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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> A AND B v. FRANCE - 12482/21 (Judgment : Remainder inadmissible : Fifth Section) French Text [2023] ECHR 474 (08 June 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/474.html Cite as: [2023] ECHR 474, CE:ECHR:2023:0608JUD001248221, ECLI:CE:ECHR:2023:0608JUD001248221 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE A ET B c. FRANCE
(Requête no no )
ARRÊT
Art 8 • Vie privée • Annulation à la demande de son auteur (C) de la reconnaissance de paternité d’une enfant conçue en Espagne par assistance médicale à la procréation avec don de gamètes (ovocyte et sperme) • Marge d’appréciation élargie • Consentement initial de C à l’assistance médicale à la procréation devenu caduc en vertu du droit interne • Transfert d’embryon réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce • Absence de liens identitaire ou familial forts entre l’enfant et C • Intérêt supérieur de l’enfant • Motifs suffisants et pertinents
Art 34 • Absence de qualité de victime de la mère ne pouvant se prévaloir avec C d’une communauté d’intérêts résultant d’une relation familiale durablement construite autour de l’enfant
STRASBOURG
8 juin 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A et B c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Carlo Ranzoni,
Lado Chanturia,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 12482/21) dirigée contre la République française et dont deux ressortissantes de cet État (« les requérantes ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 février 2021,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérantes,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 mai 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne l’annulation, à la demande de son auteur, de la reconnaissance de paternité d’une enfant conçue en Espagne par assistance médicale à la procréation avec don anonyme de gamètes (ovocyte et sperme). Les requérantes, la mère et l’enfant, invoquent l’article 8 de la Convention.
EN FAIT
2. Les requérantes sont nées en 1964 et en 2013 et résident à Nice. Elles sont représentées par Me C. Nouzha, avocat.
3. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. A (« la première requérante ») et C, né en 1948, eurent un premier rendez-vous avec un médecin espagnol en mars 2012 afin de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Les deux premières implantations d’embryon, qui eurent lieu en avril et décembre 2012, se révélèrent infructueuses.
5. A et C se marièrent le 8 septembre 2012. Ils se séparèrent le 29 mars 2013 et, après avoir signé le 30 avril 2013 une convention réglant les effets du divorce, déposèrent le 3 mai 2013 une requête en divorce par consentement mutuel.
6. Une troisième implantation d’embryon, issu d’un don anonyme de gamètes (ovocyte et sperme), fut pratiquée en Espagne le 12 mai 2013.
7. Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nice prononça le divorce par consentement mutuel par un jugement du 11 juin 2013.
8. Le 10 novembre 2013, A donna naissance à B (« la seconde requérante »).
9. C reconnut B le 12 novembre 2013.
10. Il ressort du dossier qu’au cours de l’année 2014, A partit avec B durant six mois à Cuba, dont elle est originaire, sans avoir préalablement recueilli l’accord de C. Le 26 mars 2014, ce dernier saisit en référé le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nice qui, par une ordonnance du 1er décembre 2014 (non produite), constata l’exercice conjoint de l’autorité parentale, organisa la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère et le droit d’accueil du père, et ordonna l’interdiction de sortie du territoire national de l’enfant sans l’autorisation conjointe des parents.
11. Le 20 janvier 2015, C saisit le tribunal de grande instance de Nice d’une action en contestation de paternité, faisant en particulier valoir que B avait été conçue après sa séparation avec A, par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, à laquelle il déclarait ne pas avoir consenti.
12. Le 21 janvier 2015, A saisit le même juge d’une demande tendant à la fixation de la résidence de B chez elle, à l’organisation des relations entre B et C et à la fixation de la part contributive de ce dernier à 500 euros (EUR) par mois.
