Semedo v Parliament (Institutional law - Member of the Parliament - Psychological harassment - Judgment) French Text [2025] EUECJ T-349/23 (12 March 2025)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T34923.html
Cite as: [2025] EUECJ T-349/23

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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

12 mars 2025 (*)

« Droit institutionnel - Membre du Parlement - Harcèlement moral - Décisions de la présidente du Parlement concluant à l’existence d’un harcèlement moral à l’égard d’un assistant parlementaire accrédité et prononçant à l’encontre d’un député la sanction de perte du droit à l’indemnité de séjour pendant dix jours - Droit d’être entendu - Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑349/23,

Monica Semedo, demeurant à Grevenmacher (Luxembourg), représentée par Mes T. Bontinck, A. Guillerme et L. Marchal, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme D. Boytha, M. N. Görlitz et Mme A. Krachler, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, R. da Silva Passos, Mmes N. Półtorak, I. Reine et T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

vu la demande de production de documents adressée par le Tribunal au Parlement le 11 juillet 2024 et la réponse du Parlement déposée au greffe du Tribunal le 17 juillet 2024,

à la suite de l’audience du 8 octobre 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Monica Semedo, demande l’annulation des décisions du Parlement européen du 17 avril 2023 par lesquelles celui-ci, en premier lieu, a considéré que certains comportements invoqués à son encontre, pris individuellement et dans leur ensemble, étaient constitutifs de harcèlement moral au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après, respectivement, la « première décision attaquée » et le « statut ») et, en second lieu, lui a imposé une sanction consistant en la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de dix jours (ci-après la « seconde décision attaquée » et, prise avec la « première décision attaquée », les « décisions attaquées »).

 Antécédents du litige

2        Le 4 mars 2022, le comité consultatif chargé d’examiner les plaintes pour harcèlement qui concernent des députés au Parlement (ci-après le « comité ») a informé la requérante, qui est un ancien membre du Parlement, de l’ouverture d’une enquête à son encontre en raison de l’introduction d’une plainte par son ancien assistant parlementaire accrédité (ci-après le « plaignant ») et lui a transmis un résumé des allégations du plaignant ainsi que les preuves non confidentielles présentées par ce dernier. Le comité l’a invitée à soumettre ses observations écrites sur ces allégations avant le 17 mars 2022 et l’a prévenue qu’il l’inviterait à être entendue lors d’une prochaine réunion, probablement le 26 avril 2022.

3        Le 17 mars 2022, la requérante a présenté des observations écrites au comité sur les allégations du plaignant.

4        Par courriel du 7 avril 2022, le comité a invité la requérante à être entendue le 26 avril 2022. Il précisait que les réunions du comité étaient tenues à huis clos et relevaient d’une procédure administrative interne, et non d’une procédure judiciaire, raison pour laquelle les avocats n’étaient pas admis aux auditions.

5        Le 12 avril 2022, les conseils de la requérante ont adressé une lettre au comité, faisant valoir que, en application de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de la jurisprudence de la Cour relative aux droits de la défense dans toute procédure susceptible de mener à une décision faisant grief, l’assistance d’un avocat ne pourrait lui être refusée et qu’ils l’assisteraient lors de l’audition du 26 avril 2022.

6        Par lettre du 21 avril 2022, la présidente du comité a refusé la demande des conseils de la requérante d’assister à l’audition du 26 avril 2022.

7        Par lettre du 22 avril 2022, l’un des conseils de la requérante a indiqué au comité que cette dernière ne se présenterait pas à l’audition du 26 avril 2022 ni à aucune autre convocation tant qu’elle ne pourrait pas être assistée par un avocat.

8        Le 26 avril 2022, le plaignant a été entendu par le comité.

9        Le 28 avril 2022, la présidente du comité a adressé une lettre aux conseils de la requérante, invitant de nouveau cette dernière à être entendue, le 31 mai 2022.

10      Par lettre du 4 mai 2022, l’un des conseils de la requérante a indiqué que cette dernière et lui-même étaient disponibles pour l’audition du 31 mai 2022, mais qu’elle n’y participerait pas sans son avocat.

11      Le 15 novembre 2022, le comité a adopté son rapport sur la plainte ainsi que ses recommandations (ci-après le « rapport du comité ») et les a soumis à la présidente du Parlement. Le comité a conclu que les faits invoqués par le plaignant étaient constitutifs de harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut. Il a recommandé que, conformément à l’article 176 du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur »), il soit infligé une sanction à la requérante consistant en la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de vingt jours.

