sa privation de liberté et d'obtenir un examen au fond de ses griefs. Or, en l'espèce, le Gouvernement n'a pas pu démontrer que les juridictions nationales compétentes pour se prononcer sur la détention provisoire du requérant avaient procédé à une mise en balance au regard de l'article 3 du Protocole n
o
1 lorsqu'elles s'étaient prononcées sur la légalité du placement et du maintien en détention provisoire de l'intéressé. La Cour note que la Cour constitutionnelle n'a pas recherché si les infractions en question étaient directement liées aux activités politiques du requérant. Dans son arrêt du 21
décembre 2017, la haute juridiction a déclaré irrecevable le grief du requérant qui soutenait que, eu égard à son statut de député, son placement en détention provisoire constituait une violation de son droit à des élections libres. Dans son récent arrêt du 9 juin 2020, elle a dit que les juridictions inférieures n'avaient pas évalué les allégations du requérant selon lesquelles son maintien en détention était déraisonnable en raison de ses qualités de député, de coprésident d'un parti politique et de candidat à l'élection présidentielle
; or ce constat, pour la juridiction constitutionnelle, ne concernait que le grief de l'intéressé relatif à la durée de la détention provisoire. La Cour conclut que les autorités judiciaires n'ont pas tenu compte de manière effective du fait que l'intéressé était non seulement un député, mais aussi l'un des leaders de l'opposition politique en Türkiye, dont l'exercice du mandat parlementaire appelait un niveau élevé de protection.
396.
De surcroît, comme il ressort de l'opinion dissidente du juge minoritaire de la Cour constitutionnelle dans la décision du 21 décembre 2017, les raisons pour lesquelles l'application d'une mesure alternative à la détention aurait été insuffisante dans le cas concret du requérant n'avaient pas été justifiées par les juges de première instance. Le Gouvernement n'a pas pu démontrer que les juges nationaux avaient effectivement envisagé l'application de mesures alternatives à la détention provisoire, qui sont prévues en droit interne. Il est vrai que les juridictions nationales ont estimé de manière systématique que de telles mesures étaient insuffisantes, et qu'elles n'ont fourni aucun raisonnement concret et individualisé.
397.
Eu égard à tout ce qui précède, la Cour conclut que, même si le requérant a pu conserver son statut de parlementaire tout au long de son mandat, l'impossibilité pratique
pour lui de participer aux activités de l'Assemblée nationale en raison de sa détention provisoire constitue une atteinte injustifiée à la libre expression de l'opinion du peuple et au droit de l'intéressé d'être élu et d'exercer son mandat parlementaire. En conséquence, la Cour conclut que la détention provisoire du requérant était incompatible avec la substance même du droit d'être élu et d'exercer son mandat parlementaire découlant de l'article 3 du Protocole n
o
1.
398.
Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention.
»
618.
En l'occurrence, la Cour observe en outre que les requérants des requêtes n
os
14332/17,
25445/17,
25463/17,
25464/17, et
36268/17furent déchus de leur mandat parlementaire en raison de la condamnation définitive prononcée contre eux.
619.
Dans ces conditions, la Cour souscrit au raisonnement et à la conclusion de la Grande Chambre qui sont également pertinents pour les présents requérants. Elle rejette donc l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement et conclut donc à la violation de l'article 3 du Protocole n
o
1 à la Convention.
620.
Se basant sur les mêmes faits et invoquant l'article 18 de la Convention combiné avec l'article 5, les requérants se plaignent d'avoir été placés en détention pour avoir exprimé des opinions critiques à l'égard du pouvoir politique. Ils allèguent à cet égard que le but de leur détention provisoire était de les faire taire.
621.
Le Gouvernement conteste la thèse des requérants. Il indique que l'article 18 de la Convention n'a pas un rôle indépendant et qu'il ne faut l'appliquer que conjointement à d'autres dispositions de la Convention. Selon lui, pour autant qu'il n'y ait pas de violation de l'une des dispositions de la Convention, il n'y a pas non plus lieu d'examiner séparément le grief des requérants tiré de l'article 18 de la Convention. Dans ce contexte, il allègue que le grief des requérants mérite d'être examiné uniquement sous l'angle de l'article
5 §§ 1 et 3 de la Convention.
622.
La Cour observe qu'en l'occurrence les requérants soutiennent que leur détention provisoire poursuivait un but inavoué, à savoir les réduire au silence, notamment sur la scène politique en Türkiye. Elle y voit un aspect fondamental de l'affaire, dont la substance n'a pas été examinée lors de l'analyse des différents griefs des requérants ci-dessus (
Navalnyy c. Russie
[GC], n
os
29580/12et 4 autres, § 164, 15 novembre 2018). Elle l'examinera donc séparément.
623.
Le grief des requérants tiré de l'article 18 combiné avec l'article
10 de la Convention n'a pas été communiqué et aucune question spécifique n'a donc été posée aux parties relativement à celui-ci. La Cour estime donc que ce grief se prête à un examen séparé sous l'angle de l'article 18 de la Convention combiné avec l'article 5, lequel avait été communiqué (
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 402). L'article 18 est ainsi libellé
:
« Les restrictions qui, aux termes de la (...) Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. »
624.
Les requérants réitèrent leur allégation selon laquelle leur détention provisoire poursuivait une intention cachée, à savoir l'élimination de l'opposition politique et la restriction du débat politique. Ils indiquent tout d'abord que la répression gouvernementale s'est intensifiée à la suite du succès de leur parti politique aux élections du 7 juin 2015. Ils exposent que, lors de ces élections, l'AKP, qui gouvernait le pays depuis 2002, avait perdu sa majorité au sein de l'Assemblée nationale et cela surtout grâce au succès du HDP, qui avait obtenu 13
% des voix et franchi pour la première fois le seuil nécessaire pour être représenté au parlement. Les requérants ajoutent que, à la suite de l'échec des négociations pour constituer un gouvernement de coalition, des élections anticipées ont été tenues le 1
er
novembre 2015, lors desquelles le HDP a obtenu 10
% des voix. Ils indiquent que ces deux élections étaient critiques car l'AKP n'avait pas pu obtenir la majorité suffisante pour modifier la Constitution afin de pouvoir passer à un système présidentiel, comme l'aurait voulu le président de la République, M.
Recep Tayyip Erdoğan. Ils estiment qu'il existait une intention cachée derrière leur placement en détention provisoire, à savoir la facilitation du passage à un système présidentiel.
625.
Les requérants indiquent que la Commissaire aux droits de l'homme a conclu dans son mémorandum relatif à la liberté d'expression et à la liberté des médias que le harcèlement judiciaire accru dirigé en particulier contre des opposants politiques du gouvernement, dont eux-mêmes et d'autres personnes responsables de leur parti politique, sous l'effet de mesures gouvernementales, a constitué une grave atteinte à la démocratie en Türkiye. À cet égard, ils exposent que, de juillet 2015 à janvier 2018, 3
282
personnes liées au HDP, dont 135 coprésidents des branches locales, 15 députés et 750
dirigeants locaux de ce parti, ont été arrêtées dans le cadre d'opérations policières menées contre des personnes liées au HDP. Ils déclarent que le harcèlement judiciaire s'est intensifié à la suite de la fin du «
processus de résolution
». Selon eux, la vraie raison de leur privation de liberté était la fermeté des critiques des représentants du HDP envers les politiques du gouvernement et du président de la République. À cet égard, ils estiment que la répression exercée à l'encontre des membres de leur parti politique est devenue plus visible notamment à la suite de la déclaration du co-président du HDP, M. Selahattin Demirtaş, selon laquelle ils ne soutiendraient jamais un système présidentiel dans lequel M. Recep Tayyip Erdoğan serait président. Ils indiquent également que de nombreuses réformes importantes, comme l'adoption d'un système constitutionnel présidentiel à la place du système parlementaire, ont été réalisées lorsqu'ils se trouvaient en détention provisoire pour des propos à caractère politique qu'ils avaient tenus. D'après eux, les privations de liberté en question visaient aussi à les empêcher de mener leurs activités politiques pour qu'ils ne fassent pas campagne contre le nouveau système constitutionnel.
