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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PITSILADI AND VASILELLIS v. GREECE - 5049/14 (Judgment : Legal impossibility for parents to access the sums from a donation collection to finance the medical treatment abroad of their child who has died since : Preliminary objection joined to merits and dismissed : Third Section) French Text [2023] ECHR 457 (06 June 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/457.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2023:0606JUD000504914, CE:ECHR:2023:0606JUD000504914, [2023] ECHR 457

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PITSILADI ET VASILELLIS c. GRÈCE

(Requêtes nos 5049/14 et 5122/14)

 

 

 

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Obligations positives • Impossibilité légale pour des parents d’accéder aux sommes issues d’une collecte de dons pour financer le traitement médical à l’étranger de leur enfant décédé depuis • Pas de question soulevée de négligence médicale ou de refus de soins médicaux • Bonne foi des autorités nationales ayant modifié la loi pour leur permettre d’accéder aux dons • Pas de dysfonctionnement dans les circonstances résultant du manquement par l'État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire • Impossibilité de constater un lien de causalité entre la conduite des autorités et le décès de l’enfant

 

STRASBOURG

6 juin 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Pitsiladi et Vasilellis c. Grèce,


La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Pere Pastor Vilanova, président,
          Jolien Schukking,
          Yonko Grozev,
          Darian Pavli,
          Peeter Roosma,
          Ioannis Ktistakis,
          Andreas Zünd, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,


Vu :


les requêtes (nos 5049/14 et 5122/14) dirigées contre la République hellénique et dont deux ressortissants grecs, Mme Georgia Pitsiladi et M. Efstratios Vasilellis (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 27 décembre 2013,


la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 2 de la Convention et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2023 et le 9 mai 2023,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION


1.  La requête concerne, sur le terrain de l’article 2 de la Convention, l’impossibilité pour les requérants d’avoir eu accès à une collecte de dons d’argent pour financer le traitement de leur fils, qui finalement est décédé, dans un hôpital situé aux États-Unis.

EN FAIT

 


3.  Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État.


4.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

I.        La maladie du fils des requérants et l’impossibilité d’avoir accès au compte bancaire


5.  Les deux requérants sont les parents de P.V. Le 22 septembre 1999, on diagnostiqua que P.V., alors âgé d’un an et huit mois, était atteint d’un neuroblastome sur la glande surrénale droite en quatrième phase. Il reçut un traitement dans l’hôpital public des enfants d’Aghia Sofia à Athènes où il resta pendant huit mois. Le 14 janvier 2000, il subit une opération et le 18 mai 2000 il fut soumis à une greffe de la moelle osseuse.


6.  Pendant l’hospitalisation de P.V., la municipalité de Geras, où résidaient les requérants, accorda à la famille une aide financière de 587 euros (EUR) et décida d’organiser une collecte de fonds. Le 4 mai 2000, le maire informa le propriétaire d’une chaîne de télévision à Lesbos des problèmes de P.V. Le 5 mai 2000, E.P., une employée de la chaîne de télévision, ouvrit un compte-épargne joint au nom des requérants et leur fils auprès d’une banque (Ethniki Trapeza Ellados - Eθνική Τράπεζα Ελλάδος) en y déposant simultanément 293 EUR. En mai 2000, la chaîne de télévision locale et d’autres chaînes annoncèrent que la famille avait besoin d’une aide financière et lancèrent un appel aux dons. La réaction du public, lequel contribua aux dons, fut très positive. Les requérants approvisionnèrent aussi le compte bancaire en question et firent des prélèvements. Le 13 juin 2000, le montant collecté sur le compte s’élevait à 296 291,16 EUR.


7.  Le 13 juin 2000, la banque bloqua le compte bancaire, estimant que celui-ci était contraire à la loi no 5101/1931 sur les collectes de dons - loteries ou marchés philanthropiques etc. (« la loi no 5101/1931 ») qui ne permettait pas, à l’époque des faits, d’organiser une collecte de dons au profit de personnes privées, mais uniquement à certaines associations, fondations et comités. En particulier, la banque s’appuya sur une lettre du ministre adjoint de la Santé, datée du 19 octobre 1999, qui rappelait à l’Union des banques grecques que l’ouverture de comptes pour collecter des fonds au nom d’associations, fondations et comités, exigeait une autorisation devant être accordée par une décision commune des ministres des Finances et de la Santé. De plus, selon une circulaire de la banque du 8 février 2000, celle-ci aurait continué d’accepter des demandes d’ouverture de comptes visant à la collecte de fonds au profit de personnes morales ou physiques à la condition que les intéressées aient fourni l’autorisation nécessaire.


8.  Toujours le 13 juin 2000, le second requérant fut invité par la banque à signer le contrat bancaire et, à la suite des instructions données par celle-ci, il adressa au ministre de la Santé une demande d’autorisation de retirer une somme d’argent sur le compte.


9.  À la suite d’une rechute de l’état de santé de P.V. constatée par les hôpitaux nationaux à la fin octobre et au début de novembre 2000, les requérants envoyèrent le dossier médical de l’enfant à l’hôpital The Royal Mardsen au Royaume‑Uni et demandèrent à la banque le décaissement de fonds pour couvrir les dépenses éventuelles. La banque refusa d’abord de débloquer le compte en question, mais, le 29 novembre 2000, la première requérante reçut finalement la somme de 35 216 EUR, montant censé être un don de la part de la banque en attendant qu’une modification du cadre législatif fût envisagée. Or, le 4 décembre 2000, l’hôpital déclara que malgré le fait que P.V. avait suivi un traitement approprié une récidive locale avait été observée et qu’il était très probable que bientôt des métastases se propageraient ailleurs. Il estima que les chances de guérison étaient pratiquement nulles et qu’il n’y aurait pas beaucoup plus à faire au Royaume‑Uni qui ne pourrait être fait en Grèce.


10.  Les requérants s’adressèrent par la suite à l’hôpital Memorial Sloan Kettering Cancer Center aux États-Unis, lequel leur envoya le 22 décembre 2000 un document informatif sur un programme de thérapie pionnière que l’hôpital pratiquait pour le traitement du neuroblastome. De décembre 2000 à janvier 2001, P.V. suivit un traitement de radiothérapie à l’hôpital privé Iaso à Athènes. En janvier 2001, l’hôpital Memorial Sloan Kettering Cancer Center informa les requérants que le dossier médical de P.V. était en cours d’examen et, le 25 janvier 2001, il les avertit qu’un rendez-vous médical était fixé au 5 février 2001 pour évaluer l’état de santé de P.V. et commencer le traitement. Il demanda une avance de 95 000 dollars. Or la banque rejeta à nouveau la demande des requérants de transférer la somme réclamée. Le 13 février 2001, l’hôpital public Alexandra à Athènes examina P.V. et constata une rechute de son état de santé.