I. Le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 22 juillet 2015
13. Dans le cadre de l’instance introduite par A le 21 janvier 2015 (paragraphe 12 ci-dessus), C requit le maintien de l’interdiction de sortie de B du territoire sans l’autorisation des deux parents, considérant « que le risque que Madame ne quitte le territoire avec l’enfant et soustraie l’enfant à toute relation avec son père [était] (...) toujours d’actualité [et qu’il y avait un risque] que l’enfant soit soumis à l’influence de rites et coutumes vaudou qu’il considèr[ait] comme sectaire ». A fit valoir que C instrumentalisait l’enfant et l’interdiction de sortie du territoire pour conserver une emprise sur elle, et rappela que C « n’entret[enait] pas de liens réguliers avec l’enfant depuis le retour en France, en l’état de l’action en contestation de paternité qu’il a introduite ».
14. Par un jugement du 22 juillet 2015, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nice rappela que A et C exerçaient en commun l’autorité parentale, maintint la résidence habituelle de l’enfant chez sa mère, organisa le droit d’accueil de C, confirma l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire national sans autorisation conjointe, et fixa la contribution de C à l’entretien et l’éducation de B à 450 EUR par mois.
II. Le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 20 juillet 2017
15. Une expertise biologique ordonnée le 7 juillet 2016 avant-dire-droit par le tribunal de grande instance de Nice et réalisée le 7 octobre 2016 conclut à l’absence de paternité biologique de C.
16. Le tribunal de grande instance de Nice débouta C de son action en contestation de paternité par un jugement du 20 juillet 2017. Il releva que, s’il apparaissait que C n’avait eu des relations avec l’enfant B que sur « une courte période de plusieurs mois après sa naissance », il ne pouvait nier ni son implication dans le processus de procréation médicalement assistée, pendant la grossesse de A, puis après la naissance de B, ni son implication dans l’entretien et l’éducation de cette dernière, à tout le moins financièrement. Le tribunal constata ensuite que la naissance de B était intervenue dans le cadre d’un projet parental au terme duquel A et C s’étaient engagés d’un commun accord dans un processus de procréation médicalement assistée, hors du cadre légal applicable en France, auquel ils savaient ne pas pouvoir accéder, particulièrement en raison de l’âge de C. Il jugea cependant que, « si l’intérêt de l’enfant [pouvait] requérir d’avoir accès à ses origines, l’annulation d’une filiation contraire à la vérité biologique aurait (...) en l’espèce des conséquences contraires à ce même intérêt puisque la jeune [B] se retrouverait privée de filiation paternelle, et, compte tenu des conditions de sa conception, dans l’impossibilité d’établir une paternité biologique de remplacement. »
17. C interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel d’Aix‑en‑Provence.
III. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 4 décembre 2018
18. Par un arrêt du 4 décembre 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence infirma le jugement du 20 juillet 2017, annula la reconnaissance de paternité, dit que C n’était pas le père de B et qu’elle porterait désormais le nom de A, et constata que cette dernière était seule titulaire de l’autorité parentale. L’arrêt comporte les motifs suivants :
« (...) Il ressort des dispositions de l’article 311-20 du code civil en son alinéa 2 que le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet. L’alinéa 3 du même texte ajoute que le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée.
En l’espèce, il est constant et acquis aux débats que l’enfant [B], née le 10 novembre 2013, est issue d’un transfert d’embryon réalisé en Espagne le 12 mai 2013 (...) alors que les époux ont présenté dès le 3 mai 2013 une requête conjointe en divorce ayant abouti à un jugement de divorce rendu le 11 juin 2013 qui a homologué la convention en date du 30 avril 2013 portant règlement des effets du divorce. Il ressort en outre de cette convention que les époux résidaient séparément depuis le 29 mars 2013.
Il s’ensuit que le consentement initialement donné par [C] le 1er novembre 2012[, date à laquelle il a signé un document d’information rédigé en espagnol relatif à la réception d’ovocyte,] était devenu caduc par l’effet de la cessation de la communauté de vie des époux et de la requête en divorce déposée par la suite, éléments dont il n’est pas démontré qu’ils ont été portés à la connaissance du médecin espagnol ayant réalisé le 12 mai 2013 la dernière transplantation d’embryon.
