Granulines Invest ( Right to deduct input VAT - Order) French Text [2025] EUECJ C-270/24_CO (14 February 2025)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/C27024_CO.html
Cite as: ECLI:EU:C:2025:106, [2025] EUECJ C-270/24_CO, EU:C:2025:106

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ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

14 février 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 167, 168, 178, 220 et 226 – Droit à déduction de la TVA payée en amont – Refus – Fraude – Preuve – Recours à un revendeur dans le but de bénéficier d’un programme de crédit – Article 219 et article 226, point 7 – Mentions devant obligatoirement figurer sur la facture – Date à laquelle la livraison de biens est effectuée – Rectification de la facture »

Dans l’affaire C‑270/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 3 avril 2024, parvenue à la Cour le 17 avril 2024, dans la procédure

Granulines Invest Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Commission européenne, par M. V. Bottka, Mmes P. Carlin et O. Dani, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, notamment, des articles 167, 168, 178 et 226 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Granulines Invest Kft. au Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et douanes, Hongrie) au sujet du droit de Granulines Invest de déduire du montant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont elle est redevable la TVA qu’elle a acquittée en amont au titre d’une facture d’achat de machines.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 167 de la directive TVA prévoit que le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. 

4        Aux termes de l’article 168 de cette directive :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

5        L’article 178 de ladite directive prévoit :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;

[...] »

6        L’article 219 de la même directive énonce :

« Est assimilé à une facture tout document ou message qui modifie la facture initiale et y fait référence de façon spécifique et non univoque. »

7        L’article 220, paragraphe 1, de la directive TVA est libellé comme suit :

« Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

1)      pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

[...] »

8        L’article 226 de cette directive prévoit :

« Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

[...]

6)      la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus ;

7)      la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services [...], dans la mesure où une telle date est déterminée et différente de la date d’émission de la facture ;

[...] »

 Le droit hongrois

9        L’article 119 de l’általános  forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2007, relative à la taxe sur la valeur ajoutée) (Magyar Közlöny 2007/155.) dispose, à son paragraphe 1 :

« À moins que la loi n’en dispose autrement, le droit à déduction de la taxe prend naissance lorsqu’il faut établir la taxe due correspondant à la taxe calculée en amont (article 120) [...] »

10      L’article 120 de cette loi énonce :

« Dans la mesure où les biens ou les services sont utilisés, ou autrement exploités, par l’assujetti - et en cette qualité - en vue d’effectuer des livraisons de biens ou des prestations de services taxées, celui-ci a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable :

a)      la taxe qui lui est facturée par tout autre assujetti - y compris toute personne ou entité soumise à l’impôt simplifié sur les sociétés - à l’occasion de l’acquisition des biens ou de l’utilisation des services.

[...] »

11      L’article 127, paragraphe 1, de ladite loi est libellé comme suit :

« L’exercice du droit à déduction est subordonné à la condition de fond que l’assujetti dispose personnellement :

a)      dans le cas visé à l’article 120, sous a), d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération ;

[...] » 

12      L’article 1er de l’adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény (loi no XCII de 2003, portant code de procédure fiscale) (Magyar Közlöny 2003/131.), dans sa version applicable à la date des faits du litige au principal (ci-après le « code de procédure fiscale »), prévoyait, à son paragraphe 7 :

« Les contrats, opérations et autres actes similaires doivent être qualifiés en fonction de leur contenu réel. Un contrat ou tout autre acte juridique dépourvu de validité est pertinent au regard de l’imposition pour autant que son résultat économique peut être démontré. »

13      L’article 2 du code de procédure fiscale disposait, à son paragraphe 1 :

« Les droits exercés dans les rapports juridiques intéressant la fiscalité doivent l’être conformément à leur destination. Dans l’application des lois fiscales, ne peut être qualifiée d’exercice des droits conforme à leur destination la conclusion de contrats ou la réalisation d’autres opérations dont la finalité est de contourner les dispositions des lois fiscales. »

14      L’article 170, paragraphe 1, du code de procédure fiscale énonçait :

« En cas d’insuffisance de paiement de l’imposition, le paiement d’une amende fiscale est dû. Le montant de l’amende s’élève, sauf disposition contraire de la présente loi, à 50 % du montant impayé. Le montant de l’amende s’élèvera à 200 % du montant impayé si la différence par rapport au montant à payer est liée à la dissimulation de revenus, ou à la falsification ou à la destruction d’éléments de preuve, de livres comptables ou d’enregistrements. Une amende fiscale est également infligée par les autorités fiscales lorsque le contribuable présente sans y avoir droit une demande d’aide ou de remboursement d’impôt ou une déclaration relative à un avoir, une aide ou un remboursement et que l’administration a constaté l’absence de droit en ce sens du contribuable avant l’allocation. L’assiette de l’amende est égale en ce cas au montant indûment réclamé. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Granulines Invest est une société établie en Hongrie, qui avait pour activité le commerce de déchets au cours de la période pertinente.