11.  Le 15 février 2001, la loi no 2889/2001 fut votée et, le 2 mars 2001, elle entra en vigueur en vue de modifier le cadre législatif existant et permettre, grâce à la collecte de fonds sur des comptes bancaires, le soutien financier des personnes se trouvant en grande difficulté pour couvrir les dépenses internes ou externes nécessaires au rétablissement de leur santé. L’article 19 de la loi no 2889/2001 prévoit qu’à titre exceptionnel le ministre de la Santé approuve, par une décision motivée, la collecte de fonds et le transfert total ou partiel des montants collectés sur des comptes bancaires ouverts au nom des personnes ayant des problèmes de santé sérieux. Le même jour où la loi est entrée en vigueur, soit le 2 mars 2001, par sa décision no 664, le ministre de la Santé approuva la collecte de fonds effectuée sur le compte bancaire ouvert au nom des requérants ainsi que le transfert de la somme de 102 714,60 EUR pour couvrir l’hospitalisation de P.V. et d’autres dépenses à l’étranger.


12.  Le 16 février 2001, plusieurs métastases ayant été observées, P.V. fut transféré d’Athènes à l’hôpital de Lesvos. Le 4 mars 2001, il décéda.

II.     La première procédure intentée contre la banque (requête no 5049/14)


13.  Le 23 mars 2001, les requérants introduisirent une action contre la banque pour demander à être reconnus en tant que seuls titulaires du compte et à obtenir le transfert de la somme totale de 296 291,16 EUR. Par son arrêt no 72/2006 du 13 juin 2006, le tribunal de première instance de Mytilène considéra que les sommes en question, même si elles avaient été versées au profit de personnes identifiées, constituaient par leur nature une collecte de dons d’argent étant donné que cette collecte avait été organisée à des fins philanthropiques privées, c’est-à-dire le traitement médical du fils des requérants. Il précisa que, même si la levée des fonds avait été effectuée par le moyen d’un compte bancaire, elle constituait une collecte de dons interdite selon la loi no 5101/1931 dont l’objectif était de ne pas induire les tiers en erreur, et qu’un tel risque existait dans le cas des requérants. Il expliqua que, pour que le contrat entre la banque et les déposants des sommes au profit d’un tiers eût été valable, l’autorisation du ministre de la Santé était nécessaire et cet acte juridique ne produisait pas d’effets légaux si cette condition n’était pas remplie. Il jugea ainsi que les requérants n’étaient titulaires que de la somme de 102 714,60 EUR dont le transfert avait été approuvé par la décision du ministre, et que la banque devait leur verser cette somme. Il ajouta enfin qu’avant que cette autorisation ait été donnée, il n’existait pas d’obligation pesant sur la banque de transférer le contenu du compte aux requérants, ni de droit de ces derniers de faire des prélèvements. Le tribunal rejeta l’intervention accessoire (πρόσθετη παρέμβαση) de l’État pour soutenir la banque.


14.  Le 20 septembre 2006, les requérants interjetèrent appel. Par son arrêt no 253/2007 du 5 novembre 2007, la cour d’appel d’Égée confirma l’arrêt rendu en première instance. Le 4 octobre 2010, les requérants se pourvurent en cassation. Par son arrêt no 1406/2013 du 27 juin 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt attaqué.

III.   La seconde procédure engagée contre la banque et ses employés (requête no 5122/14)


15.  Le 11 septembre 2003, les requérants introduisirent une action en indemnisation contre la banque, le directeur de l’agence de Mytilène, le directeur régional et celui de la banque pour la douleur et la souffrance éprouvées par eux à la suite de la mort de leur fils et pour le dommage moral subi à raison de l’atteinte à leur réputation alléguée ainsi que de la mémoire de leur fils décédé. Ils soutinrent que le blocage illégal du compte et le refus par la banque de transférer le montant qui y avait été déposé avaient rendu impossible le traitement de leur fils à l’étranger et avait conduit à sa mort. Considérant que la banque et les employés susmentionnés, bien qu’ils aient connu la nécessité du transfert de P.V, n’avaient pas autorisé le retrait par les requérants de la somme d’argent collecté, et que le ministre de la Santé avait assuré aux intéressés que ce point serait réglé, le tribunal de première instance d’Athènes, par son arrêt no 4689/2007 du 17 juillet 2007, imposa conjointement à la banque et aux employés concernés de verser à chacun des requérants 2 934,70 EUR pour la douleur et la souffrance éprouvées par eux à la suite de la mort de leur fils. En particulier, le tribunal jugea que les trois derniers défendeurs, qui avaient choisi de protéger d’autres biens juridiques en violant les droits fondamentaux à la dignité humaine et à la vie, étaient responsables de la mort de P.V. Il estima que la banque était également responsable des omissions de ses agents et jugea que le fait d’avoir privé P.V. de l’unique espoir de le sauver et, par la suite, le décès de celui-ci avaient causé aux requérants une grande souffrance.


16.  Quant au dommage moral subi à raison de l’atteinte à leur réputation alléguée ainsi que de la mémoire de leur fils décédé, il reporta sa décision sur la demande d’indemnisation jusqu’à ce que l’arrêt du tribunal de première instance de Mytilène, qui statuait sur la première action des requérants, devint définitif (paragraphe 13 ci-dessus).


