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European Court of Human Rights |
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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GOMES COSTA v. PORTUGAL - 34916/16 (Art 5 § 3 - Duration and reasonableness of pre-trial detention : Remainder inadmissible : Fourth Section) French Text [2025] ECHR 51 (25 February 2025) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2025/51.html Cite as: [2025] ECHR 51 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE GOMES COSTA c. PORTUGAL
(Requête no 34916/16)
ARRÊT
Art 5 § 3 • Durée et caractère raisonnable de la détention provisoire • Cohérence logique des raisons invoquées pour le maintien du requérant en détention provisoire pendant huit mois et vingt et un jours dans le cadre d'une procédure pénale ouverte contre lui, pour viol, achevée par son acquittement • Caractère pertinent et suffisant des motifs de refus d'élargissement
Art 6 § 2 • Présomption d'innocence • Juridictions civiles internes n'ayant pas imputé l'infraction pénale au requérant en rejetant sa demande d'indemnisation pour les préjudices estimés subis en raison de sa détention provisoire • Justification du rejet de la demande d'indemnisation au regard de la condition posée par la loi non remplie • Application d'un critère légal, certes restrictif, mais sans avoir remis en cause le jugement d'acquittement • Langage employé ne reflétant pas le sentiment d'une culpabilité du requérant et que l'issue de la procédure pénale aurait dû être différente
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
25 février 2025
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gomes Costa c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Lado Chanturia, président,
Faris Vehabović,
Lorraine Schembri Orland,
Ana Maria Guerra Martins,
Anne Louise Bormann,
Sebastian Răduleţu,
András Jakab, juges,
et de Simeon Petrovski, greffier adjoint de section,
Vu :
la requête (no 34916/16) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Manuel Paulo Gomes Costa (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 juin 2016,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement ») les griefs fondés sur l'article 5 §§ 1, 3 et 5 ainsi que sur l'article 6 § 2 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 mars 2024 et 21 janvier 2025,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne, sous l'angle de l'article 5 §§ 1, 3 et 5 et de l'article 6 § 2 de la Convention, le placement et le maintien en détention provisoire du requérant dans le cadre d'une procédure pénale ouverte contre lui qui s'est achevée par son acquittement. Elle concerne aussi le refus des autorités internes de lui octroyer une indemnité pour les préjudices qu'il dit avoir subis en conséquence de sa détention provisoire.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1972 et réside à Póvoa do Varzim. Il a été représenté par Me Bento, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par ses agents, Mme M. F. Carvalho, procureure générale adjointe, M. Ricardo Bragança de Matos, procureur, et M. Manuel Aires Magriço, également procureur.
I. Le placement du requérant en détention provisoire
A. L'enquête pénale
4. Le 14 décembre 2010, M.C. déposa plainte contre le requérant pour viol auprès de la garde nationale républicaine (« GNR »).
5. Le jour suivant, soit le 15 décembre 2010, elle fut entendue par le juge d'instruction criminelle près le tribunal de Póvoa de Varzim (ci-après « le juge d'instruction »). Elle déclara notamment s'être rendue dans l'appartement où avait eu lieu les faits après avoir été contactée par le requérant pour des services de ménage et que lors de la visite de l'appartement, celui-ci l'avait forcée à un rapport sexuel, auquel elle avait fini par ne pas opposer de résistance. M.C. fut ensuite soumise à une expertise médicale par l'institut de médecine légale (ci-après « l'IML ») de Porto.
6. Le même jour, le requérant fut également entendu par le juge d'instruction qui ordonna son placement en détention provisoire en application de l'article 202 § 1 b) du code de procédure pénale (« le CPP » - paragraphe 48 ci-dessous), au motif qu'il existait des soupçons plausibles de viol prémédité contre lui. À cet égard, le juge d'instruction tint compte des déclarations de la plaignante, qui lui avaient paru cohérentes et précises et, dès lors, crédibles. Il se référa aussi aux déclarations faites par le requérant. Il releva que ce dernier avait confirmé avoir pris contact avec M.C. en réponse à une annonce publiée en ligne dans laquelle elle disait chercher un emploi à temps partiel notamment comme femme de ménage et que c'était à la suite de ce contact téléphonique que M.C. s'était rendue sur le lieu où les faits étaient survenus, à savoir l'appartement de la compagne du requérant. Il observa que cette dernière ne semblait pas avoir été informée que son compagnon cherchait une femme de ménage. Il releva aussi que le requérant était sans emploi. Pour fonder sa décision de placer l'intéressé en détention provisoire, le juge d'instruction considéra également les éléments suivants. Premièrement, il estima qu'il existait un risque que le requérant perturbât l'enquête étant donné qu'il avait nié les faits et en avait imputé la responsabilité à M.C. Deuxièmement, il jugea qu'un risque de récidive se présentait dès lors que le requérant avait avoué qu'il était en situation de carence affective et qu'il avait précédemment reçu une autre femme chez lui, après un contact par Internet, sans avoir consommé aucun acte sexuel étant donné que cette dernière était venue accompagnée de sa fille. Troisièmement, compte tenu de la gravité des faits, il considéra qu'il existait un risque de trouble de l'ordre public, conformément à l'article 204 alinéas b) et c) du CPP (paragraphe 48 ci-dessous).
7. Le requérant fut placé en détention provisoire à la prison de la police judiciaire de Porto.
8. Le 3 janvier 2011, l'IML (paragraphe 5 ci-dessus) dressa un rapport d'expertise médicale préliminaire selon lequel M.C. ne présentait aucune trace d'agression physique ou sexuelle mais que, pour établir un bilan complet, il fallait attendre les résultats d'examens biologiques complémentaires. Le rapport fut transmis à la police judiciaire le 25 janvier 2011.
9. Le 4 janvier 2011, le requérant demanda l'application d'une mesure provisoire moins contraignante, à savoir une présentation hebdomadaire au poste de police associée à un ordre de ne pas prendre contact avec la victime. À l'appui de sa demande, il soutenait notamment avoir acquis un véhicule avec sa compagne afin de pouvoir reprendre son activité professionnelle d'électricien. Il ajoutait que cette dernière était prête à l'aider et qu'il avait aussi l'intention de chercher un soutien thérapeutique.
10. Le 6 janvier 2011, le juge d'instruction rejeta la demande introduite par le requérant au motif que les circonstances qui étaient à l'origine de la détention provisoire n'avaient pas changé.
11. Le 18 janvier 2011, le requérant fut soumis à une expertise psychiatrique qui conclut qu'il ne souffrait d'aucune maladie psychiatrique et qu'il devait être considéré comme responsable pénalement.
12. Le 10 mars 2011, dans le cadre de l'examen de réévaluation de la détention provisoire, en vertu de l'article 213 § 1 du CPP (paragraphe 48 ci‑dessous), le juge d'instruction décida de maintenir celle-ci aux motifs que l'enquête pénale était toujours pendante et que les éléments en fait et en droit qui la fondaient n'avaient pas changé.
13. Le 24 mars 2011, l'IML de Porto transmit à la police judiciaire son rapport d'expertise biologique datant du 3 mars 2011 (paragraphe 8 ci‑dessus). Le rapport concluait que les ADN qui avaient été prélevés sur M.C. étaient le sien et celui d'un individu de sexe masculin.
14. Le 7 avril 2011, le juge d'instruction rejeta une demande formée par le requérant visant à la levée du secret de l'enquête (segredo de justiça) ainsi qu'à l'autorisation de consulter le dossier de l'enquête.
15. Le 27 avril 2011, le requérant forma une nouvelle demande auprès du juge d'instruction en vue de l'application d'une mesure provisoire moins contraignante, soutenant qu'il n'avait pas de casier judiciaire, qu'il bénéficiait du soutien de sa famille, qu'il venait de trouver un travail d'électricien dans une entreprise et qu'il avait fait preuve d'un comportement exemplaire depuis son placement en détention provisoire.
16. Par une décision du 3 mai 2011, le juge d'instruction débouta le requérant de sa demande. Pour se prononcer ainsi, il renvoya à ses décisions précédentes du 6 janvier 2011 et du 10 mars 2011 (paragraphes 10 et 12 ci‑dessus), considérant que rien ne justifiait un changement de ce qui avait été décidé.
17. Le 6 juin 2011, le requérant interjeta appel de cette décision devant la cour d'appel de Porto, soutenant que sa détention provisoire n'était pas nécessaire compte tenu notamment de sa situation personnelle et d'une offre d'emploi qui dans l'intervalle lui avait été faite.
18. Entretemps, le 11 mai 2011, l'IML avait transmis à la police judiciaire un rapport daté du 3 mai 2011 concernant l'expertise médicale effectuée sur le requérant et au cours de laquelle un prélèvement avait été effectué sur lui. Le rapport concluait que l'ADN de l'individu masculin prélevé sur M.C. (paragraphe 13 ci-dessus) était celui du requérant.
B. Les réquisitions du parquet et la clôture de l'enquête pénale
19. Le 14 juin 2011, le procureur près le tribunal de Póvoa de Varzim présenta son acte d'accusation (acusação) à l'encontre le requérant du chef de viol contre M.C., en vertu de l'article 164 § 1 a) du code pénal (« le CP » - paragraphe 47 ci‑dessous). Il reprochait au requérant d'avoir pris contact avec M.C., le 14 décembre 2010, en réponse à une annonce que celle-ci avait publiée en ligne proposant des services à temps partiel dans la restauration ou l'entretien. Il l'accusait de l'avoir contrainte à un acte sexuel alors qu'elle s'était rendue, à sa demande, le jour-même à l'endroit qu'il lui avait indiqué, lequel s'avérait être le domicile de sa compagne. Le procureur considéra que M.C. ne s'était pas défendue au moment des faits et que, en l'occurrence, elle avait cédé sous la peur.
20. Le même jour, le juge d'instruction décida de maintenir le requérant en détention provisoire. Il considéra que les réquisitions formulées par le parquet à l'encontre du requérant renforçaient les motifs qui avaient fondé le placement initial de l'intéressé en détention provisoire.
21. Le 22 juin 2011, en réponse à une demande du requérant visant à la levée de la confidentialité du dossier de l'enquête, le parquet rendit une décision en précisant que l'enquête pénale était clôturée et que le dossier de l'enquête était désormais public depuis le 14 juin 2011.
22. Par un arrêt du 21 juillet 2011, la cour d'appel de Porto rejeta l'appel interjeté par le requérant le 6 juin (paragraphe 17 ci-dessus). Elle considéra que les motifs qui avaient justifié le placement de l'intéressé en détention provisoire n'avaient pas changé. Elle confirma ainsi la décision du juge d'instruction rendue le 3 mai 2011 (paragraphe 16 ci-dessus).
