Ponomarenko v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in respect of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Judgment) French Text [2025] EUECJ T-249/22 (05 March 2025)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T24922.html
Cite as: ECLI:EU:T:2025:202, [2025] EUECJ T-249/22, EU:T:2025:202

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

5 mars 2025 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine - Gel des fonds - Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres - Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres - Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste - Notion de “soutien matériel ou financier aux décideurs russes” - Article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145/PESC - Notion d’“association” - Article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145 - Droit à un procès équitable - Droit à une protection juridictionnelle effective - Droits de la défense - Obligation de motivation - Proportionnalité - Droit de propriété - Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑249/22,

Alexander Ponomarenko, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Me M. Komuczky, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme T. Haas et M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme M. Brkan, faisant fonction de présidente, MM. I. Gâlea et S. L. Kalėda (rapporteur), juges,

greffier : M. T. Henze, greffier adjoint,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–      la requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 2022;

–      les mémoires en adaptation déposés au greffe du Tribunal le 15 novembre 2022, le 23 mai 2023, le 24 novembre 2023 et le 16 avril 2024 ;

à la suite de l’audience du 29 mai 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Alexander Ponomarenko, demande l’annulation :

–        premièrement, de la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, du 28 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 59, p. 1), et du règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux ») ;

–        deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2022 ») ;

–        troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 relatif à des mesures résiduelles eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2023 ») ;

–        quatrièmement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2023 ») ;

–        cinquièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847), et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2024 »), en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») inscrivent et maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes (ci-après les « listes en cause »).

 Antécédents du litige

2        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

4        Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1)), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

6        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, telle que modifiée, se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

d)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145, telle que modifiée.

8        L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée, proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, de cette même décision.

9        Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, telle que modifiée.

10      Dans ce contexte, le 28 février 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux.

11      Par les actes initiaux, le nom du requérant a été ajouté aux listes en cause aux motifs suivants :

« [Le requérant] est un oligarque russe, président du conseil d’administration de l’aéroport international de Chérémétiévo. [Il] entretient des liens étroits avec d’autres oligarques associés à Vladimir Poutine, ainsi qu’avec Sergey Aksyonov, chef de la soi-disant “République de Crimée” sur le territoire de la péninsule de Crimée illégalement annexée. Il a participé au financement du palais situé près de Gelendzhik, qui est considéré comme étant personnellement utilisé par le président Poutine.

Il a donc apporté un soutien matériel ou financier actif à des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

12      Le 1er mars 2022, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux (JO 2022, C 101, p. 4). Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes en cause.

13      Le 7 avril 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication des documents et éléments de preuve sur la base desquels avaient été adoptées les mesures restrictives le concernant.

14      Le 28 avril 2022, le Conseil a communiqué au requérant le dossier WK 2765/2022 contenant les éléments de preuve le concernant (ci-après le « premier dossier WK »).

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

15      Le 24 mai 2022, le requérant a introduit auprès du Conseil une demande de réexamen des actes initiaux.

16      En réponse à cette demande de réexamen, par courrier du 15 septembre 2022, le Conseil a fait part au requérant de la prolongation des mesures restrictives à son encontre et l’a invité à lui communiquer ses observations avant le 2 novembre 2022. Par ce même courrier, le Conseil a fait savoir au requérant que ses observations dans la demande de réexamen étaient identiques aux arguments avancés dans la requête dans la présente affaire et qu’il maintenait les mesures restrictives le concernant en se référant aux arguments figurant dans le mémoire en défense dans la présente affaire.

17      Par les actes de septembre 2022, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 mars 2023. Lesdits actes ont maintenu le nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement de motifs identiques à ceux figurant dans les actes initiaux, reproduits au point 11 ci-dessus.

18      Le 13 octobre 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication du dossier ayant servi de fondement à l’adoption des actes de septembre 2022.

19      Le 28 octobre 2022, le Conseil a répondu au requérant que les actes de septembre 2022 se fondaient sur les mêmes éléments que ceux contenus dans le premier dossier WK.

20      Le 22 décembre 2022, le Conseil a adressé au requérant une lettre l’informant qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives à son encontre. Cette lettre était accompagnée du document WK 2765/22 ADD 1 REV 1 (ci-après le « deuxième dossier WK »).

21      Le 19 janvier 2023, le requérant a transmis ses observations au Conseil.

22      Le 6 février 2023, le Conseil a adressé au requérant une lettre confirmant sa position de maintenir les mesures restrictives à son encontre. Cette lettre était accompagnée des documents WK 1125/23 INIT (ci-après le « troisième dossier WK »), WK 1125/23 ADD 1 (ci-après le « quatrième dossier WK ») et WK 1125/23 ADD 2 qui consiste en un résumé d’un document classifié relatif aux participations détenues par le requérant dans certaines entreprises (ci-après le « dossier WK classifié »).

23      Le 15 février 2023, le requérant a transmis ses observations au Conseil, en demandant la communication des documents du dossier WK classifié.

24      Le 23 février 2023, le Conseil a envoyé une lettre au requérant l’informant qu’il envisageait de maintenir les mesures restrictives à son encontre.

25      Le 28 février 2023, le requérant a transmis ses observations au Conseil, en réitérant sa demande de communication des documents mentionnés dans le dossier WK classifié.

26      Le 14 mars 2023, le Conseil a informé le requérant que les mesures restrictives à son égard seraient maintenues et l’a informé de son refus de lui communiquer les documents mentionnés dans le dossier WK classifié.

27      Par les actes de mars 2023, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 septembre 2023.

28      Dans les actes de mars 2023, le Conseil a justifié la prolongation des mesures prises à l’encontre du requérant par les motifs suivants :

« [Le requérant] est un oligarque russe, ancien président du conseil d’administration de l’aéroport international de Chérémétiévo, auquel il est toujours lié en tant qu’actionnaire. [Le requérant] est associé à Arkady Rotenberg, un homme d’affaires russe important, qui a des liens personnels étroits avec le président Poutine. Il participe au financement du palais situé près de Gelendzhik, qui est personnellement utilisé par le président Poutine.

Par conséquent, il apporte un soutien aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’est de l’Ukraine, et tire avantage de ces décideurs. »

29      En annexe à ses observations sur le deuxième mémoire en adaptation, le Conseil a communiqué le dossier WK 1296/2023 correspondant à une version partiellement occultée du dossier WK classifié (ci-après le « dossier WK partiellement déclassifié »).

30      Le 30 mai 2023, le requérant a introduit auprès du Conseil une demande de réexamen de son inscription.

31      Par courrier du 15 septembre 2023, le Conseil a informé le requérant que les mesures restrictives à son encontre seraient maintenues.

32      Par les actes de septembre 2023, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 mars 2024. Lesdits actes ont maintenu le nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement de motifs identiques à ceux figurant dans les actes de mars 2023, reproduits au point 28 ci-dessus.

33      Le 31 octobre 2023, le requérant a introduit auprès du Conseil une demande de réexamen de son inscription.

34      Le 13 mars 2024, le Conseil a informé le requérant que les mesures restrictives à son encontre seraient maintenues.

35      Par les actes de mars 2024, les mesures prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 septembre 2024. Lesdits actes ont maintenu le nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement de motifs identiques à ceux figurant dans les actes de mars 2023, reproduits au point 28 ci-dessus.

 Conclusions des parties

36      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, dans la mesure où ceux-ci le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

37      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les mesures restrictives adoptées à l’encontre du requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2024/847 en ce qui concerne le requérant jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2024/849 prenne effet.

 En droit

38      Au soutien du recours, le requérant invoque trois moyens, le premier, tiré de violations des droits procéduraux, le deuxième, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et, le troisième, tiré de la violation de principes généraux et des droits fondamentaux.

 Sur le premier moyen, tiré de violations des droits procéduraux

39      Par le premier moyen, le requérant invoque, en substance, dans le cadre d’une première branche, la violation du droit à un procès équitable, du principe de protection juridictionnelle effective, des droits de la défense, du principe de bonne administration et de la prétendue obligation incombant au Conseil de vérifier les faits retenus pour motiver l’adoption des mesures restrictives. Dans le cadre d’une seconde branche, le requérant se prévaut d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation du droit à un procès équitable, du principe de protection juridictionnelle effective, des droits de la défense, du principe de bonne administration et de la prétendue obligation incombant au Conseil de vérifier les faits retenus

40      Le requérant fait valoir que la tardiveté de la communication par le Conseil des documents et des éléments de preuve sur la base desquels avaient été adoptés les actes initiaux le concernant l’a empêché d’effectuer un examen approfondi des éléments de preuve du premier dossier WK aux fins de former dans le délai imparti le recours dans la présente affaire.

41      Par ailleurs, dans ses deuxième, troisième et quatrième mémoires en adaptation, le requérant soutient que le Conseil a violé son obligation de vérifier les faits retenus pour motiver l’inscription de son nom sur les listes en cause. En effet, selon le requérant, différents moyens de preuve se contredisent ou sont obsolètes. En outre, les documents produits par le Conseil auraient été réfutés par des éléments de preuve produits par le requérant.