626.
Selon les requérants, le succès de leur parti politique dans les élections organisées en 2015 les avait transformés en cible du pouvoir politique. Par la suite, le président de la République ainsi que les responsables de l'AKP auraient fait des déclarations les accusant d'infractions liées au terrorisme en raison de leurs discours politiques. Les requérants indiquent que, à la suite de ces déclarations, leurs immunités parlementaires ont été levées par une modification constitutionnelle, autrement dit par une mesure
ad hoc
et
ad hominem
.
627.
Ils exposent que, entre 2007 et le 24 décembre 2015, le nombre total des rapports d'enquêtes dirigées contre les députés du HDP était de
182. Selon eux, ce nombre avait augmenté à la suite du discours du président de la République demandant la levée de l'immunité parlementaire et atteignait 510
dossiers au 20 mai 2016, le jour de l'adoption de la modification constitutionnelle. Les requérants indiquent que le fait que le nombre des dossiers pénaux accumulés en 8 ans a presque triplé en seulement 6
mois démontre que ces rapports d'enquête avaient été préparés sur instruction du président de la République. À leurs yeux, accepter le contraire reviendrait à affirmer que les députés du HDP avaient subitement commencé à commettre des crimes. À cet égard, ils soutiennent que les autorités judiciaires chargées de leurs affaires ne sont pas indépendantes.
628.
Le Gouvernement réitère sa thèse selon laquelle les griefs tirés de l'article
5 doivent être déclarés irrecevables. Il ajoute cependant que, dans l'hypothèse où ces griefs seraient déclarés recevables, il y aurait lieu de conclure à la non-violation de l'article 18 en l'espèce. Le Gouvernement indique que le système de protection des droits et libertés fondamentaux garanti par la Convention repose sur une présomption de bonne foi des autorités des Hautes Parties contractantes. Il déclare qu'il incombe aux requérants de démontrer de manière convaincante que le véritable but des autorités n'était pas celui qu'elles proclamaient. Il considère à cet égard qu'un simple soupçon ne suffit pas pour démontrer la violation de cette disposition.
629.
Le Gouvernement argue que les procédures pénales engagées à l'encontre des requérants ont été et sont menées par des autorités judiciaires indépendantes. D'après lui, les intéressés n'ont présenté aucun élément de preuve selon lequel les détentions provisoires litigieuses auraient eu une intention cachée. De plus, il soutient que les requérants n'ont pas pu prouver leurs allégations. Selon lui, les procédures pénales contre les requérants ont été menées par les magistrats indépendants et impartiaux. À cet égard, il souligne que la République de Türkiye est un État de droit et aucun parti politique ou autre organe, y compris le Gouvernement, n'a le droit d'interférer, de donner des ordres ou de faire des suggestions concernant les enquêtes ouvertes et les ordres de détention émis par les autorités judiciaires, comme le mentionne explicitement la Constitution.
630.
Le Gouvernement indique que la Cour avait conclu à la violation de l'article
18 de la Convention quand elle avait jugé que les ordonnances relatives au placement en détention provisoire des intéressés visaient explicitement un autre but. Pour cette raison, il soutient que, en l'absence de document susceptible de prouver l'allégation des requérants, les privations de liberté litigieuses doivent être le résultat de l'application arbitraire des dispositions législatives. Dès lors, il invite la Cour à rejeter ce grief.
631.
Le Gouvernement déclare que les députés du HDP n'ont pas été les seuls députés à faire face à une procédure pénale. Plusieurs députés des autres partis politiques, y compris ceux appartenant à l'AKP et au MHP, ont également fait l'objet d'enquêtes pénales. En conséquence, le Gouvernement n'accepte pas que les immunités parlementaires aient été levées pour faire taire les membres du HDP.
632.
La Commissaire aux droits de l'homme indique que le maintien du droit à la liberté d'expression est actuellement d'autant plus difficile à cause de l'érosion marquée de l'indépendance et de l'impartialité du pouvoir judiciaire en Türkiye. À cet égard, elle signale que de nombreuses actions pénales restreignent d'une manière indue la liberté d'expression et le droit à la liberté et à la sécurité non seulement des députés mais aussi des maires, des universitaires, des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme qui critiquent la politique officielle, notamment sur la situation dans le sud
-
est de la Türkiye. Selon lui, les lois et les procédures pénales sont actuellement utilisées pour faire taire les voix dissidentes.
633.
Les organisations non gouvernementales intervenantes déclarent qu'il existe une violation de l'article 18 de la Convention dès lors qu'un requérant peut prouver que le but réel des autorités n'était pas le même que celui proclamé. D'après elles, une telle violation sera notamment constatée en cas
: d'existence d'une législation de plus en plus dure et restrictive
; de déclarations des autorités de haut rang et des médias d'État laissant entendre qu'il existe une intention cachée
; et de l'existence d'un modèle où les individus sont ciblés dans des termes similaires. Elles allèguent que, à la suite de la tentative de coup d'État militaire du 15 juillet 2016, le Gouvernement a abusé des préoccupations légitimes pour redoubler la répression déjà importante qu'il exerçait dans le domaine des droits de l'homme, notamment en plaçant les voix dissidentes en détention provisoire. Selon elles, cette situation constitue une violation de l'article 18 de la Convention.
634.
İFÖD critique l'indépendance de la justice turque. Selon elle, depuis 2010, le Conseil supérieur des juges et des procureurs est de plus en plus influencé par le pouvoir politique. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, notamment
Merabishvili
(précité), et aux rapports établis par la Commissaire aux droits de l'homme, la Commission de Venise, et un certain nombre d'ONG internationales, İFÖD note que les affaires telles que les présentes représentent une occasion importante pour la Cour d'appliquer un contrôle des plus stricts afin de s'assurer que les hommes politiques de l'opposition, les militants de la société civile, les journalistes et les voix critiques ne fassent pas l'objet d'accusations motivées par des considérations politiques, injustifiées au regard des exigences de la situation et contraires aux obligations énoncées dans la Convention.
635.
Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
636.
Les principes généraux concernant l'interprétation et l'application de l'article
18 de la Convention ont été établis dans l'arrêt
Merabishvili
(précité, §§
287-317) et par la suite confirmés dans l'arrêt
Navalnyy
(précité,
§§ 164-165).
637.
La Cour estime particulièrement pertinent pour son examen le passage suivant de l'arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
(références omises)
:
«
423.
En l'occurrence, la Cour rappelle avoir conclu ci-dessus que la détention provisoire du requérant n'était pas fondée sur des «
raisons plausibles de [le] soupçonner
», au sens de l'article 5 § 1 c) de la Convention. Pour la Cour, le constat de violation de l'article 5 § 1 ne peut pas être considéré comme suffisant en soi pour qu'elle conclue également à la violation de l'article 18 de la Convention. Il lui faut encore déterminer si, en l'absence de raisons plausibles, un but non-conventionnel identifiable au sens de l'article 18 de la Convention peut être décelé.
