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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> TU and BY v Parliament (Civil service - Accredited parliamentary assistants - Psychological harassment - Judgment) French Text [2025] EUECJ T-10/24 (12 February 2025) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T1024.html Cite as: [2025] EUECJ T-10/24, EU:T:2025:144, ECLI:EU:T:2025:144 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
12 février 2025 (*)
« Fonction publique - Assistants parlementaires accrédités - Harcèlement moral - Enquête administrative - Demande d’accès au rapport d’enquête - Rejet de la demande - Obligation de motivation - Portée du devoir d’assistance - Article 24 du statut - Principe de bonne administration - Article 41 de la charte des droits fondamentaux - Responsabilité »
Dans l’affaire T‑10/24,
TU,
BY,
représentés par Me N. de Montigny, avocate,
parties requérantes,
contre
Parlement européen, représenté par Mmes D. Boytha et S. Bukšek Tomac, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak et T. Pynnä (rapporteure), juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 270 TFUE, les requérants, BY et TU, demandent, d’une part, l’annulation des décisions du Parlement européen des 9 et 28 mars 2023, par lesquelles leur a été refusé l’accès au rapport d’enquête du 17 juin 2022 concernant les faits de harcèlement qu’ils ont subis dans le cadre de leurs fonctions (ci-après le « rapport du Comité ») établi par le Comité consultatif chargé d’examiner les plaintes pour harcèlement qui concernent des députés au Parlement européen (ci-après le « Comité ») et, d’autre part, réparation du préjudice qu’ils auraient subi.
Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 Le 12 juillet 2021, les requérants ont introduit en tant qu’assistants parlementaires accrédités des demandes d’assistance pour dénoncer des faits de harcèlement commis par leur députée de référence (ci-après la « députée »).
3 Le 17 juin 2022, le Comité, après avoir mené une enquête administrative concernant les plaintes des requérants et entendu ces derniers, a adopté son rapport, destiné à la présidente du Parlement et contenant ses recommandations sur l’existence ou l’absence d’un harcèlement de la part de la députée.
4 Le 16 janvier 2023, la présidente du Parlement a adopté une décision constatant l’existence d’un harcèlement de la part de la députée envers les requérants ainsi qu’une décision portant sur les sanctions à infliger à la députée.
5 Par lettre du 26 janvier 2023, la présidente du Parlement a informé les requérants des faits que le Comité avait considérés comme établis et qu’elle a elle-même considérés comme étant constitutifs de harcèlement.
6 Le 16 février 2023, le directeur général du personnel a octroyé aux requérants l’assistance du Parlement sous forme d’un soutien financier en cas de poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux pour les faits de harcèlement commis par la députée.
7 Le 8 mars 2023, BY a demandé au Comité une copie de son rapport, afin de pouvoir l’utiliser, au titre de l’assistance à fournir par le Parlement, dans le cadre des poursuites judiciaires contre la députée.
8 Par courriel du 9 mars 2023, le secrétariat du Comité a adressé la réponse suivante à BY :
« La décision de la présidente, qui a mis fin à la procédure relative à votre plainte pour harcèlement de la part de [la députée], vous a été communiquée directement. Elle comporte une description détaillée des faits établis par le [Comité], que la présidente a considérés comme étant constitutifs de harcèlement. Si la juridiction nationale exige d’autres documents du [Parlement] dans le cadre de la procédure que vous avez engagée à l’encontre de [la députée], elle devrait adresser une telle demande directement à la présidente du Parlement. »
9 Le 21 mars 2023, TU a adressé au secrétariat du Comité une demande d’accès au rapport du Comité et aux documents de son dossier qui ont servi de base à la décision constatant l’existence d’un harcèlement. À cette occasion, il a mis en exergue sa qualité de victime reconnue et le fait que l’enquête administrative était terminée. Il a également demandé au Comité si celui-ci était en possession de ce rapport et s’il existait d’autres raisons de ne pas le lui communiquer.
10 Par courriel du 28 mars 2023, le secrétariat du Comité a fourni à TU la même réponse que celle envoyée à BY par courriel du 9 mars 2023 concernant l’accès au rapport du Comité, en ajoutant qu’il reviendrait vers lui concernant des questions soulevées dans sa demande (ci-après, prises ensemble, les « actes attaqués »).
11 Le 6 juin 2023, les requérants ont introduit une réclamation conjointe contre le rejet de leurs demandes d’accès au rapport du Comité.
12 Le 30 novembre 2023, le service juridique du Parlement a informé les requérants qu’il ne pouvait qualifier la demande du 6 juin 2023 de réclamation faute d’acte faisant grief définitif. Il a transmis ladite demande au Comité.