42      Dans son deuxième mémoire en adaptation, le requérant invoque une violation de ses droits à une bonne administration et à un recours effectif, consacrés par les articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), au motif que les informations contenues dans le dossier WK classifié ne lui ont pas été communiquées, ce qui l’aurait empêché de s’exprimer de manière circonstanciée sur lesdits éléments.

43      En outre, s’agissant du dossier WK partiellement déclassifié produit par le Conseil, le requérant affirme qu’il contient toujours des passages occultés, de sorte il n’a pas été en mesure de le consulter et contester utilement.

44      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

45      Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité. Le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir, en ce sens, arrêts du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 79).

46      En outre, le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100).

47      En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de l’argument du requérant tiré de la communication prétendument tardive par le Conseil des documents et éléments de preuve sur la base desquels avaient été adoptés les actes initiaux, il convient de constater que le premier dossier WK a été communiqué par le Conseil au requérant le 28 avril 2022. Or, étant donné le délai de recours dont le requérant a disposé pour introduire sa requête, lequel a expiré le 24 mai 2022, cette communication ne saurait être considérée comme tardive.

48      En outre, il y a lieu de constater que la thèse du requérant est infirmée par le fait qu’il a formé son recours le 6 mai 2022, soit plus de quinze jours avant l’expiration du délai de recours.

49      Par conséquent, ces arguments du requérant tirés de la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective ne sauraient prospérer.

50      En deuxième lieu, l’argument du requérant selon lequel, en substance, le Conseil n’a pas respecté son obligation de vérifier de manière approfondie les faits tend à contester le bien-fondé de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes en cause. Cette argumentation se confondant avec celle exposée au soutien de son moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, elle sera donc examinée dans le cadre de cet autre moyen. En ce qui concerne l’argumentation tirée d’une violation des droits de la défense et du droit être entendu dans le cadre de l’adoption des actes de maintien, il y a lieu de rappeler que, si le respect des droits de la défense et du droit d’être entendu exige que les institutions de l’Union permettent à la personne visée par un acte faisant grief de faire connaître utilement son point de vue, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci (arrêts du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 330, et du 27 avril 2022, Boshab/Conseil, T‑103/21, non publié, EU:T:2022:248, point 73). Ainsi, le seul fait que le Conseil n’a pas conclu à l’absence de bien‑fondé de la prorogation de l’imposition des mesures restrictives, ni même jugé utile de procéder à des vérifications au vu des observations présentées par le requérant, ne saurait en tout état de cause, constituer, par lui-même, une violation des droits de la défense et du droit d’être entendu du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 331).

51      Par conséquent, l’argument tiré d’une violation de la défense et du droit d’être entendu du requérant doit également être rejeté.

52      En troisième lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel la non-communication des preuves classifiées l’aurait privé de la possibilité de réfuter leur exactitude et leur bien-fondé pendant la procédure administrative ayant conduit à l’adoption des actes de mars 2023, il y a lieu de rappeler que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication dans la procédure administrative de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée (voir arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 134 et jurisprudence citée). En outre, tel est également le cas en présence de considérations impérieuses visant à protéger les intérêts légitimes de certaines personnes ou entités constituant la source d’informations classifiées.

53      En l’espèce, dans sa lettre du 14 mars 2023, le Conseil a notamment indiqué que les documents en question avaient été classifiés « restreint UE/EU restricted » afin de ne pas en divulguer les sources. Plus particulièrement, lors de l’audience, le Conseil a précisé qu’il avait estimé nécessaire de protéger l’identité desdites sources pour ne pas les exposer à des risques de représailles.

54      Ainsi, le Conseil pouvait ne pas rendre accessible au requérant l’intégralité desdits documents, qui étaient en sa possession avant l’adoption des actes de mars 2023, sans que cela puisse, en soi, fonder le constat d’une violation des droits de la défense lors de l’adoption desdits actes.

55      De plus, il convient de constater que, avant l’adoption des actes de mars 2023, le Conseil a communiqué au requérant un résumé des éléments de preuve pertinents contenus dans le dossier WK classifié. À cet égard, il y a lieu de constater que ledit résumé est suffisamment précis et circonstancié dans la mesure où, premièrement, il fait apparaître le type d’informations figurant dans le document en cause contenu dans le dossier WK classifié, à savoir des informations extraites des registres des sociétés, deuxièmement, il identifie les sociétés dans lesquelles le requérant aurait des participations, à savoir l’aéroport international de Chérémétiévo (SIA) ainsi que les sociétés [confidentiel] (1) et, troisièmement, il fait également état d’un lien entre le requérant et M. Arkady Rotenberg par l’intermédiaire de deux sociétés enregistrées à Chypre et dans les Îles vierges britanniques. Par ailleurs, le caractère suffisamment précis et circonstancié dudit résumé tout comme l’exactitude des informations reprises dans celui-ci sont confirmés par le contenu du dossier WK partiellement déclassifié, qui contient des informations détaillées sur les participations dans les sociétés concernées ainsi que sur les activités du requérant.

56      De surcroît, il convient de relever que, dans les premier et deuxième dossiers WK, le Conseil s’est également fondé sur d’autres pièces, communiquées au requérant avant l’adoption des actes de mars 2023, pour établir que celui-ci était lié aux mêmes sociétés [confidentiel]. Ainsi, le Conseil n’a pas étayé les motifs d’inscription uniquement sur la base du résumé du document classifié, mais sur un ensemble cohérent d’éléments de preuve.

57      Par conséquent, dans le cadre de l’adoption des actes de mars 2023, le requérant a eu la possibilité de faire connaître son point de vue de manière utile et effective et de contester, concrètement, la réalité des allégations retenues contre lui par le Conseil, et en particulier celles mentionnées dans le résumé du document classifié. Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à soutenir que ses droits de la défense et le principe de bonne administration auraient été violés.

58      Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation du principe de protection juridictionnelle effective, il convient de rappeler que, le 26 juin 2023, le Conseil a communiqué au Tribunal, en annexe à ses observations sur le deuxième mémoire en adaptation, le dossier WK partiellement déclassifié. Ce dossier était composé de l’intégralité du document classifié à l’exception de sa source, dont le nom était occulté. Ainsi, dans le cadre de la présente instance, le requérant a pu prendre connaissance de ces éléments de preuve et de toutes les informations qu’ils contenaient, et dès lors exprimer son point de vue à cet égard.

59      Partant, il convient de rejeter l’argumentation tirée de ce que la non-communication des preuves classifiées violerait les droits de la défense, le principe de bonne administration et le droit à une protection juridictionnelle effective.

60      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la première branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’obligation de motivation

61      Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, le requérant soutient que les actes attaqués violent l’obligation de motivation.

62      Tout d’abord, le requérant fait valoir que la motivation apportée par le Conseil dans les actes initiaux et de septembre 2022 ne lui permet pas de connaître les raisons sur lesquelles le Conseil a fondé lesdits actes. Selon lui, les motifs retenus pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause font application du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145, telle que modifiée [ci-après le « critère d) »] alors que, dans le premier dossier WK, la base juridique indiquée pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause était le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite décision.

63      Ensuite, concernant le motif des actes attaqués faisant référence aux liens avec d’« autres oligarques associés à M. Poutine », le requérant fait observer que les actes initiaux et les actes de septembre 2022 ne mentionnent ni le nom de ces autres oligarques ni la nature concrète des liens avec ceux-ci.

64      Enfin, selon le requérant, les éléments de preuve figurant dans le premier dossier WK sont pour la plupart inexacts, obsolètes ou insuffisants, de sorte que la conclusion qu’en tire le Conseil est inexacte.

65      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

66      L’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 63 et jurisprudence citée).

67      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 64 et jurisprudence citée).

68      En outre, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 65 et jurisprudence citée).

69      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 66 et jurisprudence citée).

70      Enfin, il convient de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67). En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37 et jurisprudence citée).

71      En premier lieu, il doit être relevé que le contexte général ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause est clairement exposé dans les considérants des actes attaqués, qui font, notamment, référence à l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. De même, les fondements juridiques sur la base desquels lesdits actes ont été adoptés, à savoir l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE, sont indiqués. Ainsi, le contexte ayant entouré l’adoption desdits actes et leur base juridique étaient connus du requérant.

72      En deuxième lieu, eu égard au libellé des motifs des actes attaqués, exposés aux points 11 et 28 ci-dessus, il convient de constater que ces motifs sont suffisamment clairs et précis pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit, puis maintenu, sur les listes en cause.