424.
(...) à la lumière du mémorandum du Commissaire aux droits de l'homme suite à ses visites en Turquie en 2016, de l'avis de la Commission de Venise sur les modifications de la Constitution, du rapport d'Amnesty International ainsi que des observations des tiers intervenants, la Cour remarque que, eu égard au rôle du requérant -
l'un des leaders emblématiques de l'opposition politique en Turquie
-, au climat politique tendu depuis 2014 et aux discours tenus par les adversaires politiques de l'intéressé, notamment le président de la République, il est naturel qu'un observateur objectif puisse soupçonner l'existence d'une motivation politique au placement et au maintien en détention provisoire du requérant. Cependant, la Cour a déjà estimé par le passé que le simple fait que des poursuites pénales avaient été engagées contre des personnalités politiques ou que celles-ci avaient été privées de leur liberté, même pendant une campagne électorale ou un référendum, ne démontrait pas automatiquement que le but poursuivi avait été de restreindre le débat politique.
425.
Vu la formulation du grief du requérant, la Cour est appelée à rechercher en l'espèce si les décisions des juridictions nationales relatives au placement et au maintien en détention provisoire de l'intéressé, en violation de l'article 5 de la Convention, avaient en fait pour but premier d'éloigner de la scène politique turque et de réduire au silence le requérant, l'un des leaders de l'opposition politique.
426.
Dans ce contexte, la Cour relève d'emblée que dès avant 2014 les procureurs de la République avaient soumis à l'Assemblée nationale plusieurs rapports d'enquête concernant le requérant. Cependant, aucune mesure n'avait été prise jusqu'à la fin du «
processus de résolution
» et jusqu'aux élections du 7 juin 2015, à l'issue desquelles le parti au pouvoir a perdu la majorité à l'Assemblée nationale, pour la première fois depuis 2002, en grande partie en raison du succès du HDP. En effet, jusqu'à l'éveil de l'antagonisme politique entre, d'un côté, le HDP et, de l'autre, le président de la République et le parti au pouvoir, le requérant n'avait pas été exposé au risque d'être privé de sa liberté. Cependant, au terme du «
processus de résolution
» et après les discours du président de la République, qui avait notamment déclaré le 28 juillet 2015 que les «
dirigeants de ce parti [le HDP] [devraient] en payer le prix
», les enquêtes pénales menées contre le requérant se sont multipliées et accélérées.
427.
La modification constitutionnelle adoptée le 20 mai 2016 a levé l'inviolabilité parlementaire de cent cinquante-quatre députés. C'est ainsi que le HDP, qui comptait à l'époque cinquante-neuf députés, s'est retrouvé dans une situation où cinquante-cinq d'entre eux étaient privés de leur inviolabilité parlementaire visée au deuxième paragraphe de l'article 83 de la Constitution. En conséquence, quatorze députés appartenant au parti politique du requérant, dont les deux coprésidents, ont été placés en détention provisoire. La Cour observe que, contrairement à ce qu'allègue le requérant, le Gouvernement soutient que les députés du HDP n'ont pas été les seuls députés à faire face à une condamnation pénale. Selon lui, cinq députés de l'AKP, neuf députés du CHP et un député du MHP ont également été condamnés à la suite de la levée de leur immunité parlementaire. Lors de l'audience tenue le 18 septembre 2019, une question spécifique a été posée aux parties relativement à ce point de désaccord. Le Gouvernement, tout en répétant sa thèse, n'a pas été en mesure de démontrer que des députés membres du bloc des partis au pouvoir, à savoir l'AKP et le MHP, avaient aussi été condamnés et/ou privés de leur liberté. En conséquence, la Cour ne saurait accorder de poids à cet argument du Gouvernement, en l'absence d'un quelconque élément de preuve présenté pour l'étayer. Dès lors, elle juge établi que les députés des partis d'opposition, à savoir le CHP et le HDP, sont les seuls à avoir été privés de leur liberté et/ou condamnés, à la suite de procédures pénales menées à leur encontre. Autrement dit, les parlementaires appartenant aux partis politiques d'opposition sont les seuls membres de l'Assemblée nationale qui ont été touchés de manière effective par la modification constitutionnelle du 20 mai 2016.
428.
Plusieurs dirigeants et maires élus du HDP ont également été placés en détention provisoire. Bien que la Cour n'ait pas accès à la teneur des procédures pénales contre ces personnes, elle relève que, selon plusieurs rapports et avis d'observateurs internationaux, la raison principale des mesures privatives de liberté subies par lesdites personnes réside dans leurs discours politiques. Dans ce contexte, la Cour accorde un poids considérable aux constats des tiers intervenants, et plus particulièrement à ceux de la Commissaire aux droits de l'homme, qui souligne que la législation nationale est de plus en plus utilisée pour étouffer les voix dissidentes. La Cour estime donc que les décisions relatives au placement et au maintien en détention provisoire du requérant ne sont pas un cas isolé. Au contraire, elles semblent suivre une certaine constante.
429.
En outre, les dates du placement et du maintien en détention provisoire du requérant sont également un facteur à prendre en compte dans son examen sous l'angle de l'article 18 de la Convention. À cet égard, la Cour note que l'intéressé a été privé de sa liberté notamment pendant deux campagnes critiques, à savoir celle du référendum du 16 avril 2017 et celle des élections présidentielles du 24 juin 2018.
430.
Dans ce contexte, la Cour observe tout d'abord que le requérant s'était déclaré fermement opposé à tout système présidentiel proposé à l'époque des faits par le président Erdoğan et que ce sujet constituait une vaste polémique entre les dirigeants de l'AKP et ceux du HDP. Or, alors que l'opinion publique turque débattait de ce qui était probablement l'une des plus grandes révisions constitutionnelles depuis la proclamation de la République en 1923, le requérant s'est retrouvé en détention provisoire, et ce en violation de l'article 5 §§ 1 et 3 et de l'article 10 de la Convention, ainsi que de l'article 3 du Protocole n
o
1. Comme la Cour l'a déjà dit, des élections libres et la liberté d'expression, notamment la liberté du débat politique, constituent l'assise de tout régime démocratique. Cela vaut également dans le contexte d'un référendum constitutionnel. En effet, aux yeux de la Cour, la détention provisoire subie par le requérant a certainement empêché celui-ci de contribuer effectivement à la campagne contre l'introduction d'un système présidentiel en Turquie.
(...)
432.
(...) nonobstant la procédure pénale pendante devant la cour d'assises d'Ankara, le procureur de la République d'Ankara a demandé au juge de paix d'Ankara de replacer le requérant et sa coprésidente en détention provisoire, dans le cadre d'une autre enquête pénale entamée en 2014 sur les événements des 6
-
8 octobre 2014. Toujours le 20
septembre 2019, le juge de paix d'Ankara a, suivant la demande du procureur de la République, ordonné le placement en détention provisoire du requérant et de l'autre
ex-coprésidente du HDP. Le lendemain, le président de la République a fait une déclaration à la presse dans laquelle il a accusé le requérant d'être le «
tueur
» de cinquante-trois personnes. Il a également dit qu'il suivait cette affaire et que l'on ne pouvait pas «
relâcher
» les deux coprésidents. En conséquence, même si le 31
octobre 2019 la cour d'assises d'Istanbul a décidé de surseoir à l'exécution de la peine de quatre ans et huit mois d'emprisonnement prononcée contre le requérant, celui-ci est demeuré privé de sa liberté, cette fois en raison de sa remise en détention provisoire.