12      Le 19 décembre 2022, la présidente du Parlement a communiqué à la requérante une version anonymisée du rapport du comité et l’a invitée à soumettre ses observations écrites sur ce rapport avant le 6 janvier 2023, conformément à l’article 11, paragraphe 2, de la décision du bureau du Parlement européen du 2 juillet 2018 relative au fonctionnement du comité et aux procédures en la matière (ci-après la « décision du bureau ») et à l’article 176, paragraphe 2, du règlement intérieur.

13      Le 16 janvier 2023, les conseils de la requérante ont présenté des observations écrites sur le rapport du comité, qui ont été transmises par la présidente du Parlement au comité pour examen. Dans ses observations, la requérante demandait notamment à ce que lui soit communiqué l’ensemble du dossier du comité, y compris les différents témoignages qui ne pouvaient être anonymisés.

14      Le 9 mars 2023, le comité a informé la présidente du Parlement que les observations écrites de la requérante du 16 janvier 2023 ne remettaient pas en cause les conclusions de son rapport.

15      Le 17 avril 2023, la présidente du Parlement a adopté les décisions attaquées.

 Conclusions des parties

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

17      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en tant qu’il est dirigé contre la seconde décision attaquée et comme non fondé en tant qu’il est dirigé contre la première décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la seconde décision attaquée

18      Le Parlement fait valoir que les deux moyens invoqués dans la requête ne visent que la première décision attaquée. Il soutient que, en l’absence d’arguments concernant la seconde décision attaquée, le recours est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre cette décision, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal.

19      La requérante conteste cette argumentation.

20      À cet égard, il convient de constater que, dans la seconde décision attaquée, la présidente du Parlement, après avoir visé la première décision attaquée, par laquelle elle a conclu que le comportement invoqué par le plaignant était constitutif de harcèlement moral de la part de la requérante, a décidé d’imposer une sanction à cette dernière.

21      Comme la requérante le fait valoir à juste titre, la légalité de la seconde décision attaquée dépend donc de celle de la première décision attaquée. En effet, l’annulation, par le Tribunal, de la première décision attaquée entraînerait également l’annulation de la seconde décision attaquée, indépendamment de l’absence d’arguments invoqués par la requérante visant spécifiquement cette dernière. En tout état de cause, la requête peut être comprise comme soulevant des arguments qui visent la légalité des deux décisions attaquées.

22      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par le Parlement, selon laquelle le recours est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre la seconde décision attaquée, doit être rejetée.

 Sur le fond

23      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du droit d’être entendu et des droits de la défense. Le second moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification des comportements de harcèlement moral.

24      Dans le cadre du premier moyen, la requérante reproche au Parlement de ne pas l’avoir entendue oralement et de lui avoir refusé l’assistance d’un avocat, d’abord devant le comité (dans le cadre de la première branche), puis devant la présidente du Parlement (dans le cadre de la seconde branche).

25      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord la seconde branche du présent moyen.

26      La seconde branche du premier moyen se compose de trois griefs. Dans le cadre du premier grief, la requérante reproche au Parlement de ne pas l’avoir entendue oralement devant la présidente du Parlement, en violation de l’article 11, paragraphe 2, de la décision du bureau et de l’article 48 de la Charte. Dans le cadre du deuxième grief, la requérante fait valoir que le Parlement lui a refusé l’assistance d’un avocat devant la présidente du Parlement, en méconnaissance de l’article 48 de la Charte, de la jurisprudence relative aux procédures disciplinaires et des dispositions générales d’exécution des autres institutions. Enfin, dans le cadre du troisième grief, la requérante reproche au Parlement d’avoir procédé à l’anonymisation des annexes de façon à rendre impossible sa défense. La requérante ajoute que, en l’absence de ces irrégularités, tant le rapport du comité que les décisions attaquées auraient pu être différents.