23. Le 25 août 2011, l'hôpital de Póvoa de Varzim transmit au parquet près le tribunal de Póvoa de Varzim le dossier médical de la plaignante dans lequel il était indiqué qu'elle s'était rendue au service des urgences le 24 juillet 2011 pour une crise d'anxiété liée aux faits litigieux.
C. Le procès et l'acquittement du requérant
24. À une date non précisée, l'affaire fut renvoyée devant le tribunal de Póvoa de Varzim aux fins du jugement du requérant pour viol, infraction prévue par l'article 164 § 1 a) du CP (paragraphe 47 ci-dessous).
25. Au cours du procès, le requérant se prévalut de son droit au silence.
26. Le 6 septembre 2011, le tribunal entendit les témoins de la défense. Tenant compte des preuves déjà produites devant lui, il décida de remplacer la mesure de détention provisoire qui avait été appliquée au requérant (paragraphe 6 ci-dessus) par l'obligation de se présenter une fois par semaine devant le poste de police qui relevait de son domicile.
27. Le 27 septembre 2011, le rapport d'expertise final dressé par l'IML le 12 septembre fut versé au dossier. Ce rapport reprenait les constatations qui avaient été faites dans les rapports précédents (paragraphes 8, 13 et 18 ci‑dessus). Il se référait aussi à la consultation de M.C. à l'hôpital de Póvoa de Varzim le 24 juillet 2011 pour une crise d'anxiété (paragraphe 23 ci‑dessus). Il reprenait également les conclusions ayant été faites dans le rapport préliminaire (paragraphe 8 ci‑dessus) quant à l'absence de traces d'agression physique ou sexuelle et ajoutait ceci :
« (...)
Il est important de signaler que l'absence de séquelles physiques ne signifie pas une absence d'abus sexuel, dès lors que dans un grand nombre de ces situations il n'y a pas de séquelles physiques. »
28. Le rapport recommandait également que M.C. fût soumise à un suivi psychosocial compte tenu de la crise d'anxiété qui l'avait amenée aux urgences de l'hôpital le 24 juillet 2011 (paragraphe 23 ci-dessus).
29. Le 6 octobre 2011, le tribunal de Póvoa de Varzim prononça son jugement. Il jugea établi que le requérant avait pris contact avec M.C. à la suite d'une annonce que celle-ci avait publiée en ligne (paragraphe 6 ci‑dessus), même si l'intéressé n'avait pas l'intention d'utiliser les services qu'elle proposait. Il considéra qu'il n'avait en revanche pas été établi que la plaignante avait été contrainte à se livrer à l'acte sexuel litigieux que ce fût physiquement ou psychologiquement, ou par la menace, ou encore par la crainte ou la peur du requérant. Pour fonder son jugement, le tribunal tint compte des déclarations qui avaient été faites par M.C. au cours du procès, considérant qu'elles n'étaient pas crédibles. Il se référa aussi aux déclarations des témoins (paragraphe 26 ci-dessus) ainsi qu'aux rapports d'expertise de l'IML (paragraphes 8, 13, 18 et 27 ci-dessus). Il nota que le requérant s'était prévalu de son droit au silence (paragraphe 25 ci-dessus) et qu'il n'avait pas fait de déclarations au sujet des faits litigieux. Le tribunal conclut que les faits en question n'avaient pas été prouvés et qu'il y avait donc lieu d'acquitter le requérant.
30. Le parquet ne fit pas appel du jugement qui devint donc définitif.
II. L'action en responsabilité civile introduite contre l'État pour détention illégale
A. La procédure devant le tribunal de Póvoa de Varzim et le jugement du 7 mai 2014
31. Le 23 juillet 2012, le requérant saisit le tribunal de Póvoa de Varzim d'une action en responsabilité civile contre l'État pour détention provisoire illégale et non justifiée, sur le fondement de l'article 225 du CPP (paragraphe 48 ci-dessous). Dans le cadre de cette action, il réclamait 2 023 150 euros (EUR) pour le préjudice moral qu'il estimait avoir subi en raison de sa détention provisoire. Il alléguait avoir été acquitté sur le fondement de son innocence. Il soutenait ensuite que son maintien en détention provisoire reposait sur une erreur grossière au sens de l'article 225 § 1 du CPP (paragraphe 48 ci-dessous) dès lors que le juge d'instruction avait ignoré le rapport d'expertise de l'IML daté du 3 janvier 2011, joint au dossier le 25 janvier 2011 (paragraphe 8 ci-dessus), qui selon lui remettait en cause la version de la plaignante. Il ajoutait que les autorités d'enquête et le juge d'instruction avaient persisté à ignorer les éléments joints au dossier. Il se plaignait que son placement et son maintien en détention provisoire entre le 15 décembre 2010 (paragraphe 6 ci-dessus) et le 6 septembre 2011, date de sa libération (paragraphe 26 ci-dessus), l'avaient privé de tout contact avec sa compagne et son fils âgé de trois ans. Enfin, il dénonçait ses conditions de détention et les menaces qui avaient été proférées à son égard par d'autres codétenus.
32. Par un jugement du 7 mai 2014, le tribunal de Póvoa de Varzim débouta le requérant de sa demande, considérant que les conditions posées par l'article 225 du CPP (paragraphe 48 ci-dessous) n'étaient pas remplies. En premier lieu, il observa que la détention provisoire du requérant n'était pas illégale au sens de l'article 225 § 1 a) du CPP dès lors qu'elle avait été ordonnée par l'autorité judiciaire compétente et dans les conditions prévues par la loi. En deuxième lieu, il écarta, au vu du rapport d'expertise établi par l'IML le 3 janvier 2011 (paragraphes 8 et 31 ci-dessus), l'allégation du requérant selon laquelle son maintien en détention provisoire reposait sur une erreur grossière, au sens de l'article 225 § 1 b) du CPP. Sur ce point, il nota que, lorsqu'elle fut entendue, M.C. avait reconnu qu'elle avait cessé de se défendre au moment des faits, craignant que le pire lui arrivât. Le requérant avait quant à lui avoué au juge d'instruction qu'il avait attiré la victime à son domicile en lui faisant croire qu'il lui offrirait un emploi. Pour finir, le tribunal observa que le requérant ne s'était jamais fondé sur ledit rapport d'expertise de l'IML pour demander la levée de la détention provisoire (paragraphes 9 et 15 ci-dessus). En troisième lieu, il releva que, dans le jugement d'acquittement rendu en faveur du requérant (paragraphe 29 ci‑dessus), il n'avait pas été prouvé que l'intéressé n'avait pas commis l'infraction en cause étant donné qu'il n'avait pas été établi que la victime présumée avait consenti à se livrer à l'acte sexuel en cause, ni qu'elle avait été contrainte par le requérant à accomplir un tel acte. Il en déduisit qu'il n'y avait pas obligation de dédommager le requérant à l'aune de l'article 225 § 1 c) du CPP.
B. L'appel du requérant et l'arrêt de la cour d'appel de Porto du 8 janvier 2015
33. Le requérant interjeta appel du jugement devant la cour d'appel de Porto. Il reprit l'argument qu'il avait précédemment exposé selon lequel son maintien en détention provisoire reposait sur une erreur grossière au sens de l'article 225 § 1 b) du CPP (paragraphe 48 ci-dessous). Il plaidait qu'il devait de toute façon être indemnisé en raison de son acquittement dès lors qu'il avait été établi qu'il n'était pas l'auteur de l'infraction pénale, soulignant qu'il n'avait exercé aucun type de violence sur la plaignante. Il arguait sur ce point que le principe de la présomption d'innocence ne faisait aucune distinction entre l'acquittement fondé sur la preuve de l'innocence et celui fondé sur l'absence de preuve de la culpabilité, découlant du principe in dubio pro reo. Il alléguait que l'article 225 § 1 c) du CPP contrevenait à son droit à la présomption d'innocence garanti par l'article 32 § 2 de la Constitution (paragraphe 45 ci‑dessous) ainsi que par l'article 6 § 2 de la Convention, se référant entre autres aux arrêts de la Cour Capeau c. Belgique (no 42914/98, CEDH 2005-I) et Tendam c. Espagne (no 25720/05, 13 juillet 2010).
34. Par un arrêt du 8 janvier 2015, la cour d'appel de Porto débouta le requérant.
35. Premièrement, elle rejeta la thèse de l'intéressé tirée de l'erreur grossière sur laquelle reposait son maintien en détention provisoire. À cet égard, elle observa que le rapport d'expertise final de l'IML mentionné au paragraphe 27 ci-dessus indiquait que l'absence de séquelles physiques ne signifiait pas une absence d'abus sexuel. Elle considéra ensuite qu'il existait bien, au moment du placement et du maintien en détention provisoire du requérant, des soupçons plausibles d'infractions à l'encontre de celui-ci. Elle releva que la plaignante avait déposé plainte le jour des faits (paragraphe 4 ci-dessus). De plus, la cour d'appel nota que, lors de son audition par le juge d'instruction (paragraphe 6 ci-dessus), le requérant avait avoué qu'il ne connaissait pas la plaignante et qu'il avait pris contact avec elle en lui faisant croire qu'il voulait la recruter pour des services de ménage alors qu'il avait l'intention de la contraindre à un acte sexuel ; objectif qu'il avait atteint.
36. Deuxièmement, en ce qui concerne l'argument du requérant qui consistait à dire qu'il devait être indemnisé nonobstant ce qui était prévu à l'article 225 § 1 c) du CPP (paragraphe 48 ci-dessous), la cour d'appel considéra que, quand bien même l'intéressé avait été acquitté, il n'avait pas prouvé qu'il n'avait pas commis l'infraction pénale en cause, comme l'exigeait la disposition en question. Dans ses parties pertinentes en l'espèce, l'arrêt de la cour d'appel se lisait comme suit :
« (...)
Même s'il ne l'affirme pas explicitement, l'appelant soutient que, nonobstant ce que dispose l'article 225 § 1 alinéa c) du CPP, il faut concevoir que même l'accusé acquitté en vertu du principe in dubio pro reo doit être indemnisé, s'il a subi une mesure de privation de liberté. D'après lui, cela découlerait du principe de la présomption d'innocence selon lequel on ne devrait pas faire de différence entre la preuve de l'innocence et l'absence de preuve de la culpabilité, en vertu du principe in dubio pro reo.
(...)
(...) il convient de se pencher sur la portée du principe de la présomption d'innocence, dans l'orbite du principe in dubio pro reo. Il n'est pas possible d'en retirer des éventualités pouvant mettre en cause l'appréciation des soupçons de culpabilité qui ont de façon adéquate et légitime été formulés dans le cadre de l'instruction de l'affaire.