17  Le 19 septembre 2007, les défendeurs interjetèrent appel. La cour d’appel d’Athènes accueillit l’appel et, dans son arrêt no 2018/2010 du 22 avril 2010, elle considéra que l’arrêt no 72/2006 du tribunal de première instance de Mytilène, devenu définitif après que l’arrêt no 253/2007 avait été rendu par la cour d’appel d’Égée, avait autorité de res judicata. Elle rejeta les demandes d’indemnisation des requérants, jugeant qu’en ayant refusé de transférer les montants la banque n’avait pas agi illégalement. La conduite de ses employés était conforme à la loi, qui en agissant autrement auraient engager leur responsabilité pénale et disciplinaire. Le 4 octobre 2010, les requérants se pourvurent en cassation. Par son arrêt no 1407/2013 du 27 juin 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt attaqué.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT


18.   Les articles pertinents de la loi no 5101/1931, tels quils étaient en vigueur à lépoque des faits, sont ainsi libellés :

Article 1

« Dès l’entrée en vigueur de la présente loi sont interdits tous types de collectes de dons, de loteries et de marchés philanthropiques, ainsi que la collecte d’argent ou d’objets de quelque manière que ce soit. »

Article 2

« 1. Dans des cas exceptionnels et afin d’assurer un but philanthropique général ou l’exécution d’une mission d’intérêt général, il est possible de permettre, à la suite d’une autorisation rendue conformément aux dispositions de l’article 6 de la présente loi, la collecte de dons ou la réalisation de marchés philanthropiques : a) aux associations, fondations etc. légalement reconnues ; b) aux comités composés conformément aux dispositions du code civil.

2. Une autorisation ne peut être octroyée en aucun cas pour réaliser une collecte de dons ou un marché au bénéfice des membres d’une association ou d’une catégorie de personnes (...) »

Article 6

« 2. Les collectes de dons et les marchés philanthropiques sont autorisés par une décision du ministre de la Santé (...) »

Article 20

« 1. Les personnes, comités ou associations qui font des collectes de dons (...), contraires aux dispositions de la présente loi, sont punis (...) d’une peine d’emprisonnement de trois à huit mois (...). Les fonds sont saisis et attribués selon les termes de l’article 25 de la présente loi (...) »

Article 25

« 1. Les fonds (...) collectés sont déposés auprès de la banque [Ethniki Trapeza Ellados] (...) sous le titre ministère de la Santé, Fondations philanthropiques.

2.  Les fonds déposés sont attribués en tout ou en partie exclusivement pour la création et le fonctionnement des fondations ou des associations philanthropiques ou accordés comme subvention à celles-ci, par un décret adopté à l’initiative du ministre de la Santé (...) »


19.  L’article 19 de la loi no 2889/2001 est entré en vigueur le 2 mars 2001 et est ainsi libellé :

« 1. Dans des cas exceptionnels, qui s’avèrent justifiés de l’ensemble des circonstances pour le rétablissement de la santé des personnes moins aisées souffrant de maladies incurables ou graves ou ayant subi des lésions corporelles graves, il est possible, par des décisions motivées du ministre de la Santé et des Affaires sociales, d’approuver la collecte de fonds déposés sur des comptes bancaires, ouverts au nom des personnes susmentionnées ou de celles qui en ont la garde, par dérogation des dispositions de la loi no 5101/1931 (...), et de transmettre, en tout ou en partie, les fonds collectés à ces personnes. (...) »


20.  L’article 12 de la loi no 2920/2001 est entré en vigueur le 27 juin 2001 et est ainsi libellé :

« 24. Les fonds collectés déposés sur des comptes bancaires en violation de la loi no 5101/1931 qui ne sont ni saisis (...) ni attribués en tout ou en partie (...) peuvent être réclamés à tout moment par les déposants en présentant un extrait de dépôt. (...) »


21.  L’arrêté ministériel no Φ7/οικ.15 du 7 janvier 1997, publié le 20 janvier 1997 prévoit que :

Article 1

« L’hospitalisation à l’étranger des assurés (...) est approuvée par une décision de la caisse d’assurance, après un avis motivé établi par les comités spéciaux de santé (...) dans les cas où l’assuré a) souffre d’une maladie grave qui ne peut être traitée en Grèce, soit à cause d’un manque de moyens scientifiques, soit parce que la méthode spéciale du diagnostic et celle du traitement ne sont pas appliquées, b) souffre d’une maladie grave qui ne peut être traitée à temps en Grèce et un éventuel retard mettrait sa vie en danger, c) doit partir immédiatement à l’étranger (...), d) se trouve temporairement à l’étranger (...) »

Article 2

« Pour que les comités spéciaux de santé (...) rendent leur avis, l’intéressé doit fournir les justificatifs suivants (...) »

Article 4

« 4. L’hospitalisation dans un pays hors de l’Europe peut être approuvée seulement si le cas n’est pas traité dans un pays européen. La nécessité d’hospitaliser le patient doit être justifié clairement tant dans l’avis médical du médecin que dans l’avis du comité spécial de santé lequel doit en plus nécessairement préciser le pays et le centre hospitalier spécialisé où le patient sera hospitalisé.

Si le cas peut être traité en Europe mais que l’assuré veut être hospitalisé dans un pays hors de l’Europe, les caisses d’assurances payent seulement 30% des frais d’hospitalisation, de voyage et de séjour. (...) »


22.  L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes ou omissions illégaux de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »


23.  Le code de procédure administrative prévoit que :

Article 210

« (...) La personne qui a introduit un recours ou exercé une action peut demander au tribunal de prendre des mesures provisoires (...) »

Article 211

« (...) Dans le cadre d’une action en recouvrement [καταψηφιστική αγωγή], le tribunal peut, à titre provisoire, octroyer au demandeur une partie de la créance. »

Article 213

« 1. L’incapacité ou la difficulté particulière du demandeur pour assurer sa subsistance ainsi que celle de sa famille peut être un motif d’octroi à titre provisoire d’une créance (...)

2. L’octroi à titre provisoire d’une créance est exclu si :

(...)

b) l’action en recouvrement est manifestement irrecevable ou mal fondée. »

Article 214

« 1. (...) les moyens sont appréciés à l’aune du critère de vraisemblance (...) »

EN DROIT

I.        JONCTION DES REQUÊTES


24.  Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

II.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION


25.  Invoquant l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que l’impossibilité pour eux d’avoir eu accès au compte bancaire en question et d’avoir pu transférer de l’argent à l’hôpital situé aux États-Unis afin que leur fils suive un traitement, a conduit au décès de ce dernier. L’article 2 de la Convention, en sa partie pertinente, est ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

A.    Sur la recevabilité

1.     Arguments des parties


26.  Le Gouvernement soutient principalement que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention car les obligations positives découlant de l’article 2 § 1 de celle-ci n’incluraient pas la question du financement de la santé par l’État. Il précise que les requérants se plaignent en substance de ne pas avoir eu accès aux fonds, lesquels appartenaient à l’État, et estime que, même s’ils reprochent à l’État de n’avoir pas financé le traitement incertain de leur fils aux États-Unis, l’article 2 ne peut s’appliquer.