16      Granulines Invest a commandé un broyeur produit par un fabricant, établi en Allemagne, et a versé un acompte à ce fabricant. Elle a alors appris l’existence d’un programme de crédit visant à accroître la compétitivité des micro, petites et moyennes entreprises, permettant d’obtenir un prêt sans intérêt pour l’achat d’une telle machine. Toutefois, étant donné que ce programme ne permettait pas d’acheter directement une machine à l’étranger, Granulines Invest a renoncé à acheter directement ce broyeur et a recherché un revendeur établi en Hongrie qui l’achèterait audit fabricant et auprès duquel elle pourrait ensuite acquérir ledit broyeur, en bénéficiant dudit programme.

17      Granulines Invest a ainsi conclu, le 25 octobre 2016, un contrat de « livraison » avec CastorFit Gym Kft. (ci-après « Castor Fit »), société établie en Hongrie, aux termes duquel elle a commandé un broyeur et un séparateur magnétique.

18      En vertu d’un contrat de prêt passé devant notaire le 9 novembre 2016, Granulines Invest s’est vu accorder, dans le cadre du même programme, un prêt sans intérêt. Ce prêt était garanti par un droit de gage sur des biens meubles, notamment sur un broyeur et un séparateur magnétique.

19      Granulines Invest a reçu une facture de Castor Fit, datée du 16 novembre 2016, d’un montant total de 14 516 100 forints hongrois (HUF) (soit environ 36 166 euros), dont 12 230 000 HUF (soit environ 30 470 euros) pour le broyeur. Elle a payé ce montant total les 16 novembre et 1er décembre 2016, et déduit la TVA indiquée sur ladite facture de la taxe dont elle était redevable au titre du mois de novembre 2016.

20      Le Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kelet-budapesti Adó- és Vámigazgatósága (direction des impôts et douanes pour le district de Budapest-Est de l’administration nationale des impôts et douanes, Hongrie) (ci-après l’« autorité fiscale de premier degré ») a effectué des contrôles au sein de Granulines Invest et de Castor Fit.

21      Les documents produits lors de ces contrôles ont montré que les livraisons du broyeur et du séparateur magnétique à Granulines Invest avaient été effectuées, respectivement, les 9 décembre 2016 et 4 janvier 2017. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le représentant de Castor Fit était présent lors de ces livraisons.

22      En réponse à une demande de renseignements de l’autorité fiscale de premier degré, l’administration fiscale allemande a indiqué que, d’une part, les modalités d’achat du broyeur avaient été modifiées pour que Castor Fit soit désignée comme étant l’acheteur de cette machine et, d’autre part, sur un montant total de 22 000 euros, 6 600 euros avaient été payés par Granulines Invest et 15 400 euros par Castor Fit.

23      Dans la décision de l’autorité fiscale de premier degré, confirmée ensuite par la direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, il a été considéré que Granulines Invest n’était pas en droit de déduire la TVA figurant sur la facture émise par Castor Fit et qu’une amende fiscale égale à 200 % du montant de la taxe ainsi indûment déduite devait être infligée à Granulines Invest.

24      Au soutien de sa décision, l’autorité fiscale de premier degré a constaté que Castor Fit n’avait pas d’employé et que le gérant, unique associé de cette société, représentait celle-ci. Cette autorité a considéré que le montant facturé à Granulines Invest incluait une marge de 31,5 % qui était sans rapport avec le rôle réel de Castor Fit dans l’opération d’achat des machines, qui se limitait à effectuer la facturation à cet égard. Ladite autorité a estimé que la date de la livraison figurant sur la facture émise par Castor Fit, à savoir le 16 novembre 2016, était fausse, étant donné que les machines en question avaient été livrées à Granulines Invest le 9 décembre 2016 et le 4 janvier 2017. La même autorité a ajouté que ces machines devaient être considérées comme ayant été achetées directement par Granulines Invest auprès d’un fabricant allemand et d’un fabricant slovaque sans l’intervention de Castor Fit. Dès lors que les faits commerciaux décrits sur cette facture n’auraient pas eu lieu entre les parties mentionnées sur cette dernière, Granulines Invest aurait commis une fraude fiscale. Les opérations artificielles mentionnées sur ladite facture auraient visé à obtenir un avantage fiscal illégitime en contournant les dispositions de la législation fiscale, et Castor Fit aurait également commis une telle fraude, dont Granulines Invest avait connaissance. Ces opérations auraient poursuivi un double objectif, à savoir, d’une part, l’utilisation par Granulines Invest des machines achetées en Hongrie afin d’obtenir un crédit et, d’autre part, la création d’une TVA déductible afférente à la même facture qui comportait un prix largement surévalué, tandis que l’émetteur de la facture ne respectait que partiellement et tardivement ses obligations fiscales.