Selon les dispositions de l’article 322 alinéa 2 du code civil, la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père. La preuve peut être rapportée par tous moyens et résulte en l’espèce de l’expertise génétique (...) en date du 7 octobre 2016 selon laquelle [C] n’est pas le père biologique de l’enfant [B].
Il s’en suit que l’acte de reconnaissance de paternité du 12 novembre 2013 doit être annulé, l’intérêt supérieur de l’enfant étant d’avoir accès à ses origines et de pouvoir en conséquence bénéficier d’une filiation conforme à la vérité biologique, situation qui, comme le rappelle justement le ministère public, n’est pas différente de ce qui pourrait exister dans le cadre d’une filiation naturelle en dehors de tout procédé de procréation médicalement assistée et n’interdit pas pour l’avenir et de façon inéluctable le rétablissement d’un nouveau lien de filiation (...) »
IV. L’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020
19. Les requérantes se pourvurent en cassation contre l’arrêt du 4 décembre 2018. Invoquant l’article 8 de la Convention et l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant, aux termes duquel « dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
20. A l’appui de son pourvoi en cassation, B, représentée par la Fondation de Nice patronage Saint-Pierre en qualité d’administrateur ad hoc, soutenait notamment que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions, en omettant de rechercher s’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de conserver son lien de filiation avec celui dont le désir d’enfant était à l’origine de sa naissance et « en annulant la reconnaissance de paternité de C à son endroit sans rechercher si, après son annulation, ce lien de filiation pouvait être remplacé, dans l’immédiat, par un nouveau lien de filiation paternelle qui puisse permettre d’assurer l’entretien et l’éducation de l’enfant ». Pour sa part, A faisait notamment valoir, à l’appui de son pourvoi, qu’ayant omis de rechercher si, concrètement, la mise en œuvre de l’article 311-20 alinéa 3 du code civil, qui prévoit que le consentement donné à une procréation médicalement assistée est privé d’effet en cas de requête en divorce ou de cessation de la communauté de vie survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée (paragraphe 22 ci‑dessous), ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard notamment de l’article 8 de la Convention. Elle soutenait en outre que, dans les circonstances de l’espèce, la cour d’appel avait violé cette disposition ainsi que l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant, en se fondant pour annuler la reconnaissance de paternité de C, sur le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant était d’avoir accès à ses origines et de pouvoir en conséquence bénéficier d’une filiation conforme à la vérité biologique.
21. Le 14 octobre 2020, la Cour de cassation rejeta les pourvois par un arrêt ainsi motivé :
« (...) Si l’action en contestation de paternité et la décision d’annulation d’une reconnaissance de paternité en résultant constituent des ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, elles sont prévues par la loi, à l’article 332, alinéa 2, du code civil précité, et poursuivent un but légitime en ce qu’elles tendent à permettre l’accès de l’enfant à la réalité de ses origines.
Après avoir constaté qu’elle était née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sans le consentement de [C], celui-ci étant privé d’effet, la cour d’appel a relevé que l’intérêt supérieur de l’enfant [B] résidait dans l’accès à ses origines personnelles et que la destruction du lien de filiation avec [C] n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation.
Ayant ainsi statué en considération de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto, elle a pu en déduire (...) que l’annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, justifiant légalement sa décision au regard des exigences conventionnelles susvisées. »
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
22. Aux termes des articles 311-20 du code civil (abrogé par la loi no 2021-1017 du 2 août 2021 et repris pour l’essentiel par l’article 342-10 du même code) et 332 du code civil :
Article 311-20
« (...)
Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet.
Le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance.
(...) »
Article 332
« (...)