Il en découle que (...) l'erreur grossière dans l'appréciation des éléments de fait à laquelle fait référence l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 225 se rapporte à l'appréciation des preuves qui étaient disponibles lors de l'application de la mesure de privation de liberté, et non pas celles qui ont ensuite conduit à l'acquittement. Autrement dit, [l'erreur grossière] doit être évaluée en tenant compte du critère fondé sur l'existence de soupçons solides qu'elle présuppose et non pas de celui fondant une condamnation, lequel est propre au jugement.
Toutefois, c'est aussi à un autre niveau que doivent être mesurées les conséquences du principe selon lequel le doute par rapport à la commission des faits par l'accusé doit jouer en sa faveur. Le doute empêche que l'intéressé puisse demander réparation des préjudices qu'il aurait subis en raison d'une détention provisoire. Autrement dit, [ce principe] exige de l'accusé qu'il prouve qu'il n'a pas été l'auteur de l'infraction ou qu'il a agi de façon justifiée. Cela pourra découler du jugement condamnatoire ou être démontré par l'accusé dans l'action qu'il intentera avec une telle demande de réparation.
Il convient de noter que, avant la modification apportée à l'article 225 du code de procédure pénale par la loi no 48/2007 du 29 août 2007, il n'existait pas de disposition légale permettant de fonder une telle demande de réparation. [L'article 225] mentionnait uniquement les cas de privation de liberté manifestement illégale ou d'erreur grossière dans l'appréciation des éléments de fait.
Nous comprenons cette innovation. Même en l'absence de toute illégalité ou d'une erreur grossière dans l'application de la détention provisoire, le fait qu'un accusé ait subi une privation de liberté pour une infraction pénale pour laquelle il a été prouvé qu'il ne l'avait pas commise, constitue un dysfonctionnement de la machine judiciaire. Indépendamment des causes pouvant l'expliquer, dès lors qu'elles ne peuvent être imputées à l'accusé, ce [dysfonctionnement] est d'une gravité telle qu'il doit être réparé. Comme on peut le comprendre, il doit toutefois s'agir d'un dysfonctionnement - une véritable « condamnation » (une mesure de contrainte peut toutefois être tenue comme une véritable peine compte tenu de sa gravité) injuste au sens du paragraphe 6 de l'article 29 de la Constitution. Cela ne doit pas être la conséquence du principe in dubio pro reo, celui-ci ne s'appliquant qu'au niveau de la décision finale. Ainsi, on peut dire que la possibilité de demander réparation face à la preuve positive de la non-culpabilité de l'accusé qui a subi une détention provisoire est une innovation du législateur qui dépasse le cadre spécifique du paragraphe 5 de l'article 27 de la Constitution. Il s'agit en l'occurrence d'une interférence du paragraphe 6 de l'article 29 de la Constitution, selon lequel tous les justiciables injustement condamnés ont le droit de demander réparation pour les dommages subis par eux, ce qui élargit le champ de l'indemnisation aux mesures de contrainte portant gravement atteinte à la liberté de l'accusé.
(...) si nous voyons les choses sous ce prisme, ce qui nous apparaît plus cohérent avec l'esprit du système et les principes que celui-ci renferme, nous devrons nécessairement écarter l'interprétation selon laquelle la restriction figurant à l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article 225 porterait atteinte au principe de la présomption d'innocence, étant donné que d'un tel principe découlerait le droit de demander réparation pour tout type d'acquittement, indépendamment de la preuve qui doit être apportée que l'accusé n'a pas commis l'infraction ou qu'il a agi de façon justifiée.
(...)
Pour les raisons indiquées ci-dessus, étant donné que la privation de liberté de l'accusé n'a pas été fondée sur une erreur grossière dans l'appréciation des éléments de faits et que l'accusé, même s'il a été acquitté, n'a pas prouvé qu'il n'était pas l'auteur de l'infraction, nous considérons comme correct le jugement qui a rejeté la demande de réparation pour dommages découlant de la détention provisoire qu'il a subi. »
C. Le pourvoi en cassation du requérant et l'arrêt de la Cour suprême du 6 janvier 2016
37. Le requérant forma un pourvoi exceptionnel en cassation (revista excecional) devant la Cour suprême.
38. Par un arrêt du 6 janvier 2016, adopté par deux voix contre une, la Cour suprême rejeta le pourvoi. En ses parties pertinentes, dans la présente espèce, l'arrêt de la Cour suprême était ainsi libellé :
« (...) [E]n ajoutant l'alinéa c) au paragraphe 1 de l'article 225 du [CPP] (loi no 48/2007), le législateur ordinaire a prévu une situation dans laquelle la responsabilité de l'État découlant d'un acte licite peut être engagée. [Cette responsabilité] est toutefois conditionnée à ce que la preuve soit apportée que l'accusé n'est pas l'auteur de l'infraction pénale.
Il reste alors la possibilité que cette disposition soit considérée inconstitutionnelle en raison de la violation du principe de la présomption d'innocence de l'accusé (article 32 § 2 de la [Constitution]).
L'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article 225 du CPP a été discuté dans l'arrêt no 185/2010 du Tribunal constitutionnel qui a conclu que cette disposition n'était pas inconstitutionnelle.
Notre droit positif ne prévoit pas le droit d'être indemnisé pour les préjudices subis par un accusé qui serait détenu de façon provisoire, lorsque celui-ci finit par être acquitté en vertu du principe in dubio pro reo.
(...) il y a donc lieu de rejeter le pourvoi de l'appelant et confirmer l'arrêt attaqué. »
39. Le juge R. formula une opinion dissidente, qui était jointe à l'arrêt de la Cour suprême, dans laquelle il considérait que l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article 225 du CPP était incompatible avec le principe de la présomption d'innocence. Il se prononçait comme suit :
« (...) Si l'accusé a été acquitté de l'infraction pénale, en vertu du principe in dubio pro reo, en raison du fait que le tribunal n'a pas obtenu la conviction forte qu'il était coupable, il est inadmissible d'exiger de lui qu'il prouve son innocence dans le cadre d'une action civile.
(...) dans des affaires relatives à des législations similaires à la législation portugaise, la CEDH a considéré qu'en cas d'acquittement en vertu du principe in dubio pro reo, il ne doit pas être exigé à l'accusé qu'il prouve son innocence, car il s'agit d'un acte a posteriori qui porterait atteinte au principe de la présomption d'innocence (article 6 § 2 de la CEDH) qui s'applique de façon directe (...)
(...)
Pour les raisons exposées ci-dessus, nous n'affirmerions pas que la prétention du demandeur/appelant dépend de la preuve, qui est à sa charge, qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction pour laquelle il a été acquitté. »
D. Le recours constitutionnel du requérant
40. Le requérant forma un recours constitutionnel, invoquant l'inconstitutionnalité de l'interprétation normative faite par les juridictions internes de l'article 225 § 1 c) du CPP. Par une décision sommaire du 5 mai 2016, confirmée par un arrêt du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel du 21 juin 2016, ce recours fut déclaré irrecevable au motif que le requérant n'avait pas soulevé la question devant les juridictions saisies préalablement.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. La Constitution
41. Aux termes de l'article 13 § 1 de la Constitution, les citoyens sont égaux devant la loi.
42. L'article 20 § 4 de la Constitution garantit le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable.
43. L'article 27 protège le droit à la liberté et à la sécurité. Toute privation de liberté contraire à la loi ou à la Constitution oblige l'État à une réparation envers la personne qui a subi le préjudice (article 27 § 5).
44. Le droit à une indemnisation en cas d'erreur judiciaire est prévu à l'article 29 § 6 de la Constitution.
45. L'article 32 de la Constitution énonce les garanties attachées à toute procédure pénale, notamment le droit à un procès dans un délai raisonnable et le droit à la présomption d'innocence (article 32 § 2), les droits de la défense de l'accusé (article 32 § 3), le droit au contrôle judiciaire de l'enquête par le juge d'instruction (article 32 § 4) et la structure accusatoire de la procédure pénale (article 32 § 5).
II. le code civil (le « CC »)
46. Les dispositions du CC pertinentes en l'espèce se lisent comme suit :
Article 342
Charge de la preuve
« 1. Quiconque se prévaut d'un droit doit apporter la preuve des faits constitutifs [factos constitutivos] du droit allégué.
2. La preuve des faits qui s'opposent au droit invoqué, le modifient ou l'éteignent incombe à la partie contre laquelle le droit est invoqué.
3. En cas de doute [quant aux faits invoqués], on doit considérer qu'il s'agit de faits constitutifs d'un droit. »
Article 483
Principe général
« Quiconque, par un dol ou une faute simple, porte atteinte de manière illicite à un droit d'autrui, ou à une quelconque disposition légale ayant pour but la protection des intérêts d'autrui, doit indemniser la personne lésée pour les dommages résultant d'un tel acte.
(...) »
Article 487
Faute
« 1. Il incombe à la partie ayant subi le préjudice de prouver l'existence d'une faute [culpa], à moins que la responsabilité ne fasse l'objet d'une présomption légale.
2. En l'absence de tout autre critère juridique, la faute s'apprécie par référence à la diligence que l'on peut attendre d'un bon père de famille, au vu des circonstances de la cause. »
III. Le code pénal (le « CP »)
47. L'article 164 § 1 a) du CP, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, était ainsi libellé :
« 1. Quiconque contraint une autre personne, au moyen de la violence, d'une menace grave ou, à cette fin, après l'avoir rendue inconsciente ou mise dans l'impossibilité de résister :
a) à subir ou avoir avec lui ou elle ou avec un tiers, une relation sexuelle vaginale, anale ou orale ;
(...)
est puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller de trois à dix ans. »
IV. Le code de procédure pénale (le « cpp »)
48. Les dispositions pertinentes du CPP, dans sa rédaction issue de la loi no 48/2007 du 29 août 2007, applicable au moment des faits, se lisaient comme suit :
Article 202
Détention provisoire [prisão preventiva]
« 1. (...) le juge (...) peut imposer à l'accusé [arguido] la détention provisoire lorsque :
(...)
b) il existe des indices solides de commission d'un crime avec dol relevant de la criminalité violente ;
(...) »
Article 204
Conditions générales [d'application de la détention provisoire]
« 1. Aucune mesure de contrainte [medida de coação] (...) ne peut être appliquée si les conditions suivantes ne sont pas concrètement vérifiées :
a) fuite ou un risque de fuite ;
b) risque de perturbation de l'enquête ou de l'instruction de la procédure et, notamment, risque pour la collecte, la conservation et l'authenticité des preuves ; ou
c) risque, en raison de la nature et des circonstances du crime ou de la personnalité de l'accusé, de poursuite de l'activité criminelle ou de trouble à l'ordre et à la tranquillité publics. »
Article 212
Annulation et substitution des mesures [de contrainte]
« 1. Les mesures de contrainte sont immédiatement levées par ordonnance du juge lorsque :
a) elles ont été appliquées en dehors des cas ou des conditions prévus par la loi ; ou
b) les circonstances justifiant leur adoption ont cessé d'exister.