27.  Le Gouvernement invite aussi la Cour à rejeter la requête pour non‑épuisement des voies de recours internes, au motif que les requérants ont introduit des actions uniquement contre la banque et ses employés sans soulever au moins en substance le grief relatif à l’article 2 et qu’ils n’ont pas introduit d’action en indemnisation contre l’État sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Il ajoute que, selon la jurisprudence de la Cour, si l’atteinte au droit à la vie n’est pas intentionnelle, un recours en dommages-intérêts peut être un moyen effectif de protection au sens de l’article 2. Il soutient que les juridictions nationales ont rendu des arrêts ayant reconnu la responsabilité de l’État pour les dommages causés directement par une législation ou par l’omission de légiférer et que les intéressés auraient pu solliciter une réparation pour le dommage éventuellement causé par la loi no 5101/1931 sur la collecte de dons, tout en contestant la constitutionnalité de celle-ci ou sa conformité avec la Convention. Il considère de plus que les requérants auraient pu, en vertu de l’article 210 et suivants du code de procédure administrative, réclamer et percevoir dans le cadre de l’action en indemnisation le versement à titre provisoire des sommes nécessaires pour que leur fils puisse recevoir le traitement jusqu’à ce que les tribunaux puissent rendre leur décision définitive.


28.  Les requérants retorquent que l’État n’était pas titulaire des sommes collectées, l’argent n’ayant jamais été saisi par ce dernier, comme les tribunaux internes l’ont jugé. Ils soutiennent que l’article 2 de la Convention est applicable en l’espèce étant donné que les autorités connaissaient l’existence d’une menace réelle et immédiate pour la vie de leur fils et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient pallié ce risque ou auraient prolongé sa vie. Ils soutiennent aussi qu’en ayant plaidé que le refus par la banque de transférer le montant déposé avait rendu impossible le traitement de leur fils à l’étranger et avait conduit à sa mort et en ayant avancé leurs arguments, ils ont invoqué en substance devant les juridictions civiles une atteinte au droit à la vie. Quant à l’épuisement des voies de recours internes, ils estiment que l’État est intervenu dans la procédure interne et a invoqué des arguments y compris en vertu de la loi no 5101/1931.

2.     Appréciation de la Cour


29.  La Cour constate que, ainsi formulée, l’exception tirée de l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention est très étroitement liée à la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’article 2. Partant, elle estime opportun de joindre cette exception au fond (voir, par exemple, Vo c. France, [GC], no 53924/00, § 44, CEDH 2004-VIII).


30 .  En ce qui concerne l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour relève en premier lieu que les requérants ont soutenu devant les juridictions nationales que les défendeurs auraient dû débloquer les comptes en banque sur lesquels se trouvaient les sommes en question afin de ne pas exposer leur fils à un danger pour sa vie et que l’enjeu de l’affaire était de sauver une vie, une cause supérieure. En effet, selon les arguments des intéressés, la banque et ses employés par leur conduite ont discrédité le droit de leur fils à la vie et leur refus a rendu impossible son traitement à l’étranger et a conduit à sa mort. La Cour constate que cette affirmation est renforcée par les conclusions de l’arrêt no 4689/2007 du tribunal de première instance d’Athènes et par les arguments des requérants ayant soutenu ces conclusions, qui ont fait l’objet d’un examen approfondi par les juridictions internes (paragraphe  15 ci-dessus in fine). Il ressort de l’ensemble du contenu de leurs requêtes devant les juridictions internes que les requérants ont puisé dans le droit interne des arguments qui revenaient à dénoncer en substance une atteinte aux droits garantis par l’article 2, conformément à la finalité de l’article 35 § 1.


31.  La Cour constate ensuite que, s’agissant de la responsabilité de l’État pour les dommages causés par une législation contraire à la Constitution ou à la Convention, le Gouvernement fournit trois arrêts adoptés par le Conseil d’État par lesquels la haute juridiction avait prononcé l’obtention de dommages-intérêts dans la mesure où une loi introduisant une réduction des salaires des professeurs d’université, une loi fixant un plafond d’indemnisation pour les services de garde effectués par les médecins dans le système de santé publique et une troisième limitant le remboursement des taxes indument payés, avaient été jugées contraires à la Constitution. Or la Cour note que ces arrêts s’inscrivent dans un contexte très différent de celui de la présente affaire. De plus, concernant l’argument selon lequel la responsabilité de l’État engagée en raison de l’omission de légiférer des autorités, qui pourrait être pertinent dans le cas d’espèce où une dérogation a été introduite par voie législative à la loi no 5101/1931, qui demeure d’ailleurs toujours en application, le Gouvernement ne fournit aucun exemple. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement selon lequel le recours proposé aurait eu une chance raisonnable de succès.


32.  Quant à la possibilité de demander le versement à titre provisoire des sommes nécessaires pour permettre le traitement du fils des requérants jusqu’à ce que les tribunaux puissent rendre leur décision définitive sur l’action en indemnisation contre l’État, la Cour note que cette mesure provisoire est étroitement liée à l’action en indemnisation susmentionnée, qu’elle dépend de son bien-fondé (paragraphe 23 ci-dessus) et que les arrêts fournis par le Gouvernement ne présentent pas de similitude avec la présente affaire.


33.  La Cour estime que le grief des requérants ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Elle rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.


34.  Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B.    Sur le fond

1.     Arguments des parties

a)      Les requérants


35.  Les requérants font observer qu’ils ne reprochent pas à l’État de ne pas avoir financé le traitement de leur fils. Ils soutiennent que l’article 2 de la Convention est applicable en l’espèce étant donné que l’impossibilité pour eux d’avoir eu accès au compte bancaire en question et d’avoir pu transférer de l’argent à l’hôpital situé aux États-Unis afin que leur fils suive un traitement, a conduit au décès de ce dernier.