73      En effet, il ressort de manière suffisamment claire desdits motifs que le Conseil a inscrit, puis maintenu, le nom du requérant sur les listes en cause en se fondant sur le critère d), dès lors que ces motifs font mention de ce qu’il a apporté un soutien à des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ce qui correspond au premier volet de ce critère. En outre, il ressort des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 que le nom du requérant a également été inscrit en tant que personne qui « tire avantage » de ces décideurs, ce qui correspond au second volet du critère d). Quant aux raisons pour lesquelles le Conseil a considéré le requérant comme relevant du premier volet du critère d), il ressort des motifs des actes attaqués que celles-ci étaient liées, notamment, à sa participation au financement d’un bâtiment situé à Gelendzhik considéré comme personnellement utilisé par le président Poutine, à savoir le décideur soutenu par le requérant. Quant au second volet du critère d), il ressort, en substance, des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 que le statut d’oligarque lié à SIA constitue l’avantage tiré de ce même décideur russe.

74      En outre, il ressort des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause est également fondé sur le critère de l’association visé à l’article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145, telle que modifiée (ci-après le « critère de l’association »), du fait de ses liens avec M. Arkady Rotenberg.

75      En troisième lieu, s’agissant de l’argument tiré de l’absence de mention du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 dans la motivation des actes attaqués, il n’est pas contesté que, dans le premier dossier WK, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) avait proposé au Conseil d’inscrire le nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement de ce critère.

76      Or, il convient de rappeler que, d’une part, l’inscription des noms de personnes, entités et organismes sur les listes en cause est en règle générale précédée par l’établissement par le SEAE d’un document de travail, tel que le premier dossier WK, par lequel ce service propose au Conseil le nom d’une personne, entité ou organisme à inscrire sur les listes en cause. Dans cette proposition, figurent notamment les critères d’inscription envisageables, une proposition de motifs d’inscription ainsi que les preuves de nature à justifier une telle inscription. Il en résulte qu’un tel document préparé par le SEAE a nécessairement une nature préparatoire (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2023, Timchenko/Conseil, T‑361/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:502, points 42 et 43).

77      D’autre part, le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis (voir arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 54 et jurisprudence citée). Dès lors qu’il est loisible au Conseil de retenir, dans les actes juridiques aux fins de l’application de mesures restrictives à l’égard de personnes, d’entités ou d’organismes, des critères d’inscription différents de ceux qui avaient été proposés par le SEAE, la motivation des actes attaqués doit être appréciée, en ce qui concerne la situation particulière du requérant, à la lumière du libellé des motifs d’inscription.

78      Or, en l’espèce, il ressort de manière suffisamment claire de la lecture des motifs des actes attaqués que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes en cause en se fondant sur le critère d) ainsi que, s’agissant des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, sur le critère de l’association (voir points 72 à 74 ci-dessus).

79      Il en résulte que le fait que le critère d’inscription envisagé dans la proposition du SEAE figurant dans le premier dossier WK est différent de celui mentionné dans les actes initiaux et de septembre 2022 ne saurait constituer une violation de l’obligation de motivation.

80      Concernant l’argumentation tirée de la généralité de la motivation en ce qui concerne les liens entre le requérant et d’« autres oligarques associés à M. Poutine », il y a lieu de relever que cette argumentation vise uniquement les actes initiaux et les actes de septembre 2022. Or, dans ces actes, le nom du requérant n’était pas inscrit sur le fondement du critère de l’association. Il s’ensuit que l’absence d’identification précise des autres oligarques auxquels le requérant était associé et de la nature concrète des liens avec ceux-ci ne saurait constituer un quelconque défaut de motivation de ces actes.

81      Au demeurant, il ressort des mémoires du requérant contestant la légalité des actes initiaux et des actes de septembre 2022 qu’il avait compris en quoi consistait le soutien, au sens du critère d), qui lui était reproché, à savoir sa participation au financement du complexe situé près de Gelendzhik utilisé personnellement par le président de la Fédération de Russie (ci-après le « complexe à Gelendzhik »), de sorte qu’il a été en mesure de contester l’adoption de mesures restrictives à son égard sur le fondement de ce critère. En outre, les motifs figurant dans ces mêmes actes sont suffisamment clairs et précis pour permettre au Tribunal d’examiner la légalité de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes en cause sur le fondement du critère d).

82      S’agissant des arguments du requérant relatifs au caractère prétendument obsolète, inexact ou insuffisant des allégations contenues dans les motifs d’inscription sur les listes en cause et dans les éléments de preuve rassemblés dans le dossier du Conseil, il y a lieu de relever que ces arguments ne visent pas le respect de l’obligation de motivation, mais le bien-fondé des actes attaqués. Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 70 ci-dessus, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Il en résulte que ces arguments du requérant ne sauraient remettre en cause le caractère suffisant de la motivation des actes attaqués.

83      Au vu de ce qui précède, il convient d’écarter la seconde branche du premier moyen et, dès lors, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

84      Au soutien de ce moyen, le requérant fait valoir, en substance, que les éléments de preuve contenus dans les dossiers de preuves ne sont pas fiables, et que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation en concluant qu’il relevait du critère d) ainsi que, pour ce qui concerne les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, également du critère de l’association.

 Considérations liminaires

85      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 121 et jurisprudence citée).

86      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

87      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 124 et jurisprudence citée).

88      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 ; voir, également, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 73 et jurisprudence citée).

89      Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

90      S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne visée par les mesures restrictives sur la liste en cause, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 168 et jurisprudence citée).

91      Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur les listes en cause, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de ladite personne sur les listes en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription sont inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ledit contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée. De même, le maintien sur la liste litigieuse est justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’auraient pas été atteints (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 169 et jurisprudence citée).

92      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en décidant d’inscrire, puis de maintenir, le nom du requérant sur les listes en cause.

 Sur les actes initiaux et les actes de septembre 2022

93      Il ressort du libellé des actes initiaux et des actes de septembre 2022, lesquels sont rédigés en des termes identiques, que le requérant a été inscrit au motif qu’il a « apporté un soutien matériel ou financier actif à des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine » au sens du critère d).

–       Sur la fiabilité des éléments de preuve

94      Le requérant soutient que les éléments de preuve contenus dans le premier dossier WK ne sont pas fiables, en ce qu’ils sont extraits de « médias de boulevard » instrumentalisés pour nuire à sa réputation. Les pièces nos 1, 2, 3 et 6 ne seraient fondées que sur des rumeurs et des spéculations visant à faire scandale et contiendraient des contre-vérités quant au prix d’acquisition par le requérant du complexe à Gelendzhik. La pièce no 4 ne contiendrait que des allégations non étayées par des sources fiables. Les pièces de nos 3 et 6 dateraient de 2011, de 2012 et de 2015 et auraient donc été de ce fait dénuées de pertinence lors de l’adoption des actes initiaux et de septembre 2022.

95      Le Conseil conteste cette argumentation.

96      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

97      En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).

98      En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116 et jurisprudence citée).

99      En l’espèce, en ce qui concerne le soutien apporté par le requérant à un décideur russe au sens du critère d), il ressort des motifs des actes initiaux et des actes de septembre 2022 que le requérant aurait participé au financement du complexe à Gelendzhik. Les documents sur lesquels le Conseil s’est fondé pour établir l’existence d’un financement de ce complexe par le requérant et figurant dans le premier dossier WK sont notamment les suivants :

–        une retranscription d’une enquête de l’Anti-Corruption Foundation (fondation pour la lutte contre la corruption) relative à une propriété liée à M. Poutine située au bord de la mer Noire, près de Gelendzhik, publiée le 19 janvier 2021 sur le site Internet palace.navalny.com et consultée le 15 février 2022 (pièce no 1) ;

–        la capture d’écran d’un extrait d’un article publié le 20 janvier 2021 sur le site Internet du journal en ligne « Medusa », consultée le 24 février 2022 (ci-après la « pièce no 2 ») ;

–        le résumé d’un article de presse publié le 3 mars 2011 sur le site Internet du journal en ligne « The Moscow Times », consulté le 24 février 2022 (ci-après la « pièce no 3 ») ;

–        la référence à une page du site Internet « Spisok-Putina.org » et à son résumé, ladite page ayant été consultée le 24 février 2022 (ci-après la « pièce no 4 ») ;

–        un article de presse publié le 2 avril 2012 sur le site Internet du quotidien économique « Vedomosti », consulté le 24 février 2022 (ci-après la « pièce no 6 »).

100    S’agissant de la pièce no 1 du premier dossier WK, il convient de relever qu’il s’agit d’une enquête concernant notamment le financement du complexe à Gelendzhik, laquelle se fonde sur les diverses sources d’informations (documents officiels, photographies, plans, transactions financières avec les coordonnées bancaires des sociétés impliquées). En outre, certains faits décrits dans cette enquête sont confirmés par des informations reprises dans les pièces nos 2, 3 et 6. L’argument du requérant tiré de ce que cette enquête contiendrait une erreur concernant le prix de l’achat du complexe à Gelendzhik n’est pas, à elle seule, de nature à priver la pièce no 1 du premier dossier WK de sa valeur probante.