La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père. »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
23. Les requérantes se plaignent de l’annulation de la reconnaissance de paternité de C à l’égard de B. Elles invoquent l’article 8 de la Convention aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
24. Le Gouvernement soutient qu’en sa qualité de mère de B, A ne peut se dire victime de la violation dénoncée. Il souligne que, si les décisions internes ont entraîné des conséquences notamment pécuniaires sur sa situation, elle ne peut se prévaloir d’une violation d’un de ses droits au titre de l’article 8, dès lors que ces décisions, qui ont résulté en la disparition du lien de filiation entre sa fille et C, n’ont eu aucun effet sur sa propre filiation ou sur son propre nom. Il fait valoir que cette disposition ne garantit pas le droit, pour une mère, de voir établir la filiation de son enfant avec un père qui ne fait pas partie de la cellule familiale, et qui n’a ni lien biologique ni lien social avec l’enfant. Il note ensuite que, dans la requête, A se borne à invoquer, à titre liminaire, l’atteinte à son droit au respect la vie privée et familiale, sans étayer davantage cette allégation dans la suite des écritures, qui se concentrent sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon lui, si le droit à la vie privée recouvre le droit à la filiation, cela ne peut en l’espèce concerner A, qui n’invoque pas sa propre filiation. Cette dernière n’apporterait donc pas d’élément permettant d’identifier la nature de la violation qui serait en jeu s’agissant de son propre droit.
25. Les requérantes répliquent qu’A était partie aux procédure internes relatives à l’annulation de la reconnaissance de paternité. Elles ajoutent que cette annulation porte atteinte à son droit au respect de sa vie familiale étant donné qu’elle a nécessairement des conséquences au moins matérielles sur elle dans la mesure où elle doit désormais faire face seule à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
26. La Cour rappelle que pour pouvoir se dire victime d’une violation de la Convention, au sens de l’article 34, il faut en principe avoir personnellement « subi directement les effets » de la violation dénoncée (voir, par exemple, Lambert et autres c. France [GC], no no , § 89, CEDH 2015 (extraits)). En d’autres termes, par « victime », l’article 34 désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux (Balmer‑Schafroth et autres c. Suisse, 26 août 1997, § 26, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV).
27. En l’espèce, l’annulation de la reconnaissance de la paternité de C à l’égard de B délie C de l’obligation de contribuer à l’entretien et l’éducation de B. Pour autant, les conséquences matérielles de cette annulation sur la situation de A, désormais seule en charge de l’enfant, ne sauraient être regardées comme affectant directement son propre droit au respect de la vie privée et familiale.
28. La Cour a certes admis dans l’affaire C.E. et autres c. France (nos 29775/18 et 29693/19, § 47, 24 mars 2022), que la mère d’un enfant pouvait se dire victime d’une violation de l’article 8 en raison de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance d’un lien de filiation entre son enfant et son ex-compagne. Elle a en effet considéré que son droit au respect de la vie privée et familiale était directement affecté par cette impossibilité dès lors qu’elle était partie prenante de la communauté de vie dans le cadre de laquelle un lien de nature filiale s’était développé entre sa fille et son ex-compagne, la relation qui s’était développée entre elles trois depuis la naissance de l’enfant faisant partie intégrante de leur identité sociale et personnelle.
29. Toutefois, les circonstances de l’espèce sont différentes, dès lors que dans la présente affaire, A ne saurait se prévaloir d’une communauté d’intérêts résultant d’une relation familiale durablement construite avec C autour de l’enfant B.
30. Dans ces conditions la Cour considère que A ne saurait se voir reconnaître la qualité de victime, au sens de l’article 34 de la Convention, d’une violation de l’article 8 en raison de l’annulation de la reconnaissance de la paternité de C à l’égard de B.
31. Au surplus, la Cour relève que les moyens des requérantes devant la Cour de cassation relatifs à l’article 8 de la Convention visaient uniquement les droits de l’enfant B (paragraphe 19 ci-dessus) de sorte que les juges internes n’ont pas été mis à même de se prononcer sur l’atteinte alléguée au droit au respect de la vie privée et familiale de A.
32. En conséquence, dans la mesure où elle a été introduite par A, la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 § 3 a) et 4 de la Convention.