36.  Ils exposent que dès le début du traitement suivi par leur fils, selon l’avis des médecins, son cas présentait peu d’espoir de guérison et que sa maladie ne pouvait être traitée ni en Grèce ni en Europe, la seule option étant son transfert à l’hôpital spécialisé des États-Unis qui avait annoncé des chances importantes de voir le traitement fonctionner. L’hôpital en question pratiquait avec succès une thérapie pionnière par l’anticorps monoclonal 3F8 et, après avoir examiné le dossier de leur fils, il leur avait donné un grand espoir quant au traitement à suivre. Les requérants ajoutent qu’il ne s’agissait pas d’une méthode incertaine, que d’autres enfants dans un état de santé semblable à celui de leur fils avaient quitté la Grèce pour être hospitalisés dans ce même hôpital et que des résultats positifs du traitement avaient été observés chez ces enfants. À ce propos, ils invoquent le témoignage, produit en première instance devant les juridictions nationales, de Mme E.M., médecin et chercheuse en immunologie, formée aux États-Unis, qui avait déclaré que la thérapie proposée pourrait statistiquement prolonger la vie des patients.


37.  Ils expliquent qu’ils se sont d’abord adressés à des médecins traitants et aux comités de santé compétents qui ont exclu la possibilité de financer le traitement de leur fils à l’étranger. Ils répètent que, comme ils l’ont soutenu devant les juridictions nationales, le dépôt de sommes d’argent par des tiers sur un compte déjà ouvert en leur faveur n’était pas une collecte de dons qui entrait dans le champ d’application de la loi no 5101/1931 et que le dépôt de ces sommes ne devait pas être considéré comme un appel aux dons illégal. Ils exposent que malgré leur manque de ressources, ils sont parvenus à collecter avec l’aide de leurs concitoyens le montant nécessaire pour financer le traitement de leur fils mais que celui-ci n’a pas pu suivre le traitement qui aurait pu lui sauver la vie.


38.  Or l’autorisation du ministre a été accordée huit mois et demi après la demande déposée par eux auprès du ministre (soit le 13 juin 2000) et environ un mois après la date ayant été fixée pour commencer la thérapie aux États‑Unis. Deux jours après la décision rendue par le ministre, leur fils est décédé. Cela résulte selon les requérants de ce délai qui ne pouvait être justifié vu la gravité de la maladie de leur fils et de l’urgence de la situation. Les intéressés soutiennent que si le ministre avait donné son autorisation à temps, la maladie de P.V. aurait sans doute été traitée ou sa vie aurait été prolongée. Ils reprochent aussi aux autorités qu’un délai de huit mois s’est écoulé pour que celles-ci modifient le cadre législatif insuffisant qui datait de 1931. En effet, la loi no 5101/1931 visait à protéger les tiers qui se trouvaient contraints de donner leurs biens aux comités ou aux personnes qui réclamaient de l’argent et elle n’était pas prévue pour permettre les collectes de fonds sur des comptes bancaires auprès de déposants qui donnaient leur argent délibérément. À l’époque des faits, selon les requérants, le cadre législatif relatif aux collectes de dons ne couvrait pas le cas des collectes d’argent sur des comptes bancaires, et ceci s’est confirmé par le fait que les autorités nationales ont modifié la loi no 5101/1931.

b)      Le Gouvernement


39.  Le Gouvernement argue que la loi no 5101/1931 reflète le choix du législateur selon lequel le ministre exerçait un contrôle sur la collecte et la distribution des fonds dans le domaine sensible de la politique sociale et déterminait à sa discrétion les modalités et le cas d’accès à ces fonds des personnes moins aisées. La loi en question avait pour but de protéger les tiers, c’est-à-dire d’éviter d’exploiter le sentiment philanthropique en effectuant des appels anonymes auprès du public afin d’en tirer profit. Le législateur avait voulu que ce fût à l’État, et non pas aux individus ou aux médias, qu’il appartiendrait de mettre en balance les divers intérêts en jeu. Le Gouvernement précise qu’étant donné que les ressources dans le domaine social sont limitées, les modalités et les cas d’accès des personnes moins aisées à ces ressources doivent être soumises à un cadre réglementaire strict. Conformément à cette loi, les sommes provenant de collectes de dons illégales étaient saisies et appartenaient à l’État.


40.  La loi no 2889/2001 a prévu la possibilité d’autoriser des collectes de fonds sur des comptes bancaires, ouverts au nom de personnes moins aisées souffrant de maladies, et d’autoriser l’attribution de ces fonds à ces personnes en vue de leur rétablissement. La loi no 2920/2001 a aussi prévu que les fonds collectés n’ayant pas fait l’objet d’une saisie ou n’ayant pendant trois ans pas été attribués aux bénéficiaires, parviennent à l’État qui en dispose à des fins philanthropiques. Cette loi a également donné la possibilité aux donateurs-déposants de réclamer l’argent collecté. À l’époque des faits, cette possibilité n’était pas encore prévue mais les montants en question parvenaient à l’État à des fins de bienfaisance. Par conséquent, le Gouvernement considère que les requérants se plaignent en effet de ne pas avoir eu accès aux fonds publics.


41.  Il estime que les obligations positives découlant de l’article 2 § 1 de la Convention incombant à l’État n’incluent pas la question du financement par l’État en matière de santé publique et que cet article n’est pas applicable en l’espèce. Il considère qu’il appartient aux autorités compétentes des États contractants de déterminer la manière dont leurs ressources doivent être allouées, ces autorités étant mieux placées que la Cour pour apprécier les exigences respectives au regard des ressources limitées dont elles disposent et pour assumer la responsabilité des choix difficiles devant être opérés entre différents besoins tous dignes d’être financés.


42.  Le Gouvernement indique que le fils des requérants a eu dès le début de sa maladie accès gratuitement aux soins de santé et aux médicaments : celui‑ci a suivi un traitement, a été opéré et a aussi été soumis à une greffe de la moelle osseuse. Il soutient que les dépenses liées à son hospitalisation ont été couvertes, y compris dans des hôpitaux privés, et que l’impossibilité pour ses parents d’avoir accès aux sommes collectées n’a pas eu d’incidence sur le traitement de sa maladie. Il considère que l’article 2 oblige les autorités à prendre des mesures qui, d’un point de vue raisonnable, pourraient sans doute pallier le risque menaçant la vie. Or, selon les informations médicales, le transfert de P.V. aux États-Unis n’aurait probablement pas empêché son décès. Le Gouvernement expose que l’efficacité de la thérapie n’était pas prouvée à l’époque et qu’aucune garantie n’avait été fournie pour en vérifier l’efficacité dans le cas concret de P.V. Il ajoute que l’état de santé de celui-ci était très grave et que les requérants n’ont pas suivi la procédure prévue selon laquelle les comités spéciaux de santé devaient établir un avis médical sur la nécessité d’un transfert et la faisabilité d’un traitement, avis qui devait ensuite leur être adressé, comme cela avait été fait pour d’autres enfants pour qui le transfert avait été pris en charge par la sécurité sociale.