27      Le Parlement conteste l’argumentation de la requérante. Il fait valoir, premièrement, que l’article 11, paragraphe 2, de la décision du bureau laisse ouverte la question de savoir si l’audition du député concerné par le président du Parlement doit se faire par procédure orale ou écrite et que l’article 176, paragraphe 2, du règlement intérieur, qui régirait les modalités de l’audition devant le président du Parlement, ne prévoit pas d’obligation d’entendre le député en personne, deuxièmement, que la requérante a pu présenter ses observations écrites avec l’assistance de son avocat le 16 janvier 2023, avant que les décisions attaquées lui faisant grief ne soient adoptées et, troisièmement, que la requérante disposait des éléments de preuve écrits pertinents ainsi que des preuves orales, le rapport du comité contenant la substance des parties pertinentes des témoignages recueillis.

28      Le Tribunal estime opportun de commencer par l’examen du troisième grief.

29      La requérante fait valoir que l’anonymisation des annexes du rapport du comité a rendu impossible sa défense. D’une part, le rapport du comité et la première décision attaquée, tels qu’ils lui ont été communiqués, feraient référence à deux témoignages dont le contenu serait repris seulement en partie dans le rapport du comité. D’autre part, ils ne contiendraient pas les éléments de preuve écrits retenus pour caractériser le harcèlement.

 S’agissant de l’accès de la requérante aux témoignages

30      S’agissant de l’accès aux témoignages, il convient de relever que, selon la jurisprudence, dans une procédure visant à établir l’existence d’un harcèlement, le principe général du respect des droits de la défense implique que, dans le respect d’éventuelles exigences de confidentialité, la personne mise en cause se voie, préalablement à l’adoption de la décision lui faisant grief, communiquer toutes les pièces du dossier, à charge et à décharge, concernant ledit harcèlement et qu’elle soit entendue sur celles-ci (arrêt du 3 février 2021, Moi/Parlement, T‑17/19, EU:T:2021:51, point 103).

31      Il ressort également de la jurisprudence que, afin de pouvoir présenter utilement ses observations, la personne accusée de harcèlement est en droit de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations des différentes personnes consultées au cours de la procédure d’enquête, dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées par le comité dans son rapport pour formuler des recommandations à la présidente du Parlement, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 1er septembre 2021, KN/CESE, T‑377/20, EU:T:2021:528, point 113 et jurisprudence citée).

32      Afin de garantir la confidentialité des témoignages et les objectifs que celle-ci protège, tout en s’assurant que l’intéressé soit utilement entendu avant qu’une décision lui faisant grief ne soit adoptée, il peut être recouru à certaines techniques telles que l’anonymisation, voire la divulgation de la substance des témoignages sous la forme d’un résumé, ou encore le masquage de certaines parties du contenu des témoignages (voir, en ce sens, arrêts du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 59, et du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 66).

33      En l’espèce, il ressort du dossier que, au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption des décisions attaquées, la requérante n’a eu accès ni aux déclarations faites par les deux témoins devant le comité ni au résumé des auditions de ces deux témoins figurant dans l’annexe II du rapport du comité, alors que ces déclarations ont été utilisées par le comité dans ledit rapport pour formuler des recommandations à la présidente du Parlement, au vu desquelles cette dernière a adopté les décisions attaquées. En effet, le contenu de l’annexe II du rapport du comité, contenant un résumé des auditions des deux témoins, a été entièrement occulté.

34      À cet égard, le Parlement fait valoir que la version non confidentielle du rapport du comité contient un résumé divulguant la substance des témoignages recueillis par le comité au cours de l’enquête, de sorte que la requérante a uniquement été privée des éléments permettant d’identifier les témoins entendus.

35      Au regard de l’argumentation figurant au point 34 ci-dessus, il convient d’examiner si la version non confidentielle du rapport du comité contient un résumé des témoignages recueillis par ledit comité au cours de l’enquête, avant de déterminer, le cas échéant, si ce résumé reflète la substance de ces témoignages (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 1er septembre 2021, KN/CESE, T‑377/20, EU:T:2021:528, point 121).

36      En premier lieu, s’agissant de la présence, dans la version non confidentielle du rapport du comité, d’un résumé des déclarations des témoins entendus, il convient d’observer que, dans sa lettre du 19 décembre 2022 adressée à la requérante, la présidente du Parlement a indiqué que cette dernière « trouver[ait] une version anonymisée du rapport dudit comité en annexe à cette lettre, portant référence aux témoignages qui [avaie]nt été recueillis et pris en compte par celui-ci, aux points 5.1.3, 5.2.2, 5.2.3, et 5.2.4 du rapport ».