33. Son périmètre ainsi délimité, la Cour relève que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare donc recevable en tant qu’elle est présentée par B.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
a) La seconde requérante
34. La seconde requérante soutient que, pour annuler la reconnaissance de paternité, le juge interne a fait une application automatique de l’article 311‑120 alinéa 3 du code civil (abrogé depuis), selon lequel le consentement donné à une assistance médicale à la procréation est privé d’effet en cas notamment de dépôt d’une requête en divorce survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, sans rechercher si, concrètement et compte tenu de l’attitude de C, cela portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de l’enfant, ni tenir compte de l’intérêt supérieur de ce dernier à ne pas être privé de filiation paternelle. Cette annulation irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui a été conçu en Espagne au moyen d’une insémination artificielle réalisée à partir des gamètes d’un tiers donneur anonyme, et qui, compte tenu du droit espagnol applicable, n’aura pas la possibilité d’accéder à ses origines biologiques et d’établir un lien de filiation avec son géniteur. Selon elle, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de disposer d’une filiation complète maternelle et paternelle, même si elle n’est pas conforme à la vérité biologique. Elle fait aussi valoir que A et C ont conçu ensemble le projet d’avoir un enfant et ont engagé, pour ce faire, de lourdes et complexes démarches. Elle souligne que C a rencontré le médecin en charge de la procréation médicalement assistée et a donné son consentement en signant le 1er novembre 2012 un document d’information, qu’il était présent aux côtés de A jusqu’à l’accouchement, même après le prononcé du divorce, et qu’à sa naissance, il l’a reconnue, qu’elle a ainsi porté son nom de famille en plus de celui de sa mère, et qu’il lui a donné comme deuxième et troisième prénoms ceux respectifs de sa mère et de sa grand-mère. Elle ajoute que C a saisi le juge des référés le 26 mars 2014 alors que A avait quitté la France avec elle afin qu’il se prononce sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale et organise son droit d’accueil de l’enfant, et qu’il a fait valoir dans le cadre de la procédure qui a abouti au jugement du 22 juillet 2015 qu’il craignait que A quitte à nouveau la France avec elle et la soustraie ainsi à toute relation avec lui. Selon la seconde requérante, cela atteste du fait qu’un lien de nature filial était constitué entre elle et C.
35. La seconde requérante conteste le motif retenu par les juridictions françaises selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant résidait dans l’accès à ses origines personnelles et la destruction du lien de filiation avec C n’excluait pas pour l’avenir l’établissement d’un nouveau lien de filiation. Elle rappelle que le droit espagnol fait obstacle à ce qu’elle accède à ses origines biologiques. Elle soutient en outre que la possibilité d’établir un lien de filiation hypothétique et futur ne saurait prévaloir sur la conservation du lien de filiation existant entre elle et C. Par ailleurs cela ne règle pas la question de la prise en charge quotidienne de l’entretien et de l’éducation de l’enfant, laissée entièrement à la charge d’A. Enfin, elle juge étonnante l’affirmation du Gouvernement selon laquelle l’annulation de la reconnaissance de paternité n’engendre pas de risque d’effet traumatique pour elle, en l’absence d’expertise pédopsychiatrique.
b) Le Gouvernement
36. Le Gouvernement admet qu’il y a dans le chef de B une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 8. En premier lieu, il soutient que cette ingérence était prévue par la loi (il renvoie aux articles 311-20 et 332 alinéa 2 du code civil). En deuxième lieu, il souligne qu’elle poursuivait le but légitime de la protection des droits et libertés d’autrui, invoquant à cet égard les droits et libertés non seulement de B mais également de C, faisant valoir que l’ingérence visait aussi à préserver la décision de retirer son consentement qu’il avait prise avant le transfert de l’embryon. Le Gouvernement se réfère en outre en conclusion de ses observations à « la stabilité et (...) la sécurité juridique du lien de filiation ».