433.
Dans ce contexte, le but apparent de la remise en détention provisoire du requérant était d'enquêter sur les événements des 6-8 octobre 2014. Or, malgré une qualification différente des infractions reprochées, cette enquête pénale concernait une partie des faits à l'origine du procès pénal qui est toujours pendant devant la cour d'assises d'Ankara et dans le cadre duquel l'intéressé était déjà placé en liberté provisoire. Combinant ces éléments avec les liens temporels étroits entre la remise en liberté du requérant, ordonnée par la cour d'assises d'Ankara le 2 septembre 2019, la décision de la 26
e
cour d'assises d'Istanbul du 20 septembre 2019, le retour immédiat du requérant, le même jour, en détention provisoire et le discours prononcé juste après par le président de la République, la Cour estime que les autorités nationales ne semblent guère intéressées par l'implication présumée du requérant dans une infraction prétendument commise entre le 6 et le 8 octobre 2014, soit environ cinq ans auparavant, mais plutôt par son maintien en détention, qui l'empêche d'exercer ses activités politiques.
434.
Par ailleurs, les constats de la Commission de Venise relatives à l'indépendance de la justice en Turquie, et plus particulièrement celles concernant le Conseil supérieur des juges et des procureurs («
le Conseil supérieur
»), sont également pertinentes pour l'examen de la Cour sous l'angle de l'article 18 de la Convention. En effet, dans son avis n
o
875/2017 sur les modifications de la Constitution, adopté lors de sa 110
e
session plénière, la Commission de Venise a souligné que dans le nouveau système constitutionnel le président de la République avait le pouvoir de nommer six membres du Conseil supérieur sur treize et que les sept autres membres seraient nommés par l'Assemblée nationale. Elle a noté à ce propos que le projet prévoyait des élections au Conseil supérieur dans les trente jours suivant l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle. La Commission de Venise a émis l'avis que cette nouvelle composition du Conseil supérieur était «
extrêmement problématique
». Elle a rappelé à cet égard que, dans le nouveau système constitutionnel, le président de la République n'était pas un pouvoir neutre mais qu'il appartenait à une mouvance politique. De plus, considérant la possibilité que le parti du président de la République détienne la majorité parlementaire, situation selon elle pratiquement garantie par le système d'élections simultanées, la Commission de Venise a estimé que cette composition compromettrait gravement l'indépendance de la justice, du fait que le Conseil supérieur était le principal organe de gestion autonome de la justice, chargé des nominations, des promotions, des transferts, des mesures disciplinaires et de la révocation des juges et des procureurs. Elle a ajouté ceci
: «
contrôler [le Conseil supérieur] revient à contrôler les juges et les procureurs, surtout dans un pays où les révocations de juges sont devenues fréquentes et les transferts de juges sont monnaie courante
». Il ressort des rapports et avis d'observateurs internationaux, en particulier des commentaires de la Commissaire aux droits de l'homme, que le climat politique tendu en Turquie au cours des dernières années a créé un environnement capable d'influencer certaines décisions des juridictions nationales, en particulier pendant l'état d'urgence, lorsque des centaines de magistrats ont été révoqués de leurs fonctions, et surtout concernant les procédures pénales engagées contre les voix dissidentes.
(...)
436.
En l'occurrence, les éléments concordants découlant du contexte confirment la thèse selon laquelle les autorités judiciaires ont réagi sévèrement à la conduite du requérant, l'un des leaders de l'opposition, à celle d'autres députés et maires élus membres du HDP, et, plus généralement, face aux voix dissidentes. Le placement et le maintien en détention provisoire du requérant ont non seulement privé des milliers d'électeurs de leur représentation au sein de l'Assemblée nationale, mais ils ont de surcroît envoyé un message dangereux à l'ensemble de la population, réduisant considérablement la portée du débat démocratique libre. Ces éléments permettent à la Cour de conclure que les buts avancés par les autorités relativement à la détention provisoire de l'intéressé n'étaient qu'une couverture pour un but politique inavoué, ce qui est d'une gravité incontestable pour la démocratie.
437.
Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu'il est établi au-delà de tout doute raisonnable que la privation de liberté subie par le requérant, notamment pendant deux campagnes critiques, celles du référendum et de l'élection présidentielle, poursuivait un but inavoué, à savoir celui d'étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique.
438.
Partant, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 18 de la Convention combiné avec l'article 5.
»
638.
En l'occurrence, étant donné la similarité des circonstances, la Cour considère que les conclusions de la Grande Chambre dans son arrêt
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
sont également pertinentes pour les requérants des présentes requêtes, parmi lesquels il existe l'autre coprésidente et les députés du HDP. Comme le dit la Grande Chambre, «
les éléments concordants découlant du contexte confirment la thèse selon laquelle les autorités judiciaires ont réagi sévèrement à la conduite
» des députés du HDP, et, plus généralement, face aux voix dissidentes. En effet, il ressort du mémorandum du 15 février 2017, relatif à la liberté d'expression et à la liberté des médias en Türkiye, publié par la Commissaire aux droits de l'homme, que la privation de liberté des députés du HDP fait partie d'une politique judiciaire de «
recours au harcèlement judiciaire pour restreindre le débat parlementaire
» (
ibidem
, §
59).
639.
La Cour estime donc, à l'instar des observations des tiers intervenants, qu'il est établi au-delà de tout doute raisonnable que les détentions provisoires subies par les requérants poursuivaient un but inavoué, à savoir celui d'étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique.
640.
Il y a donc eu violation de l'article 18 de la Convention combiné avec l'article
5.
641.
En sus des violations alléguées, les requérants, à l'exception des requérantes M
me
Burcu Çelik et M
me
Leyla Birlik, se plaignent pour la première fois dans leurs observations formulées en réponse à celles du Gouvernement d'une violation de l'article 34 de la Convention. Ils indiquent que, en août 2017 et janvier 2018, l'avocat de certains requérants, M
e
R.
Yalçındağ Baydemir, a été convoqué au parquet de Diyarbakır où des questions lui auraient été posées dans le cadre d'une enquête pénale différente. Ils indiquent également qu'une enquête pénale a été engagée contre M
e
M. Karaman pour des propos qu'il aurait tenus lors d'une audience avec M. Abdullah Zeydan. Ils ajoutent que M
e
R. Demir, l'avocat de certains requérants, a été arrêté parce qu'il aurait introduit une requête devant la Cour constitutionnelle et devant la Cour concernant l'assassinat de l'ancien président du barreau de Diyarbakır, M
e
T. Elçi. De plus, Maîtres Sezin Uçar et Özlem Gümüştaş, qui sont des avocats de la requérante M
me
Figen Yüksekdağ Şenoğlu, ont été arrêtées le 19 octobre 2017, sans préciser ni la raison ni l'issue de la procédure. Ils soutiennent que les enquêtes menées à l'encontre de ces avocats ont eu un effet intimidant sur eux. L'article 34 de la Convention est ainsi libellé
:
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »
642.
Le Gouvernement conteste ces arguments.
643.