37      Ainsi, le point 5.1.3 du rapport du comité, relatif aux témoins, indique :

« Les deux témoins entendus par le comité ont été considérés comme crédibles et il n’y a pas eu de contradictions factuelles majeures entre leurs témoignages ; seule une différence de perception de la conduite de la députée et des situations conflictuelles concernées a été relevée. Pour évaluer les témoignages des deux témoins, le comité a tenu compte de leur situation professionnelle respective. Cependant, pour plusieurs éléments, les témoignages des deux témoins ont confirmé les allégations du plaignant. »

38      Le point 5.2.2 du rapport du comité, portant sur l’allégation relative à la création d’un environnement de travail stressant, indique :

« […] Il ressort d’éléments de preuve oraux crédibles apportés par les témoins que nombre de réunions n’étaient pas bien organisées, et que [confidentiel] n’était pas préparée pour ces réunions, notamment pour ce qui avait trait aux notes d’information élaborées par les APA. [confidentiel a] affirmé avoir reçu d’autres messages de la députée tard le soir et tôt le matin.

[…]

Il était question dans d’autres éléments de preuve oraux (confirmés par l’un des témoins) de situations dans lesquelles [confidentiel] a demandé à [confidentiel] de préparer des notes d’information sur des amendements de compromis qui n’étaient pas encore publiés ainsi que sur les conclusions d’une réunion du Conseil européen qui n’était pas encore finie.

[…]

Selon les deux témoins, l’organisation du travail d’équipe pour [confidentiel] posait problème. [confidentiel a] expliqué que les réunions d’équipe étaient une source constante de tension et d’anxiété, qu’elles étaient chaotiques et dépourvues de structure, et que la députée fixait des échéances courtes et se montrait grossière. [confidentiel a] indiqué que la procédure de harcèlement précédente générait des tensions, mais que des efforts étaient faits constamment pour établir des bonnes pratiques de travail au sein du cabinet.

[…]

Selon les éléments de preuve disponibles, dont le témoignage oral de l’un des témoins, la députée n’a pas bien accueilli [confidentiel] à la formation, alors que la finalité de cette dernière était justement de remédier au problème de relation professionnelle entre l’assistant et la députée.

[…] »

39      Le point 5.2.3 du rapport du comité, portant sur l’allégation relative à des réactions agressives, indique :

« […]

Il ressort toutefois d’éléments de preuve oraux que les témoins ont confirmé, à différents degrés, que la députée s’adressait de manière inappropriée à son personnel, en particulier lorsqu’elle était sous pression. Les témoins ont confirmé les allégations selon lesquelles [confidentiel] a ignoré et a réagi de manière agressive à l’explication donnée par le plaignant concernant le titre correct d’une proposition de directive (sur le salaire minimum). L’un des témoins a également confirmé que la députée a crié contre le plaignant au téléphone à la suite d’une erreur de vote et a mentionné un autre incident similaire auquel le témoin n’a pas assisté, mais dont il a été informé.

Les éléments de preuve tant écrits qu’oraux concernent une situation qui s’est présentée la journée du 5 juillet 2021, alors que [confidentiel] se rendait à Strasbourg en voiture, accompagné de son épouse, et a été contraint de participer à une réunion d’équipe via Zoom. Au cours de cette réunion, comme l’a confirmé l’un des témoins, la députée a crié contre un autre APA, plaçant [confidentiel] dans une situation de grand stress, au point qu’il a pris une mauvaise sortie pour éviter un accident.

Le comité a considéré que les éléments de preuve oraux étaient suffisants à établir que [confidentiel] a fait montre d’agressivité à l’égard du plaignant, c’est-à-dire en l’accusant de ne pas l’informer suffisamment et en temps utile, en réagissant de manière agressive aux explications qu’il lui a fournies, et en sanctionnant ses erreurs en criant contre lui et en faisant des commentaires grossiers[.] »

40      Le point 5.2.4 du rapport du comité, portant sur l’allégation relative au mépris à l’égard de la vie personnelle et du bien-être du plaignant, indique :

« […]

En ce qui concerne la prise de congé de [confidentiel] pour raisons personnelles, les éléments de preuve écrits (étayés par les témoignages oraux des témoins) montrent qu’il était sûr de fournir, à sa connaissance, les informations appropriées, même s’il ne l’avait pas fait longtemps à l’avance […]. […] L’un des témoins a indiqué que [confidentiel] s’est montrée « irritable » lors de la réunion après que le plaignant a annoncé son intention de prendre un congé à l’occasion de son mariage et qu’elle a demandé à [confidentiel] de contacter [confidentiel] pendant son congé pour vérifier s’il était effectivement en train de travailler, comme promis[.]