37. En troisième lieu, le Gouvernement fait valoir qu’il ressort des motifs de l’arrêt de la Cour de cassation qu’elle s’est assurée de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant par la cour d’appel et du caractère proportionné de l’ingérence. Il constate en outre qu’il n’est pas démontré, ni même avancé, qu’il serait à craindre que l’annulation de la reconnaissance de paternité pourrait avoir un effet traumatique sur B. Le Gouvernement soutient enfin que déroger à la loi française qui autorise les participants à une procédure de procréation médicalement assistée à y renoncer jusqu’à l’implantation de l’embryon aurait un effet délétère du point de vue de la sécurité juridique : pour que la garantie prévue par cette disposition ait une quelconque portée, il est crucial que les intéressés soient certains qu’il n’y sera pas fait exception. Il estime qu’en l’absence de consensus européen, la France bénéficie d’une large marge d’appréciation.
38. D’après le Gouvernement, c’est donc à bon droit qu’à l’issue d’un contrôle in concreto, la cour d’appel, confirmée sur ce point par la Cour de cassation, a pu retenir que « l’annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ». Tout en reconnaissant que l’enfant se trouve privé de sa filiation paternelle et qu’il ne pourra, en vertu du droit espagnol, établir à l’avenir une filiation biologique, le Gouvernement fait valoir que, pour apprécier l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel s’est fondée sur, d’une part, l’accès de l’enfant à ses origines, et d’autre part, la possibilité pour elle de pouvoir à l’avenir établir un nouveau lien de filiation (par une adoption intraconjugale ou par la possession d’état), certes non biologique mais qui correspondrait à une filiation vécue et voulue.
2. L’appréciation de la Cour
39. La Cour, qui rappelle que la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu relève de l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, mutatis mutandis, Mandet c. France (no no , § 44, 14 janvier 2016, et Mennesson c. France, no 65192/11, § 46, CEDH 2014 (extraits)), considère, à l’instar des parties, que l’annulation de la reconnaissance de la paternité de C à l’égard de B, qui a modifié le statut filial de cette dernière et a notamment eu pour conséquence une modification de son nom de famille, est constitutive d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de B.
40. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un au moins des buts légitimes énoncés par le second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour l’atteindre.
41. En premier lieu, la Cour relève que, ainsi que l’a souligné la Cour de cassation dans son arrêt du 14 octobre 2020, l’action en contestation de paternité est prévue par l’article 332 du code civil, aux termes duquel « la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père » (paragraphes 21-22 ci-dessus). L’ingérence litigieuse était donc « prévue par la loi ».
42. En deuxième lieu, s’agissant du but légitime, la Cour note que le Gouvernement évoque « la stabilité et (...) la sécurité juridique du lien de filiation » sans toutefois rattacher cet objectif à l’un des buts légitimes limitativement énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention. À ce titre, elle observe que le Gouvernement renvoie également à la protection des droits et libertés d’autrui, visant en l’occurrence ceux de B et ceux de C.
43. Sur ce dernier point, la Cour estime utile de renvoyer à l’arrêt Mandet (précité, §§ 49-50), affaire dans laquelle un enfant dénonçait l’annulation à la demande de son père biologique de la reconnaissance de paternité effectuée par le mari de sa mère. La Cour a relevé « qu’une lecture littérale stricte du terme « autrui », au sens de l’article 8 de la Convention, conduit à considérer qu’il ne désigne pas celui qui s’oppose à une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale sur le fondement de cette même disposition. Il ne s’agit donc pas en principe d’un enfant qui (...) défendeur dans une procédure en contestation ou en reconnaissance de paternité, fait valoir ce droit à l’appui de son refus de voir sa filiation légale et son patronyme modifiés ». Elle a toutefois souligné « que ce constat n’enl[evait] rien au fait que l’obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale des enfants et autres individus vulnérables que pose l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Bevacqua et S. c. Bulgarie, no 71127/01, § 64, 12 juin 2008) peut parfois exiger que les juridictions prennent des mesures que ceux-ci désapprouvent ». Elle a ensuite constaté « que les mesures décidées en l’espèce visaient à la protection des droits [du père biologique], qui, demandeur devant les juridictions internes, entendait faire reconnaître sa paternité à l’égard [de l’enfant] requérant » et jugé que, « prise sous cet angle, l’ingérence dénoncée avait pour but « la protection des droits et libertés d’autrui », l’« autrui » étant [le père biologique] ».