La Cour observe que rien n'indique que les enquêtes menées en l'espèce à l'encontre des avocats de certains requérants ont été destinées à pousser les requérants à retirer ou à modifier leurs requêtes ou à les gêner de toute autre manière dans l'exercice effectif de leur droit de recours individuel, ni qu'elles ont eu un tel effet. Il ressort même de la formulation du grief que ces enquêtes n'ont aucun lien avec la requête des intéressés. Les autorités de l'État défendeur ne peuvent donc passer pour avoir entravé l'exercice par les requérants de leur droit de recours individuel. Dès lors, la Cour estime que l'État défendeur n'a pas manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l'article 34 de la Convention.
644.
Aux termes de l'article 41 de la Convention
:
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
645.
Les requérants ont demandé à la Cour d'ordonner leur libération. L'article
46 de la Convention se lit comme suit
:
«
1.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2.
L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution.
(...) »
646.
Les montants des demandes des requérants au titre du dommage matériel et/ou moral et des frais et dépens figurent sur la liste en annexe.
647.
Le Gouvernement considère ces sommes excessives et incompatibles avec la jurisprudence de la Cour.
648.
S'agissant d'abord de la demande relative au dommage matériel, la Cour considère qu'il incombe aux requérants de démontrer que les violations constatées ont entraîné pour eux un préjudice. À cette fin, un requérant doit produire des justificatifs à l'appui de sa demande. Dans ce contexte, un lien de causalité manifeste doit être établi entre le dommage matériel allégué et la violation constatée. La Cour précise qu'un lien hypothétique entre ces derniers ne suffit pas (
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, § 447). En l'espèce, les constats de violation de la Convention découlent principalement du placement et du maintien des requérants en détention provisoire. À cet égard, la Cour considère que la perte de revenus professionnels peut causer un dommage matériel. Néanmoins, eu égard à l'absence des documents justificatifs à l'appui de leurs demandes, elle rejette la demande formulée à ce titre (à comparer avec
Öğreten et Kanaat
, précité, § 146).
649.
En ce qui concerne le dommage moral, prétendument subi par les requérantes Nursel Aydoğan et Leyla Birlik, la Cour observe que celles-ci ont pris la fuite durant la procédure (voir les paragraphes 228 et 302 ci-dessus). En conséquence, la Cour, estimant que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral, rejette les demandes formulées par ces deux requérantes.
650.
S'agissant pourtant des autres onze requérants, eu égard au caractère sérieux des violations constatées et à la pratique de la Cour dans les affaires similaires, elle octroie à chacun des requérants la somme de 16
000
EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d'impôt à chacun des requérants, à l'exception du requérant de la requête n
o
41087/17M. Ayhan Bilgen. Dans le cas de ce dernier, la Cour, tenant compte du montant du dommage moral alloué par la Cour constitutionnelle, qui s'élève à 4
400 EUR, la Cour accorde 11
600 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d'impôt à ce requérant.
651.
En ce qui concerne les frais et dépens, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ceux-ci que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d'allouer à chacun des requérants la somme de 1
000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d'impôt.
652.
La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
653.
S'agissant enfin des mesures à adopter par l'État défendeur, sous le contrôle du Comité des Ministres, pour mettre un terme aux violations constatées, la Cour rappelle que ses arrêts ont un caractère déclaratoire pour l'essentiel et qu'en général il appartient au premier chef à l'État en cause de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s'acquitter de son obligation au regard de l'article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l'arrêt de la Cour. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants
: assurer le respect des droits et libertés garantis (voir, entre autres,
Şahin Alpay
, précité, § 173, et la jurisprudence qui y est citée).
654.
À la lumière des
conclusions auxquelles elle est parvenue, en particulier de son constat de violation de l'article 18 combiné avec l'article
5, la Cour souligne que les mesures d'exécution qui doivent maintenant être prises par l'État défendeur, sous la surveillance du Comité des Ministres, concernant la situation des requérants doivent être compatibles avec les conclusions et l'esprit du présent arrêt (
Ilgar Mammadov c.
Azerbaïdjan
(recours en manquement) [GC], n
o
15172/13, § 182, 29 mai 2019). Cela dit, lorsque la nature même de la violation constatée n'offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d'y remédier, la Cour peut décider d'indiquer une seule mesure individuelle, comme elle l'a fait dans les affaires
Assanidzé
(précité, §§ 202-203),
Ilaşcu et autres c.
Moldova et Russie
([GC], n
o
48787/99, § 490, CEDH 2004
-
VIII,
Alexanian c.
Russie
, n
o
46468/06, §§ 239-240, 22 décembre 2008,
Fatullayev c.
Azerbaïdjan
(n
o
40984/07, §§ 176-177, 22 avril 2010,
Del Río Prada c.
Espagne ([GC], n
o
42750/09, §§ 138-139, CEDH 2013) et
Şahin Alpay
(précité, § 195). À la lumière de cette jurisprudence, elle considère que la continuation de la détention provisoire des requérants en l'espèce va entraîner une prolongation de la violation de l'article 5 et de l'article 18 combiné avec cette disposition, ainsi qu'un manquement aux obligations qui découlent pour les États défendeurs de l'article 46 § 1 de la Convention de se conformer à l'arrêt de la Cour.
655.
Dans ces conditions, s'agissant des requérants toujours privés de leur liberté, le maintien en détention, pour des motifs relatifs au même contexte factuel, impliquerait une prolongation de la violation de leurs droits ainsi qu'un manquement à l'obligation qui incombe à l'État défendeur au titre de l'article
46 § 1 de la Convention de se conformer à l'arrêt de la Cour. Partant, la Cour estime que le Gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la privation de liberté de ces requérants et faire procéder à leur libération immédiate (voir
Selahattin Demirtaş (n
o
2)
, précité, §§ 442).
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
a) que l'État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 novembre 2022, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı
Jon Fridrik Kjølbro
Greffier
Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées des juges, J.F. Kjølbro et S. Yüksel.
H.B.
J.F.K.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES KJØLBRO ET YÜKSEL
(Traduction)
Introduction
1.
La présente affaire est dans une très large mesure l'application aux circonstances particulières de l'espèce d'une jurisprudence constante de la Cour, en particulier de l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire
Selahattin Demirtaş c. Türkiye (n
o
2)
[GC], n
o
14305/17, 22 décembre 2020. Elle ne soulève pas en tant que telle de questions de caractère général relativement à la jurisprudence de la Cour.
2.
Le juge Kjølbro a ainsi pu souscrire à toutes les parties de l'arrêt, à une exception près, à savoir le constat par la Cour d'une violation de l'article
5 §
4 de la Convention à raison de l'impossibilité d'accéder au dossier d'enquête (point 10 du dispositif). La juge Yüksel a, en outre, voté contre d'autres conclusions de la Cour en l'espèce et maintient à cet égard la position qu'elle a exprimée dans des arrêts antérieurs (points 5, 7, 8, 9, 13, 15 et 16 du dispositif). Concernant son opinion juridique sur ces autres points, la juge Yüksel renvoie, sans explications supplémentaires, aux opinions séparées qu'elle a précédemment exprimées (
Selahattin Demirtaş
, précité,
Ragıp Zarakolu c. Türkiye
, n
o
15064/12, 15 septembre 2020,
Ahmet Hüsrev Altan c.
Türkiye
, n
o
13252/17, 13 avril 2021,
Öğreten et Kanaat c.
Türkiye
, n
os
42201/17et
42212/17, 18 mai 2021, et
Akgün c. Türkiye
, n
o
19699/18, 20
juillet 2021).
3.