43.  Le Gouvernement soutient que, dès lors qu’il existait un cadre règlementaire complet et efficace relatif au fonctionnement des comités spéciaux de santé, le ministre de la Santé n’était pas tenu de modifier le cadre législatif relatif aux collectes de dons. Par ailleurs, concernant le soutien financier nécessaire pour financer le traitement proposé aux États-Unis en janvier 2001, il avance que le ministre a pris sans délai des mesures. Le 13 juin 2000, date à laquelle le second requérant a adressé au ministre une demande d’autorisation de retirer l’argent collecté, la santé de P.V. ne s’était pas détériorée et la question de son transfert à l’étranger n’était pas posée. Le fait que l’autorisation ministérielle ait été donnée deux jours avant le décès de P.V. représente une coïncidence malheureuse.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Principes généraux


44.  L’article 2 § 1 de la Convention astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et illégale, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Les obligations positives découlant de l’article 2 doivent être interprétées comme valant dans le contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie (voir, entre autres références, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 130, CEDH 2014, et Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 48, CEDH 2002-I).


45.  La Cour a jugé qu’il existait à la charge de l’État une obligation positive d’adopter et de respecter une réglementation propre à protéger les citoyens dans le domaine de la santé publique (voir, par exemple, Calvelli et Ciglio, précité, § 49). Aux fins de l’examen auquel la Cour se livre dans une affaire donnée, la question de savoir si l’État a failli à son obligation d’adopter et de respecter une telle réglementation appelle de sa part une appréciation concrète, et non abstraite, des défaillances alléguées. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle n’a pas normalement pour tâche d’examiner dans l’abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l’ont touché a donné lieu à une violation de la Convention. En conséquence, le simple fait que le cadre réglementaire puisse être défaillant par certains côtés ne suffit pas en lui‑même à soulever une question sous l’angle de l’article 2 de la Convention. Il faut encore démontrer que cette défaillance a nui au patient (Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 188, 19 décembre 2017, ainsi que les affaires qui y sont citées).


46.  La Cour a aussi dit que l’on ne saurait exclure que les actes et omissions des autorités dans le cadre des politiques de santé publique peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle de l’article 2 (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V, Nitecki c. Pologne (déc.), no 65653/01, 21 mars 2002, Trzepałko c. Pologne (déc.), no 25124/09, § 23, 13 septembre 2011, et Wiater c. Pologne (déc.), no 42290/08, § 34, 15 mai 2012). Dans le contexte d’allégations de négligence médicale, les obligations positives matérielles des États en matière de traitement médical sont limitées au devoir de poser des règles, c’est-à-dire de mettre en place un cadre réglementaire effectif obligeant les établissements hospitaliers, qu’ils soient publics ou privés, à adopter les mesures appropriées pour protéger la vie des patients (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 186).


47.  Dans les affaires où l’État est tenu de prendre des mesures positives, le choix de celles-ci relève en principe de sa marge d’appréciation. Étant donné la diversité des moyens propres à garantir le droit au « respect de la vie privée », le fait pour l’État concerné de ne pas mettre en œuvre une mesure déterminée prévue par le droit interne ne l’empêche pas de s’acquitter de son obligation positive par d’autres moyens (voir, par exemple, İlbeyi Kemaloğlu et Meriye Kemaloğlu c. Turquie, no 19986/06, § 37, 10 avril 2012).

 


49.  La Cour rappelle aussi que selon sa jurisprudence dans les affaires où il y a eu un refus d’accès à un traitement d’urgence vital, l’ensemble des éléments qui suivent doivent être réunis. Premièrement, il faut que les prestataires de santé aient, au mépris de leurs obligations professionnelles, refusé à un patient un traitement médical d’urgence alors qu’ils savaient pertinemment que ce refus mettait la vie du patient en danger. Deuxièmement, pour être attribuable aux autorités de l’État, le dysfonctionnement en cause doit être objectivement et réellement reconnaissable comme systémique ou structurel et ne doit pas seulement comprendre les cas individuels dans lesquels quelque chose n’a pas ou a mal fonctionné. Troisièmement, il doit y avoir un lien entre le dysfonctionnement dénoncé et le préjudice subi par le patient. Enfin, ce dysfonctionnement doit être dû au non-respect par l’État de son obligation de mettre en place un cadre réglementaire (Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 194-196).

b)      Application au cas d’espèce


50.  La Cour note qu’en l’espèce les requérants ne prétendent pas que leur fils s’est vu refuser des soins médicaux, qui étaient par ailleurs disponibles en Grèce, et qu’ils ne se plaignent pas non plus de la qualité des soins reçus. Il ne s’agit pas d’un cas de négligence médicale. Il ressort du dossier que leur fils a bénéficié d’un accès à des infrastructures et à des traitements médicaux, qu’il a suivi gratuitement un traitement approprié et disponible dans les hôpitaux nationaux mais aussi privés, et qu’il a été opéré et a subi une transplantation (paragraphes 5 et 9 ci-dessus). Les intéressés ne suggèrent pas non plus que l’État aurait dû financer le traitement de leur fils au motif qu’eux-mêmes n’avaient pas été en mesure d’en assumer le coût. Ils ne reprochent pas à l’État de ne pas avoir eu accès aux fonds publics, étant donné que, comme il a été établi par les juridictions nationales, les sommes collectées sur le compte bancaire ouvert à leur profit n’avaient pas été saisies par les autorités nationales et n’appartenaient donc pas à l’État. Ils ne critiquent d’ailleurs pas une absence de règles dans le domaine de la santé publique, mais plutôt la teneur des règles existantes relatives à la collecte de dons, qu’ils estiment trop restrictives. Au vu de la jurisprudence de la Cour résumée ci-dessus, il y a lieu de rappeler qu’il existe des obligations positives découlant de l’article 2 en matière de santé publique dans le contexte d’allégations de négligence médicale ou dans celui de refus de soins. Or les requérants ne soutiennent pas que leur fils s’est vu refuser des soins médicaux. La Cour estime que la présente affaire ne peut s’inscrire dans aucun des contextes de refus de soins médicaux décrits précédemment (paragraphes 48 et 49 ci-dessus).