[…] »

41      À cet égard, il convient de relever que, dans la version non confidentielle du rapport du comité, ce dernier a indiqué avoir recueilli les témoignages de deux témoins, sans préciser leur identité ni leur fonction. Ce rapport fait par ailleurs état des preuves orales prises en compte par le comité lors de la présentation et de l’appréciation de chacun des faits allégués de harcèlement.

42      Plus précisément, pour chacun des comportements reprochés à la requérante, le rapport comporte des renvois aux déclarations orales prises en compte. Le rapport précise par ailleurs, pour chacun des comportements en cause, s’il est corroboré uniquement par des preuves écrites, uniquement par des preuves orales, ou par les deux types de preuves (pages 9, 11 et 12 du rapport du comité).

43      Il ressort de ce qui précède que la version non confidentielle du rapport du comité contient un résumé des déclarations des témoins.

44      En second lieu, afin de vérifier si le Parlement a respecté les droits de la défense de la requérante, il convient de s’assurer que le résumé des déclarations des témoins reflète la substance des témoignages, conformément à la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus.

45      À cette fin, par le biais d’une mesure d’instruction, le Tribunal a demandé au Parlement de produire la version confidentielle de l’annexe II du rapport du comité, en assurant la confidentialité de ce document vis-à-vis de la requérante.

46      En premier lieu, force est de constater qu’il existe des différences de perception entre les deux témoignages oraux recueillis. Ces différences concernent notamment les relations qu’entretenait la requérante avec les assistants parlementaires accrédités en dehors du cadre professionnel et la responsabilité du plaignant dans la détérioration de ses rapports avec la requérante. Or, ces différences de perception ne ressortent pas du résumé des témoignages figurant dans le rapport du comité.

47      En second lieu, il existe une contradiction entre le résumé des témoignages figurant dans le rapport du comité et le contenu de l’annexe II dudit rapport. Ainsi, de nombreux éléments présentés dans le rapport du comité comme ressortant des témoignages, à l’instar, notamment, du manque de préparation de la requérante aux réunions d’équipe et du caractère chaotique et brouillon de celles-ci, de l’envoi de messages tôt le matin (voir point 38 ci-dessus), de la grossièreté et des cris (voir point 39 ci-dessus) ainsi que de la demande visant à vérifier que le plaignant travaillait pendant son congé (voir point 40 ci-dessus), ne sont aucunement mentionnés dans l’annexe II du rapport du comité.

48      Dans ces circonstances, il convient de constater que le rapport du comité ne reflète pas la substance des témoignages recueillis, au sens de la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus, dès lors, d’une part, que les différences de perception des témoins ne ressortent pas de celui-ci et, d’autre part, qu’il existe des divergences entre ce document et le résumé produit dans l’annexe II de celui-ci.

49      Dès lors, en application de la jurisprudence citée aux points 30 et 31 ci-dessus, il y a lieu de conclure que les droits de la défense de la requérante n’ont pas été respectés.

 S’agissant de l’accès de la requérante aux preuves écrites

50      S’agissant de son accès aux preuves écrites, la requérante fait valoir que le rapport du comité et la première décision attaquée, tels qu’ils lui ont été communiqués, ne contenaient pas les éléments de preuve écrits retenus pour caractériser le harcèlement.

51      En l’espèce, il ressort du rapport du comité et de la première décision attaquée qu’ont été pris en compte, au soutien de l’allégation relative à la création d’un environnement de travail stressant, trois messages envoyés par la requérante en dehors des heures de travail, en date, respectivement, du 20 octobre 2020, du 4 et du 6 octobre 2021, et cinq demandes à courte échéance ou présentant un défi pour le plaignant, en date, respectivement, du 20 octobre 2020, du 31 août, du 22 septembre, du 18 octobre 2021 et du mois de septembre 2021.