(...)
3. Lorsque les exigences préventives [exigências cautelares] qui ont justifié l'adoption d'une mesure de contrainte se sont atténuées, le juge remplace celle-ci par une mesure moins grave ou détermine une forme d'exécution moins contraignante de [la mesure de contrainte en cause].
4. L'annulation ou la substitution prévues dans le présent article ont lieu d'office ou à la demande du ministère public ou de l'accusé, ces derniers devant [à cette occasion] être entendus (...)
(...) »
Article 213
Réexamen des conditions de la détention provisoire (...)
« 1. Le juge procède d'office au réexamen des conditions d'application de la détention provisoire et de l'assignation à résidence, décidant de leur maintien, de leur substitution ou de leur levée :
a) dans un délai maximal de trois mois, à compter de la date de son application ou du dernier réexamen.
(...) »
Article 219
Recours
« 1. La décision qui applique ou maintient les mesures [de contrainte] (...) peut être attaquée par l'accusé ou le ministère public, par la voie d'un recours, [lequel doit être tranché] dans un délai maximum de trente jours, à partir du moment où le dossier de procédure est reçu.
(...) »
Article 225
Modalités [de l'indemnisation pour privation de la liberté illégale ou non justifiée]
« 1. Quiconque a subi une arrestation, une détention provisoire ou une assignation à résidence peut saisir le tribunal compétent d'une demande d'indemnisation des dommages subis lorsque :
a) la privation de liberté est illégale (...)
b) la privation de liberté est causée par une erreur grossière [erro grosseiro] dans l'appréciation des éléments de fait desquels elle dépendait ;
c) il est prouvé [se comprovar] que l'accusé n'a pas été l'auteur de l'infraction ou lorsqu'il a agi de façon justifiée ; ou
d) la privation de liberté a enfreint les paragraphes 1 à 4 de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme.
2. Dans les situations prévues aux alinéas b) et c) du paragraphe susmentionné, l'obligation d'indemniser cesse si l'accusé a contribué, par dol ou négligence, à la privation de sa liberté. »
49. L'article 225 du CPP, dans sa rédaction issue de la loi no 59/98 du 25 août 1998, non applicable à la présente espèce était ainsi libellé :
« 1. Quiconque a subi une arrestation ou une détention provisoire manifestement illégales peut saisir le tribunal compétent d'une demande d'indemnisation des dommages subis en raison de la privation de liberté.
2. Ce qui est prévu à l'alinéa précédent s'applique à quiconque a subi une détention provisoire qui n'est pas illégale mais qui se révèle être injustifiée en raison d'une erreur grossière [erro grosseiro] dans l'appréciation des éléments de fait desquels elle dépendait. Sont exclus les cas où la personne détenue a contribué, par dol ou négligence, à ladite erreur. »
V. La jurisprudence interne
A. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel
1. L'arrêt no 185/2010 du 12 mai 2010
50. Dans son arrêt no 185/2010 du 12 mai 2010, la troisième section du Tribunal constitutionnel a jugé que l'interprétation normative de l'article 225 § 2 du CPP, dans sa rédaction issue de la loi no 59/98 du 25 août 1998 (paragraphe 49 ci-dessus), selon laquelle la détention provisoire ordonnée contre un accusé ayant été acquitté sur le fondement du principe in dubio pro reo ne peut être considérée comme manquant de justification, n'était pas contraire à l'article 27 § 5 de la Constitution (paragraphe 43 ci-dessus). Dans cet arrêt, le Tribunal constitutionnel a considéré qu'une demande de réparation d'un dommage subi en raison d'une détention provisoire soulevait un conflit d'intérêts entre, d'une part, le droit à la liberté de chacun, et, d'autre part, la nécessité de garantir, dans l'intérêt général, la sécurité et l'efficacité du système pénal. Sur la question de la détention provisoire, il a estimé qu'il fallait déterminer si le préjudice découlant de la privation de liberté devait peser sur celui qui l'avait subi ou sur la communauté en général, étant donné que la détention provisoire avait été ordonnée dans l'intérêt général. Il a relevé que l'article 27 § 5 de la Constitution ne garantissait une réparation que lorsque la privation de liberté était contraire à la Constitution et à la loi. Il a considéré ensuite que prévoir une réparation pour toutes les situations de détention provisoire, y compris celles ne soulevant pas de problème d'illégalité tel que prévu à l'article 225 § 1 du CPP dans sa rédaction issue de la loi no 59/98 du 25 août 1998, pourrait avoir comme effet de dissuader les magistrats d'appliquer une telle mesure de contrainte dès lors que toute personne détenue provisoirement et bénéficiant ensuite d'un acquittement pourrait réclamer une indemnité. Le Tribunal constitutionnel n'a toutefois pas pris position à ce sujet, considérant que le législateur disposait d'une marge d'appréciation par rapport aux situations couvertes par l'article 225 § 2 du CPP, et concluant que l'interprétation normative litigieuse n'était ainsi pas contraire à l'article 27 § 5 de la Constitution.
51. À l'arrêt no 185/2010 du Tribunal constitutionnel était jointe l'opinion dissidente d'un juge qui considérait que l'interprétation litigieuse de l'article 225 § 2 du CPP portait atteinte au droit à la présomption d'innocence garanti par l'article 32 de la Constitution (paragraphe 45 ci-dessus) en faisant peser sur le demandeur la preuve de son innocence lorsque celui-ci sollicitait l'obtention d'une indemnité fondée sur une détention provisoire. Dans son opinion, le juge estimait que l'absence de réparation des préjudices causés par une détention provisoire qui, bien que légale, s'était avérée non justifiée, était une solution qui lui paraissait excessive et allant à l'encontre de l'État de droit.
2. L'arrêt no 284/2020 du 28 mai 2020
52. Dans son arrêt no 284/2020 du 28 mai 2020, rendu postérieurement à la procédure judiciaire intentée par le requérant, la deuxième section du Tribunal constitutionnel a considéré que l'article 225 § 1 c) du CPP, dans sa rédaction issue de la loi no 48/2007 du 29 août 2007 (paragraphe 48 ci‑dessus), interprété dans le sens qu'on ne peut considérer qu'un individu ayant finalement été acquitté en vertu du principe in dubio pro reo n'a pas commis l'infraction ou qu'il a agi de façon justifiée, était contraire au principe d'égalité garanti par l'article 13 § 1 de la Constitution (paragraphe 41 ci‑dessus) étant donné qu'il traitait de façon différente les accusés acquittés en vertu du principe in dubio pro reo et les accusés acquittés du fait de la preuve de leur innocence ou d'une cause justificative. Le Tribunal constitutionnel a estimé que cette interprétation normative portait également atteinte à la présomption d'innocence garanti par l'article 32 § 2 de la Constitution (paragraphe 45 ci-dessus) en ce qu'il exigeait de la personne ayant été acquittée en vertu du principe in dubio pro reo qu'elle prouve son innocence pour obtenir une indemnité en raison des dommages causés par une détention provisoire régulière, renvoyant à cet égard à l'opinion dissidente jointe à l'arrêt no 185/2010 (paragraphe 51 ci-dessus). Dans son raisonnement, le Tribunal constitutionnel avait tenu compte de la jurisprudence de la Cour, faisant notamment référence aux arrêts Allen c. Royaume-Uni ([GC], no 25424/09, CEDH 2013), Capeau c. Belgique (no 42914/98, CEDH 2005‑I), Rushiti c. Autriche (no 28389/95, 21 mars 2000), Hammern c. Norvège (no 30287/96, 11 février 2003), et Puig Panella c. Espagne (no 1483/02, 25 avril 2006).
53. À cet arrêt étaient jointes deux opinions concordantes de juges qui indiquaient souscrire à l'arrêt uniquement en ce que celui-ci considérait l'interprétation normative litigieuse contraire au principe d'égalité garanti par l'article 13 de la Constitution (paragraphe 41-ci-dessus).
B. La jurisprudence de la Cour suprême
54. Dans un arrêt du 11 septembre 2008 (procédure interne no 08B1747), la Cour suprême a jugé qu'on ne pouvait considérer qu'un acquittement rendait à lui seul la détention provisoire d'une personne poursuivie non justifiée, en raison de l'absence de preuve de la culpabilité de l'intéressée, et encore moins que le maintien en détention était fondé sur une erreur grossière.
55. Dans un arrêt du 22 mars 2011 (procédure interne no 5715/04.1TVLSB.L1.S1), la Cour suprême a rappelé qu'il n'existait pas une responsabilité objective générale de l'État pour les dommages causés par les actes licites ordonnés dans l'exercice de la fonction judiciaire au point d'intégrer outre l'erreur judiciaire classique, l'administration normale de la justice en matière de détention et de prison maintenue de façon légale et justifiée.
I. Sur la violation alléguée de l'article 5 §§ 1 et 3 de la convention
56. Sans invoquer aucune disposition de la Convention, le requérant allègue avoir été placé et maintenu en détention provisoire malgré l'absence de motifs pertinents et suffisants.
57. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour examinera ces griefs sous l'angle de l'article 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes en l'espèce, est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
(...)
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
(...) »
A. Sur la recevabilité
1. Sur la recevabilité du grief fondé en substance sur l'article 5 § 1 c) de la Convention
a) Thèses des parties
58. Le Gouvernement soutient que le placement du requérant en détention provisoire a respecté les conditions matérielles et procédurales. Il en conclut que le requérant n'a pas été victime d'une détention contraire à l'article 5 § 1 de la Convention au moment de son placement en détention provisoire.
59. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il allègue que son placement en détention provisoire n'a pas respecté les conditions établies dans la loi et qu'il a été victime d'une détention arbitraire.
b) Appréciation de la Cour
i. Principes généraux
60. Comme cela ressort de son libellé, qu'il faut lire en combinaison avec, d'une part, l'alinéa a) et, d'autre part, le paragraphe 3, avec lequel elle forme un tout, la première branche de l'alinéa c) autorise uniquement des privations de liberté ordonnées dans le cadre d'une procédure pénale (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 182, 28 novembre 2017).
61. Pour être conforme à la première branche de l'alinéa c) de l'article 5 § 1, une arrestation ou détention doit remplir trois conditions. Premièrement, elle doit se fonder sur des « raisons plausibles de soupçonner » la personne concernée d'avoir commis une infraction, ce qui présuppose l'existence de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que cette personne peut avoir accompli l'infraction. Deuxièmement, elle doit avoir pour but de faire traduire l'intéressé devant « l'autorité judiciaire compétente », l'existence d'un tel but devant s'envisager indépendamment de sa réalisation. Troisièmement, comme toute privation de liberté au sens de l'article 5 § 1 de la Convention, une arrestation ou détention relevant de l'alinéa c) doit être « régulière » et avoir lieu « selon les voies légales » (ibidem, §§ 183-186, et les affaires qui y sont citées).