13 Le 8 janvier 2024, les requérants ont introduit le présent recours.
14 Le 12 mars 2024, le président du Comité a informé les requérants de la décision unanime du Comité de ne donner accès à son rapport qu’à la demande d’un tribunal national (ci-après les « décisions du 12 mars 2024 »).
15 Le 28 mai 2024, l’auditorat du travail de Bruxelles (Belgique) a demandé au Parlement la transmission du rapport du Comité.
16 Le 17 juin 2024, le Parlement a fait suite à la demande de l’auditorat du travail de Bruxelles et lui a transmis le rapport du Comité.
Conclusions des parties
17 Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués ;
– « condamner le Parlement à [leur] transmettre » le rapport du Comité ;
– condamner le Parlement à leur verser à chacun une indemnité de 20 000 euros ;
– condamner le Parlement aux dépens.
18 Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérants aux dépens.
19 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 1er juillet 2024, le Parlement a demandé au Tribunal de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer, dès lors que le rapport du Comité a été transmis à la juridiction nationale saisie par les requérants.
20 Le 17 juillet 2024, les requérants ont déposé des observations sur la demande de non-lieu à statuer.
En droit
Sur la compétence du Tribunal
21 Les requérants demandent au Tribunal de « condamner le Parlement à [leur] transmettre » le rapport du Comité.
22 Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n’incombe pas au Tribunal, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 91 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), d’adresser des injonctions aux institutions de l’Union européenne. Le Tribunal ne peut donc pas ordonner au Parlement d’adopter une décision avec un résultat spécifique (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2021, Lucaccioni/Commission, T‑316/19, EU:T:2021:367, points 56 et 57 et jurisprudence citée).
23 Dès lors, le deuxième chef de conclusions, tendant à la transmission du rapport du Comité, doit être rejeté en raison de l’incompétence du Tribunal pour en connaître.
Sur la demande de non-lieu à statuer
24 Le Parlement demande au Tribunal de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer, au motif qu’il a transmis une version anonymisée du rapport du Comité à l’auditorat du travail de Bruxelles dans le cadre d’une plainte pénale déposée par les requérants et à la suite d’une demande de cet auditorat du travail de Bruxelles. Ainsi, l’objectif poursuivi par les requérants au moyen de leurs demandes aurait été atteint et ceux-ci auraient, en tout état de cause, perdu leur intérêt à agir en l’espèce.
25 Les requérants font valoir qu’ils n’ont pas eu accès au rapport du Comité. En sus de la plainte pénale, ils auraient introduit une citation directe au civil contre la députée. Dans ce cadre, ils devraient démontrer l’existence d’une faute civile dans le chef de la députée. Le rapport du Comité leur serait utile pour assembler et établir les faits dans un rapport d’enquête qui pourrait être transmis aux autorités nationales.
26 À cet égard, il convient de relever que, dès lors que le Parlement n’a pas transmis le rapport du Comité directement aux requérants, de sorte qu’ils puissent l’utiliser pour appuyer leur action civile, ceux-ci conservent un intérêt personnel à l’annulation des actes attaqués. Il s’ensuit que la demande de non-lieu à statuer doit être rejetée.
Sur la recevabilité du recours
27 Le Parlement estime que le recours est irrecevable, dans la mesure où les actes attaqués ne constituent pas des actes faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.
28 Premièrement, le secrétariat du Comité ne serait pas habilité à décider de l’accès aux documents du Comité, le Comité lui-même étant l’autorité compétente à cet égard.
29 Deuxièmement, le courriel du 28 mars 2023 ne contiendrait pas de position définitive concernant l’accès au rapport du Comité, mais seulement une première information à cet égard, fournie par le secrétariat dudit Comité, afin de ne pas retarder TU dans la conduite des procédures nationales.
30 Troisièmement, les actes attaqués n’auraient pas affecté directement et immédiatement les intérêts des requérants. Un octroi d’accès direct au rapport du Comité n’aurait aucune influence sur la possibilité d’entamer des procédures juridictionnelles ni sur leurs chances de réussite.
31 Par ailleurs, les requérants auraient pu comprendre que les actes attaqués ne pouvaient pas être qualifiés d’actes faisant grief au plus tard après avoir reçu le courriel du 30 novembre 2023 du service juridique du Parlement les informant de l’absence d’acte faisant grief définitif et de la transmission de leur prétendue réclamation du 6 juin 2023 au Comité.