25      Granulines Invest a saisi la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, en contestant l’existence d’une fraude. Elle a fait valoir que Castor Fit avait acheté le broyeur au fabricant allemand avant de le lui revendre à un prix réaliste sur le marché national. Elle n’aurait obtenu aucun avantage fiscal et aurait pris une décision économiquement rationnelle, car il n’y avait pas de distributeur de ce type de machine en Hongrie. L’indication d’une date de livraison erronée sur la facture ne justifierait pas la constatation d’une insuffisance de TVA.

26      La juridiction de renvoi a réformé la décision de la direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, en annulant les rappels de TVA fondés sur la prétendue fraude et l’amende infligée. Elle a estimé que l’administration fiscale hongroise avait refusé à Granulines Invest le droit à la déduction de la TVA en se fondant sur des circonstances qui, en elles-mêmes, ne pouvaient pas justifier un tel refus. Cette administration aurait méconnu le principe de neutralité fiscale, puisque les choix de politique commerciale effectués par Granulines Invest ne sauraient avoir d’incidence sur le droit à déduction de celle-ci et ne pourraient donc pas être considérés comme étant à l’origine d’une fraude fiscale. Il ne serait pas établi que cette dernière avait l’intention de réduire sa charge fiscale puisque l’intervention de Castor Fit aurait eu pour objectif de respecter les conditions du programme de crédit. L’arrangement contractuel entre Granulines Invest et Castor Fit ne constituerait pas un exercice des droits non conforme à la destination de ces derniers. L’indication d’une date de livraison erronée sur la facture émise par Castor Fit ne prouverait pas l’existence d’une fraude fiscale. Enfin, cette juridiction a considéré comme étant non fondée la conclusion de ladite administration selon laquelle l’intention des parties lors de la fixation du prix des machines avait été de faire naître un supplément de TVA déductible, le montant plus élevé de cette dernière allant de pair avec un montant plus élevé de TVA due par l’émetteur de la facture, ce montant étant déclaré par celui-ci aussi bien aux fins de la TVA que de l’impôt sur les sociétés.

27      La Kúria (Cour suprême, Hongrie) a annulé l’arrêt de la juridiction de renvoi et lui a ordonné de réexaminer l’affaire qu’elle lui renvoyait. Elle a estimé que la motivation de cet arrêt était insuffisante, au motif notamment que, dans celui-ci, cette juridiction s’était contentée de considérer isolément l’une ou l’autre circonstance de cette affaire, sans les examiner toutes en détail dans le contexte de l’ensemble des faits. La juridiction de renvoi aurait dû également expliquer la manière dont, sur la base d’une facture non rectifiée, le droit à déduction de la TVA avait pu être exercé par Granulines Invest au mois de novembre 2016, c’est‑à-dire avant l’exécution effective du contrat de « livraison ».

28      La juridiction de renvoi estime qu’il existe une divergence de point de vue entre les juridictions nationales quant à l’étendue de leur mission de vérification. Elle est d’avis que, dans le cadre du réexamen de l’affaire dont elle est saisie, elle doit procéder à l’examen de faits dont elle a constaté, dans son arrêt annulé, en se référant à la jurisprudence de la Cour, qu’ils n’étaient pas pertinents pour l’exercice du droit à déduction de la TVA.

29      Dans ce contexte, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 167, l’article 168, sous a), l’article 178, sous a), et l’article 226 de la directive [TVA], ainsi que le droit à un procès équitable consacré en tant que principe général de droit à l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] s’opposent-ils, lorsqu’ils sont considérés à la lumière des principes fondamentaux de neutralité fiscale, de proportionnalité, d’effectivité et de sécurité juridique, à une pratique de l’administration fiscale en vertu de laquelle celle-ci, malgré la facture servant de fondement à la demande de remboursement de la TVA et les autres pièces comptables, et en dépit du fait que la vente de biens a effectivement eu lieu, a refusé à l’assujettie le droit au remboursement de la TVA au motif que la facture était fictive parce que les faits commerciaux tels que mentionnés sur celle-ci ne se seraient pas produits en réalité et que ce n’est, ainsi, pas entre les parties indiquées sur la facture que les opérations auraient été conclues, car