62. Dans le contexte de l'alinéa c) de l'article 5 § 1, la motivation de la décision ordonnant le placement en détention constitue un élément pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si la détention subie par une personne doit être ou non considérée comme arbitraire. Dans le cadre du premier volet de cette disposition, la Cour a jugé incompatible avec le principe de protection contre l'arbitraire consacré par l'article 5 § 1 l'absence totale de motivation de décisions judiciaires autorisant une détention pendant une période prolongée. À l'inverse, elle a considéré qu'une détention provisoire ne peut passer pour arbitraire dès lors que la juridiction interne a indiqué certains motifs justifiant le maintien en détention de l'intéressé, à moins que ceux-ci ne soient extrêmement laconiques et dépourvus de toute référence à des dispositions juridiques censées fonder la détention litigieuse (S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 92, 22 octobre 2018, et les affaires qui y sont citées).
63. Concernant le risque de récidive, la Cour rappelle que la gravité d'une inculpation peut conduire les autorités judiciaires à placer et laisser le suspect en détention provisoire pour empêcher des tentatives de nouvelles infractions. Encore faut-il, entre autres conditions, que les circonstances de la cause, et notamment les antécédents et la personnalité de l'intéressé, rendent plausible le danger et adéquate la mesure (Clooth c. Belgique, 12 décembre 1991, § 40, série A no 225).
ii. Application de ces principes en l'espèce
64. En l'espèce, la Cour note que, par une décision du juge d'instruction du 15 décembre 2010, le requérant a été placé en détention provisoire (paragraphe 6 ci-dessus), en application des articles 202 § 1 b) et 204 b) et c) du CPP (paragraphe 48 ci-dessus).
65. Elle relève ensuite que, pour justifier le placement en détention provisoire du requérant, le juge d'instruction s'est fondé sur les déclarations de la plaignante et du requérant pour considérer qu'il existait, outre des soupçons plausibles de viol contre lui, 1) un risque d'entrave à la justice étant donné que le requérant avait nié les faits et en avait imputé la responsabilité à M.C., 2) un risque de récidive puisqu'il avouait être en situation de carence affective et avait précédemment pris contact avec une autre femme en utilisant Internet, et 3) un risque de trouble à l'ordre public eu égard à la gravité des faits litigieux (paragraphe 6 ci-dessus).
66. Eu égard à ces constatations, la Cour ne décèle aucun élément susceptible de remettre en cause la régularité de la détention du requérant au regard du droit interne ou lui permettant de constater que cette mesure était arbitraire ou injustifiée (Denis et Irvine c. Belgique [GC], nos 62819/17 et 63921/17, § 123, 1er juin 2021, avec les références qui y sont citées).
67. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le grief tiré de l'article 5 § 1 c) est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. Sur la recevabilité du grief fondé en substance sur l'article 5 § 3 de la Convention
68. La Cour constate par ailleurs que le grief soulevé en substance sous l'angle de l'article 5 § 3 de la Convention n'est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour tout autre motif visé à l'article 35 de la Convention, elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond du grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention
1. Thèses des parties
a) Le requérant
69. Le requérant soutient qu'à partir du 25 janvier 2011, date à laquelle le rapport d'expertise de l'institut de médecine légale (« IML ») du 3 janvier 2011, a été versé au dossier (paragraphe 8 ci-dessus), il n'existait plus de raisons de le maintenir en détention provisoire. Il allègue que les décisions du juge d'instruction de confirmer cette mesure à partir de ce moment ne se fondaient pas sur des motifs pertinents et suffisants. Il affirme que ces décisions étaient répétitives et faisaient fi des moyens de preuve qu'il avait joints aux demandes qu'il avait formulées de lui appliquer une mesure alternative à la détention provisoire.
b) Le Gouvernement
70. Le Gouvernement affirme qu'il existait tant au moment du placement qu'au moment du maintien en détention du requérant des indices solides d'infraction contre celui-ci. Il réfute les allégations de l'intéressé selon lesquelles la version de la victime avait été démentie par le rapport de l'IML joint au dossier le 25 janvier 2011. Sur ce point, il note que si ledit rapport indiquait que la victime ne présentait pas de séquelles physiques cela ne signifiait pas l'absence d'un abus sexuel dès lors que de nombreux cas d'abus sexuels ne laissent aucune séquelle physique sur la victime.
71. Le Gouvernement observe que la durée de la détention provisoire du requérant était comprise entre le 15 décembre 2010 et le 6 septembre 2011 (paragraphes 6 et 26 ci-dessus), celle-ci n'ayant pas dépassé neuf mois. Il relève ensuite que la détention provisoire en question a fait l'objet de révisions trimestrielles périodiques par le juge d'instruction, auxquelles se sont ajoutées des révisions consécutivement à des demandes introduites par le requérant. Il constate enfin que les juridictions internes ont considéré qu'il n'y avait pas eu de changement pendant ce laps de temps et estime par conséquent qu'il existait bien des motifs pertinents et suffisants pour maintenir le requérant en détention provisoire.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
72. La période à prendre en considération commence lorsque l'individu est arrêté ou privé de sa liberté, et elle prend fin lorsqu'on le libère et/ou qu'il est statué, même par une juridiction de première instance (Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 290, 22 décembre 2020).
73. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une détention provisoire ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d'un accusé doit s'apprécier dans chaque cas d'après les faits et particularités de la cause. La poursuite de l'incarcération ne se justifie dans un cas donné que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d'intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d'innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l'article 5 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110 et suiv., CEDH 2000‑XI, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 139, 22 mai 2012).
74. D'après la jurisprudence constante de la Cour, la présomption est toujours en faveur de la libération. Comme la Cour l'a dit dans l'affaire Neumeister c. Autriche (27 juin 1968, p. 37, § 4, série A no 8), le second volet de l'article 5 § 3 - la mise en liberté pendant la procédure - n'offre pas aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et une mise en liberté provisoire dans l'attente du procès. Jusqu'à sa condamnation, la personne accusée doit être réputée innocente et la disposition analysée a essentiellement pour objet d'imposer la mise en liberté provisoire dès que le maintien en détention cesse d'être raisonnable (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 61, 10 mars 2009, et Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 89, 5 juillet 2016).
75. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité de son maintien en détention. Toutefois, lorsque les autorités judiciaires nationales apprécient pour la première fois, « aussitôt » après l'arrestation, s'il y a lieu de placer la personne arrêtée en détention provisoire, la persistance de raisons plausibles ne suffit plus et les autorités doivent aussi avancer d'autres motifs pertinents et suffisants pour justifier la détention, tels que le risque de fuite, le risque de pression sur les témoins ou d'altération de preuves, le risque de collusion, le risque de récidive, le risque de trouble à l'ordre public, ou encore la nécessité en découlant de protéger la personne faisant l'objet de la mesure privative de liberté (Buzadji, précité, §§ 87-88 et 101-102, et les affaires qui y sont citées). L'existence de ces risques doit être dûment établie, et le raisonnement des autorités à cet égard ne saurait être abstrait, général ou stéréotypé (Merabishvili, précité, § 222, et les affaires qui y sont citées).
76. Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans une affaire donnée, la détention provisoire subie par un accusé n'excède pas une durée raisonnable. À cette fin, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d'innocence, examiner toutes les circonstances de nature à faire admettre ou à faire écarter l'existence d'une exigence d'intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l'article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement (Buzadji, précité, § 91, et Idalov, précité, § 141).
77. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans les décisions rendues par les autorités judiciaires nationales relativement à la détention provisoire du requérant, ainsi que sur celle des arguments avancés par celui‑ci dans ses demandes de mise en liberté ou dans ses autres recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention (Merabishvili, précité, § 225, et les affaires qui y sont citées).
78. Dès lors que les motifs en question se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour doit également rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (S., V. et A. c. Danemark, précité, § 77, et Idalov, précité, § 140).
79. Les autorités doivent démontrer de manière convaincante que chaque période de détention, aussi courte fût-elle, était justifiée (Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003‑I). Lorsqu'elles décident si une personne doit être libérée ou détenue, elles doivent rechercher s'il n'y a pas d'autres moyens d'assurer sa comparution au procès (Idalov, précité, § 140). Il faut que la détention provisoire soit nécessaire (S., V. et A. c Danemark, précité, § 77).
b) Application de ces principes en l'espèce
80. La Cour observe que le requérant a été placé en détention provisoire et ainsi privé de liberté entre le 15 décembre 2010 et le 6 septembre 2011, soit pendant huit mois et vingt et un jours (paragraphes 6 et 26 ci-dessus) ce qui n'apparaît pas à première vue excessif eu égard à la gravité des faits qui lui étaient reprochés.
81. Elle relève ensuite que le maintien du requérant en détention provisoire a été réexaminé à quatre reprises, plus particulièrement, les 6 janvier, 10 mars, 3 mai et 14 juin 2011 (paragraphes 10, 12, 16 et 20 ci‑dessus), consécutivement à des demandes ponctuelles introduites par l'intéressé et dans le cadre du réexamen trimestriel de la détention provisoire prévu à l'article 213 du CPP (paragraphe 48 ci-dessus). En l'occurrence, le juge d'instruction a considéré qu'il y avait lieu de maintenir le requérant en détention provisoire étant donné que les circonstances qui étaient à l'origine de cette mesure n'avaient pas changé et, s'agissant de l'ordonnance du 14 juin 2011, parce que motifs qui avaient fondé le placement initial étaient renforcés par les réquisitions formulées dans l'acte d'accusation du parquet (paragraphes 6, 10, 12, 16 et 20 ci-dessus).
82. La Cour constate également que, faisant suite à l'appel du requérant contre la décision du juge d'instruction du 3 mai 2011 (paragraphes 16‑17 ci‑dessus), le 21 juillet 2011, la cour d'appel de Porto a confirmé qu'il y avait lieu de le maintenir en détention provisoire étant donné que les motifs qui justifiaient cette détention n'avaient pas changé (paragraphe 22 ci-dessus).