32 Les seuls actes contre lesquels une réclamation aurait pu être introduite seraient les rejets implicites des demandes des 8 et 21 mars 2023, survenus, respectivement, le 10 et le 21 juillet 2023. Or, les requérants auraient omis d’introduire une réclamation contre lesdits rejets implicites.
33 Selon une jurisprudence constante, constituent des actes faisant grief les seules mesures émanant de l’autorité compétente et contenant une prise de position définitive de l’administration qui produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts de la partie requérante, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 2014, Bermejo Garde/CESE, T‑530/12 P, EU:T:2014:860, point 45 et jurisprudence citée).
34 Il convient d’analyser si les actes attaqués fixent définitivement la position de l’institution dont ils émanent, au sens de la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus, en tenant compte du fait que la qualification d’acte faisant grief ne dépend pas de la forme ou de l’intitulé de cet acte, mais est déterminée par sa substance (voir, en ce sens, ordonnance du 15 janvier 2009, Braun-Neumann/Parlement, T‑306/08 P, EU:T:2009:6, point 32).
35 En l’espèce, les actes attaqués émanent du secrétariat du Comité, qui, selon le Parlement, ne serait pas habilité à décider de l’accès aux documents du Comité.
36 Il est vrai que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, de la décision du 2 juillet 2018 du Bureau du Parlement relative au fonctionnement du Comité et aux procédures en la matière (ci-après les « règles internes du Comité »), en vigueur au moment de la demande d’assistance, l’accès aux documents du Comité n’est accordé que par décision unanime de ce dernier. En vertu de l’article 6, paragraphe 5, des règles internes du Comité, ce dernier est assisté dans ses travaux par un secrétariat.
37 Toutefois, bien que les actes attaqués, pris par le secrétariat du Comité, n’aient pas été formellement adoptés par l’autorité habilitée en vertu de l’article 13, paragraphe 2, des règles internes du Comité, il ressort de la jurisprudence que les institutions de l’Union ne peuvent pas contester la recevabilité d’un recours au motif que l’acte attaqué n’aurait pas été adopté par l’autorité compétente notamment lorsque la partie requérante pouvait raisonnablement avoir considéré, eu égard aux circonstances de l’espèce, que cet acte émanait de l’autorité compétente (voir, en ce sens, arrêts du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑584/16, EU:T:2017:282, point 56 et jurisprudence citée, et du 29 mai 2018, Fedtke/CESE, T‑801/16 RENV, non publié, EU:T:2018:312, point 62 et jurisprudence citée).
38 Or, en l’espèce, compte tenu de la nature administrative du secrétariat, les requérants pouvaient légitimement partir du principe que les actes attaqués constituaient une réponse du Comité, transmise par son organe administratif auxiliaire. Une décision formelle ultérieure du Comité sur les demandes des requérants ne pourrait donc que confirmer sa position déjà transmise aux requérants par son secrétariat, comme cela s’est produit en l’occurrence avec les décisions du 12 mars 2024 (voir point 14 ci-dessus).
39 Dans ces circonstances, les requérants pouvaient raisonnablement considérer que les actes attaqués émanaient de l’autorité compétente.
40 En ce qui concerne le caractère définitif des actes attaqués, il convient de relever que, même si les actes attaqués ne rejettent pas explicitement les demandes des requérants, l’objet de ces demandes était clairement énoncé dans celles-ci. Il ressort des actes attaqués, lus à la lumière des demandes des requérants auxquelles ils constituent une réponse, que l’accès au rapport du Comité ne leur est pas accordé.
41 Pour les raisons susmentionnées, ne saurait être accueillie l’allégation du Parlement selon laquelle le courriel du 28 mars 2023, adressé à TU, ne contiendrait pas de position définitive du Comité. En effet, dans ce courriel, le secrétariat du Comité explique à TU que ce dernier a reçu la décision de la présidente du Parlement contenant une description détaillée des faits établis par le Comité. Il l’informe également que la juridiction nationale devrait adresser une demande directement à la présidente du Parlement au cas où elle aurait besoin de documents supplémentaires. Par ailleurs, le courriel du 9 mars 2023 adressé à BY contient également ces informations.
42 Concernant la question de savoir si les actes attaqués sont de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts des requérants, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir le Parlement, selon lequel les actes attaqués ne seraient pas susceptibles d’affecter les intérêts des requérants, le rapport du Comité permettrait aux requérants de savoir de quelle manière le Comité a examiné les allégations et les preuves présentées dans l’affaire de harcèlement. Il est donc manifeste que le rapport du Comité aurait pu avoir une influence sur l’action judiciaire nationale envisagée par les requérants. Ainsi, le rejet des demandes des requérants a affecté directement et immédiatement leurs intérêts.