44. En l’espèce, la Cour considère qu’il doit en aller de même bien que le demandeur devant les juridictions internes cherchait non à faire reconnaître sa paternité mais à en obtenir l’annulation. Elle en conclut qu’en tant seulement qu’elle visait à protéger les droits de C, l’ingérence litigieuse avait bien pour but légitime le respect des droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 8.
45. En troisième lieu, il reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but poursuivi, étant entendu que la notion de « nécessité » implique que l’ingérence soit fondée sur un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Mandet, précité, § 51).
46. Pour ce faire, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, qui bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (ibidem, § 52).
47. L’étendue de la marge d’appréciation dont disposent ainsi les États parties varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. La Cour renvoie à cet égard à l’affaire Mandet précitée, dans laquelle elle a rappelé que la marge d’appréciation est en principe restreinte lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, ce qui est le cas dès lors que l’on touche à la filiation. Dans le même temps, elle a jugé que la marge d’appréciation est « plus large » lorsqu’il s’agit de déterminer le statut juridique de l’enfant que lorsqu’il s’agit de trancher des questions en rapport avec les droits relatifs au maintien des relations entre un enfant et un parent ; elle a également précisé que cette marge est « importante » lorsqu’il s’agit de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus (ibidem). Ces dernières considérations, qui valent en l’espèce, conduisent à reconnaître à l’État défendeur une marge d’appréciation élargie.
48. Les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue, et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (ibidem, § 53).
49. En l’espèce, la Cour constate en premier lieu qu’il est établi que C n’est pas le père biologique de B. Il ressort également du dossier que, si C avait initialement élaboré un projet parental avec la mère de l’enfant, ce qui faisait de lui un père d’intention, le couple s’est séparé le 29 mars 2013 et a déposé une requête en divorce le 3 mai 2013, soit avant le transfert de l’embryon, qui a eu lieu en Espagne le 12 mai 2013. Il apparaît aussi que, s’il a reconnu B à sa naissance puis manifesté l’intention d’endosser le rôle de père, ainsi qu’en témoignent les différentes procédures relatives à l’exercice de l’autorité parentale qu’il a engagées devant les juridictions internes, il ne ressort pas des pièces du dossier que B et lui aient durablement construit une pleine relation père-enfant. En effet, B est née le 10 novembre 2013, et il ressort des motifs du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 22 juillet 2015 que sa mère l’a amenée à Cuba au cours de l’année 2014, où elles sont restées six mois, et qu’elle n’a plus eu de liens réguliers avec C après son retour en France. Par ailleurs, la requête en contestation de paternité a été introduite par C le 20 janvier 2015, alors que B n’avait qu’un an et deux mois. Le tribunal de grande instance de Nice a ainsi relevé dans son jugement du 20 juillet 2017 que C « indiquait n’avoir eu des relations avec [B] que sur une courte période de plusieurs mois depuis sa naissance, ce qui n’[était] pas contesté par la mère ».
50. La Cour relève en deuxième lieu que la décision des juridictions internes d’annuler la reconnaissance de paternité repose sur une mise en balance des droits de C et de B, effectuée en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et compte tenu de la place primordiale qu’elles lui ont accordée.
51. Au titre des droits de C, d’une part, la cour d’appel a constaté, en premier lieu, que son consentement initial à l’assistance médicale à la procréation était devenu caduc en vertu du droit interne (troisième alinéa de l’article 311-20 du code civil), dès lors que le transfert d’embryon avait été réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce. En second lieu, la cour d’appel a relevé que C n’était pas le père biologique de B, ce qui pouvait fonder la contestation de sa paternité en application du deuxième alinéa de l’article 311-20 du code civil (paragraphes 18 et 22 ci-dessus).