83. Aux yeux de la Cour, les autorités internes avaient des raisons de croire que les motifs de refus d'élargissement du requérant avaient gardé leur caractère pertinent et suffisant tout au long de la détention de l'intéressé pendant plus de huit mois. Certes, le maintien en détention provisoire du requérant s'est appuyé sur le raisonnement qui avait été retenu pour son placement initial en détention provisoire (paragraphe 6 ci-dessus). Cela s'explique toutefois eu égard au laps de temps relativement restreint entre lesdites décisions, ce qui témoigne d'une cohérence logique dans les raisons invoquées pour justifier le maintien en détention (voir, parmi autres et mutatis mutandis, Kocsan et Morar c. Roumanie (déc.), nos 28569/10 et 30977/10, § 28, 6 octobre 2015, Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08, 22 mars 2011, et Gaspar c. Portugal, no 3155/15, § 65, 28 novembre 2017). Quant à la thèse du requérant selon laquelle celui‑ci aurait dû être libéré dès le versement au dossier du rapport de l'IML du 3 janvier 2011, qui indiquait que la plaignante ne présentait pas de séquelles physiques (paragraphe 69 ci-dessus), la Cour observe qu'il s'agissait d'un rapport préliminaire devant être complété par des éléments supplémentaires afin d'établir un bilan exhaustif (paragraphe 8 ci-dessus). En outre, la Cour ne peut que se référer au rapport final du 12 septembre 2011 qui rappelait que l'absence de séquelles physiques ne pouvait à elle seule indiquer l'absence d'abus sexuel (paragraphe 27 ci‑dessus).
84. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le maintien du requérant en détention provisoire pendant huit mois et vingt et un jours n'a pas contrevenu aux exigences de l'article 5 § 3 de la Convention.
85. Partant, elle conclut qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition.
II. Sur la violation de l'article 5 § 5 de la Convention
86. Sans invoquer aucune disposition de la Convention, le requérant se plaint que son droit à obtenir réparation pour l'irrégularité alléguée de sa détention ait été méconnu. La Cour estime approprié d'examiner ce grief sous l'angle de l'article 5 § 5 de la Convention qui est ainsi libellé :
« Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
A. Thèses des parties
1. Le requérant
87. Le requérant soutient qu'il aurait dû obtenir une réparation pour sa privation de liberté, qu'il estime contraire à l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.
2. Le Gouvernement
88. Le Gouvernement réitère sa position selon laquelle aucune violation de l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention n'est à relever, et il considère, par conséquent, que l'article 5 § 5 de la Convention n'a pas été enfreint.
89. Il relève aussi que l'acquittement du requérant en droit interne n'implique pas l'obligation de réparation. D'après lui, pour déterminer le droit à réparation, il faut se situer au moment où la détention provisoire a été ordonnée et non pas au moment où l'accusé a été acquitté. Les critères sont donc différents lorsqu'il s'agit d'appliquer une mesure de détention provisoire ou de condamner une personne. Dans le premier cas, seuls sont exigés des indices solides de culpabilité alors que, dans le second cas, la preuve de la culpabilité est requise.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
90. La Cour rappelle que l'article 5 § 5 se trouve respecté dès lors que l'on peut demander réparation du chef d'une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4. Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu'une violation de l'un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les organes de la Convention. À cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garanti par cette dernière disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 182, CEDH 2012, et N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X).
91. La Cour rappelle par ailleurs que pour qu'elle conclue à la violation de l'article 5 § 5, il doit être établi que le constat de violation d'un des autres paragraphes de l'article 5 ne pouvait, avant l'arrêt concerné de la Cour, ni ne peut, après cet arrêt, donner lieu à une demande d'indemnité devant les juridictions nationales (Stanev, précité, § 184).
2. Application de ces principes en l'espèce
92. En l'espèce, la Cour note qu'elle a déclaré irrecevable le grief que le requérant soulevait sur le terrain de l'article 5 § 1 c) de la Convention et qu'elle a conclu à la non-violation de l'article 5 § 3 (paragraphes 67 et 85 ci‑dessus). En outre, aucune instance nationale n'a dit que la détention du requérant était illégale.
93. Aussi, le grief formulé sur le terrain de l'article 5 § 5 doit être rejeté pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 2 de la convention
94. Le requérant allègue que l'article 225 du CPP (paragraphe 48 ci‑dessus) et l'interprétation de cette disposition faite par les juridictions internes ont porté atteinte à son droit à la présomption d'innocence tel que prévu par l'article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
A. Sur la recevabilité
95. Le Gouvernement ne conteste pas l'applicabilité de l'article 6 § 2 de la Convention en l'espèce. La Cour estime qu'il convient toutefois de se pencher sur la question.
1. Principes généraux
96. Comme l'indique expressément son libellé même, l'article 6 § 2 s'applique lorsqu'une personne est « accusée d'une infraction ». Il s'agit là d'une notion autonome (Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 95, CEDH 2013). L'appréciation de l'applicabilité de l'article 6 sous son volet pénal repose sur trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier de ces critères est la qualification juridique de l'infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l'infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l'intéressé (Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, § 75, 22 décembre 2020). Pour apprécier un grief tiré de l'article 6 § 2 et né dans le contexte d'une procédure judiciaire, il faut avant tout déterminer si la procédure litigieuse portait sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale, au sens de la jurisprudence de la Cour (Allen, précité, § 95).
97. Cependant, dans les affaires qui mettent en jeu le second aspect de la protection offerte par l'article 6 § 2, qui surgit lors de la clôture d'une procédure pénale, l'application du critère précédent est clairement inappropriée. Dans ces affaires, la procédure pénale est nécessairement close et, à moins que la procédure judiciaire subséquente donne lieu à une nouvelle accusation en matière pénale, au sens autonome de la Convention, si l'article 6 § 2 trouve à s'appliquer ce doit être pour d'autres motifs (ibidem, § 96).
98. En pareil contexte, la présomption d'innocence signifie que si une accusation en matière pénale a été portée et que les poursuites ont abouti à un acquittement, la personne ayant fait l'objet de ces poursuites est considérée comme innocente au regard de la loi et doit être traitée comme telle. Dans cette mesure, dès lors, la présomption d'innocence subsiste après la clôture de la procédure pénale, ce qui permet de faire respecter l'innocence de l'intéressé relativement à toute accusation dont le bien-fondé n'a pas été prouvé. Ce souci prépondérant se trouve à la base même de la façon dont la Cour conçoit l'applicabilité de l'article 6 § 2 dans ce type d'affaires (ibidem, § 103).
99. Chaque fois que la question de l'applicabilité de l'article 6 § 2 se pose dans le cadre d'une procédure ultérieure, le requérant doit démontrer l'existence d'un lien - tel que celui évoqué plus haut - entre la procédure pénale achevée et l'action subséquente. Pareil lien peut être présent, par exemple, lorsque l'action ultérieure nécessite l'examen de l'issue de la procédure pénale et, en particulier, lorsqu'elle oblige la juridiction concernée à analyser le jugement pénal, à se livrer à une étude ou à une évaluation des éléments de preuve versés au dossier pénal, à porter une appréciation sur la participation du requérant à l'un ou à l'ensemble des événements ayant conduit à l'inculpation, ou à formuler des commentaires sur les indications qui continuent de suggérer une éventuelle culpabilité de l'intéressé (ibidem, § 104 ; voir aussi Nealon et Hallam c. Royaume-Uni [GC], nos 32483/19 et 35049/19, § 122, 11 juin 2024).
2. Application de ces principes en l'espèce
100. En l'espèce, la Cour note que la procédure civile engagée par le requérant sur le fondement de l'article 225 du CPP (paragraphe 48 ci-dessus) visait l'obtention d'une indemnité pour détention illégale ou non justifiée ordonnée dans le cadre de la procédure pénale au terme de laquelle l'intéressé avait bénéficié d'un acquittement par le tribunal de Póvoa de Varzim le 6 octobre 2011 (paragraphes 29 et 31 ci-dessus). C'est donc le second volet de l'article 6 § 2 de la Convention qui est en cause dans la présente espèce. Étant donné que le requérant réclamait une indemnité au titre de l'article 225 § 1 c) du CPP (paragraphes 31, 33 et 48 ci-dessus), les juridictions civiles saisies étaient appelées à se pencher sur l'issue de la procédure pénale close. La Cour estime qu'il existait bien un lien entre les deux procédures, l'article 6 § 2 de la Convention trouvant ainsi à s'appliquer à la procédure civile engagée par le requérant pour obtenir réparation pour une détention provisoire qu'il juge illégale ou non justifiée (à comparer avec Del Latte c. Pays-Bas, no 44760/98, § 30, 9 novembre 2004, Lorenzetti c. Italie, no 32075/09, § 43, 10 avril 2012, et Cheema c. Belgique, no 60056/08, § 24, 9 février 2016 ; voir également, a contrario, McCann et Healy c. Portugal, no 57195/17, § 110, 20 septembre 2022).
101. Constatant, par ailleurs, que ce grief n'est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
102. Le requérant estime que l'interprétation faite de l'article 225 § 1 du CPP (paragraphe 48 ci-dessus), selon laquelle il lui incombait de prouver qu'il n'était pas l'auteur des faits à l'origine de la détention provisoire litigieuse, porte atteinte à l'article 6 § 2 de la Convention.
103. Il expose que l'article 27 § 5 de la Constitution reconnaît le droit de toute personne à être indemnisée pour toute privation de liberté contraire à la Constitution ou à la loi (paragraphe 43 ci-dessus). Il soutient que l'alinéa c) de l'article 225 § 1 du CPP est contraire à l'article 6 § 2 de la Convention dès lors que l'alinéa c) prévoit des critères rigides qui seraient difficiles à appliquer. Plus particulièrement, il estime que ces critères portent préjudice à tout accusé ayant bénéficié d'un acquittement en vertu du principe in dubio pro reo. Il se réfère à cet égard aux arrêts de la Cour Sekanina c. Autriche (25 août 1993, série A no 266-A), Capeau c. Belgique (no 42914/98, CEDH 2005-I), Baars c. Pays-Bas (no 44320/98, 28 octobre 2003), et Puig Panella c. Espagne (no 1483/02, 25 avril 2006).
b) Le Gouvernement
104. Se référant à l'affaire Lorenzetti (précitée), le Gouvernement explique que l'ajout de l'alinéa c) au paragraphe 1 de l'article 225 a été consécutif à la loi no 48/2007 du 29 août 2007, avec pour objectif d'élargir la possibilité d'obtenir une indemnité dans les cas où l'innocence de l'accusé n'a pas été établie dans le jugement d'acquittement lorsque, par exemple, l'intéressé a été acquitté en raison du principe in dubio pro reo. D'après la jurisprudence interne, dans une telle situation, le demandeur doit prouver qu'il n'a pas été l'auteur de l'infraction litigieuse. Le Gouvernement observe que, comme l'indique l'arrêt de la cour d'appel de Porto (paragraphe 36 ci‑dessus), il s'agit en l'occurrence de prévoir une réparation pour une détention subie du fait d'un dysfonctionnement de la machine judiciaire, dysfonctionnement qui est établi lorsqu'il s'avère que l'accusé a subi une privation de liberté pour un crime pour lequel il a été prouvé qu'il ne l'avait pas commis.