43 Un tel constat n’est pas susceptible d’être remis en cause par l’argument du Parlement selon lequel les requérants auraient pu comprendre que les actes attaqués ne pouvaient pas être qualifiés d’actes faisant grief après avoir reçu le courriel du service juridique du Parlement le 30 novembre 2023. En effet, dans ce courriel, le service juridique du Parlement, qui est chargé d’instruire les réclamations conformément à la décision du Bureau du 1er avril 2009, n’a pas fourni la moindre explication quant à la raison pour laquelle il considérait que les actes attaqués ne faisaient pas grief aux requérants.
44 Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, les actes attaqués constituent des actes faisant grief ayant affecté directement et immédiatement les intérêts des requérants. Le recours est donc recevable.
Sur le fond
Sur les conclusions en annulation
45 Les requérants soulèvent deux moyens à l’appui de leur recours. Par le premier moyen, ils invoquent une violation de l’obligation de motivation. Par le second moyen, ils allèguent une violation du devoir d’assistance prévu par l’article 24 du statut et du principe de bonne administration tel que consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
46 En l’espèce, il convient d’examiner d’abord le second moyen.
Sur le second moyen, tiré d’une violation du devoir d’assistance et du principe de bonne administration
47 Les requérants font valoir qu’aucune disposition du statut n’interdit la transmission du rapport du Comité à un tiers qui a un intérêt légitime à en prendre connaissance, comme c’est le cas de la personne qui introduit une demande d’assistance. De plus, les requérants rempliraient les conditions pour bénéficier du droit d’obtenir l’accès au dossier qui les concerne et, plus particulièrement, au rapport d’enquête ayant reconnu qu’ils étaient victimes de faits de harcèlement.
48 Le Parlement conteste l’argumentation des requérants. Il estime avoir agi en conformité avec son devoir d’assistance et le principe de bonne administration. Les requérants auraient été informés de l’issue de leur demande d’assistance, ce qui devrait leur permettre d’entamer des poursuites judiciaires contre la députée. Ils disposeraient de la totalité des preuves qu’ils auraient eux-mêmes fournies au Comité pour soutenir leur plainte. Toutefois, l’assistance financière que le Parlement aurait octroyée aux requérants ne l’engage pas à leur transmettre directement le rapport du Comité. Le juge national pourrait ordonner la production d’un document détenu par une partie ou un tiers lorsque des indices sérieux et précis indiquent que ce document contient des éléments déterminants pour la résolution du litige.
49 Selon l’article 24, paragraphe 1, du statut, l’Union assiste le fonctionnaire notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens dont il est l’objet, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions. L’article 41, paragraphe 2, de la Charte consacre le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires.
50 Il a été jugé que la transmission d’une copie des rapports établis à l’issue de l’enquête administrative, le cas échéant dans une version non confidentielle, était nécessaire au regard du principe de bonne administration garanti par l’article 41 de la Charte et du devoir d’assistance, lesquels impliquent que l’autorité compétente informe les intéressés de l’issue de leur demande d’assistance, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, le rapport reconnaît l’existence d’un harcèlement moral (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 162 et jurisprudence citée).
51 Cependant, le droit d’accès au dossier n’est pas absolu. L’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte garantit ce droit sous deux conditions. D’une part, le droit d’accès d’une personne ne porte que sur un « dossier qui la concerne ». D’autre part, l’accès doit être assuré dans le respect des « intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires » (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 163).
52 Partant, si le devoir d’assistance reconnaît aux requérants un droit d’accès au rapport du Comité, ce droit d’accès doit cependant être exercé dans les limites prévues à l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte.
53 Tout d’abord, quant à la question de savoir si le rapport du Comité concerne les requérants, il est constant que ce rapport porte notamment sur les plaintes introduites par ces derniers.
54 Par ailleurs, s’agissant de la condition relative à la protection des intérêts légitimes de la confidentialité, il convient de relever que, dans les actes attaqués (voir points 8 et 10 ci-dessus), le Parlement ne motive pas le refus d’accès au rapport du Comité en se fondant sur la présence, dans celui-ci, de données protégées au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte.
55 Certes, il ressort d’une jurisprudence constante que des précisions complémentaires peuvent être apportées en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Haeberlen/ENISA, T‑632/16, non publié, EU:T:2018:957, point 204 et jurisprudence citée).