Dans cette opinion commune en partie dissidente, nous expliquerons les raisons juridiques et de politique générale pour lesquelles nous avons voté contre le constat de violation de l'article 5 § 4 de la Convention et en quoi la conclusion de la Cour n'est autre qu'un revirement clair et conscient de la jurisprudence établie dans des affaires contre la Türkiye, sans que cela ne ressorte toutefois de la motivation de l'arrêt.
Remarques introductives sur le contexte particulier de la Türkiye
4.
À titre d'introduction, nous souhaitons souligner et préciser que notre opinion juridique sur l'interprétation et l'application de l'article 5 § 4 de la Convention ne signifie pas que nous approuvons ce qui semble être une pratique claire en Türkiye concernant les restrictions apportées en matière d'accès au dossier d'enquête dans certaines affaires pénales. Ce n'est toutefois pas sur ce point que la Cour est appelée à se prononcer. Sa tâche se borne à déterminer si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'impossibilité pour les requérants d'accéder au dossier d'enquête a emporté violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
5.
Au cours des dernières années, la Cour a été appelée à examiner des griefs formulés par des personnes accusées d'infractions pénales qui n'avaient pas eu accès au dossier d'enquête alors qu'elles se trouvaient en détention provisoire, et donc à déterminer si pareille restriction avait emporté violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
6.
Au vu des nombreuses affaires sur lesquelles la Cour a statué, il semble qu'il soit de pratique courante en Türkiye, lorsqu'une enquête est ouverte sur certains types d'infractions pénales, notamment terrorisme et appartenance à des organisations terroristes, que le juge compétent applique, de manière plus ou moins automatique, l'article 153 § 2 du code de procédure pénale et limite l'accès au dossier d'enquête.
7.
Cette décision, à moins qu'elle ne soit levée, a pour conséquence que ni l'accusé ni son défenseur ne peuvent accéder au dossier d'enquête. Cependant, dès que l'acte d'accusation a été déposé par le procureur et approuvé par le juge compétent, l'accusé et son défenseur se voient accorder un accès illimité au dossier d'enquête en application de l'article 153 § 4 du code de procédure pénale.
8.
En d'autres termes, l'accès restreint au dossier d'enquête s'applique pendant la phase d'enquête, qui est également la période où l'accusé peut être interpellé, placé en garde à vue puis en détention provisoire.
9.
Il ressort des nombreuses affaires dont la Cour a été saisie non seulement que la décision de limiter l'accès au dossier d'enquête semble être une pratique courante, mais aussi que cette décision s'accompagne généralement d'une motivation succincte qui semble être une simple référence aux critères énoncés à l'article 153 du code de procédure pénale et une réitération de ces derniers. Une telle pratique semble difficile à justifier mais, répétons-le, la Cour n'est pas appelée à se prononcer, de manière générale, sur la pratique en œuvre dans le traitement des affaires pénales en Türkiye
; elle doit se prononcer, concrètement, sur le point de savoir si en l'espèce l'impossibilité pour les requérants d'accéder au dossier d'enquête a emporté violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
10.
Compte tenu de la pratique générale en œuvre en Türkiye, il n'est pas surprenant que la Cour ait été saisie d'un nombre important de requêtes et amenée, par conséquent, à statuer sur un grand nombre de ces requêtes, d'où une jurisprudence établie de longue date. Toutefois, comme nous allons l'expliquer de manière plus détaillée, cette jurisprudence bien établie vient de faire l'objet d'un revirement, au moins dans la présente affaire, sans aucune transparence ni explication.
Quelques remarques générales concernant l'accès au dossier d'enquête
11.
Selon l'article 5 § 4 de la Convention, «
[t]oute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue (...) sur la légalité de sa détention (...)
». Ce droit entre en jeu lorsqu'une personne arrêtée car soupçonnée d'avoir commis une infraction conteste la décision de la placer en garde à vue ou en détention provisoire (article 5 § 1 c) et § 3 de la Convention).
12.
En pratique, la Cour a énoncé un certain nombre de garanties procédurales applicables dans ce type de procédure, qui doit en particulier être contradictoire et respecter le principe de l'égalité des armes (voir, par exemple,
Nikolova c. Bulgarie
[GC], n
o
31195/96, § 58, CEDH 1999
-
II,
Niedbała c. Pologne
, n
o
27915/95, §§ 66-67, 4 juillet 2000,
Włoch c. Pologne
, n
o
27785/95, § 126, CEDH 2000
-
XI,
Lanz c. Autriche
, n
o
24430/94, §§ 40
-
45, 31
janvier 2002, et
Migoń c. Pologne
, n
o
24244/94, §§ 67-72, 25 juin 2002).
13.
Plus précisément, la Cour a jugé que l'accusé et son défenseur doivent avoir «
accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention
» (voir, par exemple,
Garcia Alva c. Allemagne
, n
o
23541/94, §§ 39-43, 13
février 2001,
Schöps c. Allemagne
, n
o
25116/94, §§ 44-45, CEDH 2001
-
I,
Svipsta c.
Lettonie
, n
o
66820/01, §§ 135-139, CEDH 2006
-
III (extraits),
Mooren c.
Allemagne
[GC], n
o
11364/03, §§ 124-125, 9 juillet 2009,
Nedim Şener
c.
Türkiye
, n
o
38270/11, §§ 83-86, 8 juillet 2014,
Şık c. Türkiye
, n
o
53413/11, §§ 72-75, 8 juillet 2014,
Ragıp Zarakolu
, précité, §§ 60-62,
Ahmet Hüsrev Altan
, précité, §§ 161-166, et
Öğreten et Kanaat
, précité, §§
100-104).
14.
Les principes généraux énoncés par la Cour sont récapitulés dans l'arrêt (paragraphes 573-577).
Quelques remarques générales sur la jurisprudence relative à la Türkiye
15.
En conséquence de la pratique turque qui a brièvement été exposée ci
-
dessus, la Cour a, dans un grand nombre d'affaires, été appelée à examiner si l'impossibilité d'accéder au dossier d'enquête avait emporté violation des droits découlant pour le requérant de l'article 5 § 4 de la Convention. De nombreux arrêts et décisions ont ainsi été adoptés par des chambres, et plus encore par des comités appliquant une jurisprudence constante.
16.
Étant donné que la pratique générale en Türkiye semble consister à limiter l'accès au dossier d'enquête relativement à certaines infractions pénales, et que la personne en détention provisoire se trouve ainsi privée de l'accès au dossier d'enquête pendant la phase d'enquête jusqu'à ce que l'acte d'accusation ait été déposé par le procureur et approuvé par le juge compétent, une application stricte du droit à avoir «
accès aux pièces du dossier qui revêtent une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de la détention
» aboutirait plus ou moins automatiquement à un constat de violation de l'article 5 § 4 de la Convention dans les affaires contre la Türkiye. Toutefois tel n'est et n'a pas été le cas dans la pratique de la Cour.
17.
Dans un grand nombre d'affaires contre la Türkiye, la Cour a examiné
si le requérant, même s'il n'avait pas bénéficié d'un droit illimité d'accès aux éléments de preuve, avait eu une «
connaissance suffisante
» de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base à son placement en détention et avait eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire
(voir, par exemple,
Ceviz c.
Türkiye
, n
o
8140/08, §§ 41-44, 17 juillet 2012,
Gamze Uludağ
c.
Türkiye
, n
o
21292/07, §§ 41-43, 10 décembre 2013,
Karaosmanoğlu et Özden
c.
Türkiye
, n
o
4807/08, § 74, 17 juin 2014,
Hebat Aslan et Firas Aslan
c.