 


52.  La Cour ne perd pas de vue qu’une réglementation spécifique était à la disposition des requérants qui auraient pu demander en suivant la procédure devant les comités spéciaux de santé (paragraphe 21 ci-dessus) que l’hospitalisation de leur fils à l’étranger et même aux États-Unis soit financée. En effet, l’arrêté ministériel no Φ7/οικ.15 du 7 janvier 1997 prévoit en détail les conditions et la procédure selon laquelle une telle demande doit être soumise aux organismes sociaux afin de recevoir une décision favorable après un avis motivé établi par les comités spéciaux de santé. Les requérants ont soutenu qu’ils se sont adressés à des médecins traitants et aux comités de santé compétents qui ont exclu la possibilité de financer le traitement de leur fils à l’étranger. Même si la Cour ne saurait spéculer sur le résultat d’une telle demande dans la présente espèce, les requérants n’ont pas fourni d’informations concrètes montrant qu’ils ont suivi la procédure prévue par l’arrêté ministériel. La Cour ne saurait donc admettre que la situation susmentionnée nécessitait de prévoir, en tant que mesure préventive prise en vertu de l’article 2 de la Convention, une exception à l’interdiction d’organiser une collecte de dons en vue de financer un traitement médical.


53.  La Cour note aussi que dans la présente affaire les autorités nationales étaient de bonne foi et qu’elles n’ont pas refusé de prendre des mesures en vue de compléter le cadre législatif relatif aux collectes de dons sur la base duquel les requérants se plaignent. Ces derniers avaient adressé le 13 juin 2000 une demande d’autorisation pour pouvoir transférer la somme d’argent nécessaire et ainsi couvrir les frais d’hospitalisation de leur fils. Or l’autorisation requise exigeait une modification législative qui devait être voté par le Parlement. Le 29 novembre 2000, la banque a transféré la somme de 35 216 EUR, en attendant qu’une modification du cadre législatif soit envisagée. Le 15 février 2001, soit huit mois après que la demande en question a été formulée, la loi no 2889/2001 modifiant le système des collectes de dons a été votée. Elle est entrée en vigueur le 2 mars 2001 et, le même jour, le ministre de la Santé a donné sans attendre l’autorisation en question (paragraphes 8-10 ci-dessus). Les autorités grecques n’ont pas refusé de s’employer effectivement à autoriser l’accès des requérants aux sommes collectées afin que leur fils puisse suivre son traitement.


54.  La Cour considère qu’il n’est pas possible de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’impossibilité d’avoir un accès immédiat à une collecte de dons d’argent pour financer un traitement à l’étranger entre ou non dans le champ d’application de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s’appliquerait, les exigences liées à la protection de la vie n’ont pas été méconnues par l’État défendeur.


55.  La Cour est certes consciente de la dimension tragique que revêtent les circonstances de l’affaire qui lui est soumise ainsi que la mort du fils des requérants deux jours après avoir obtenu l’autorisation ministérielle, soit le 4 mars 2001. Cependant, à supposer même que l’article 2 s’appliquerait, prenant en considération l’ensemble des circonstances de la cause et surtout le fait qu’une procédure permettant de demander un financement n’était pas exclue par le droit national, qu’il n’est pas clair que la situation à laquelle les requérants étaient confrontés était apparue auparavant et que les autorités nationales n’ont pas significativement tardé à prendre des mesures, la Cour ne peut que constater l’absence d’un élément quelconque donnant à penser que les autorités internes ont failli à une obligation positive leur incombant en vertu de l’article 2 de la Convention.


56.  Eu égard à l’ensemble des circonstances susmentionnées, la Cour ne peut conclure à un dysfonctionnement résultant d’un manquement par l’État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire. En tout état de cause, elle ne peut constater l’existence d’un lien de causalité entre la conduite des autorités grecques et la survenance du décès de P.V. Elle ne perd pas de vue que l’hôpital Memorial Sloan Kettering Cancer Center proposait un programme de thérapie pionnière pratiqué dans le cas particulier de P.V. qui, selon l’avis médical soumis par les requérants, pouvait statistiquement prolonger la vie des patients. Toutefois, il ressort du dossier que l’hôpital n’avait envoyé qu’un document informatif sur le programme de thérapie et ses méthodes alors que l’évaluation médicale individualisée de leur fils devait avoir lieu lors du rendez-vous prévu à l’hôpital le 5 février 2001 (paragraphe 10 ci-dessus).


57.  Par ailleurs, une rechute de l’état de santé de P.V. avait été constatée par les hôpitaux nationaux dès octobre 2000. Le 4 décembre 2000, l’hôpital The Royal Mardsen a déclaré qu’une récidive locale avait été observée malgré le fait que P.V. avait suivi un traitement et a estimé qu’il était très probable que bientôt des métastases se propageraient ailleurs. Une autre rechute avait eu lieu le 13 février 2001 (paragraphes 9-10 ci-dessus). La Cour tient à souligner que le traitement proposé aux États-Unis n’aurait en tout cas pas commencé avant le 5 février 2001. Elle constate que la loi a été votée le 15 février 2001 et que l’autorisation du ministre a été donnée le 2 mars 2001. P.V. est décédé le 4 mars 2001. Compte tenu de la santé précaire de ce dernier et de la détérioration de son état constatée au cours des deux mois ayant précédé le rendez-vous du 5 février 2001 et huit jours après cette date, il s’ensuit qu’on ne se trouve pas en l’espèce dans une situation où l’action positive de l’État aurait, d’un point de vue raisonnable, sans doute prolongé la vie de P.V. et pallié le risque de décès.


58.  Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.      Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2.      Décide, à l’unanimité, de joindre au fond l’exception préliminaire concernant l’incompatibilité ratione materiae des requêtes avec les dispositions de la Convention et de la rejeter ;

3.      Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

4.      Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

             Milan Blaško                                                Pere Pastor Vilanova
                 Greffier                                                              Président

 

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pavli.

P.P.V.
M.B.

 

 


OPINION DISSIDENTE DU JUGE PAVLI

(Traduction)

 


1.  À mon grand regret, je ne puis me rallier à la majorité lorsqu’elle conclut à une absence de violation de l’article 2 de la Convention en l’espèce. Comme la majorité, j’estime que l’État défendeur a dûment satisfait aux obligations positives qui lui incombaient de fournir des services adéquats dans le cadre du système de santé public. Je considère toutefois que des restrictions catégoriques imposées par une législation archaïque ont induit une ingérence délétère dans les efforts déployés par les requérants de leur côté pour offrir à leur fils les meilleurs traitements médicaux possibles.