a)      c’est l’assujettie qui s’est accordée avec les fabricants sur tous les points, et ce n’est qu’après qu’elle a annulé la commande que l’entreprise hongroise qui a émis la facture a été associée à l’opération afin que les conditions de l’octroi d’un certain prêt soient réunies,

b)      les machines étaient livrées directement par le fabricant à l’établissement de l’assujettie,

c)      la date mentionnée sur la facture pour la réalisation de l’opération était fausse,

d)      le prix indiqué sur la facture était excessif,

e)      l’[entreprise] émettrice de la facture ne s’est acquittée que partiellement et tardivement de son obligation de verser la TVA ?

2)      L’article 178, sous a), de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit au remboursement de la TVA soit refusé par l’administration fiscale pour le seul motif que l’assujettie détient une facture qui ne remplit pas les conditions requises par l’article 226, points 6 et 7, de cette directive, alors que l’administration fiscale dispose de tous les documents et informations nécessaires pour lui permettre de vérifier que les conditions matérielles de l’exercice de ce droit sont réunies ?

a)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, une invitation à rectifier la facture faite à l’assujettie est-elle une condition préalable au remboursement de la TVA ?

b)      En cas de réponse négative à la deuxième question, est-il proportionné, au regard des principes de neutralité fiscale et de proportionnalité, d’imposer à l’assujettie une amende fiscale à 200 %, ce qui est le taux de l’amende susceptible d’être infligée en cas de dissimulation de revenus, ou de falsification ou destruction d’éléments de preuve, de livres comptables ou d’enregistrements ?

3)      Les dispositions précitées de la directive TVA, ainsi que le droit à un procès équitable consacré par l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux] et les principes d’effectivité, de proportionnalité et de neutralité fiscale s’opposent-ils à une pratique de l’administration fiscale en vertu de laquelle celle-ci, bien que les faits commerciaux mentionnés sur la facture aient eu lieu, a refusé à l’assujettie le droit de récupérer la TVA parce que la facture avait un caractère fictif - pour les raisons énumérées dans la première question et considérées par l’administration fiscale comme objectives –, en concluant de façon automatique, sans examiner une quelconque autre circonstance, que l’assujettie a agi au mépris de l’exigence d’exercer un droit conformément à sa destination et, sur cette base, qu’elle a - sans qu’il y ait eu d’examen spécifique de ce qu’elle savait ou aurait dû savoir - commis intentionnellement une fraude fiscale en réalisant les opérations artificielles mentionnées sur la facture ? »

 Sur les questions préjudicielles

30      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

31      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur les première et troisième questions

32      Par sa première et sa troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique, ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique par laquelle l’administration fiscale, pour refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA afférente à l’acquisition d’un bien, lorsque cet assujetti a reçu livraison de ce bien, l’a utilisé pour les besoins de ses propres opérations taxées et que cette livraison a fait l’objet d’une facture, se fonde sur la circonstance que cette facture est fictive étant donné que, premièrement, la livraison n’a pas été effectuée par l’émetteur de la facture, deuxièmement, cet émetteur a été associé à l’opération afin que les conditions de l’octroi d’un certain prêt soient réunies, troisièmement, le prix indiqué sur la facture est excessif et ledit émetteur n’a payé la TVA que de manière tardive et partielle, ainsi que, quatrièmement, la facture comporte une date de livraison erronée.

33      La juridiction de renvoi n’ayant pas exposé les raisons pour lesquelles elle interrogeait la Cour sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et du principe de sécurité juridique, les première et troisième questions posées ne répondent pas à cet égard aux exigences de l’article 94 du règlement de procédure, de sorte qu’elles sont, en tant qu’elles visent cette disposition ou ce principe, irrecevables. Partant, il y a lieu d’y répondre seulement en tant qu’elles visent la directive TVA, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de TVA. Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité dès lors que les exigences ou les conditions tant matérielles que formelles auxquelles ce droit est subordonné sont respectées par les assujettis souhaitant l’exercer (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 40 et jurisprudence citée).

35      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 41 et jurisprudence citée).

36      La question de savoir si la TVA, due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés, a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 42 et jurisprudence citée).

37      Le droit à déduction de la TVA est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles. S’agissant des exigences ou des conditions matérielles, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive TVA que, pour pouvoir bénéficier dudit droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de ladite directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction de la TVA soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti. Quant aux modalités d’exercice du droit à déduction de la TVA, qui s’assimilent à des exigences ou à des conditions de nature formelle, l’article 178, sous a), de la directive TVA prévoit que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux exigences énoncées par cette directive (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 43 et jurisprudence citée).

