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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PAIVA DE ANDRADA REIS v. PORTUGAL - 56564/15 (Article 6 - Right to a fair trial : Fourth Section Committee) French Text [2023] ECHR 863 (07 November 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/863.html Cite as: [2023] ECHR 863 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE PAIVA DE ANDRADA REIS c. PORTUGAL
(Requête no 56564/15)
ARRÊT
STRASBOURG
7 novembre 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Paiva de Andrada Reis c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Tim Eicke, président,
Branko Lubarda,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu :
la requête (no 56564/15) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Carlos Paiva de Andrada Reis (« le requérant »), né en 1947 et résidant à Cascais, représenté par Me P. Santos, avocate à Lisboa, a saisi la Cour le 11 novembre 2015 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement »), représenté, jusqu'au 1er octobre 2022, par son agente, Mme M.F. Carvalho, procureure générale adjointe, et, à partir de cette date, par M. R. Bragança de Matos,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2023,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L'AFFAIRE
1. La requête concerne un jugement rendu contre le requérant à l'issue d'une procédure d'exécution fiscale ouverte contre lui. Invoquant l'article 6 § 2 de la Convention, le requérant allègue que ce jugement a porté atteinte à son droit à la présomption d'innocence étant donné qu'il avait été acquitté pour des faits similaires à l'issue d'une procédure pénale.
2. Le 3 décembre 2009, à la suite d'un redressement fiscal, l'administration fiscale ordonna au requérant de payer 240 573,74 Euros (EUR) au titre de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée (« TVA ») dus par la société M. relativement aux exercices fiscaux allant de 2002 à 2006, au motif que l'entreprise était insolvable et que la requérant, en tant que gérant, devait répondre pour cette dette, conformément à l'article 24 § 1 b) de la loi générale fiscale.
3. Le 11 janvier 2010, le requérant contesta l'exécution par voie d'opposition en soutenant qu'il ne pouvait être tenu pour responsable de la dette fiscale en cause, en vertu de l'article 204 § 1 b) du code de procédure fiscale (« CPF »), étant donné qu'il n'était pas responsable de l'insolvabilité de l'entreprise et qu'il avait toujours fait en sorte que l'entreprise respecte ses obligations fiscales.
4. L'affaire fut renvoyée devant le tribunal fiscal de Lisbonne qui tint une audience au cours de laquelle elle entendit les témoins, notamment ceux qui avaient été indiqués par le requérant.
5. Le 30 avril 2012, le requérant présenta ses conclusions conformément à l'article 120 du CPF. Il alléguait, entre autres, qu'il ne pouvait être tenu responsable de la dette fiscale de la société M. dès lors qu'il n'avait pas exercé la gestion de fait de l'entreprise pendant la période en cause pour des raisons personnelles.
6. Par un jugement du 3 juillet 2012, le tribunal fiscal de Lisbonne rejeta l'opposition formée par le requérant et le condamna à payer la somme réclamée par l'administration fiscale. Le tribunal rejeta le moyen tiré de la non-responsabilité du requérant en l'absence de gestion de fait de l'entreprise au moment des faits, constatant que ce motif était tardif, puisque le requérant avait omis de le soulever dans l'opposition à l'exécution (paragraphe 3 ci-dessus).
7. Le 16 juillet 2012, le requérant interjeta appel du jugement. En réitérant qu'il ne gérait pas l'entreprise au moment des faits, il se référa à un jugement rendu par le tribunal pénal de Lisbonne, le même jour, qui l'avait acquitté du délit d'abus de confiance fiscale (abuso de confiança fiscal) vis-à-vis de la sécurité sociale pour non-versement de cotisations sociales perçues sur les salaires de ses employées, au motif qu'il n'avait pas exercé la gestion de fait de l'entreprise entre les années 2002 et 2006.