101    En ce qui concerne l’argument tiré de ce que les allégations figurant dans les pièces nos 1, 2, 3, 4 et 6 ne seraient pas fiables au motif que les informations qu’elles contiennent proviennent de « médias de boulevard » et seraient donc fondées que sur des rumeurs et des spéculations visant à faire scandale et ne reposeraient pas sur des indices suffisamment solides, il convient de relever que le fait que des éléments de preuve soient tirés de médias spécialisés dans la vie privée des personnes publiques ou de sites Internet commerciaux n’est pas de nature à priver ces éléments de toute valeur probante (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2023, QF/Conseil, T‑386/22, non publié, EU:T:2023:670, points 33 et 37). En outre, compte tenu des difficultés d’accès aux informations évoquées au point 98 ci-dessus, le fait que des enquêtes ou des articles se fondent sur des informations disponibles sur des sites Internet n’est pas de nature à priver lesdites pièces de force probante.

102    À l’appui de son allégation selon laquelle les sources figurant dans le premier dossier WK ne seraient pas des sources diverses et fiables, le requérant produit un rapport établi par une chercheuse universitaire russe. À cet égard, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la recevabilité de cette offre de preuve présentée pour la première fois au stade du mémoire en réplique, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que ce rapport a été préparé à la demande du requérant sur la base d’informations fournies par ce dernier à la personne en charge de l’établir. Partant, la valeur probante de ce rapport doit être relativisée, de sorte que celui-ci ne saurait suffire pour remettre en cause la fiabilité des éléments de preuve produits par le Conseil.

103    S’agissant des autres objections soulevées par le requérant à l’égard d’informations figurant dans le premier dossier WK, qui, selon le cas, n’auraient pas été mises à jour, seraient imprécises ou inexactes, il y a lieu d’observer que ces objections ont trait à la véracité de certaines allégations contenues dans les pièces incluses dans ledit dossier et non à la fiabilité et à la crédibilité desdites pièces, de sorte qu’elles doivent être examinées, le cas échéant, dans le cadre de l’examen du bien-fondé du motif d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause.

–       Sur les annexes du mémoire en défense

104    Le requérant conteste la possibilité de prendre en compte, notamment, les pièces B.13, B.14, B.23, B.25 et B.26, annexées au mémoire en défense, au motif que ces éléments n’étaient pas mentionnés dans la motivation des actes attaqués, de sorte qu’ils ne seraient pas pertinents.

105    Le Conseil conteste cette argumentation du requérant.

106    Selon la jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22, et du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 80).

107    Il y a également lieu de rappeler que le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 64).

108    Ainsi, lors du contrôle de légalité du bien-fondé des actes imposant des mesures restrictives, il est possible de prendre en compte des preuves additionnelles qui ne figuraient pas dans le dossier de preuve et qui sont produites aux fins de confirmer le bien-fondé des faits allégués dans les motifs d’inscription, dès lors, d’une part, que ces preuves corroborent des éléments dont le Conseil disposait et, d’autre part, que lesdites preuves se rapportent à des faits antérieurs à l’adoption des actes attaqués en cause.

109    En l’espèce, il y a lieu de relever que les annexes B.13, B14, B.25 et B.26 constituent des éléments qui, d’une part, corroborent des faits ou confirment les résultats de l’enquête produite en tant que pièce no 1 du premier dossier WK et, d’autre part, se rapportent à des faits antérieurs à l’adoption des actes attaqués. Dès lors, de tels éléments peuvent être pris en compte dans le cadre du contrôle de légalité des actes attaqués.

110    En outre, en ce qui concerne l’annexe B.23, il convient de constater qu’il s’agit d’un schéma figurant dans l’enquête reprise dans la pièce no 1 du premier dossier WK, laquelle était accessible par le biais de l’hyperlien figurant dans ce dossier. Dès lors, le requérant ne saurait valablement contester la possibilité de prendre en compte lesdites informations contenues dans cette annexe (voir, par analogie, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 55).

–       Sur l’application au requérant du critère d)

111    Le requérant soutient que les circonstances entourant sa participation dans les sociétés [confidentiel] ne sont pas de nature à établir sa participation au financement du complexe à Gelendzhik.

112    S’agissant des sociétés [confidentiel], le requérant soutient qu’il a saisi, en 2011, une opportunité d’investissement, par l’acquisition au prix de [confidentiel], à travers la société [confidentiel] dont il était propriétaire, d’un immeuble qui appartenait à la société immobilière [confidentiel]. Selon le requérant, il s’agissait d’un projet de complexe hôtelier de luxe, cet immeuble n’étant aucunement un palais privé. En tout état de cause, il précise que M. Poutine ne l’avait pas utilisé. À cet égard, le requérant considère que le Conseil n’a pas démontré l’existence d’un lien entre le complexe à Gelendzhik et M. Poutine.

113    Ensuite, le requérant indique que, à défaut d’un accord avec les créanciers de la société immobilière [confidentiel], il avait revendu ses parts dans l’immeuble à la fin de l’année 2012, puis, à la suite de négociations jusqu’en 2015, il avait repris les parts dans le projet, par le biais de la société [confidentiel]. Toutefois, à la fin de l’année 2015, les négociations avec les créanciers ayant à nouveau échoué, il indique avoir cédé ses parts dans la société [confidentiel] en mars 2016 et définitivement abandonné ce projet. Selon le requérant, dès lors que la société [confidentiel] était détenue par [confidentiel], toutes ses parts dans ces deux sociétés ont été cédées.

114    Ainsi, le requérant soutient n’avoir été impliqué dans le projet à Gelendzhik qu’entre 2011 et 2016. Il ajoute que la société [confidentiel], qui était chargée du projet en 2011, a été remplacée par [confidentiel] en 2016.

115    S’agissant de la société [confidentiel], le requérant soutient, d’une part, que cette société n’est mentionnée ni dans les motifs des actes attaqués, ni dans le premier dossier WK. D’autre part, selon lui, il s’agit d’une société exerçant une activité ostréicole, à laquelle il avait été associé uniquement entre février 2017 et octobre 2018. Il indique avoir cédé ses parts dans [confidentiel] le 30 octobre 2018.

116    Le requérant ajoute qu’il n’était pas concerné par les flux financiers du financement du complexe à Gelendzhik via les sociétés [confidentiel], au cours de la période durant laquelle il était impliqué dans ce projet. Dès lors, il considère qu’il n’a apporté aucun soutien à M. Poutine pas plus qu’à d’autres décideurs, a fortiori, à la date d’adoption des actes initiaux et de septembre 2022.

117    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

118    S’agissant du critère d), il convient d’observer que celui-ci n’exige pas que les personnes ou entités concernées apportent un soutien directement ou indirectement lié à l’annexion de la Crimée ou à la déstabilisation de l’Ukraine. Il suffit qu’elles apportent un soutien matériel ou financier quantitativement ou qualitativement important aux décideurs russes responsables de ces actions (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 91 ; voir également, par analogie, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 44).

119    En l’espèce, il convient de constater qu’il ressort des motifs des actes initiaux et de septembre 2022 que M. Poutine est le décideur russe soutenu par le requérant. Il convient donc de vérifier si la base factuelle du Conseil était suffisante pour établir un tel constat.

120    En premier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas démontré le lien entre le complexe à Gelendzhik et M. Poutine, il convient d’observer que ledit lien ressort, à suffisance de droit, de plusieurs éléments contenus dans le premier dossier WK.

121    En effet, le constat que ce complexe est lié à M. Poutine ressort non seulement de l’enquête reprise dans la pièce no 1 du premier dossier WK, mais également des pièces nos 2 et 3 de ce même dossier, desquelles il ressort que, dès 2011, des médias avaient rapporté que ledit complexe était destiné à l’usage personnel de M. Poutine. Par ailleurs, cette information est également corroborée par d’autres documents, à savoir un article intitulé « “Le palais de Poutine” : l’histoire du luxe, de la moisissure et des faux murs des constructeurs », publié sur le site Internet de BBC le 12 février 2021 (annexe B.14), l’article intitulé « La société propriétaire du “Palais de Poutine” a reçu 7 000 hectares de terrains de chasse », publié le 6 novembre 2020 sur le site de BBC (annexe B.26), l’article intitulé « Palais de 740 mètres carrés », publié le 7 septembre 2011 sur le site Internet de Novaya Gazeta (annexe B.25), ainsi que la page internet intitulée « Palais de Poutine » publiée sur Wikipedia (annexe B.13).

122    Ainsi, eu égard à ces éléments de preuve, le Conseil pouvait valablement considérer que la participation du requérant dans les sociétés impliquées dans la mise en œuvre du projet de complexe de Gelendzhik était constitutive d’un soutien apporté à M. Poutine.

123    En deuxième lieu, concernant l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas établi son implication dans le financement du complexe à Gelendzhik, il convient de rappeler que cette implication résulte des participations détenues par requérant dans des sociétés utilisées pour assurer la mise en œuvre du projet de complexe à Gelendzhik, à savoir les sociétés [confidentiel].

124    À cet égard, concernant la participation du requérant dans la société [confidentiel], il convient d’observer qu’il ressort des éléments de preuve produits par le Conseil que, d’une part, cette société a été impliquée dans le mécanisme de financement du complexe à Gelendzhik et assurait son accès par la voie maritime et, d’autre part, le requérant était son propriétaire.