38      En outre, conformément à l’article 273, premier alinéa, de la directive TVA, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations que celles prévues par cette directive lorsqu’ils jugent ces obligations nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. Cependant, les mesures adoptées par les États membres ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit à déduction de la TVA et, partant, la neutralité de la TVA (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 44 et jurisprudence citée).

39      Les conditions matérielles auxquelles est subordonné le droit à déduction ne sont réunies que si la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle se rapporte la facture a été effectivement réalisée (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 46).

40      S’agissant de l’affaire au principal, il est constant que les biens mentionnés sur la facture émise par Castor Fit ont été livrés à Granulines Invest. Il ressort également du dossier dont dispose la Cour que l’administration fiscale hongroise n’a contesté ni la qualité d’assujettie de Granulines Invest ni le fait que les biens ainsi livrés ont été utilisés pour les besoins des opérations taxées de cette dernière. Cette administration n’a pas davantage mis en cause la qualité d’assujetti de Castor Fit.

41      Étant donné que les livraisons des biens en cause au principal ont été réalisées et que ceux-ci ont été utilisés en aval par Granulines Invest pour les besoins de ses opérations taxées, le bénéfice du droit à déduction ne saurait, en principe, être refusé à cette dernière.

42      Cela étant, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA et la Cour a itérativement jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 50 et jurisprudence citée).

43      Si tel est le cas lorsqu’une fraude est commise par l’assujetti lui-même, il en est également ainsi lorsqu’un assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 51 et jurisprudence citée).

44      Le droit de l’Union ne prévoyant pas de règles relatives aux modalités de l’administration des preuves en matière de fraude à la TVA, ces éléments objectifs doivent être établis par l’administration fiscale conformément aux règles de preuve prévues par le droit national. Cependant, ces règles ne doivent pas porter atteinte à l’efficacité du droit de l’Union (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 59 et jurisprudence citée).

45      Il s’ensuit que le bénéfice du droit à déduction ne peut être refusé à un assujetti que si, après avoir procédé à une appréciation globale de tous les éléments et de toutes les circonstances de fait de l’espèce, effectuée conformément aux règles de preuve prévues par le droit national, il est établi que celui-ci a commis une fraude à la TVA ou savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une telle fraude. Le bénéfice de ce droit ne peut être refusé que lorsque ces faits ont été établis à suffisance de droit, autrement que par des suppositions (ordonnance du 9 janvier 2023, A.T.S. 2003, C‑289/22, EU:C:2023:26, point 55 et jurisprudence citée).

46      En l’occurrence, en premier lieu, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, pour considérer que le contrat conclu entre Granulines Invest et l’émetteur de la facture était fictif, l’administration fiscale hongroise a estimé que les opérations de livraison de biens n’avaient, en réalité, pas eu lieu entre les parties mentionnées sur cette facture, mais entre Granulines Invest et les fabricants de ces biens. À cet égard, il est constant que Granulines Invest, après avoir elle-même passé commande d’une machine auprès d’un fabricant allemand, a fait appel à l’émetteur de la facture, afin qu’il achète les biens et les lui revende. Il n’est pas contesté que la société qui a émis la facture n’avait pas d’employé et que son gérant, unique associé de cette société, représentait celle-ci. De plus, il ressort du dossier que les biens ont été livrés directement par leur fabricant dans les locaux de Granulines Invest, en présence du représentant de l’émetteur de la facture.

47      Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, en application des règles du droit civil national applicable, le contrat de livraison entre l’assujetti et l’émetteur de la facture doit ou non être considéré comme étant fictif, compte tenu du rôle réel joué par ce dernier dans la réalisation de l’opération. Toutefois, le caractère fictif d’un tel contrat, à le supposer établi, ne constitue pas en soi la preuve de l’existence d’une fraude à la TVA ou d’un abus de droit [voir, en ce sens, arrêt du 25 mai 2023, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Warszawie (TVA - Acquisition fictive), C‑114/22, EU:C:2023:430, point 49].

48      En deuxième lieu, pour considérer que Granulines Invest avait commis une fraude fiscale, l’administration fiscale hongroise a estimé, selon les explications de la juridiction de renvoi, que le contrat d’achat de biens que cette société avait signé avec l’émetteur de la facture constituait l’« exercice d’un droit non conforme à sa destination ».