2.  Le fils des requérants, aujourd’hui décédé, était atteint d’une grave maladie pour laquelle le système national de santé n’offrait aucune possibilité de traitement. Un traitement dispensé dans un hôpital britannique se révéla lui aussi infructueux. Les requérants cherchèrent à faire bénéficier leur enfant d’un autre protocole expérimental, à leurs frais, dans un établissement privé situé aux États-Unis qui était l’un des centres de recherche et de traitement du cancer les plus avancés au monde. Cependant, à cause d’une loi grecque datant de 1931, il leur fut impossible d’utiliser les fonds qu’une généreuse campagne de collecte avait permis de recueillir sur leur île de Lesbos et qui avaient été déposés à leur profit dans une banque grecque. En conséquence, la banque bloqua le compte pendant huit mois tandis que les requérants essayaient d’obtenir pour leur fils un traitement de pointe à l’étranger.


3.  Les parties ne s’accordent pas sur le véritable espoir que le traitement expérimental proposé dans l’établissement américain aurait pu offrir au fils des requérants. Or face à une incertitude médicale, l’État doit pencher du côté de la vie. Cela suffit à mes yeux pour faire entrer en jeu l’article 2 de la Convention dans des circonstances telles que celles de la présente espèce. Si les États ne sont pas toujours en mesure de financer, ou de financer à bref délai, les formes de plus en plus sophistiquées et coûteuses de traitement élaborées par la médecine moderne, ils ne devraient pas pour autant se mettre en travers de la route des personnes et des communautés qui s’appuient sur la solidarité de leurs semblables pour sauver des vies.


4.  La Cour a déjà reconnu que l’article 8 de la Convention englobait un droit, pour les personnes se trouvant dans une situation de précarité, de solliciter diverses formes de solidarité sociale sans ingérence indue de l’État (voir l’affaire Lacatus c. Suisse, no 14065/15, §§ 56-60, 19 janvier 2021, dans laquelle la pratique de la mendicité dans les rues de Genève avait été frappée de sanctions pénales). Je ne vois pas pourquoi le même raisonnement ne devrait pas s’appliquer, en principe, sous l’angle de l’article 2 de la Convention lorsqu’une personne risque de perdre la vie ou que sa santé est gravement menacée : nous ne tolérerions certainement pas qu’une loi interdise aux gens de porter secours à une personne qui est en train de se noyer (du reste, s’abstenir de le faire peut être considéré comme un délit dans certaines juridictions).


5.  La possibilité pour l’être humain dans la détresse de s’appuyer sur la gentillesse de ses voisins comme sur celle des étrangers, sur les liens sociaux et la solidarité locale, constitue l’une des pierres angulaires d’une société libre. De surcroît, elle existait bien avant les organisations étatiques. La multiplication des campagnes de financement participatif, lancées pour des causes qui vont des plus inoffensives ou appréciées jusqu’aux moins populaires dans l’opinion majoritaire, confirme que de telles pratiques demeurent importantes dans nos démocraties modernes. Les législations nationales ne devraient ni entraver ni interdire de tels gestes de solidarité sans justification impérieuse.


6.  C’est cette justification qui fait à mon avis défaut dans la loi grecque de 1931 telle qu’en vigueur avant l’adoption des modifications du 2 mars 2001 (paragraphe 18 de l’arrêt). Dans sa version initiale, cette loi érigeait en infraction le fait pour toute personne d’organiser des campagnes de dons ou des initiatives philanthropiques de quelque nature que ce soit et/ou d’en être le bénéficiaire, sauf si ces campagnes ou initiatives devaient profiter à des associations précises et sous réserve d’une autorisation du ministre de la Santé à cette fin. Le gouvernement défendeur ne donne aucune précision sur l’historique législatif de cette interdiction catégorique ni sur les raisons qui ont poussé à la maintenir en l’état pendant de nombreuses décennies, et il se contente de dire qu’il était nécessaire « d’éviter d’exploiter le sentiment philanthropique » par le biais d’opérations de collecte trompeuses ou frauduleuses (paragraphe 39 de l’arrêt).


7.  Cette argumentation ne semble pas avoir entièrement convaincu le législateur grec lui-même qui, en mars 2001, a modifié la loi de 1931 pour introduire une exception au bénéfice des personnes atteintes, entre autres, de « maladies incurables ou graves » - processus législatif qui semble avoir été mû, du moins en partie, par le tollé suscité par le cas du fils des requérants. Comme il ressort du cadre juridique national actuel, il est désormais possible d’autoriser une collecte de fonds privée à certaines fins médicales en imposant certaines garanties raisonnables (telles que l’obligation d’obtenir une autorisation ministérielle pour tout usage effectif des fonds recueillis) afin que les dons ne soient utilisés qu’aux fins philanthropiques pour lesquelles ils ont été levés. Malheureusement, cette modification législative est intervenue trop tard pour être d’une quelconque utilité dans le cas du fils des requérants.


8.  Eu égard à ce qui précède, j’estime qu’il y a eu une ingérence injustifiée de l’État dans les efforts déployés par les requérants en l’espèce pour utiliser des fonds recueillis par des particuliers aux fins d’obtenir dans les meilleurs délais le meilleur traitement possible pour la maladie dont souffrait leur fils et qui mettait sa vie en danger, et je vois dans cette ingérence une atteinte au droit à la vie tel que garanti par l’article 2 de la Convention.


 

ANNEXE

Liste des requêtes

No.

Requête No

Nom de l’affaire

Introduite le

Requérant
Année de naissance
Lieu de résidence
Nationalité

Représenté par

1.

5049/14

Pitsiladi et Vasilellis c. Grèce

27/12/2013

Georgia PITSILADI
1978
Lesvos
grec

Efstratios VASILELLIS
1963
Lesvos
grec

Evaggelos GIGILINIS

2.

5122/14

Pitsiladi et Vasilellis c. Grèce

27/12/2013

Georgia PITSILADI
1978
Lesvos
grec

Efstratios VASILELLIS
1963
Lesvos
grec

Evaggelos GIGILINIS

 

 


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