125    En effet, d’une part, concernant le rôle de la société [confidentiel] dans le complexe à Gelendzhik, il convient de relever qu’il ressort de l’enquête reprise dans la pièce no 1 du premier dossier WK que des fonds transitant par cette société ont permis le financement du complexe à Gelendzhik (pièce no 1 du premier dossier WK et annexe B.23 au mémoire en défense).

126    En outre, il ressort également de la pièce no 1 du premier dossier WK que la société [confidentiel] a loué un terrain ainsi que plusieurs vastes zones en mer à proximité du complexe. Selon les informations contenues dans cette pièce, si officiellement ces parcelles devaient être utilisées à des fins d’exploitation ostréicole, en réalité, leur objectif consistait à assurer l’accès au complexe à Gelendzhik par la voie maritime.

127    D’autre part, concernant la participation du requérant dans la société [confidentiel], il convient de relever que, selon l’enquête figurant dans la pièce no 1 du premier dossier WK, le requérant était considéré comme étant le propriétaire de cette société.

128    À cet égard, il y a lieu de relever que le requérant reconnaît avoir acquis des participations dans la société [confidentiel] en février 2017, mais soutient les avoir cédées le 30 octobre 2018. à l’appui de cet argument, le requérant a produit un contrat de vente des actions et des extraits de registres émanant d’une société privée.

129    Il en ressort que l’intégralité des actions de cette société aurait été vendue le 30 octobre 2018, pour un montant total de [confidentiel].

130    Or, la crédibilité de cette prétendue transaction et, partant, la réalité du désengagement du requérant de la société [confidentiel] sont remises en cause par le prix de vente particulièrement faible indiqué dans ce contrat (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 101).

131    En effet, il ressort de l’enquête reprise dans la pièce no 1 du premier dossier WK que, entre les mois d’avril et d’août 2017, [confidentiel] a reçu, dans le cadre du financement du projet à Gelendzhik, des transferts pour un montant total de [confidentiel]. Compte tenu des sommes transférées à [confidentiel] en 2017, il y a lieu de constater que le prix de vente figurant dans le contrat de vente produit par le requérant est manifestement sous-évalué par rapport à la valeur réelle de cette société.

132    Interrogé sur ce point lors de l’audience, le requérant n’a pas fourni d’explication convaincante pour justifier ce prix de vente et s’est limité à soutenir que la société avait été revendue à son prix d’achat au motif que celle-ci ne détenait pas d’actifs. Or, il s’agit d’une affirmation qui n’est aucunement étayée et qui ne saurait convaincre, eu égard aux éléments du premier dossier WK indiquant le montant important des sommes transférées en faveur de cette société.

133    Ainsi, il convient de considérer que les éléments de preuve produits par le requérant, à savoir le contrat de vente et le registre tenu par une société à responsabilité limitée, ne suffisent pas pour établir qu’il s’est réellement désengagé de la société [confidentiel] le 30 octobre 2018.

134    Dès lors, le Conseil a pu considérer que, au moment de l’adoption des actes initiaux et des actes de septembre 2022, le requérant était encore impliqué dans le mécanisme de financement du complexe à Gelendzhik, utilisé à des fins personnelles par M. Poutine, par le biais de la société [confidentiel], laquelle a fourni un soutien quantitativement important étant donné qu’un montant d’au moins [confidentiel] a transité par cette société ainsi que cela ressort de l’annexe B.25 au mémoire en défense. Par ailleurs, il y a lieu de considérer que le requérant fournissait également un soutien qualitatif important par l’intermédiaire de cette société étant donné qu’elle assure l’accès au complexe par la voie maritime. Il s’ensuit que, par l’intermédiaire de la société [confidentiel], le requérant a fourni un soutien, au sens du critère d), à M. Poutine.

135    Pour ce qui est de la participation du requérant dans les autres sociétés impliquées dans le mécanisme de financement du complexe à Gelendzhik, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

136    Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les actes initiaux et les actes de septembre 2022, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs soulevés par le requérant visant à remettre en cause l’inscription et le maintien de son nom sur les listes en cause au motif de son implication dans le financement du complexe à Gelendzhik à travers les autres sociétés concernées.

 Sur les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024

137    En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, dont les motifs sont identiques, le maintien du nom du requérant est fondé sur les deux volets du critère d) ainsi que sur le critère de l’association.

138    Pour justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause au titre des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, en plus du premier dossier WK, le Conseil s’est également fondé sur les éléments de preuve fournis dans les deuxième, troisième et quatrième dossiers WK comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des captures d’écran et des articles d’information.

139    Dans le deuxième dossier WK, il s’agit notamment des éléments suivants :

–        un article intitulé « Le président du conseil d’administration de Chérémétievo, figurant sur la liste Forbes, a démissionné en raison des sanctions », publié le 1er mars 2022 sur le site de Forbes et consulté par le Conseil le 21 novembre 2022 ;

–        un article intitulé « Alexander Ponomarenko quitte son poste à l’aéroport de Chérémétievo après avoir été inclus dans la liste des sanctions de l’UE », publié le 1er mars 2022 sur le site de RBC News et consulté par le Conseil le 21 novembre 2022 ;

–        un article intitulé « Ponomarenko et le palais à Gelendzhik ont “refait surface” .. devant la cour d’Europe », publié le 8 juillet 2022 sur le site de Regnum et consulté par le Conseil 21 novembre 2022 ;

–        un extrait du site Internet Forbes Russia, consulté le 8 août 2022 ;

–        un article intitulé « Les propriétaires du “Palais de Poutine” ont-ils nié leur implication ? », publié sur le site de Kompromat et consulté par le Conseil le 22 juillet 2022.

140    Dans le troisième dossier WK, il s’agit notamment des éléments suivants :

–        un article intitulé « La structure de la holding contrôlant l’aéroport de Chérémétievo a été redomiciliée dans les Zones Administratives Spéciales (ZAS) », publié le 26 décembre 2022 sur le site de Rugard et consulté par le Conseil le 20 janvier 2023 ;

–        un article intitulé « Triumvirat : affaires et stratagèmes d’Arkady Rotenberg et de ses compagnons – Alexandre Ponomarenko et Alexandre Skorobogatko », publié sur le site de Utro fevraliya et consulté par le Conseil le 20 janvier 2023 ;

–        un article intitulé « Il y aura un grand scandale : “victoire” est allé à Chérémétievo », publié le 29 août 2022 sur le site de KO et consulté par le Conseil le 20 janvier 2023 ;

–        un article intitulé « “Victoire” à un prix élevé », publié le 29 août 2022 sur le site de Kommersant et consulté par le Conseil le 20 janvier 2023.

141    Dans le quatrième dossier WK, il s’agit notamment de l’article intitulé « Pourquoi Rotenberg s’est vu attribuer le plus grand aéroport de Russie », publié le 14 septembre 2015 sur le site de Versia et consulté par le Conseil le 27 janvier 2023.

142    Par ailleurs, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil s’est également fondé sur le rapport sur les participations et les activités du requérant repris dans le dossier WK partiellement déclassifié.

–       Sur la fiabilité des éléments de preuve

143    Le requérant fait valoir, en substance, que les éléments de preuve figurant dans les deuxième, troisième et quatrième dossiers WK sont pour la plupart inexacts, obsolètes ou insuffisants, de sorte que la conclusion qu’en tire le Conseil est inexacte. Par ailleurs, selon le requérant, les preuves qui n’ont pas pour « objet principal » les faits invoqués dans les motifs sont insuffisantes. Certains éléments de preuve seraient dépourvus de pertinence, n’ayant pas de lien avec les affirmations figurant dans les motifs des actes attaqués.

144    En outre, concernant le dossier WK classifié, le requérant soutient que la force probante des pièces mentionnées dans ce dossier est limitée, et que le dossier WK partiellement déclassifié, produit par le Conseil en annexe aux observations sur le deuxième mémoire en adaptation, n’apporterait plus de précisions utiles, dans la mesure où les sources des informations resteraient caviardées. Ainsi, le dossier WK partialement déclassifié ne comporterait aucune information crédible ou fiable. Selon le requérant, l’absence de communication des sources concrètes de ce dossier rendrait cet élément de preuve inadmissible.

145    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

146    En premier lieu, il y a lieu de relever que l’argument du requérant selon lequel les articles de presse ne contiendraient aucune preuve ne saurait suffire pour les priver de valeur probante. En effet, la situation de conflit résultant de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources (voir point 98 ci-dessus).

147    Par ailleurs, pour ce qui est de l’argument du requérant tiré du fait que le Conseil se serait fondé à tort sur l’article Forbes sans vérifier la provenance, la véracité et la fiabilité des affirmations concernant son patrimoine, il suffit de relever que le magazine américain Forbes constitue une source d’information fiable dans le domaine économique. En outre, étant donné que le requérant conteste le contenu des informations figurant dans l’article de Forbes, un tel argument n’est pas de nature à remettre en cause la fiabilité et la crédibilité des informations de cette source, de sorte que l’examen du caractère prétendument erroné des informations de l’article du magazine Forbes en ce qui concerne le patrimoine du requérant relève de l’examen du bien-fondé des motifs d’inscription.