49      Il convient de rappeler que le droit à déduction de la TVA s’applique quels que soient le but et le résultat de l’activité économique en cause et le fait que la TVA due sur des opérations antérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur ce droit. En outre, les assujettis sont généralement libres de choisir les structures organisationnelles ou les modalités transactionnelles qu’ils estiment les plus appropriées pour leurs activités économiques et pour limiter leurs charges fiscales. Le principe d’interdiction des pratiques abusives, qui s’applique au domaine de la TVA, prohibe seulement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à seule fin d’obtenir un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire aux objectifs de la directive TVA (ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 62 et jurisprudence citée).

50      Il en résulte que le droit de l’Union s’oppose à une pratique nationale consistant à qualifier d’« exercice non conforme à la destination de ce droit » le choix d’un assujetti d’exercer une activité économique selon des modalités qui lui permettent de bénéficier d’un programme de crédit et à refuser, pour ce motif, à cet assujetti le bénéfice du droit à déduction de la TVA acquittée en amont, lorsque n’est pas établie l’existence d’un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, effectué à seule fin, ou, à tout le moins dans le but essentiel, d’obtenir un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire aux objectifs de la directive TVA (voir, en ce sens, ordonnance du 9 janvier 2023, A.T.S. 2003, C‑289/22, EU:C:2023:26, point 42).

51      Or, dans l’affaire au principal, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que l’administration fiscale hongroise a considéré que le contrat entre Granulines Invest et l’émetteur de la facture avait pour but « unique » ou, à tout le moins, « essentiel », d’obtenir un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire aux objectifs de la directive TVA, puisque cette administration a estimé que ce contrat avait notamment pour objectif de permettre à Granulines Invest de bénéficier d’un programme de crédit.

52      En troisième lieu, selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, pour démontrer qu’une fraude à la TVA avait été commise, l’administration fiscale hongroise a considéré que le prix figurant sur la facture était largement surévalué. Elle a constaté que ce prix incluait une marge de 31,5 % et a estimé que cette marge était excessive, étant donné que le rôle réel de l’émetteur de la facture avait été limité à la facturation. Elle a relevé que cet émetteur n’avait respecté que partiellement et tardivement ses obligations fiscales. La juridiction de renvoi a toutefois précisé que ledit émetteur avait rempli ses obligations déclaratives en matière de TVA.

53      À cet égard, il convient d’indiquer que le prix excessif d’une livraison de biens, même à le supposer établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ne saurait à lui seul justifier le refus du droit à déduction de la TVA au détriment de l’assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, Amper Metal, C‑334/20, EU:C:2021:961, point 36).

54      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, dans la mesure où l’émetteur de la facture a dûment rempli ses obligations déclaratives en matière de TVA, la seule omission de versement de la TVA dûment déclarée ne saurait, indépendamment du caractère intentionnel ou non d’une telle omission, être constitutive d’une fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2022, HA.EN., C‑227/21, EU:C:2022:687, point 32 et jurisprudence citée).

55      En quatrième lieu, il découle de la demande de décision préjudicielle que l’administration fiscale hongroise a invoqué la circonstance, non contestée, que la date d’exécution de la livraison figurant sur la facture, à savoir le 16 novembre 2016, était fausse, étant donné que les machines avaient été livrées à Granulines Invest le 9 décembre 2016 et le 4 janvier 2017.

56      Toutefois, la circonstance qu’une facture relative à une livraison de biens, dont il est établi qu’elle a effectivement eu lieu, mentionne une fausse date d’exécution - quand bien même cette mention serait intentionnelle - ne constitue pas, en soi, la preuve de l’existence d’une fraude à la TVA.

57      En effet, comme l’a fait observer la Commission européenne dans ses observations écrites, il pourrait s’avérer que, en l’occurrence, la fausse date d’exécution des livraisons de biens figurant sur la facture ait été mentionnée dans le but non de commettre une fraude à la TVA, mais de remplir les conditions du programme de crédit qui prenait fin le 9 janvier 2017, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. Or, une telle pratique, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées sur la possibilité pour Granulines Invest de bénéficier de ce programme de crédit, n’est pas assimilable à une fraude à la TVA.

58      S’il résulte de ce qui précède que les éléments mentionnés par la juridiction de renvoi dans le cadre de la première question ne permettent pas, à eux seuls, de conclure que l’assujetti a participé activement à une fraude ou qu’il savait ou aurait dû savoir que les opérations concernées étaient impliquées dans une fraude commise par l’émetteur de la facture, il appartient à cette juridiction de vérifier si une telle preuve est rapportée, en effectuant, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de l’affaire au principal (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó, C‑610/19, EU:C:2020:673, point 65 et jurisprudence citée).