56 Toutefois, si les décisions du 12 mars 2024, adoptées par le Comité en cours d’instance, indiquent que le refus de donner accès au rapport du Comité directement aux requérants reposait sur le caractère confidentiel de celui-ci et les fuites récurrentes auxquelles le Comité a fait face, il n’en demeure pas moins que, dans lesdites décisions, le Comité ne précise ni les informations couvertes par la confidentialité ni les raisons nécessitant de sauvegarder la confidentialité du rapport du Comité dans son intégralité à l’égard des requérants. Les fuites récurrentes des rapports auxquelles le Comité ferait face ne sont pas de nature à justifier une restriction du droit d’accès des personnes aux documents qui les concernent.
57 En l’absence de précision d’un intérêt légitime de la confidentialité, le Parlement aurait dû transmettre le rapport du Comité aux requérants, le cas échéant dans une version non confidentielle, conformément à la jurisprudence citée au point 50 ci-dessus.
58 Partant, le second moyen doit être accueilli.
59 Il y a donc lieu d’annuler les actes attaqués, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen.
Sur les conclusions en indemnité
60 Les requérants demandent au Tribunal de condamner le Parlement au paiement d’une indemnité, évaluée ex æquo et bono à la somme de 20 000 euros pour chacun d’entre eux, pour le préjudice subi en raison du délai de traitement de leur demande et le risque que l’action civile se prescrive.
61 Les requérants font valoir que la seule annulation des actes attaqués ne saurait suffisamment compenser le préjudice résultant du délai de traitement de leur demande initiale. À supposer que l’arrêt soit prononcé dans le délai moyen de traitement des recours en annulation, à savoir un an, près de deux années se seraient écoulées sans qu’ils aient pu profiter de l’accès au rapport. Ils ne pourraient pas, dans l’intervalle, prendre le risque d’engager une procédure civile dès ce stade, laquelle risquerait d’être déclarée non fondée pour insuffisance d’éléments de preuve présentés. Ils pourraient être ainsi contraints d’abandonner définitivement leurs prétentions civiles en vertu de l’autorité de la chose jugée que revêtirait ladite décision.
62 Le Parlement estime que l’annulation d’un acte entaché d’illégalité constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Les requérants ne démontreraient pas à suffisance de droit que leur prétendu dommage résultant du délai de traitement de leurs demandes initiales ne serait pas susceptible d’être intégralement réparé par l’annulation des actes attaqués. L’accès direct des requérants au rapport du Comité n’aurait aucune influence sur la possibilité d’entamer des procédures judiciaires nationales ni sur leurs chances de réussite.
63 Dans le cadre d’une demande en dommages et intérêts formulée par un fonctionnaire ou par un agent, l’engagement de la responsabilité de l’institution présuppose la réunion de trois conditions tenant à l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué. Ces trois conditions étant cumulatives, si l’une d’entre elles n’est pas satisfaite, la responsabilité de l’institution ne peut être engagée (voir arrêt du 19 octobre 2022, JS/CRU, T‑271/20, non publié, EU:T:2022:652, point 179 et jurisprudence citée).
64 En outre, selon la jurisprudence, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 86 et jurisprudence citée).
65 En l’espèce, les requérants considèrent que l’annulation des actes attaqués ne pourrait constituer en elle-même une réparation adéquate, dans la mesure où celle-ci ne saurait compenser le fait qu’ils n’ont pu introduire, eu égard au délai de traitement de leur demande initiale et dans l’attente de l’arrêt du Tribunal, une action civile. Selon eux, l’accès au rapport du Comité était nécessaire afin de disposer de tous les éléments pertinents pour fonder une telle action et ne pas prendre le risque que celle-ci soit déclarée non fondée.
66 Le Tribunal relève qu’il ressort toutefois des observations des requérants sur la demande de non-lieu à statuer que, bien qu’ils ne disposaient pas du rapport du Comité, ceux-ci ont introduit une action civile et il n’a pas été porté à la connaissance du Tribunal que celle-ci aurait été déclarée non fondée.
67 Il s’ensuit que les requérants ne sont pas parvenus à démontrer que le préjudice moral qu’ils allèguent était insusceptible d’être intégralement réparé par l’annulation des actes attaqués.
68 À la lumière de ce qui précède, la demande indemnitaire doit être rejetée.
Sur les dépens
69 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
70 En l’espèce, le Parlement ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérants.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) Les décisions du Parlement européen du 9 mars 2023 et du 28 mars 2023 par lesquelles ont été rejetées les demandes, introduites respectivement par BY et TU, visant à obtenir l’accès au rapport d’enquête administrative établi à propos de faits de harcèlement à leur égard sont annulées.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Parlement est condamné aux dépens.
da Silva Passos | Półtorak | Pynnä |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 février 2025.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
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