148    En ce qui concerne l’argument tiré de ce que les allégations dans l’article du Kompromat ne seraient pas fiables au motif que les informations qu’il contient ne seraient fondées que sur des rumeurs et des spéculations visant à faire scandale, il convient de rappeler que le fait que des éléments de preuve soient tirés de médias spécialisés dans la vie privée des personnes publiques ou de sites Internet commerciaux n’est pas de nature à priver ces éléments de toute valeur probante (voir point 101 ci-dessus).

149    En deuxième lieu, il convient de rejeter l’argument du requérant selon lequel les articles de presse qui n’ont pas pour « objet principal » les faits invoqués dans les motifs seraient insuffisants pour étayer le maintien de son nom sur les listes en cause. En effet, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, le seul fait qu’un article ne porte pas à titre principal sur les faits servant à étayer le maintien du nom du requérant sur les listes en cause n’empêche pas le Conseil de se fonder sur un tel élément et ne remet pas en cause la fiabilité des informations accessoires retenues par le Conseil.

150    En troisième lieu, s’agissant du dossier WK classifié, il convient de rappeler que le 6 février 2023, à savoir avant l’adoption des actes de mars 2023, le Conseil a communiqué au requérant un résumé des éléments de preuve pertinents contenus dans le dossier WK classifié, lequel était suffisamment précis et circonstancié et a permis au requérant de contester, concrètement, la réalité des allégations retenues contre lui par le Conseil (voir les points 55 à 57 ci-dessus). En outre, le 26 juin 2023, le Conseil a transmis, en annexe à ses observations sur le deuxième mémoire en adaptation, le dossier WK partiellement déclassifié.

151    À cet égard, concernant, tout d’abord, l’argument tiré de l’absence de communication des sources d’information retenues dans le dossier WK partialement déclassifié, il convient de relever que cet argument est, en réalité, dirigé contre la fiabilité des informations concernées, et n’est pas de nature à remettre en cause l’admissibilité dudit dossier en tant qu’élément de preuve.

152    Ensuite, s’agissant de la contestation de la fiabilité des informations contenues dans le rapport sur les participations et les activités du requérant repris dans le dossier WK partiellement déclassifié, il convient de relever que le Conseil a divulgué la partie substantielle de ce rapport, les seuls passages occultés concernant, en substance, l’auteur du rapport dont le Conseil estime qu’il convient de protéger l’identité pour éviter les risques de représailles. À cet égard, dans ses observations sur le troisième mémoire en adaptation et lors de l’audience, le Conseil a apporté des précisions sur l’origine des informations contenues dans ledit dossier, en indiquant qu’elles ont été recueillies par l’auteur du rapport sur les sites Internet des entreprises elles-mêmes, ainsi que sur les bases de données de conformité. Ainsi, le requérant ne saurait faire valoir que le rapport sur ses participations et activités repris dans le dossier WK partiellement déclassifié ne serait pas fiable du seul fait que certaines informations ont été occultées.

153    Par ailleurs, il convient de constater qu’il ressort des précisions apportées par le Conseil que les plateformes de conformité sont des banques de données qui établissent des rapports à partir de sources différentes, y compris des registres de sociétés officiels. L’argument du requérant selon lequel ces bases de données ne seraient pas une source d’informations fiables, car elles seraient alimentées essentiellement par des informations accessibles au public, ne saurait suffire pour priver lesdites sources de valeur probante. En effet, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Fédération de Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans les pays tiers (voir points 101 et 98 ci-dessus), la valeur probante du dossier WK partiellement déclassifié ne saurait être écartée en raison du seul fait qu’il s’appuie sur des informations accessibles publiquement.

154    Enfin, s’agissant des objections soulevées par le requérant à l’égard d’informations qui, selon lui, n’auraient pas été mises à jour, seraient imprécises ou inexactes, il y a lieu d’observer que ces objections ont trait à la véracité de certaines allégations contenues dans les pièces incluses dans les dossiers, et non à la fiabilité et à la crédibilité desdites pièces, de sorte qu’elles doivent être examinées, le cas échéant, dans le cadre de l’examen du bien-fondé du motif d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause.

–       Sur l’application au requérant du critère d)

155    Le requérant considère que le Conseil ne dispose pas d’une base factuelle suffisamment solide pour étayer les motifs d’inscription figurant dans les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024. En particulier, il considère que les nouveaux éléments de preuve sont obsolètes et ne sont pas de nature à étayer le constat selon lequel il participe au financement du complexe à Gelendzhik. À cet égard, il soutient avoir cédé ses parts de [confidentiel] en 2016 et celles de [confidentiel] en 2018.

156    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

157    Premièrement, il est constant que, à la date d’adoption des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, le contexte général de la situation de l’Ukraine, en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance, était resté inchangé depuis l’adoption des premiers actes de maintien.

158    Deuxièmement, s’agissant de la situation individuelle du requérant, celui-ci conteste toujours sa qualité d’actionnaire des sociétés [confidentiel], ainsi que le lien entre le complexe à Gelendzhik et M. Poutine.

159    En ce qui concerne la société [confidentiel], il ressort des points 127 à 134 ci-dessus que le requérant n’a pas apporté, en ce qui concerne les actes initiaux et de septembre 2022, de preuves probantes de son désengagement de cette société. Force est de constater que, dans ses mémoires visant à contester la légalité des actes de mars 2023, septembre 2023 et mars 2024, le requérant n’a invoqué aucun nouvel élément susceptible de démontrer qu’il n’était plus lié à la société [confidentiel] au jour de l’adoption de ces actes.

160    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort du résumé figurant dans le dossier WK classifié que le requérant détenait encore des participations dans la société [confidentiel], lequel est valablement étayé par les éléments de preuve contenus dans le dossier WK partiellement déclassifié. En effet, il ressort du rapport sur les participations et les activités du requérant repris dans le dossier WK partiellement déclassifié que le requérant était encore actionnaire de [confidentiel] au 18 janvier 2023. Or, il n’a apporté aucun élément de preuve probant susceptible de remettre en cause un tel constat. Par ailleurs, il ressort également de ce rapport que cette société disposait d’actifs importants dont la valeur s’élevait, au moment de la prétendue cession en 2018, à [confidentiel], ce qui confirme la conclusion quant au caractère manifestement sous-évalué du prix de vente de la société par rapport à la valeur de ses actifs. Par conséquent, le Conseil pouvait considérer que la cession alléguée n’était pas de nature à établir que le requérant s’était réellement désengagé de la société [confidentiel]. Ainsi, il y a lieu de constater que les informations figurant dans le dossier WK partiellement déclassifié, fourni pour étayer les motifs d’inscription figurant dans les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, étaient de nature à confirmer que les éléments apportés par le requérant afin de prouver la cession de ses participations dans la société [confidentiel] ne sont pas susceptibles d’étayer la réalité de cette prétendue cession.

161    Ensuite, il y a lieu de rejeter l’argument du requérant tiré du fait que les informations qui le présentent en tant qu’actionnaire de [confidentiel] seraient obsolètes, dans la mesure où les noms des actionnaires des sociétés par actions non publiques établies en Russie seraient confidentiels, et l’identité exacte des actionnaires ne seraient donc pas accessible par le biais des bases de données de conformité. En effet, d’une part, il convient de rappeler que les indications contestées figurant dans le dossier WK partiellement déclassifié ne servent qu’à confirmer d’autres éléments de preuve retenus par le Conseil. À cet égard, dans la mesure où le requérant invoque un mémorandum juridique qui présente une interprétation de la législation russe relative à la divulgation des noms des membres des sociétés à responsabilité limitée, il convient de relever que, s’agissant d’un document établi aux fins de la défense du requérant, sa valeur probante doit être relativisée, conformément à la jurisprudence citée au point 96 ci-dessus. D’autre part, l’argument du requérant est remis en cause par le fait qu’il n’a entrepris aucune démarche, entre le 30 octobre 2018 et le 18 janvier 2023, afin de corriger la mention de son nom en tant qu’actionnaire de [confidentiel] dans les registres et les bases de données publiques.

162    Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que le Conseil a établi, à suffisance de droit, que le requérant, en sa qualité d’actionnaire de la société [confidentiel] qui était impliquée dans le financement du complexe à Gelendzhik et assurait l’accès à ce complexe par la voie maritime, soutenait M. Poutine. Le Conseil a donc pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant apportait un soutien à un décideur russe au sens du critère d).

–       Sur l’application au requérant du critère de l’association

163    Le requérant soutient qu’il ne détient et n’a détenu aucune part sociale dans les sociétés SIA, [confidentiel] et [confidentiel]. Le seul lien entre lui et SIA serait le poste de direction duquel il a démissionné le 1er mars 2022.