59      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions que la directive TVA, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique par laquelle l’administration fiscale, pour refuser à un assujetti le droit de déduire la TVA afférente à l’acquisition d’un bien, lorsque cet assujetti a reçu livraison de ce bien, l’a utilisé pour les besoins de ses propres opérations taxées et que cette livraison a fait l’objet d’une facture, se fonde sur la circonstance que cette facture est fictive étant donné que, premièrement, la livraison n’a pas été effectuée par l’émetteur de la facture, deuxièmement, cet émetteur a été associé à l’opération afin que les conditions de l’octroi d’un certain prêt soient réunies, troisièmement, le prix indiqué sur la facture est excessif et ledit émetteur n’a payé la TVA que de manière tardive et partielle, ainsi que, quatrièmement, la facture comporte une date de livraison erronée. Pour fonder un tel refus du droit à déduction de la TVA, l’administration fiscale doit établir à suffisance de droit que l’assujetti a participé activement à une fraude à la TVA ou que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que l’émetteur de la facture avait commis une telle fraude.

 Sur la deuxième question

 Sur la deuxième question, in limine et sous a)

60      Par sa deuxième question, in limine, la juridiction de renvoi demande si l’article 178, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit au remboursement de la TVA soit refusé par l’administration fiscale pour le seul motif que l’assujetti détient une facture qui ne remplit pas les conditions requises à l’article 226, points 6 et 7, de cette directive, alors même que cette administration dispose de tous les documents et informations nécessaires pour lui permettre de vérifier que les conditions matérielles de l’exercice de ce droit sont réunies. En cas de réponse affirmative, cette juridiction demande également, en substance, par sa deuxième question, sous a), si la rectification de la facture est une condition de l’exercice du droit à déduction de la TVA.

61      La juridiction de renvoi n’a pas exposé les raisons pour lesquelles elle interrogeait la Cour sur l’interprétation de l’article 226, point 6, de la directive TVA. Dans ces conditions, la deuxième question ne répond pas à cet égard aux exigences de l’article 94 du règlement de procédure, de sorte qu’elle est, en tant qu’elle vise cette disposition, irrecevable. Partant, il y a lieu d’y répondre seulement en tant qu’elle vise l’article 178, sous a), et l’article 226, point 7, de cette directive.

62      Dans ce cadre, il convient de rappeler, en premier lieu, que, s’agissant des modalités d’exercice du droit à déduction de la TVA, qui s’assimilent à des conditions de nature formelle, l’article 178, sous a), de la directive TVA prévoit que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux exigences énoncées, notamment, à l’article 226 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 26 et jurisprudence citée).

63      À cet égard, l’article 226, point 7, de la directive TVA requiert que la facture comporte la date à laquelle est effectuée ou achevée la livraison de biens.  

64      Cela étant, le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de la taxe en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 33 et jurisprudence citée).

65      En conséquence, dès lors que l’administration fiscale dispose des données nécessaires pour établir que les conditions matérielles sont satisfaites, elle ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de l’assujetti de déduire ladite taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit (arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 34 et jurisprudence citée).

66      À cet égard, l’administration fiscale ne saurait se limiter à l’examen de la facture elle-même. Elle doit également tenir compte des informations complémentaires fournies par l’assujetti. Ce constat est confirmé par l’article 219 de la directive TVA qui assimile à une facture tout document ou message qui modifie la facture initiale et y fait référence de façon spécifique et non équivoque (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 44).

67      Il incombe à l’assujetti qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier. L’administration fiscale peut donc exiger de l’assujetti lui-même les preuves qu’elle juge nécessaires pour apprécier s’il y a lieu ou non d’accorder la déduction demandée (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 46 et jurisprudence citée).

68      Il convient ainsi de rappeler, en réponse à la deuxième question, in limine, que, comme la Cour l’a déjà jugé, l’administration fiscale ne saurait refuser le droit à déduction de la TVA au seul motif qu’une facture ne remplit pas les conditions requises à l’article 226, point 7, de la directive TVA si elle dispose de toutes les données pour vérifier que les conditions de fond relatives à ce droit sont satisfaites (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 43).