105. D'après le Gouvernement, même si le fondement de l'alinéa c) du premier paragraphe de l'article 225 peut paraître contraire à la jurisprudence de la Cour, tout bien considéré, il n'y a pas eu atteinte à la présomption d'innocence du requérant, les juridictions internes ayant simplement décidé de ne pas lui octroyer de réparation en raison de la détention provisoire à laquelle il avait été soumis dès lors que celle-ci leur était apparue légale et justifiée. Le Gouvernement conclut donc à l'absence de violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
106. L'article 6 § 2 protège le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d'innocence impose des conditions concernant notamment la charge de la preuve, les présomptions de fait et de droit, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la publicité pouvant être donnée à l'affaire avant la tenue du procès et la formulation par le juge du fond ou toute autre autorité publique de déclarations prématurées quant à la culpabilité d'un accusé (Allen, précité, § 93, et Nealon et Hallam, précité, § 101). Dans l'exercice de leurs fonctions, les membres du tribunal ne doivent pas partir de l'idée préconçue que l'accusé a commis l'acte qui lui est reproché. En outre, le doute doit profiter à l'accusé (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 77, série A no 146).
107. Compte tenu toutefois de la nécessité de veiller à ce que le droit garanti par l'article 6 § 2 soit concret et effectif, la présomption d'innocence revêt aussi un autre aspect. Son but général, dans le cadre de ce second volet, est d'empêcher que des individus qui ont bénéficié d'un acquittement ou d'un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s'ils étaient en fait coupables de l'infraction leur ayant été imputée (Nealon et Hallam, précité, § 108). Dans de telles situations, la présomption d'innocence a déjà permis - par l'application lors du procès des diverses exigences inhérentes à la garantie procédurale qu'elle offre - d'empêcher que soit prononcée une condamnation pénale injuste. Sans protection destinée à faire respecter dans toute procédure ultérieure un acquittement ou une décision d'abandon des poursuites, les garanties d'un procès équitable énoncées à l'article 6 § 2 risqueraient de devenir théoriques et illusoires (Allen, précité, § 94). La Cour a considéré qu'« après l'abandon de poursuites pénales la présomption d'innocence exige de tenir compte, dans toute procédure ultérieure, de quelque nature qu'elle soit, du fait que l'intéressé n'a pas été condamné » (ibidem, § 102).
108. Quelle que soit la nature de la procédure ultérieure liée, et que le procès pénal se soit soldé par un acquittement ou par un abandon des poursuites, les décisions et raisonnements exposés par les autorités internes - juridictionnelles ou autres - dans cette procédure ultérieure liée, considérés comme un tout et à l'aune de l'exercice auquel le droit interne avait appelé celles-ci à se livrer, emporteront violation de l'article 6 § 2 de la Convention dans son second aspect s'ils reviennent à imputer une responsabilité pénale au requérant. Imputer une responsabilité pénale à une personne, c'est refléter le sentiment que celle-ci est coupable au regard de la norme régissant l'établissement de la culpabilité pénale, ce qui laisse supposer que l'issue de la procédure pénale aurait dû être différente (Nealon et Hallam, précité, § 168, et références citées).
109. Cette approche se justifie par le fait que, au niveau national, les juges peuvent être saisis, hors du cadre pénal, d'affaires nées des mêmes faits que ceux sur lesquels reposait un chef d'accusation antérieur qui n'a pas abouti à une condamnation. La protection offerte par l'article 6 § 2 dans son second aspect ne doit pas être interprétée d'une manière qui empêcherait les juridictions nationales, au cours d'une procédure ultérieure - dans le cadre de laquelle elles exerceraient une fonction autre que celle du juge pénal, conformément aux dispositions pertinentes du droit interne –, de se pencher sur les mêmes faits qui ont été tranchés lors de la procédure pénale antérieure - à condition qu'elles le fassent sans imputer une quelconque responsabilité pénale à l'intéressé. Une personne qui a bénéficié d'un acquittement ou d'un abandon des poursuites restera soumise à l'application ordinaire des règles de droit interne régissant l'administration de la preuve et les critères de preuve hors du cadre du procès pénal (ibidem, § 169).
110. La Cour rappelle par ailleurs qu'en matière de respect de la présomption d'innocence, les termes employés par l'autorité qui statue revêtent une importance cruciale lorsqu'il s'agit d'apprécier la compatibilité avec l'article 6 § 2 de la décision et du raisonnement suivi (voir, à titre de comparaison, Allen, précité, § 126, et la jurisprudence qui s'y trouve citée). Il faut tenir compte, à cet égard, de la nature et du contexte dans lesquels les déclarations litigieuses ont été faites. La Cour doit déterminer le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées (voir, à titre de comparaison, Petyo Petkov c. Bulgarie, no 32130/03, § 90, 7 janvier 2010). En fonction des circonstances, même l'usage de termes malencontreux peut ne pas être jugé contraire à l'article 6 § 2 (voir, à titre de comparaison, Englert c. Allemagne, 25 août 1987, §§ 39 et 41, série A no 123, Allen, précité, § 126, et Cleve c. Allemagne, no 48144/09, §§ 54-55, 15 janvier 2015).
111. Il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée ci-dessus que pour déterminer si une déclaration ou une décision est conforme à l'article 6 § 2, il faut absolument tenir compte de la nature et du contexte de la procédure dans le cadre de laquelle la déclaration a été faite ou la décision rendue (Bikas c. Allemagne, no 76607/13, § 47, 25 janvier 2018).
b) Application de ces principes en l'espèce
112. En l'espèce, la Cour observe que la violation alléguée de la présomption d'innocence résulte d'une procédure en responsabilité civile engagée par le requérant contre l'État devant le tribunal de Póvoa de Varzim, pour obtenir réparation des préjudices que l'intéressé estimait avoir subis en raison de sa détention provisoire dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre lui du chef de viol, laquelle avait abouti à un acquittement en première instance devenu définitif (paragraphes 29-31 ci-dessus).
113. La question qui se pose n'est pas de savoir si le refus d'indemnisation a en soi emporté violation du droit du requérant à être présumé innocent. En l'occurrence, la Cour rappelle sur ce point que l'article 6 § 2 ne garantit pas à un ancien accusé un droit à réparation pour une détention provisoire régulière ou un droit au remboursement de ses frais lorsque les poursuites sont par la suite abandonnées ou aboutissent à un acquittement (Nealon et Hallam, précité, § 164, et Allen, précité, § 82 et les références qui y sont citées). Le simple refus d'indemnisation ne se heurte donc pas en soi à la présomption d'innocence (voir, mutatis mutandis, Minelli précité, §§ 34-35, Nölkenbockhoff c. Allemagne, 25 août 1987, § 36, série no 123, et Capeau précité, § 23).
114. À l'aune de sa jurisprudence exposée au paragraphe 108 ci-dessus, la question qui se pose est plutôt de savoir si le refus d'indemnisation a imputé une responsabilité pénale au requérant.
115. En l'espèce, les juridictions internes ont rejeté la demande d'indemnisation formée par le requérant après avoir jugé que sa situation n'entrait dans aucune de celles énumérées à l'article 225 § 1 du CPP (paragraphe 48 ci-dessus).
116. Premièrement, elles ont estimé que la détention provisoire n'était pas illégale au sens de l'article 225 § 1 a) du CPP puisqu'elle avait été ordonnée par le juge d'instruction et dans les délais établis par la loi.
117. Deuxièmement, elles ont considéré qu'il existait des soupçons plausibles d'infraction contre le requérant ainsi que des motifs pertinents et suffisants de le maintenir en détention provisoire et, par conséquent, qu'aucune erreur grossière au sens de l'article 225 § 1 b) du CPP n'avait été commise dans le placement et le maintien du requérant en détention provisoire (paragraphes 32, 35 et 36 ci-dessus).
118. Pour finir les juridictions ont rejeté la prétention du requérant au regard de l'article 225 § 1 c) du CPP. Le tribunal de Póvoa de Varzim s'est fondé sur le fait que l'intéressé avait été acquitté parce qu'il n'avait pas été établi que la victime alléguée avait été contrainte par le requérant à accomplir l'acte sexuel litigieux, et non parce qu'il avait été prouvé qu'elle avait consenti à se livrer à cet acte (paragraphe 32 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, cela équivaut à dire que l'acquittement se fondait sur l'absence de preuves de culpabilité, et non sur l'établissement de l'innocence de l'accusé. La cour d'appel de Porto et la Cour suprême se sont quant à elles limitées à se conformer à l'exigence posée à l'article 225 § 1 c) du CPP en jugeant que, bien qu'ayant été acquitté en vertu du principe in dubio pro reo, le requérant n'avait pas apporté la preuve qu'il n'avait pas commis l'infraction pénale en cause et qu'il n'avait donc pas satisfait à l'exigence prévue à l'article 225 § 1 c) du CPP (paragraphes 36 et 38 ci-dessus).
119. Le requérant soutient que l'exigence posée à l'alinéa c) de l'article 225 § 1 du CPP et l'interprétation faite de cette disposition par les juridictions internes sont incompatibles avec l'article 6 § 2 de la Convention (paragraphes 48 et 102-103 ci-dessus). La Cour note que, pour prétendre à une indemnité au titre d'une détention provisoire fondée sur l'article 225 § 1 c) du CPP, l'intéressé doit apporter la preuve soit qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction ayant fondé sa détention provisoire soit qu'il a agi de façon justifiée. La présente espèce se rapproche ainsi de l'affaire récente Nealon et Hallam, précitée, bien que la procédure à l'origine de l'affaire soit différente. En effet, dans cette affaire, les requérants avaient purgé des peines d'emprisonnement consécutivement à des condamnations pénales qui avaient par la suite été annulées au motif qu'elles ne reposaient pas sur des bases solides (« unsafe ») (Nealon et Hallam, précité, §§ 23 et 24). Ils avaient alors formé une demande d'indemnisation pour erreur judiciaire en se fondant sur le critère énoncé à l'article 133(1ZA) de la loi sur la justice pénale (Criminal Justice Act) de 1988 aux termes duquel il existe une erreur judiciaire, pouvant donner lieu à réparation, lorsqu'un fait nouveau ou nouvellement révélé, ayant conduit à l'annulation d'un jugement de condamnation, montre au-delà de tout doute raisonnable que la personne concernée n'a pas commis l'infraction (ibidem, précité, § 80). Leurs demandes avaient cependant été rejetées au motif que le ministre de la Justice n'était pas convaincu que leurs condamnations avaient été annulées parce qu'un fait nouveau ou nouvellement révélé montrait au-delà de tout doute raisonnable qu'ils n'avaient pas commis les infractions en question. Dans son arrêt, la Cour a estimé qu'un constat négatif selon lequel il n'a pas pu être démontré, à l'aune du critère de preuve très strict de l'absence de tout doute raisonnable, que le demandeur n'avait pas commis d'infraction - sur le fondement d'un fait nouveau ou nouvellement révélé ou sur un autre fondement - n'était pas assimilable à un constat positif selon lequel il avait commis l'infraction (ibidem, § 180). Elle a alors conclu que le rejet d'une demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 133(1ZA) n'était pas incompatible avec le fait que la personne concernée demeurait innocente au sens juridique du terme (ibidem, § 181).