164    Concernant les liens avec M. Rotenberg, le requérant reconnait qu’ils ont « coopéré » par le passé dans le cadre de deux projets. D’une part, en 2008, ils ont repris ensemble le projet [confidentiel]. D’autre part, en 2012, M. Rotenberg était également impliqué dans la création de [confidentiel] qui exploite désormais SIA. Toutefois, M. Rotenberg ne serait intervenu dans ces projets qu’en tant qu’investisseur et cette collaboration aurait eu lieu avant l’adoption des actes de mars 2023. En tout état de cause, M. Rotenberg ne participerait plus aux affaires de SIA à la suite des mesures restrictives prises à son égard.

165    Le Conseil conteste ces arguments.

166    Il ressort d’une jurisprudence constante que, si le critère de l’association est souvent employé dans les actes du Conseil, il n’est pas, en tant que tel, défini et sa signification dépend des contextes et des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 48 ; du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 114, et du 21 juillet 2016, Bredenkamp e.a./Conseil et Commission, T‑66/14, EU:T:2016:430, points 35 à 37). Toutefois, il peut être admis qu’il s’agit de personnes qui sont de façon générale liées par des intérêts communs, sans pour autant nécessiter un lien par le biais d’une activité économique (arrêt du 6 septembre 2023, Timchenko/Conseil, T‑361/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:502, point 74 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 93). En outre, il convient de relever que le critère d’inscription relatif aux personnes « associées » aux personnes dont le nom est inscrit sur les listes en cause est clairement libellé au présent, ce qui implique que l’association doit être établie au moment de l’adoption des actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, points 92 et 93 et jurisprudence citée).

167    En l’espèce, le lien d’association entre le requérant et M. Rotenberg repose sur l’existence de leurs intérêts communs dans [confidentiel], qui à son tour détient des participations majoritaires dans SIA.

168    À cet égard, premièrement, en ce qui concerne M. Rotenberg, il y a lieu de relever qu’il s’agit d’une personne dont le nom est inscrit sur les listes en cause depuis le 30 juillet 2014 au motif qu’il « a des liens personnels étroits avec le président Poutine ».

169    Deuxièmement, il convient de constater que, pour justifier le bien-fondé des motifs qui se rattachent au lien d’association entre le requérant et M. Rotenberg, le Conseil se réfère aux deuxième, troisième et quatrième dossiers WK et, notamment, à l’article intitulé « Alexander Ponomarenko quitte son poste à l’aéroport de Chérémetievo après avoir été inclus dans la liste des sanctions de l’UE », publié sur le site de RBC News, à l’article intitulé « Les propriétaires du “Palais de Poutine” ont-ils nié leur implication ? », publié sur le site de Kompromat, et à l’article intitulé « “Le palais de Poutine” : l’histoire du luxe, de la moisissure et des faux murs des constructeurs », publié sur le site de BBC, extrait du site Internet Forbes Russia, contenus dans le deuxième dossier WK, à l’article intitulé « La structure de la holding contrôlant l’aéroport de Chérémétievo a été redomiciliée dans les Zones Administratives Spéciales (ZAS) », publié dans le site de Rugard, à l’article intitulé « Triumvirat : affaires et stratagèmes d’Arkady Rotenberg et de ses compagnons – Alexandre Ponomarenko et Alexandre Skorobogatko », publié sur le site de Utro fevraliya, à l’article intitulé « Il y aura un grand scandale : “victoire” est allé à Chérémétievo », publié sur le site de KO, et à l’article intitulé « “Victoire” à un prix élevé », publié sur le site de Kommersant, contenus dans le troisième dossier WK, à l’article « Pourquoi Rotenberg s’est vu attribuer le plus grand aéroport de Russie », publié sur le site de Versia ainsi qu’au dossier WK partiellement déclassifié. Il ressort de ces pièces que, en 2012, le requérant a créé [confidentiel] avec M. Rotenberg et une autre personne.

170    Le requérant ne remet pas en cause le fait qu’il a créé, avec M. Rotenberg, [confidentiel]. Toutefois, il conteste, d’une part, qu’il détient le trust [confidentiel]qui gère 65 % de la société [confidentiel] et, d’autre part, que M. Rotenberg est toujours impliqué dans [confidentiel].

171    À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de relever que, en constituant, avec une autre personne, pour le bénéfice de leurs familles respectives, le trust [confidentiel], qui gère la participation majoritaire de [confidentiel], le requérant détient des intérêts économiques dans cette société, par le biais d’une structure intermédiaire établie dans les Iles vierges britanniques. Il s’ensuit que le requérant, en sa qualité de constituant du trust [confidentiel], détenait indirectement des intérêts économiques dans la société [confidentiel].

172    Cette conclusion est corroborée par le rapport de transparence (annexe A.9), qui confirme que le trust [confidentiel] a été créé pour gérer les intérêts du requérant. En outre, selon le dossier WK partiellement déclassifié, le requérant et une autre personne contrôlent 65 % de [confidentiel].

173    En second lieu, s’agissant de liens économiques ou capitalistiques ou l’existence d’intérêts communs liant le requérant et M. Rotenberg, il convient de relever qu’il est constant que M. Rotenberg était impliqué dans la création de [confidentiel] qui exploite SIA. Par ailleurs, il ressort des pièces des dossiers WK mentionnées au point 169 ci-dessus que M. Rotenberg contrôle 35 % des parts de [confidentiel].

174    Eu égard à la participation commune du requérant et de M. Rotenberg dans [confidentiel] qui exploite SIA, il convient de constater que ces liens capitalistiques attestent l’existence d’intérêts communs entre les personnes concernées.

175    À cet égard, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel M. Rotenberg ne pouvait pas faire usage de sa participation minoritaire dans [confidentiel] depuis 2014 à la suite des mesures restrictives prises à son égard, de sorte que M. Rotenberg était également dans l’impossibilité de céder ses participations dans cette société, il y a lieu de relever que, alors que le nom de M. Rotenberg était inscrit sur les listes en cause depuis le 30 juillet 2014, le requérant n’a pas démontré avoir entrepris des démarches avant l’adoption des actes initiaux en vue de se désengager de [confidentiel] afin de mettre un terme à sa relation d’affaires avec M. Rotenberg. En outre, le requérant n’a également pas démontré avoir entrepris des démarches, après l’adoption des mesures restrictives à son égard, en vue de mettre un terme à cette association en recourant, notamment, à la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 10, de la décision 2014/145, telle que modifiée, et à l’article 6 ter, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié.

176    S’agissant de l’argument du requérant selon lequel le simple investissement dans les mêmes projets n’atteste pas d’un lien d’association, dès lors que M. Rotenberg ne serait intervenu qu’en tant qu’investisseur minoritaire sans aucune responsabilité en termes de gestion, il y a lieu de relever, d’une part, que, ainsi qu’il ressort des pièces des dossiers mentionnées au point 169 ci-dessus, M. Rotenberg contrôle 35 % des parts de [confidentiel], ce qui fait de lui le deuxième actionnaire après [confidentiel] qui détient 65 % de [confidentiel]. D’autre part, il ressort des articles « Triumvirat : affaires et stratagèmes d’Arkady Rotenberg et de ses compagnons – Alexandre Ponomarenko et Alexandre Skorobogatko » de Utro fevraliya (troisième dossier WK) et « Pourquoi Rotenberg s’est vu attribuer le plus grand aéroport de Russie » de Versia (quatrième dossier WK) que la coopération entre le requérant et M. Rotenberg perdure au moins depuis 2013, à savoir depuis le début de la privatisation de SIA.

177    Ainsi, eu égard notamment aux liens capitalistiques dans [confidentiel] et à la durée de ces liens, le Conseil a pu, à juste titre, constater que ces d’intérêts communs étaient suffisants pour démontrer l’existence d’un lien d’association. Étant donné que ces liens capitalistiques dans [confidentiel] perduraient au moment de l’adoption des actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, il convient de conclure que le requérant et M. Rotenberg demeuraient associés à ces dates.

178    Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les actes de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024.

179    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de principes généraux et de droit fondamentaux

180    Le troisième moyen se divise en trois branches, tirées de la violation du principe de proportionnalité, du droit de propriété et du principe d’égalité de traitement.

 Sur la première branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe de proportionnalité

181    Dans le cadre de la première branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe de proportionnalité, le requérant fait valoir que les actes attaqués ont été adoptés dans le but de dissuader la Fédération de Russie de mener une action militaire contre l’Ukraine et que des mesures restrictives individuelles ne sont, à cet égard, adéquates à la réalisation de ces objectifs que si la personne concernée est en mesure d’exercer, sous quelque forme que ce soit, une influence sur les actes de la Fédération de Russie.

182    Or, le Conseil ne prétendrait pas que le requérant a, sous quelque forme que ce soit, été impliqué dans le conflit en Ukraine, et ce alors qu’il n’existe aucun lien entre le requérant et des décideurs déterminants.