Türkiye
, n
o
15048/09, §§ 65-67, 28 octobre 2014,
Ayboğa et autres c.
Türkiye
, n
o
35302/08, §§ 16-18, 21 juin 2016,
Mehmet Hasan Altan c.
Türkiye
, n
o
13237/17, §§ 147-150, 20 mars 2018,
Atilla Taş c.
Türkiye
, n
o
72/17, §§ 149-154, 19 janvier 2021,
Saraç et autres c.
Türkiye
, n
o
23189/09, §§ 127-129, 30 mars 2021,
Akgün
, précité, §§ 193-201, et
İlker Deniz Yücel c. Türkiye
, n
o
27684/17, §§ 104-110, 25 janvier 2022).
18.
Pour déterminer si un requérant, même s'il n'avait pas bénéficié d'un droit illimité d'accès aux éléments de preuve, avait eu une «
connaissance suffisante
» de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base à son placement en détention et avait eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire, la Cour s'est toujours livrée à une appréciation des circonstances particulières du cas d'espèce.
19.
Par exemple, dans les cas où la décision de placement en détention provisoire était fondée sur l'appartenance à un parti politique, sur la participation à des réunions ou manifestations publiques, sur la publication d'articles dans la presse écrite ou en ligne, ou de tweets sur un compte Twitter, sur des déclarations faites en public ou sur des faits similaires plus ou moins objectifs, la Cour a conclu à la non
-
violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
20.
En revanche, lorsque la décision de placer le requérant en détention provisoire était ou aurait pu être fondée sur d'autres éléments de preuve, notamment le contenu de conversations, les déclarations de témoins ou d'autres éléments dont la valeur probante dépend de l'appréciation de leur nature et de leur contenu, la Cour a conclu à la violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
21.
Non seulement l'appréciation de la Cour était individualisée, mais elle se fondait également sur les motifs invoqués par la juridiction interne pour justifier le placement ou le maintien en détention provisoire. Cette approche est compatible avec les critères permettant de déterminer si le requérant avait une «
connaissance suffisante
» de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base à son placement en détention et avait eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier sa détention provisoire, et elle a toujours été fondée sur une appréciation des faits particuliers de la cause.
22.
La jurisprudence de la Cour dans des affaires contre la Türkiye est brièvement présentée dans l'arrêt (paragraphes 578-579).
Le revirement de jurisprudence de la Cour dans le cas d'espèce
23.
En l'espèce, la Cour n'examine pas les griefs formulés par les requérants sur le terrain de l'article 5 § 4 de la Convention en se fondant sur la jurisprudence exposée ci-dessus. En d'autres termes, elle n'examine pas si les requérants, même s'ils n'ont pas bénéficié d'un droit illimité d'accès aux éléments de preuve, ont eu une «
connaissance suffisante
» de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base à leur placement en détention et ont eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier leur détention provisoire.
24.
Il ne fait aucun doute que les juges de la majorité connaissent parfaitement la jurisprudence de la Cour. À titre d'exemple, nous renvoyons à l'opinion en partie dissidente commune aux juges Bošnjak, Ranzoni et Koskelo jointe à l'arrêt
Atilla Taş
, précité. Dans cette opinion, les juges dissidents ont expressément argué que la jurisprudence de la Cour dans des affaires contre la Türkiye s'écartait de sa jurisprudence générale et que la Cour devrait appliquer les principes généraux établis dans sa jurisprudence. Les juges mentionnés ont réitéré leur position dans l'affaire
Murat Aksoy c.
Türkiye
(n
o
80/17, 13 avril 2021).
25.
Dans la présente affaire, sous le titre «
Application des principes au cas d'espèce
» (paragraphes 580-584), la Cour n'explique ni ne justifie les raisons pour lesquelles elle examine les griefs formulés devant elle sur la base d'autres principes généraux. Elle n'essaie même pas de justifier ce revirement de jurisprudence, ni d'exprimer clairement que c'est ce qu'elle est en train de faire. En d'autres termes, la Cour, tacitement et sans explication, applique des critères juridiques différents de ceux qu'elle a appliqués dans des affaires similaires contre la Türkiye.
26.
Après avoir réitéré que l'accès des requérants au dossier d'enquête a été restreint, la Cour déclare sans plus d'explications que les documents dans le dossier d'enquête «
revêtaient une importance essentielle dans la contestation de la légalité de la détention des intéressés
» (paragraphe 580 de l'arrêt).
27.
Elle critique ensuite la motivation stéréotypée donnée par le juge compétent pour limiter l'accès des accusés au dossier d'enquête en vertu de l'article
153 du code de procédure pénale et le manquement de la juridiction nationale à son obligation d'examiner si la restriction était justifiée dans les circonstances particulières de l'espèce (paragraphe 581 de l'arrêt).
28.
Elle note aussi brièvement que les difficultés causées aux requérants en raison de cette restriction n'ont pas été suffisamment compensées par la procédure suivie (paragraphe 582 de l'arrêt).
29.
Sur ce fondement, elle conclut que les requérants «
n'ont [pas] eu la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs invoqués pour justifier [leur] détention provisoire
» (paragraphe 583 de l'arrêt) et qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention (paragraphe 584 de l'arrêt).
30.
Si la Cour avait appliqué les principes juridiques élaborés et appliqués dans un grand nombre d'affaires contre la Türkiye, elle aurait, selon nous, conclu à la non-violation de l'article 5 § 4 de la Convention, ou déclaré que le grief était manifestement mal fondé.
31.
Eu égard au nombre de requêtes examinées conjointement dans le présent arrêt, il serait hors de propos que la présente opinion séparée examine chacune de ces requêtes individuellement, mais en mentionner une permettra d'illustrer clairement notre point de vue.
32.
Dans la requête n
o
14332/17(M
me
Figen Yüksekdağ Şenoğlu), la décision de placer la requérante en détention provisoire était fondée sur trois tweets publiés au nom du comité exécutif du parti HDP, sur le fait que la requérante était coprésidente dudit parti, sur le contenu des tweets publiés, sur la nature et les conséquences des événements qui s'étaient déroulés dans la rue les 6 et 8 octobre 2014, et sur le contenu des discours faits par l'intéressée, en particulier dans le cadre des activités du Congrès de la société démocratique (paragraphe 19 de l'arrêt). Les faits et éléments de preuve sur lesquels le juge compétent s'est appuyé étaient tous publics et connus de la requérante.
33.
Les faits sur lesquels le juge compétent s'est appuyé soulèvent inévitablement la question de savoir s'ils peuvent s'analyser en des «
raisons plausibles de soupçonner
» la requérante d'avoir commis les infractions pénales qui lui étaient reprochées, mais il s'agit là d'une question distincte examinée par la Cour sous l'angle de l'article 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention.
34.
Ce qu'il importe de savoir sur le terrain de l'article 5 § 4 de la Convention, c'est si la requérante a eu la possibilité de contester de manière satisfaisante la légalité de sa détention et, au vu de la nature des éléments de preuve sur lesquels le juge compétent s'est appuyé, on peut répondre par l'affirmative à cette question.
35.
Sans rentrer dans les détails, si nous examinions de la même manière les affaires des autres requérants, la conclusion serait la même. Tous les requérants, même s'ils n'ont pas bénéficié d'un droit illimité d'accès aux éléments de preuve, ont eu une «
connaissance suffisante
» de la teneur des éléments de preuve ayant servi de base à leur placement en détention et ont eu ainsi la possibilité de contester de manière satisfaisante les motifs présentés pour justifier leur détention.