120. En l'espèce, les juridictions internes et le Gouvernement (paragraphes 36, 38 et 104 ci-dessus) expliquent qu'en introduisant l'alinéa c) au paragraphe 1 de l'article 225 du CPP, dans le cadre de la réforme dudit code apporté par la loi no 48/2007 du 29 août 2007, l'intention du législateur était d'élargir la possibilité d'obtenir une indemnité pour les anciens accusés qui avaient été détenus dans le cadre d'une procédure pénale ayant abouti à un acquittement en raison de l'absence de preuves de leur culpabilité.
121. Or, comme il a été relevé ci-dessus, l'article 225 § 1 c) du CPP prévoit l'indemnisation du demandeur s'il est établi que celui-ci n'est pas l'auteur de l'infraction en cause. S'il n'est pas établi dans le cadre de la procédure pénale que le demandeur n'a pas commis l'infraction en question parce que l'abandon des poursuites ou l'acquittement s'est fondé sur l'absence de preuves de culpabilité, il revient à l'intéressé, dans le cadre de la procédure en responsabilité civile intentée contre l'État, de prouver qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction ou qu'il a agi de façon justifiée. En effet, comme dans toute procédure civile, conformément au principe affirmanti incumbit probatio énoncé à l'article 342 du CC (paragraphe 46 ci-dessus), il lui appartient de prouver ce qu'il allègue, à savoir en l'occurrence qu'il n'a pas commis ladite infraction ou qu'il a agi de façon justifiée aux termes de l'article 225 § 1 c) du CPP (comparer avec Bok c. Pays-Bas, no 45482/06, §§ 43-46, 18 janvier 2011, et Ilias Papageorgiou c. Grèce, no 44101/13, § 53, 10 décembre 2020), dès lors que les juridictions civiles ne sont pas liées par le jugement rendu à l'issue de la procédure pénale (voir, mutatis mutandis, Fleischner c. Allemagne, no 61985/12, § 68, 3 octobre 2019, avec les références ultérieures).
122. Dans la présente espèce, pour justifier le rejet de la demande d'indemnisation du requérant, les juridictions internes ont considéré que la condition posée à l'article 225 § 1 c) du CPP n'était pas remplie dès lors que l'intéressé n'avait pas apporté la preuve qu'il n'était pas l'auteur de l'infraction pénale, alors qu'il avait été acquitté sur la base de l'absence de preuves de culpabilité, autrement dit, sur le bénéfice du doute. Aux yeux de la Cour, en se prononçant ainsi, les juridictions internes se sont limitées à appliquer un critère légal, certes restrictif, mais elles n'ont pas remis en cause le jugement d'acquittement rendu par le tribunal de Póvoa de Varzim, le requérant demeurant innocent au sens juridique du terme (comparer avec Nealon et Hallam, précité, § 181).
123. La Cour estime, par ailleurs, que le langage employé par les juridictions internes ne reflète pas le sentiment que le requérant était coupable de l'infraction en cause et que l'issue de la procédure pénale aurait dû être différente (comparer avec Lorenzetti, précité, § 47, et Ilias Papageorgiou, précité, § 55 ; voir également, a contrario, Baars c. Pays-Bas, no 44320/98, §§ 29-31, 28 octobre 2003, Del Latte, précité, §§ 32-33, Farzaliyev c. Azerbaïdjan, no 29620/07, §§ 66-67, 28 mai 2020, et Pasquini c. Saint‑Marin (no 2), no 23349/17, § 64, 20 octobre 2020). En effet, celles‑ci ont uniquement examiné les circonstances ayant abouti au placement puis au maintien en détention provisoire du requérant, sans remettre en cause l'acquittement qui avait été rendu à l'issue de la procédure pénale (paragraphes 32, 35-36 et 38 ci-dessus).
124. En bref, la Cour estime que les juridictions civiles internes, en rejetant la demande d'indemnisation du requérant, n'ont pas imputé l'infraction pénale à celui-ci. Elles n'ont donc pas porté atteinte à la présomption d'innocence du requérant dans son second aspect.
125. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant aux griefs fondés sur les articles 5 § 3 et 6 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 février 2025, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Simeon Petrovski Lado Chanturia
Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée du juge Chanturia.
S.P.
L.C.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE CHANTURIA
(Traduction)
1. Avec tout le respect que je dois à la majorité, je ne puis souscrire à sa conclusion selon laquelle il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention. À mon avis, dans le cadre de la procédure civile ultérieure, les juridictions internes ont méconnu la présomption d'innocence du requérant en déclarant que « le requérant n'avait pas apporté la preuve qu'il n'avait pas commis l'infraction pénale en cause » (paragraphes 36 et 38 de l'arrêt) alors qu'il avait été acquitté dans le cadre de la procédure pénale. En d'autres termes, les juridictions internes ont rejeté la demande du requérant au motif que celui-ci n'avait pas apporté la preuve de l'absence de commission d'infraction pénale.
2. L'article 6 § 2 garantit le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Pour faire en sorte que ce droit soit concret et effectif, la Cour, avec le temps, a dégagé un « second aspect » de la présomption d'innocence, qui entre en jeu à la clôture de la procédure pénale par un acquittement ou par un abandon des poursuites (Nealon et Hallam c. Royaume-Uni [GC], nos 32483/19 et 35049/19, §§ 101-102, 11 juin 2024). Le « second aspect » interdit l'imputation d'une culpabilité à toute personne définitivement acquittée à l'issue d'un procès pénal.
3. En l'espèce, le requérant a été acquitté au pénal faute de preuves. Or, dans le cadre de la procédure civile ultérieure, sa demande a été rejetée au motif qu'il n'avait pas été en mesure de prouver qu'il n'avait pas commis d'infraction. De fait, les juridictions internes ont procédé à un nouvel examen de la question de savoir si le requérant avait commis l'infraction pénale en cause, alors même que son innocence avait été confirmée par son acquittement dans le cadre de la procédure pénale antérieure. En outre, les juridictions civiles ont inversé la charge de la preuve, ce qui est incompatible avec la présomption d'innocence.
4. Selon l'arrêt de Grande Chambre Nealon et Hallam (précité), les décisions et raisonnements exposés par les autorités internes – juridictionnelles ou autres – dans une procédure ultérieure liée, considérés comme un tout et à l'aune de l'exercice auquel le droit interne a appelé celles‑ci à se livrer, emportent violation de l'article 6 § 2 de la Convention dans son second aspect s'ils reviennent à imputer une responsabilité pénale au requérant. Imputer une responsabilité pénale à une personne, c'est refléter le sentiment que celle-ci est coupable au regard de la norme régissant l'établissement de la culpabilité pénale (ibidem, § 168), ce qui laisse supposer que l'issue de la procédure pénale aurait dû être différente.
5. En l'espèce, les juridictions internes ont reflété le sentiment d'imputer une responsabilité pénale au requérant puisqu'il n'était pas en mesure d'apporter la preuve qu'il n'avait pas commis l'infraction alléguée. Il est difficile d'imaginer quel type de preuve il aurait pu produire, alors que les juridictions pénales, qui avaient déjà soigneusement examiné l'affaire, étaient parvenues à la conclusion qu'il n'existait pas de preuve de la culpabilité du requérant.
6. Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt Nealon et Hallam (précité, § 169), « au niveau national, les juges peuvent être saisis, hors du cadre pénal, d'affaires nées des mêmes faits que ceux sur lesquels reposait un chef d'accusation antérieur qui n'a pas abouti à une condamnation. La protection offerte par l'article 6 § 2 dans son second aspect ne doit pas être interprétée d'une manière qui empêcherait les juridictions nationales, au cours d'une procédure ultérieure (...), de se pencher sur les mêmes faits qui ont été tranchés lors de la procédure pénale antérieure - à condition qu'elles le fassent sans imputer une quelconque responsabilité pénale à l'intéressé ».
7. Toutefois, si, au cours de la procédure ultérieure, les juridictions internes devaient réexaminer les acquittements prononcés dans le cadre de la procédure pénale, la protection garantie par l'article 6 § 2 deviendrait théorique et illusoire. Malheureusement, les juridictions internes ont imputé une responsabilité pénale au requérant en remettant indirectement en cause l'acquittement dont il avait antérieurement bénéficié.
8. Si l'article 6 § 2 ne garantit pas à une personne accusée d'avoir commis une infraction pénale un droit à réparation pour une détention provisoire régulière ou un droit au remboursement de ses frais lorsque les poursuites sont par la suite abandonnées ou aboutissent à un acquittement (Nealon et Hallam, précité, § 164), cette disposition ne permet pas aux juridictions internes de rejeter la demande d'indemnisation en procédant à un réexamen de l'issue de la procédure pénale antérieure et de l'innocence du requérant. En l'espèce, dès lors que la détention provisoire du requérant était régulière et que l'acquittement prononcé dans le cadre de la procédure pénale n'a pas rendu cette détention provisoire irrégulière, la demande d'indemnisation aurait pu être rejetée sans faire référence à l'article 225 § 1 c) du code de procédure pénale et sans remettre en cause la présomption d'innocence du requérant.
9. Dans son opinion dissidente, le juge R. de la Cour suprême du Portugal a souligné à juste titre qu'il était inadmissible d'exiger du requérant qu'il prouve son innocence dans le cadre de la procédure civile : « (...) Si l'accusé a été acquitté de l'infraction pénale, en vertu du principe in dubio pro reo, en raison du fait que le tribunal n'a pas obtenu la conviction forte qu'il était coupable, il est inadmissible d'exiger de lui qu'il prouve son innocence dans le cadre d'une action civile.
(...) dans des affaires relatives à des législations similaires à la législation portugaise, la CEDH a considéré qu'en cas d'acquittement en vertu du principe in dubio pro reo, il ne doit pas être exigé à l'accusé qu'il prouve son innocence, car il s'agit d'un acte a posteriori qui porterait atteinte au principe de la présomption d'innocence (article 6 § 2 de la CEDH) qui s'applique de façon directe (...) (paragraphe 39 de l'arrêt).
10. C'est donc avec regret que je ne puis souscrire à la conclusion formulée au paragraphe 123 de l'arrêt, selon laquelle « le langage employé par les juridictions internes ne reflète pas le sentiment que le requérant était coupable de l'infraction en cause et que l'issue de la procédure pénale aurait dû être différente ».
11. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.