183    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

184    Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

185    En l’espèce, il y a lieu de relever que, au regard de l’importance primordiale des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la promotion d’un règlement pacifique de la crise dans ce pays, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix, de prévention des conflits et de renforcement de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, les conséquences négatives résultant de leur application au requérant ne sont pas disproportionnées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

186    En effet, l’application de mesures restrictives à des personnes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine au sens du critère d) ainsi qu’à des personnes qui sont associées à des personnes inscrites sur le fondement de l’un des critères prévus à l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2014/145, telle que modifiée, est appropriée pour accroître la pression exercée sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. De telles mesures sont également nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis et le requérant n’a pas démontré que des mesures alternatives moins contraignantes permettraient d’atteindre aussi efficacement ces objectifs.

187    Par ailleurs, il s’agit de restrictions temporaires et réversibles, et qui prévoient des possibilités de dérogations. Partant, il y a lieu de constater que les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués.

188    Au surplus, le fait que le requérant ne soit impliqué dans aucune décision relative à l’annexion de la Crimée ou à la déstabilisation de l’Ukraine est sans pertinence. En effet, il ne s’est pas vu imposer des mesures restrictives pour cette raison, mais aux motifs, notamment, qu’il apporte un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou en tire avantage. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’importance des objectifs poursuivis par un acte de l’Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certaines personnes, y compris pour celles qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées (voir, par analogie, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 361, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).

189    Il résulte de ce qui précède que la première branche du troisième moyen doit être écartée.

 Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du droit de propriété

190    Dans le cadre de la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du droit de propriété, le requérant fait valoir que les actes attaqués l’empêchent de posséder et d’utiliser sa propriété légalement acquise ainsi que de disposer de cette dernière, de sorte qu’il en résulterait une violation de ses droits fondamentaux consacrés à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 1er du premier protocole additionnel de la CEDH, une violation qui ne saurait être justifiée.

191    En ce sens, le requérant soutient que, selon les motifs de l’inscription invoqués par le Conseil, le critère sous d) ne serait pas rempli, de sorte que les conditions prévues par la loi pour restreindre son droit de propriété ne sont pas non plus réunies.

192    En outre, le requérant fait observer que les actes attaqués ne prévoient pas non plus d’indemnité pour sa perte de propriété.

193    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

194    À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété est consacré par l’article 17 de la Charte. Certes, les mesures restrictives que comportent les actes attaqués, en dépit de leur nature conservatoire, entraînent des limitations dans l’exercice par le requérant de ce droit fondamental.

195    Toutefois, le droit de propriété dont se prévaut le requérant ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, aux termes duquel, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

196    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits et libertés fondamentaux doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, elle doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, elle doit être proportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, points 145 et 222 et jurisprudence citée).

197    Or, en l’espèce, force est de constater que ces quatre conditions sont remplies.

198    Premièrement, il y a lieu de constater que les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant, notamment, une portée générale, à savoir la décision 2014/145, telle que modifiée, et le règlement no 269/2014, tel que modifié, et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir, respectivement, l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

199    Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que les mesures restrictives ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit de propriété dès lors qu’elles présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 169 et jurisprudence citée, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 225). En l’espèce, le maintien du nom du requérant sur les listes en cause est soumis à un réexamen régulier visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription. Partant, il y a lieu de conclure que la nature et l’étendue du gel de fonds temporaire en cause respectent le contenu essentiel du droit de propriété et ne remettent pas en cause ce droit en tant que tel.

200    Troisièmement, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif d’intérêt général qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international, ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles (voir, par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 176).

201    Quatrièmement, il y a lieu de vérifier si la limitation en cause est proportionnée au but recherché.

202    Tout d’abord, il convient de vérifier si les mesures restrictives en cause sont appropriées pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. En l’espèce, il importe de relever que le gel des fonds du requérant, en tant que mesure s’inscrivant dans le cadre d’une riposte rapide, unifiée, graduée et coordonnée, mise en place au titre d’une série de mesures restrictives, constitue une mesure appropriée pour atteindre l’objectif d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

203    Ensuite, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que des mesures moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les personnes associées aux responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 178).

204    Enfin, une mise en balance des intérêts en jeu démontre que les inconvénients que comporte le gel temporaire de fonds ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis. En effet, l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, est de nature à prévaloir sur des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En outre, le maintien du nom du requérant sur les listes en cause fait l’objet d’un suivi constant et est soumis à un réexamen régulier visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription. De même, il y a lieu de relever que des dérogations spécifiques aux mesures peuvent être accordées par les autorités des États membres conformément à l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145, telle que modifiée, et aux articles 4 à 6 du règlement no 269/2014, tel que modifié, notamment pour répondre aux besoins fondamentaux ou essentiels des personnes en cause ou pour faire face aux dépenses nécessaires.

205    Il s’ensuit que les mesures de gel des fonds du requérant impliquent une ingérence proportionnée, de sorte que son droit de propriété n’a pas été violé.

206    Concernant l’allégation du requérant selon laquelle les actes attaqués devraient prévoir une indemnisation pour la perte de sa propriété, il convient de rappeler que les mesures restrictives en cause constituent des mesures conservatoires, qui ne privent pas le requérant de sa propriété.

207    En conséquence, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du troisième moyen.

 Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement

208    Dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement, le requérant fait valoir que les motifs de l’inscription de son nom sur les listes en cause ne sont pas compatibles avec la finalité des critères d’inscription et que les liens avec des décideurs russes n’existent pas, de sorte qu’il lui est uniquement reproché d’être un homme d’affaires à succès et de connaître également d’autres hommes d’affaires en Russie. Cette interprétation extensive des critères d’inscription signifierait que toute personne russe présentant une certaine pertinence économique devrait être inscrite sur la liste.

209    Ainsi, le requérant n’aurait pas été traité de manière égale à d’autres hommes d’affaires russes qui n’ont pas davantage d’influence sur les décideurs de la Fédération de Russie. Par conséquent, le requérant serait traité de manière différente des personnes en situation comparable, raison pour laquelle l’inscription de son nom sur les listes en cause violerait le principe d’égalité de traitement.

210    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

211    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe de l’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 135).

212    En l’espèce, il ressort du critère d) que les mesures restrictives litigieuses visent notamment les personnes physiques qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes, qui sont responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs.

213    À cet égard, force est de constater que le critère d) ne vise pas uniquement des ressortissants russes, mais toute personne physique qui apporte un soutien matériel ou financier aux décideurs russes, indépendamment de sa nationalité.

214    En outre, pour autant que le requérant soutient que le Conseil aurait omis d’adopter des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes dans la même situation que lui et susceptibles de relever du critère d), il y a lieu de rappeler que, si le Conseil ne peut inscrire sur les listes des personnes qui ne satisfont pas aux critères de désignation fixés par les actes applicables, en revanche, il n’est pas tenu d’inscrire sur ces listes toutes les personnes qui satisfont à ces critères. Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant, le cas échéant, de ne pas soumettre une telle personne ou entité à des mesures restrictives, s’il estime que, au regard de leurs objectifs, il ne serait pas opportun de le faire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 243). Au surplus, la circonstance que le Conseil aurait omis d’adopter des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant au critère d), à la supposer avérée, ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoquée, étant donné que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent se concilier avec le principe de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135 et jurisprudence citée).

215    Partant, il y a lieu de rejeter la troisième branche du troisième moyen et, dès lors, le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur la demande d’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure

216    Le requérant demande au Tribunal de prescrire des mesures d’organisation de la procédure ou des mesures d’instruction au titre de l’article 88 du règlement de procédure du Tribunal afin d’obtenir la version intégrale et non expurgée du dossier WK partiellement déclassifié.

217    Le Conseil fait valoir qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande au motif, en substance, qu’elle ne vise pas des informations pertinentes pour la présente affaire.

218    À cet égard, il convient de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (voir arrêt du 26 janvier 2017, Mamoli Robinetteria/Commission, C‑619/13 P, EU:C:2017:50, point 117 et jurisprudence citée ; arrêt du 12 novembre 2020, Fleig/SEAE, C‑446/19 P, non publié, EU:C:2020:918, point 53).

219    En l’espèce, le Tribunal considère que la mesure d’organisation de la procédure demandée par le requérant n’apparaît pas nécessaire afin de statuer sur le présent recours.

220    En effet, le Conseil a divulgué la partie substantielle du document concerné. Les parties occultées concernent les sources dont l’identité doit être protégée pour ne pas les exposer à des risques de représailles (voir point 53 ci-dessus). Dans ses observations sur le troisième mémoire en adaptation, le Conseil apporte d’ailleurs des précisions sur l’origine des informations en cause, en indiquant qu’elles ont été recueillies sur les sites Internet des entreprises elles-mêmes ainsi que sur les bases de données de conformité russes.

221    En outre et en tout état de cause, les éléments contenus dans le dossier ainsi que les explications données lors de l’audience sont suffisants pour permettre au Tribunal de se prononcer, celui-ci ayant pu utilement statuer sur la base des conclusions, des moyens et des arguments développés en cours d’instance et au vu des documents déposés par les parties.

222    Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de mesures d’organisation de la procédure.

223    Partant, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

224    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Alexander Ponomarenko est condamné aux dépens.

Brkan

Gâlea

Kalėda

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.


1 Données confidentielles occultées.

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