52      Or, parmi les éléments de preuve écrits mentionnés au point 51 ci-dessus, seuls le courriel du 4 octobre 2021 et l’échange de messages sur l’application WhatsApp de septembre 2021 ont été envoyés à la requérante par le comité en annexe à la lettre de ce dernier du 4 mars 2022, qui informait la requérante de l’ouverture d’une enquête à son encontre. En revanche, les autres éléments de preuve écrits ne figurent ni parmi les annexes de la lettre du comité adressée à la requérante le 4 mars 2022, ni parmi celles du rapport du comité, communiqué à la requérante par la présidente du Parlement le 19 décembre 2022 (voir points 2 et 12 ci-dessus). Ils ont en revanche été fournis par le Parlement lors de la procédure devant le Tribunal, en annexe au mémoire en défense.

53      Il s’ensuit que tous les éléments de preuve écrits retenus pour caractériser le harcèlement n’ont pas été communiqués à la requérante lors de la procédure administrative.

54      Le Parlement fait valoir que tous les éléments de preuve écrits étaient identifiés par leur date, leur mode de communication et leur contenu dans le rapport du comité, si bien que la requérante, dans la mesure où elle en était l’auteure, pouvait facilement les consulter et, dès lors, exprimer ses observations les concernant. À cet égard, la requérante n’a pas contesté qu’elle disposait des échanges en cause.

55      Toutefois, pour pouvoir assurer sa défense, la personne mise en cause doit avoir la possibilité de connaître avec précision les pièces du dossier sur lesquelles ont été fondées les charges retenues contre elle dans les décisions la concernant (arrêt du 3 février 2021, Moi/Parlement, T‑17/19, EU:T:2021:51, point 110).

56      En l’espèce, dès lors qu’il ressort du dossier que tous les éléments de preuve écrits n’ont pas été fournis à la requérante par le comité ou la présidente du Parlement lors de la procédure administrative, il convient de constater, en application de la jurisprudence citée au point 55 ci-dessus, que les droits de la défense de la requérante n’ont pas été respectés.

 Sur les conséquences de la violation du principe du respect des droits de la défense

57      Selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense n’entraîne l’annulation d’une décision adoptée au terme d’une procédure que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 76).

58      Il ressort également de la jurisprudence que la condition mentionnée au point 57 ci-dessus est satisfaite lorsque, n’ayant pas eu accès aux pièces qui devaient lui être communiquées en application du respect dû aux droits de la défense, une partie requérante n’a pu utilement faire valoir ses observations et s’est ainsi vue privée d’une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense (voir arrêt du 3 février 2021, Moi/Parlement, T‑17/19, EU:T:2021:51, point 116 et jurisprudence citée).

59      Dans un tel cas, un défaut de communication de pièces du dossier sur lesquelles s’est fondée l’administration affecte, en effet, de manière inévitable, au regard de la protection due aux droits de la défense, la régularité des actes pris au terme d’une procédure susceptible d’affecter la partie requérante défavorablement (voir arrêt du 3 février 2021, Moi/Parlement, T‑17/19, EU:T:2021:51, point 117 et jurisprudence citée).

60      En l’espèce, il ressort du dossier que, durant la procédure la concernant, la requérante n’a eu accès ni à un résumé reprenant la substance des témoignages recueillis par le comité ni aux pièces du dossier sur lesquelles ont été fondées les charges retenues contre elle, en particulier les courriels ou les messages sur lesquels les accusations étaient fondées, alors que ces informations ont été prises en considération pour constater le harcèlement et pour adopter la sanction.

61      Dans ces conditions, il convient de considérer, sur le fondement de la jurisprudence citée aux points 57 à 59 ci-dessus, que la requérante a été privée, en l’espèce, d’une chance de mieux assurer sa défense et que cette irrégularité a affecté, de manière inévitable, le contenu des décisions attaquées.

62      Les décisions attaquées doivent donc être annulées pour violation des droits de la défense de la requérante, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs du premier moyen ni le second moyen.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de la présidente du Parlement européen du 17 avril 2023 par lesquelles cette dernière, en premier lieu, a considéré que certains comportements invoqués à l’encontre de Mme Monica Semedo étaient constitutifs de harcèlement moral et, en second lieu, a imposé à cette dernière une sanction consistant en la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de dix jours sont annulées.

2)      Le Parlement est condamné aux dépens.

Papasavvas

da Silva Passos

Półtorak

Reine

 

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 mars 2025.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.

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