Quelques remarques sur l'approche adoptée et ses possibles conséquences sur les requêtes contre la Türkiye
36.
Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que celle-ci ne devrait s'écarter de la jurisprudence que lorsqu'elle a de bonnes raisons de le faire (voir, par exemple,
Jane Smith c. Royaume-Uni
[GC], n
o
25154/94, §
77, 18
janvier 2001, et
Chapman c. Royaume-Uni
[GC], n
o
27238/95, §
70, CEDH
2001
-
I). Pour citer la jurisprudence
: «
Sans être formellement tenue de suivre l'un quelconque de ses arrêts antérieurs, la Cour considère qu'il est dans l'intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l'égalité devant la loi qu'elle ne s'écarte pas sans motif valable des précédents.
»
37.
En l'espèce, la Cour s'est toutefois écartée des précédents établis dans des affaires antérieures, en grand nombre, sans expliquer quelles sont les «
bonnes raisons
» qui justifient ce revirement.
38.
Nous rappelons l'article 30 de la Convention selon lequel «
(...) si la solution d'une question peut conduire à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour, la chambre peut (...) se dessaisir au profit de la Grande Chambre
». En l'espèce, l'approche de la Cour n'est pas seulement en contradiction avec «
un arrêt rendu antérieurement
» mais avec une jurisprudence constante, au moins par rapport à la Türkiye. La chambre aurait donc dû se dessaisir au profit de la Grande Chambre. Au lieu de cela, elle a décidé d'établir des critères juridiques différents et de s'écarter de la jurisprudence sans explication ni justification.
39.
Dans ce contexte, nous attirons l'attention sur le fait que le requérant dans l'affaire
Murat Aksoy
, précitée, avait justifié sa demande de renvoi devant la Grande Chambre en remettant précisément en cause le constat de non
-
violation de l'article 5 § 4 de la Convention auquel était parvenu la Cour. Alors même que cette demande a été rejetée par le collège de la Grande Chambre le 6 septembre 2021 et que l'arrêt est devenu définitif, la Cour décide dans la présente affaire de s'en écarter.
40.
Un tel revirement de jurisprudence crée de l'insécurité juridique. Par exemple, les juges dans les autres affaires de chambre doivent-ils suivre la nouvelle approche adoptée dans la présente affaire ou plutôt la jurisprudence constante
? De surcroît, un tel revirement de jurisprudence est problématique par rapport aux autorités nationales, en l'espèce les tribunaux en Türkiye.
41.
Le système de la Convention est fondé sur une responsabilité partagée entre la Cour et les États membres, en particulier les juridictions nationales. Il incombe au premier chef aux États membres d'assurer le respect des droits et libertés garantis par la Convention. Pour citer un arrêt (
Garib c.
Pays-Bas
[GC], n
o
43494/09, § 137, 6 novembre 2017)
: «
Conformément au principe de subsidiarité, il incombe en premier lieu aux Parties contractantes de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses Protocoles, et elles disposent pour ce faire d'une marge d'appréciation soumise au contrôle de la Cour.
»
42.
Cela se reflète également dans le préambule de la Convention, qui énonce ce qui suit
: «
Affirmant qu'il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d'une marge d'appréciation, sous le contrôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme instituée par la présente Convention
».
43.
Les juridictions internes en Türkiye, en particulier la Cour constitutionnelle, connaissent parfaitement la jurisprudence de la Cour relative à l'article 5 § 4 de la Convention et elles ont tranché de nombreuses affaires sur la base des principes généraux établis dans des affaires contre la Türkiye, concluant parfois à la violation, parfois à la non-violation des dispositions de la Constitution consacrant des droits similaires à ceux garantis par l'article 5 de la Convention, en fonction des circonstances particulières de la cause. Il ressort clairement de la motivation de la Cour constitutionnelle dans ces affaires qu'elle connaît la jurisprudence de la Cour telle qu'énoncée ci-dessus et s'efforce de l'appliquer fidèlement.
44.
Dès lors, qu'est-ce que la Cour constitutionnelle de Türkiye est censée faire à l'avenir
? Attend-on d'elle qu'elle suive la jurisprudence constante de la Cour ou qu'elle applique les principes établis dans la présente affaire
?
45.
Plus important, le raisonnement de la Cour en l'espèce transforme en un droit autonome le droit pour un accusé en détention d'accéder au dossier d'enquête et méconnaît la finalité même des droits consacrés par l'article
5 §
4 de la Convention, qui est le droit d'avoir un contrôle juridictionnel de la légalité de sa détention et d'être en mesure de la contester efficacement.
46.
Comme nous l'avons exposé ci-dessus, la Cour déclare, de manière générale, que le dossier d'enquête est ou était d'une «
importance essentielle
». Si les principes énoncés dans le présent arrêt devaient s'appliquer dans de futures affaires, la Cour constaterait donc plus ou moins automatiquement des violations de l'article 5 § 4 de la Convention dans des requêtes contre la Türkiye dès lors que l'interdiction d'accéder au dossier d'enquête ne serait pas justifiée de manière suffisante et convaincante et que les difficultés pour la personne détenue n'auraient pas été suffisamment compensées par la procédure suivie.
Conclusions
47.
Sans exprimer de point de vue personnel sur la pratique en œuvre en Türkiye relativement à l'accès au dossier d'enquête pendant la phase d'enquête d'une procédure pénale pour certains types d'infractions, notamment terrorisme et appartenance à une organisation terroriste, nous trouvons le présent arrêt problématique pour les raisons que nous avons exposées ci-dessus, en particulier le revirement de jurisprudence opéré sans aucune explication ni justification, l'insécurité juridique créée par le présent arrêt, la méconnaissance de la responsabilité partagée entre la Cour et les tribunaux en Türkiye, en particulier la Cour constitutionnelle, et le fait que le présent arrêt transforme, en pratique, le droit d'accéder au dossier d'enquête en un droit autonome détaché de l'objet et du but du droit consacré par l'article
5 § 4 de la Convention. Nous avons par conséquent voté contre le constat de violation de l'article 5 § 4 de la Convention dans la présente affaire.
Appendix
Requête N o |
Nom de l'affaire |
Requérant
|
Représenté par | |
|
Yüksekdağ Şenoğlu c. Türkiye |
Figen YÜKSEKDAĞ ŞENOĞLU
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
Baluken c. Türkiye |
İdris BALUKEN
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
Konca c. Türkiye |
Besime KONCA
|
Ramazan DEMİR | |
|
Zeydan c. Türkiye |
Abdullah ZEYDAN
|
Ramazan DEMİR | |
|
Akdoğan c. Türkiye |
Nihat AKDOĞAN
|
Ramazan DEMİR | |
|
Irmak c. Türkiye |
Selma IRMAK
|
Erhan ÜRKÜT | |
|
Encu c. Türkiye |
Ferhat ENCU
|
Ramazan DEMİR | |
|
Yıldırım c. Türkiye |
Gülser YILDIRIM
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
Aydoğan c. Türkiye |
Nursel AYDOĞAN
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
DEMİRel c. Türkiye |
Çağlar DEMİREL
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
Bilgen c. Türkiye |
Ayhan BİLGEN
|
Reyhan YALÇINDAĞ BAYDEMİR | |
|
Çelik c. Türkiye |
Burcu ÇELİK
|
Ramazan DEMİR | |
|
Birlik c. Türkiye |
Leyla BİRLİK
|
Ramazan DEMİR |