69      En second lieu, dans l’affaire au principal, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la date d’exécution de la livraison de biens figurant sur la facture, à savoir le 16 novembre 2016, était fausse, étant donné que les machines ont été livrées à Granulines Invest le 9 décembre 2016 et le 4 janvier 2017. La Kúria (Cour suprême) a considéré, dans son arrêt, mentionné au point 27 de la présente ordonnance, que, dans la mesure où la juridiction de renvoi avait admis que la date d’exécution de cette livraison, mentionnée sur la facture, était fausse, elle aurait dû exposer la manière dont, sur la base de la facture non rectifiée, le droit à déduction de la TVA pouvait être exercé au mois de novembre 2016, c’est-à-dire avant l’exécution effective de ladite livraison.

70      À cet égard, il convient de considérer, en réponse à la deuxième question, sous a), que, dans l’hypothèse où une facture ne remplit pas les conditions requises à l’article 226, point 7, de la directive TVA, sa rectification ne saurait constituer une condition de l’exercice du droit à déduction de la TVA, lorsque l’assujetti a fourni les informations permettant de vérifier que les conditions de fond relatives à l’exercice de ce droit sont satisfaites (voir, en ce sens, ordonnance du 13 décembre 2018, Mennica Wrocławska, C‑491/18, EU:C:2018:1042, point 45).

71      Il appartient ainsi à la juridiction de renvoi, si elle constate que la facture afférente à la livraison des biens en cause au principal ne remplit pas les exigences résultant de l’article 226, point 7, de la directive TVA, de vérifier si Granulines Invest a fourni les éléments nécessaires pour déterminer la date correcte d’exécution de cette livraison. Si tel est le cas et que les conditions de fond relatives à l’exercice du droit à déduction sont remplies, c’est cette dernière date qui doit être prise en compte pour déterminer la date à laquelle le droit à déduction prend naissance, conformément notamment à l’article 167 de cette directive.

72      Il convient enfin de rappeler que les États membres sont compétents pour prévoir des sanctions en cas de non-respect des conditions formelles relatives à l’exercice du droit à déduction de la TVA. En vertu de l’article 273 de la directive TVA, les États membres ont la faculté d’adopter des mesures afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude à condition que ces mesures n’aillent ni au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs ni ne remettent en cause la neutralité de la TVA (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 47 et jurisprudence citée).

73      Notamment, le droit de l’Union n’empêche pas les États membres d’infliger, le cas échéant, une amende ou une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité de l’infraction afin de sanctionner la méconnaissance des exigences formelles (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 48 et jurisprudence citée).

74      Il résulte de ce qui précède que l’article 178, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit au remboursement de la TVA soit refusé par l’administration fiscale pour le seul motif que l’assujetti détient une facture qui ne remplit pas les conditions requises à l’article 226, point 7, de cette directive, alors même que cette administration dispose de toutes les informations nécessaires pour lui permettre de vérifier que les conditions matérielles de l’exercice de ce droit sont réunies. La rectification de la facture ne saurait constituer une condition de l’exercice dudit droit, lorsque l’assujetti a fourni lesdites informations.

 Sur la deuxième question, sous b)

75      Compte tenu de la réponse affirmative à la deuxième question, in limine et sous a), il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question, sous b).

 Sur les dépens

76      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

1)      La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, lue conjointement avec les principes de neutralité fiscale, d’effectivité et de proportionnalité,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une pratique par laquelle l’administration fiscale, pour refuser à un assujetti le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à l’acquisition d’un bien, lorsque cet assujetti a reçu livraison de ce bien, l’a utilisé pour les besoins de ses propres opérations taxées et que cette livraison a fait l’objet d’une facture, se fonde sur la circonstance que cette facture est fictive étant donné que, premièrement, la livraison n’a pas été effectuée par l’émetteur de la facture, deuxièmement, cet émetteur a été associé à l’opération afin que les conditions d’octroi d’un certain prêt soient réunies, troisièmement, le prix indiqué sur la facture est excessif et ledit émetteur n’a payé la TVA que de manière tardive et partielle, ainsi que, quatrièmement, la facture comporte une date de livraison erronée. Pour fonder un tel refus du droit à déduction de la TVA, l’administration fiscale doit établir à suffisance de droit que l’assujetti a participé activement à une fraude à la TVA ou que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que l’émetteur de la facture avait commis une telle fraude.

2)      L’article 178, sous a), de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce que le droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée soit refusé par l’administration fiscale pour le seul motif que l’assujetti détient une facture qui ne remplit pas les conditions requises à l’article 226, point 7, de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, alors même que cette administration dispose de toutes les informations nécessaires pour lui permettre de vérifier que les conditions matérielles de l’exercice de ce droit sont réunies. La rectification de la facture ne saurait constituer une condition de l’exercice dudit droit, lorsque l’assujetti a fourni lesdites informations.

Signatures


*      Langue de procédure le hongrois.

© European Union
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