8. Par un arrêt du 7 mai 2015, le tribunal central administratif du Sud (le « TCAS ») confirma le jugement du tribunal fiscal de Lisbonne, considérant qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte le jugement d'acquittement du tribunal de Lisbonne étant donné que le requérant n'avait pas contesté sa qualité de gérant dans l'opposition qu'il avait formé contre l'exécution fiscale (paragraphe 3 ci-dessus).
9. Invoquant l'article 6 § 2 de la Convention, le requérant allègue qu'en refusant de prendre en considération le jugement d'acquittement du tribunal de Lisbonne du 16 juillet 2012, le TCAS a porté atteinte à son droit à la présomption d'innocence étant donné que ce jugement avait considéré qu'il n'exerçait pas la gestion de fait de l'entreprise pendant la période à laquelle se rapportaient les faits relatifs à l'exécution fiscale.
APPRÉCIATION DE LA COUR
10. Pour déterminer l'applicabilité de l'article 6 § 2 de la Convention à la procédure d'exécution fiscale objet de la présente espèce, la Cour renvoie aux principes généraux exposés dans l'arrêt Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, §§ 103-104, CEDH 2013). À la lumière de ces principes, dans l'affaire Melo Tadeu c. Portugal (no 27785/10, § 49, 23 octobre 2014), la Cour a conclu à l'applicabilité de l'article 6 § 2 de la Convention au sujet d'une procédure fiscale similaire à celle objet de la présente espèce.
11. En l'espèce, la procédure pénale et la procédure fiscale portaient toutes deux sur la gestion fiscale de la société M. entre les années 2002 et 2006. Dans ces deux procédures, il s'agissait de déterminer la responsabilité pénale et fiscale du requérant par rapport à des sommes non payées par la société M. à la sécurité sociale, pour ce qui est des cotisations sociales, et au fisc, pour ce qui est de l'impôt sur le revenu et la TVA (paragraphes 2 et 7 ci-dessus).
12. À l'instar de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans l'affaire Melo Tadeu (précité, § 49), la Cour en déduit que la procédure d'exécution fiscale était liée à la procédure pénale tranchée par l'arrêt d'acquittement du tribunal pénal de Lisbonne d'une manière apte à la faire tomber dans le champ d'application de l'article 6 § 2 de la Convention.
13. Constatant que la requête n'est pas, par ailleurs, manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
14. Quant au fond, les principes généraux ont été exposés dans les arrêts G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie ([GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 314, 28 juin 2018) et Allen (précité, §§ 94 et 126).
15. En l'espèce, la Cour note que, par un jugement du 16 juillet 2012, le tribunal de Lisbonne a acquitté le requérant du chef d'abus de confiance fiscale vis-à-vis de la sécurité sociale après avoir considéré qu'il ne pouvait être tenu responsable du non-paiement des cotisations sociales litigieuses dès lors qu'il n'avait pas exercé la gestion de fait de la société M. entre les années 2002 et 2006 (paragraphe 7 ci-dessus). Elle relève ensuite que, alors que le requérant avait porté cette information à la connaissance du TCAS dans son mémoire en recours (paragraphe 7 ci-dessus), cette juridiction a refusé d'examiner ce moyen en faisant une interprétation excessivement formaliste des conditions de recevabilité du recours (paragraphe 8 ci-dessus), contrevenant par voie de conséquence à l'article 624 du code de procédure civile (comparer avec Melo Tadeu, précité, § 41). Or, la Cour estime qu'en jetant un doute sur le bien-fondé du jugement d'acquittement qui avait été rendu par le tribunal de Lisbonne à l'encontre du requérant, le TCAS a agi d'une manière incompatible avec le respect du principe de la présomption d'innocence (comparé avec Melo Tadeu, précité, § 66).
16. Eu égard à ces constatations, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
17. Le requérant n'a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable. En conséquence, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de sommes à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 novembre 2023, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Crina Kaufman Tim Eicke
Greffière adjointe f.f. Président