52. S’agissant des droits de B, d’autre part, la cour d’appel a considéré que « l’intérêt supérieur de l’enfant était d’avoir accès à ses origines et de pouvoir en conséquence bénéficier d’une filiation conforme à la vérité biologique, situation qui (...) n’est pas différente de ce qui pourrait exister dans le cadre d’une filiation naturelle en dehors de tout procédé de procréation médicalement assistée et n’interdit pas pour l’avenir et de façon inéluctable l’établissement d’un nouveau lien de filiation ». La Cour de Cassation a jugé qu’ayant relevé « que l’intérêt supérieur de l’enfant [B] résidait dans l’accès à ses origines personnelles et que la destruction de lien de filiation avec [C] n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation », la cour d’appel avait dûment statué en considération de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto.
53. La Cour relève, tout en déplorant le caractère elliptique de certains éléments de leur raisonnement, que les juridictions internes ont ainsi considéré que l’annulation de la reconnaissance de paternité répondait à l’intérêt supérieur de l’enfant B dans la mesure où elle ne la privait en rien de la possibilité d’accéder à ses origines biologiques, C n’étant pas son père biologique, et où elle lui ménageait la possibilité d’établir ultérieurement un lien de filiation avec une personne prête à endosser le rôle de père, jugeant implicitement mais nécessairement qu’il n’était pas dans l’intérêt d’un enfant de maintenir un lien de filiation avec un père d’intention n’ayant pas l’intention d’être père.
54. Dans ces conditions, il apparaît que, pour accueillir la demande d’annulation de la reconnaissance de paternité de C, les juridictions internes, au terme de l’opération de mise en balance qu’elles ont effectuée, ont considéré que, dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt supérieur de l’enfant B et les intérêts de C se rencontraient.
55. Certes, les juridictions internes n’ont pas pris en compte, dans le cadre de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, la question de la contribution à l’entretien et à l’éducation de B, alors que l’annulation de la reconnaissance de paternité avait mis fin aux obligations matérielles et éducatives de C à son égard. En effet, il ne ressort pas des motifs de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix‑en-Provence du 4 décembre 2018 qu’elle se soit prononcée sur l’intérêt de B au regard de la dimension éducative et patrimoniale que comporte le lien de filiation paternelle. La Cour de cassation n’a pas davantage expressément répondu à la critique adressée aux juges d’appel de n’avoir pas recherché « si l’anéantissement de ce lien de filiation pouvait être remplacé, dans l’immédiat, par un nouveau lien de filiation paternelle qui puisse permettre d’assurer l’entretien et l’éducation de l’enfant ».
56. Pour autant, tout en notant qu’elles ne se sont saisies que de la dimension identitaire de la question de filiation, la Cour, eu égard à la marge d’appréciation dont disposait l’État, ne voit pas de raison sérieuse de se départir de l’appréciation par les juridictions internes des intérêts en jeu, et, en particulier, de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.
57. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la solution retenue par les juridictions internes repose sur des motifs qui sont à la fois suffisants et pertinents tant en ce qui concerne l’adéquation entre le but légitime poursuivi et les justifications fondant l’ingérence litigieuse que s’agissant de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Sur ce point, elle considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, caractérisées à la fois par l’absence de lien biologique entre B et C, par la circonstance, constatée par les juridictions internes, que le consentement initial de C à l’assistance médicale à la procréation était devenu caduc en vertu du droit interne dès lors que le transfert d’embryon avait été réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce, et par l’absence de liens identitaire ou familial forts entre B et C, les juridictions internes n’ont pas excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient en jugeant que l’intérêt supérieur de l’enfant B ne se trouvait pas dans le maintien de la reconnaissance de la paternité de C.
58. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef de B.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare, la requête irrecevable pour autant qu’elle a été introduite par A ;
2. Déclare la requête recevable pour autant qu’elle a été introduite par B ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef de B.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président